II - Cérémonie de
remise du Prix de la délégation
aux droits des femmes du
Sénat
Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Chers collègues,
Amirale,
Monsieur le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Michel Magras,
Chers amis du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de remettre aujourd'hui, pour la première fois, le Prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat .
Nous avons créé ce prix afin d'affirmer notre considération, et celle du Sénat, pour des acteurs et des actrices de la lutte pour les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, sans qui aucun progrès dans ce domaine ne serait possible.
Nous souhaitions par un geste fort marquer la célébration du vingtième anniversaire de la délégation. Ce prix sera par la suite remis en principe tous les ans, par exemple à l'occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes.
À travers mes propos, j'associe bien évidemment tous les membres de la délégation, actuels et passés, ainsi que le président du Sénat. Je souhaite également la bienvenue au président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Michel Magras, qui nous fait l'amitié de sa présence. [ Applaudissements ]. Nous avons en effet eu l'occasion de travailler ensemble sur la question des violences faites aux femmes dans les outre-mer. À cet égard, je précise que la délégation compte trois sénatrices et un sénateur ultramarins, fortement engagés dans ce combat.
C'est donc avec fierté et émotion que je vais maintenant remettre le prix à nos premiers lauréats.
La délégation a été unanime à choisir Ernestine Ronai, interlocutrice fidèle et incontournable de notre délégation sur tous les sujets concernant les violences faites aux femmes.
[Applaudissements.]
Ernestine Ronai fait incontestablement partie des partenaires qui accompagnent par leur expertise et leur implication les réflexions de notre délégation depuis de nombreuses années.
On ne présente plus Ernestine Ronai !
Je vais néanmoins rappeler qu'elle est responsable de l'Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, une structure pionnière et exemplaire qui doit beaucoup à son énergie et à sa force de conviction hors du commun.
Ernestine Ronai est également, entre autres fonctions, co-présidente, avec le juge Édouard Durand, qui était avec nous ce matin - un autre interlocuteur particulièrement précieux de la délégation - de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l'égalité (HCE), dont la présidente Brigitte Grésy est parmi nous.
Les ouvrages d'Ernestine Ronai sur les violences, plus particulièrement au sein des couples, sont, si je puis dire, des manuels de référence !
Notre choix reflète donc la place centrale des thématiques liées aux violences dans notre programme de travail.
Il reflète aussi notre intérêt pour les outre-mer, puisque Ernestine Ronai est co-auteure, avec Dominique Rivière, d'un rapport de référence du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer. À ce titre, elle est d'ailleurs personnalité associée du CESE.
C'est donc avec un plaisir très particulier que je vous remets cette médaille, chère Ernestine.
[Applaudissements.]
[Annick Billon, présidente, remet à Ernestine Ronai le prix de la délégation].
Ernestine Ronai . - Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, chers amis, je vous remercie de me faire cet honneur et je souhaite préciser d'emblée que cette distinction est la reconnaissance d'un travail collectif. Je vais donc citer les différents partenaires qui m'accompagnent depuis des années dans mon action.
Je veux tout d'abord remercier collectivement mes collègues de l'Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis présents auprès de moi au Sénat aujourd'hui.
[Applaudissements.]
Je voudrais aussi rendre hommage à ma complice, le docteur Emmanuelle Piet, qui m'a appris quelque chose de très important quand j'étais psychologue scolaire : c'est le questionnement systématique. Je me réjouis que la Haute Autorité de Santé (HAS) ait récemment préconisé un tel questionnement dans ses recommandations. C'est un point très important pour favoriser le repérage des victimes, première étape de leur accompagnement.
Laissez-moi citer aussi ceux que j'appelle « mes professeurs de droit » : Patrick Poirret pour le droit pénal et Christine Rostand pour le droit civil. Ces deux magistrats nous ont permis de mettre en place en Seine-Saint-Denis le Téléphone grave danger (TGD) dès 2009, puis l'ordonnance de protection. C'est donc depuis 2010 que ces dispositifs fonctionnent dans le département et ont montré leur efficacité pour protéger les victimes.
Nous avons aussi signé des protocoles, qui formalisent des partenariats entre des personnes, mais aussi des institutions. C'est nécessaire pour la pérennité des dispositifs ! C'est à mon avis l'un des enjeux du Grenelle de lutte contre les violences conjugales que de développer des protocoles entre les institutions pour mieux formaliser le rôle de chacun.
Nous avons eu le plaisir et l'honneur d'accueillir des parlementaires en Seine-Saint-Denis. Si je me suis récemment rendue à la Roche-sur-Yon à l'invitation d'Annick Billon, nous avons reçu en 2016 Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Laurence Cohen et Roland Courteau, quand la délégation aux droits des femmes travaillait sur l'évaluation des lois de 2006 et 2010 sur les violences au sein du couple. Autrement dit, nous avons un partenariat solide, dans les deux sens, avec la délégation aux droits des femmes du Sénat, depuis maintenant plusieurs années.
Un autre collectif auquel je veux rendre hommage est celui du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), désormais présidé par Brigitte Grésy, sans oublier Danielle Bousquet, sa première présidente. C'est aussi l'occasion pour moi de souligner que je veux partager ce prix avec le juge Édouard Durand, qui co-préside avec moi la commission violences du HCE.
Je voudrais également mentionner le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont la délégation aux droits des femmes est présidée par Emelyn Weber, que je salue, ainsi que Raphaëlle Manière, sa vice-présidente. Je remercie également Jean-Etienne Antoinette, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer du CESE, d'être à mes côtés cet après-midi. Le travail que j'ai effectué sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer, au titre du CESE, m'a beaucoup marquée, tant il est vrai que si les outre-mer sont particulièrement touchés par les violences faites aux femmes, ils sont aussi caractérisés par une grande énergie pour faire reculer ces violences.
Je souhaite également mentionner les centres de psycho-trauma, en rappelant que nous avons bataillé pendant des années afin d'obtenir la gratuité des soins pour les femmes victimes de violences. À ce jour, la mise en place de douze centres de psycho-trauma a été validée. Pour autant, nous savons qu'il en faut bien davantage ! Nous devons donc poursuivre notre travail. Il serait bon de s'inspirer de l'exemple de la Belgique, où ces centres associent aux personnels médicaux des policiers et des gendarmes.
Je suis par ailleurs membre du conseil d'administration de plusieurs associations, notamment l' Amicale du Nid , dont je salue la présidente Marie-Hélène Franjou, et Geneviève Duché, qui ont beaucoup fait avancer la lutte contre la prostitution. Je saisis cette occasion pour dire à Laurence Rossignol combien la loi qu'elle a portée est efficace et utile. Certes, on peut toujours faire mieux, mais ce texte nous a permis de beaucoup progresser. Merci à toi, Laurence ! [Applaudissements.]
Je ne peux pas non plus ne pas mentionner le Collectif féministe contre le viol (CFCV), qui lutte de manière très efficace contre les violences sexuelles, à travers le numéro 0 800 05 95 95. Merci à sa présidente Emmanuelle Piet et à sa directrice, Gabriela Bravo.
Je terminerai ce tour de table en citant l'association L'égalité, c'est pas sorcier , dont la présidente, Henriette Zoughebi, ici présente, se trouve être ma soeur jumelle, une complice de toujours. Je tiens aussi, bien sûr, à remercier ma famille, parce qu'ils sont toujours d'un soutien sans faille. Un grand merci à eux !
[Applaudissements.]
Enfin, je dois citer la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) parmi les institutions auxquelles je tiens plus particulièrement. C'est Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des droits des femmes, qui m'avait chargée de la mettre en place. J'y ai été coordinatrice de la lutte contre les violences faites aux femmes jusqu'au début de 2017. Nous y avons accompli un travail très important pour créer des outils de formation à destination des professionnels. C'est quelque chose qui me tient très à coeur, c'est pourquoi je continue à travailler avec la MIPROF.
Pour conclure mon intervention, je voudrais revenir un instant sur l'actualité. Beaucoup d'entre vous ont sans doute remarqué les affiches pour dénoncer les féminicides, placardées dans les rues de Paris ou de Montreuil. Ces affiches écrites à la main sont collées par des jeunes femmes, et je trouve que c'est plein d'espoir.
En effet, ces jeunes femmes - elles sont notre avenir - disent qu'elles ne veulent plus de cette violence. Notre société est en train de prendre conscience de la dangerosité des auteurs de violences, à travers le décompte, par les associations, de chaque féminicide. Cela fait un moment qu'on dit qu'une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, mais aujourd'hui ces femmes ont un nom, un visage, un âge et une histoire. C'est incontestable, cela change notre représentation de la violence !
J'espère bien que ce changement dans notre société va aboutir à un changement dans la loi - et je m'adresse bien sûr aux législateurs qui sont dans cette salle - pour la rendre plus contraignante et permettre que les choses progressent.
Ces jours-ci, j'ai eu l'occasion de rencontrer beaucoup de femmes victimes de violences et leurs familles. Toutes insistent sur quatre points que je veux porter à votre connaissance, car je trouve que c'est un message très fort.
Le premier point, c'est qu'elles demandent à être crues quand elles révèlent les violences. Ça paraît simple, ça paraît normal. Malheureusement, ça ne l'est pas...
Le deuxième point, c'est qu'elles demandent à être protégées lorsqu'elles ont révélé les violences. Là encore, ça paraît normal, mais ça ne l'est pas dans notre société.
Le troisième point, c'est qu'elles demandent des soins gratuits pour elles et pour leur famille, lorsqu'elles en ont besoin. J'ai mentionné les douze centres de psycho-trauma ouverts en France, mais tout le monde comprendra qu'avec cent départements, on est assez loin du compte ! Nous avons entrouvert la porte : il faut désormais l'ouvrir en grand.
Enfin, le quatrième point, c'est qu'elles demandent qu'on prenne en compte les enfants comme des victimes des violences conjugales, et pas seulement comme des témoins. Cela signifie que nous devons penser l'autorité parentale de l'homme violent sous l'angle de la violence conjugale. Ça aussi, c'est un changement de mentalité.
Face à la présomption d'innocence, il faut mettre en avant la présomption de crédibilité pour la victime et appliquer systématiquement le principe de précaution, pour garantir la protection des femmes. Tel serait mon message principal, avec un mot d'ordre : mieux protéger les femmes, c'est aussi mieux protéger les enfants !
Je terminerai par une citation d'Aimé Césaire que vous connaissez bien, et je salue amicalement à cette occasion mes amis d'outre-mer : « Je suis du côté de l'espérance, mais d'une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté ».
Ici, au Sénat, cet après-midi, nous sommes pleins d'espoir et pleins d'espérance, mais sans naïveté : les violences vont reculer, et nous allons nous y employer ! Merci.
[Applaudissements.]
Annick Billon . - Merci, chère Ernestine.
J'en viens à notre second lauréat.
Le choix de la délégation a été unanime, également, pour saluer le travail de Women Safe - Institut en santé génésique de Saint-Germain-en-Laye, dont les co-fondateurs sont Frédérique Martz, directrice générale, et le Docteur Pierre Foldès, pionnier de la chirurgie de réparation des femmes excisées.
Nous avons gardé un souvenir très fort du déplacement à Women Safe , en février 2018, que nous avons effectué dans le cadre de nos travaux sur les mutilations sexuelles féminines, et de l'audition du docteur Foldès et de Mme Martz qui l'avait complété, au mois de mars 2018.
Tout ce que nous avons appris grâce à eux se reflète d'ailleurs largement dans la Résolution pour soutenir la lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines, adoptée par le Sénat, le 14 mars 2019, à l'initiative de notre délégation, dans un beau moment d'unanimité.
Ce choix fait donc écho à tous nos travaux sur les mutilations sexuelles féminines et à la résolution du Sénat qui en a résulté. Il permet aussi de mettre en lumière un engagement masculin, celui du Docteur Foldès, dans la défense des droits des femmes, et l'attachement du Sénat à la mixité, condition de l'égalité entre femmes et hommes.
Chère Frédérique Martz, cher Pierre Foldès, merci pour votre travail et votre engagement.
[Annick Billon, présidente, remet à Frédérique Martz et au Docteur Pierre Foldès, co-fondateurs de Women Safe , le prix de la délégation.]
[Applaudissements.]
Pierre Foldès . - Merci, Madame la présidente.
Je voudrais tout d'abord remercier la délégation aux droits des femmes, tous les élus, les sénateurs et sénatrices, mais également tous les acteurs de la société civile qui s'engagent pour lutter contre ce très grave problème de santé publique que sont les violences faites aux femmes.
Avant de continuer, je vais demander aux membres de notre équipe de nous rejoindre, car ce sont eux qui font le travail au quotidien ; je les invite donc à venir se placer à nos côtés.
[Applaudissements.]
Vous constaterez que je suis le seul homme - je ne me sens pas totalement légitime...
[Rires.]
Il y a une dizaine d'années, Frédérique Martz et moi-même nous sommes rejoints sur le constat que les violences commises contre les femmes constituaient un fléau très préoccupant. Je m'occupais alors de prendre en charge les victimes de mutilations sexuelles. Au-delà de l'excision, pour un soignant comme moi et une cheffe d'entreprise comme Frédérique, les violences faites aux femmes, dans toutes leurs dimensions, étaient totalement insupportables.
Nous avons regardé quelles actions étaient menées pour lutter contre ces violences, et nous avons été interpellés par le cloisonnement existant entre les différents acteurs. À l'époque, en effet, ceux qui s'occupaient de viol, par exemple, ne s'occupaient pas d'inceste et inversement. De même, ceux qui s'occupaient de viol ou d'inceste ne s'occupaient pas de violences conjugales.
Il n'y avait pas de point d'entrée unique pour les femmes victimes de violences et, malgré les efforts énormes de la société civile, la réponse qu'on pouvait leur apporter était, à notre sens, insuffisante et incomplète.
En outre, et ce qui nous a semblé encore plus grave, quand une femme entrait dans un de ces dispositifs, elle n'était donc pas pleinement prise en charge. Si elle avait la chance d'être vue par un psychologue, elle ne disposait pas d'assistance juridique. Si elle rencontrait un juriste, elle ne voyait pas de médecin, etc. On n'avait pas encore compris la réalité des violences, qui atteint la femme dans la totalité de son être, ce qui nécessite une prise en charge globale.
Une telle réponse ne nous semblait pas exister et cela nous paraissait choquant.
Plus choquant encore nous a paru le manque d'implication des médecins dans cette cause. Or comme le dit souvent Frédérique, une femme en mauvaise santé ne peut remonter la pente toute seule.
Nous avons donc créé l'institut Women Safe , qui reprend l'idée anglo-saxonne d'une prise en charge « holistique ». Nous y accueillons toute femme victime de violence, quelle que soit la violence exercée contre elle (violence sexuelle, mutilation sexuelle, violence conjugale, harcèlement...) et nous lui offrons en un lieu unique tous les métiers susceptibles de lui venir en aide : les avocats, les juristes, les médecins, les psychologues, les travailleurs sociaux et au-delà, ceux qui s'occupent de bien-être. L'idée est d'accompagner pleinement ces femmes, de manière totalement gratuite, de façon anonyme et sécurisée, et pendant tout le temps qu'il faudra. Tel est le principe de l'institut, qui s'est révélé d'une extraordinaire efficacité. Nous sommes très heureux de pouvoir en parler avec vous cet après-midi. Je vais laisser la parole à Frédérique Martz.
[Applaudissements.]
Frédérique Martz . - Je voudrais tout d'abord rendre hommage à la première lauréate, Ernestine Ronai, qui incarne pour moi le symbole de la lutte contre les violences faites aux femmes !
Je remercie le Sénat et la délégation aux droits des femmes de nous accueillir aujourd'hui et de nous mettre en lumière.
Sur ce point, je dois dire que je regrette que notre département, celui des Yvelines, soit souvent écarté des politiques publiques de lutte contre les violences, parce qu'il est considéré à tort comme un territoire « sans problème ». Je voudrais quand même signaler à cet égard que sur les 118 meurtres de femmes par leur conjoint que l'on déplore à ce jour en 2019, cinq ont été commis dans ce département...
De la rencontre de ce matin, j'ai retenu des mots emblématiques qui reflètent notre engagement.
D'abord, la parité.
Je crois pouvoir dire que cette parité, l'Institut Women Safe la représente. Nous l'avons voulue et nous insistons beaucoup pour garder cet équilibre entre nous. Notre institut l'incarne à plus d'un titre : nous formons un binôme fondateur constitué d'une femme et d'un homme, Pierre est médecin et je suis issue du monde de l'entreprise. À cet égard, je suis convaincue que, lorsqu'on travaille avec une équipe pluridisciplinaire qui est, comme la nôtre, composée de médecins, de juristes, de psychologues, de masseurs, en un mot de métiers très différents, il faut du management .
Le deuxième mot, c'est l'humanité. À Women Safe , nous pensons que l'humain doit rester le coeur du sujet.
Placer l'humain au centre de notre projet nous a permis d'insuffler une dimension qualitative dans la prise en charge de ces victimes. Cela implique l'échange entre des professionnels différents, ce qui n'est pas nécessairement quelque chose de spontané dans ce registre. Des médecins ou des avocats qui parlent ensemble, c'est très rare, et nous vivons cette dimension avec énormément de fierté.
Nous sommes très attachés à cette notion de « travailler ensemble », qui doit selon moi primer sur toute autre considération, y compris sur la recherche de moyens financiers. C'est cette méthode qui permet selon nous d'améliorer la prise en charge des femmes victimes de violences.
Pour conclure, je voudrais citer cette phrase inscrite à l'entrée de Women Safe , que madame la présidente connaît bien : « Que ceux qui pensent que c'est impossible laissent faire ceux qui essayent ».
Merci.
[Applaudissements.]
Annick Billon . - Je vous remercie.
J'en viens à notre troisième lauréat, Avec les femmes de la Défense , réseau professionnel exemplaire dans un domaine où l'engagement des femmes demeure encore pionnier.
Ce choix s'inscrit dans la continuité des travaux réalisés par notre délégation en 2015 sur les femmes militaires 108 ( * ) : la table ronde organisée au Sénat à l'occasion du 8 mars, en présence du ministre de la défense de l'époque, Jean-Yves Le Drian, a incontestablement été un très grand moment de cette période, et les témoignages de femmes militaires que nous avons alors entendus nous ont beaucoup marqués.
Notre choix fait par ailleurs écho à la participation de femmes militaire, il y a un an, lors de notre colloque sur les femmes dans la Grande Guerre, organisé dans le cadre du Centenaire. Je veux parler de la séquence sur « Les femmes et la guerre aujourd'hui ». Cette fois encore, nous avons pu partager, grâce à des témoignages aussi impressionnants qu'inspirants de femmes qui sont parmi nous aujourd'hui, l'engagement exemplaire de ces femmes au sein des armées.
De surcroît, dans le contexte actuel où les questions de sécurité revêtent une grande importance pour nos concitoyens, nous avons tenu à exprimer à travers ce prix la considération de notre délégation pour celles et ceux qui assurent la défense de notre pays.
Je salue donc Chantal Roche, qui représente aujourd'hui Avec les femmes de la Défense dont elle est fondatrice et présidente d'honneur. Sa nouvelle présidente, Anne Cécile Ortemann, nous a en effet adressé ses excuses car son agenda ne lui permet pas d'assister à cette cérémonie.
Chère Chantal Roche, au titre du Service de santé des armées, aujourd'hui d'ailleurs dirigé par une femme, la générale Maryline Généro, vous avez participé à des opérations extérieures et à des missions embarquées. Vous avez ensuite, entre autres fonctions, dirigé la communication du Service de santé des armées. Vous êtes devenue officier général en 2018. Avec les femmes de la Défense , réseau que vous avez fondé en 2016, ne pouvait trouver meilleure ambassadrice !
J'ajoute qu'Anne-Cécile Ortemann a eu les honneurs récents du Journal officiel puisqu'elle a reçu ses étoiles de générale de brigade en août dernier. Elle occupe aujourd'hui les fonctions de délégué adjointe à l'information et à la communication de la défense (DICOD). La relève devrait donc être assurée !
C'est pour moi un grand honneur de remettre le Prix de la délégation aux droits des femmes à Avec les femmes de la Défense .
[Annick Billon, présidente, remet à Chantal Roche le Prix de la délégation.]
[Applaudissements.]
Chantal Roche . - Merci, Madame la présidente.
Effectivement, j'ai fondé le réseau Avec les femmes de la Défense , mais je ne l'ai pas fait seule : dans les armées, on travaille toujours de façon collective. Quand on est médecin, on travaille avec son infirmier, le pilote a son co-pilote et le soldat a son binôme. C'est pourquoi je voudrais faire venir à la tribune avec moi les quelques jeunes femmes qui m'accompagnent aujourd'hui au Sénat : Marion, Marina et Fiona.
[Applaudissements.]
Je ne voulais pas parler sans les avoir à mes côtés, car ce réseau, nous ne l'aurions pas mis en place si nous n'avions pas été ensemble.
Ce matin, nous avons entendu que pour faire avancer les choses, il faut faire preuve d'un peu d'insolence et éviter l'autocensure. Je crois que c'est totalement l'inverse de notre univers, puisque chez nous l'insolence n'existe pas [rires] ! Et les femmes dans les armées sont toujours dans l'autocensure...
Parce qu'il est assez difficile, encore, en 2019, d'être une femme dans les armées. C'est un milieu qui est resté très masculin, marqué par le mythe du guerrier au corps physiquement impeccable, fort, rustique. Un milieu très marqué, également, par la force physique en général.
Pour autant, dans ce milieu il y a des femmes, et c'est pour cela que je voulais faire venir quelques-unes de leurs représentantes aujourd'hui.
Je vous présente donc la commandante Fiona, officier de l'Armée de terre, saint-cyrienne de formation, aujourd'hui à l'École de guerre ; Marina, civile de la Défense, diplômée de Sciences-po, qui travaille aujourd'hui dans le domaine du renseignement. Et puis il y a notre pilote de chasse, Marion, qui était avec nous, comme Fiona, l'année dernière, à la table ronde sur « Les femmes dans la guerre aujourd'hui », lors du colloque de la délégation sur les femmes dans la Grande Guerre. [Applaudissements.]
Les armées françaises aujourd'hui se targuent - disons-le ainsi - d'être l'une des armées les plus féminisées. C'est effectivement la première en Europe - la quatrième au monde - pour la féminisation de ses effectifs. C'est vrai que beaucoup d'efforts ont été accomplis pour en arriver à ce bilan. Cependant, pour l'apprécier correctement il faut préciser à quel niveau se situent les femmes au sein des armées et du ministère. En ce qui concerne les militaires, elles sont globalement plutôt vers le bas de la pyramide... Aujourd'hui, se frayer un chemin jusqu'au sommet de celle-ci reste encore un sacré parcours, pour ne pas dire un parcours du combattant ou de la combattante !
[Rires.]
Nous parlions ce matin d'autocensure, d'égalité, de féminisation, de combat. Dans l'armée, on ne parle pas de féminisation, mais de « Plan mixité » [rires] . On ne parle pas de combat, car le vocabulaire est très édulcoré. En un mot, les mentalités doivent encore évoluer !
Ce réseau, nous l'avons fondé en 2016, sous l'impulsion du ministre Jean-Yves Le Drian. Même si j'avais envie de le créer, je n'y serai pas parvenue si je n'avais pas eu le soutien du politique à ce moment-là.
Puis le rôle de Florence Parly, arrivée à la tête du ministère en mai 2017, a été décisif pour nous maintenir. Sans son aide, je crois que le réseau n'aurait pas prospéré. Je précise que dans la fonction publique, chaque ministère dispose aujourd'hui d'un réseau de femmes. Nous avons été le dernier à être constitué, et cela n'a pas été sans difficulté au début...
Vous l'aurez compris, l'égalité femmes-hommes dans les armées reste un vrai sujet. Vous avez parlé à notre propos, Madame la présidente, de pionnières, et je vous remercie vraiment de nous honorer et de mettre en lumière les jeunes femmes qui m'accompagnent.
Nous avons évoqué il y a tout juste un an, avec vous, la place des femmes dans la Grande Guerre. Justement, il y a aujourd'hui dans nos armées des femmes qui vont à la guerre. Toutes celles que vous voyez autour de moi sont parties sur des théâtres d'opération : l'engagement des femmes au sein des armées est le même que celui des hommes ! Nous sommes tout aussi compétentes. Le sens de l'engagement jusqu'au sacrifice suprême est le même pour les femmes que pour les hommes, et en toute humilité.
Au-delà des difficultés internes qu'elles ont à surmonter, mais qui évoluent, les femmes dans les armées, et plus particulièrement les médecins militaires, sont amenées à voir de très près ce qu'est la guerre et qui sont les victimes : les femmes et les enfants principalement. Nous sommes vraiment confrontées aux populations affectées par la guerre, aux femmes qui la subissent. Nous voyons ainsi la réalité de l'autre côté, aussi.
Nous sommes entrés dans le 3 e plan « Femmes, paix, sécurité ». Le président Macron, qui préside cette année le G7, a manifesté son engagement en faveur de l'égalité femmes-hommes. De ce point de vue, intégrer les femmes au sein du ministère des armées, et au meilleur niveau, permettra très probablement, dans un cadre plus international, comme l'ONU ou l'OTAN, de progresser dans la construction de la paix. La question n'est pas seulement de faire la guerre, c'est aussi de construire la paix.
[Applaudissements.]
Annick Billon . - Je vous remercie.
Nous en arrivons ainsi à la dernière étape de notre cérémonie, avec l'attribution de la mention spéciale.
Nous avons en effet décidé d'ajouter à notre palmarès une mention spéciale, pour rendre hommage à l'action de Hadja Idrissa Bah, qui préside l'association Jeunes filles leaders de Guinée .
Hadja Idrissa Bah a fait une intervention remarquée lors du Sommet Women 7 qui a réuni à l'UNESCO, le 9 mai 2019, les associations et ONG engagées dans la défense des droits des femmes et des filles. L'objectif de cet événement était d'élaborer des recommandations à l'attention des pays membres du G7, dans le cadre de la présidence française.
Nous avons reçu Hadja Idrissa Bah au Sénat le 27 juin dernier 109 ( * ) . Son engagement et son énergie nous ont beaucoup interpellés.
L'action d'Hadja Idrissa Bah rejoint l'ensemble des combats de la délégation, qu'il s'agisse de la lutte contre les violences ou de la participation active des femmes à la société, au nom de l'égalité femmes-hommes. Elle nous rappelle que ces combats sont universels et ne se limitent pas à notre continent.
Hadja Idrissa Bah nous montre aussi que la jeunesse est prête à exercer une vigilance qui, s'agissant des droits des femmes, doit demeurer constante partout dans le monde.
Chère Hadja Idrissa Bah, je suis très heureuse et fière de vous remettre la Mention spéciale du prix de la délégation.
[Annick Billon, présidente, remet à Hadja Idrissa Bah la médaille des vingt ans de la délégation symbolisant la mention spéciale qui lui a été décernée.]
Hadja Idrissa Bah . - Merci, Madame la présidente. Je suis très émue : c'est un si grand honneur pour moi de recevoir pour la première fois un tel prix, venant d'une institution comme le Sénat, et d'un grand pays comme la France !
Je n'ai que 20 ans : le même âge que la délégation [rires et applaudissements] . Je vous souhaite donc un joyeux anniversaire [rires] !
La plus grande récompense, dans l'engagement citoyen, c'est bien la reconnaissance. Merci beaucoup à la délégation de m'avoir honorée avec cette mention spéciale.
Cette distinction me rappelle l'époque où, à 13 ans, j'ai commencé à militer. Je me demandais si j'allais réussir ce combat. Je commence à croire que oui !
Vous vous demandez certainement pourquoi je mène ce combat. Ce n'est pas parce que je suis une fille de ministre ! Bien au contraire, je suis la seule fille qui ait étudié dans ma famille, dans tout mon village, et qui ait eu accès à l'école. Beaucoup se demandent en Guinée : est-ce que ce n'est pas une fille de ministre ou de dignitaire ? La réponse est non. Et mes cousines, comme mes grandes soeurs, ont été victimes de violences ; elles ont été excisées. Moi aussi, j'ai été excisée.
Si je mène ce combat, c'est parce que je crois que je suis née pour ça ; je suis née pour changer la donne ; je suis née pour dire non à cette violence et pour briser la chaîne.
[Applaudissements.]
À l'heure où je vous parle, une fille est en train de subir l'excision dans le monde. En ce moment-même, ils sont en train de couper les ailes de nos soeurs, une fille est en train d'être violée. Il n'y a pas plus de trois jours, une petite fille de quatre ans a été violée avant de mourir de ce drame. Dans mon pays, en Guinée, des filles de deux ans, de sept mois sont violées !
Malheureusement, la justice est loin d'être faite et la loi est rarement appliquée : même quand les bourreaux sont arrêtés, ils sont vite relâchés et nous narguent, en nous considérant comme des objets dont ils peuvent faire ce qu'ils veulent !
Je parle de la Guinée, mais ce combat doit être un souci mondial, car les violences font fuir les jeunes de l'Afrique pour venir vers l'Europe. Il faut mettre fin à ces violences !
Quand j'ai commencé à militer, nous étions très peu, mais à l'heure actuelle nous sommes plus de 500 filles en Guinée qui, tous les jours, sur le terrain, nous battons pour les droits des filles.
Je dois vous dire que c'est très difficile, car nous nous élevons contre la religion et la tradition, ce qui n'est pas sans susciter animosité, voire représailles de la part de certains leaders. Mais nous n'avons pas notre langue dans notre poche !
[Rires et applaudissements.]
Chez nous, le féminisme est perçu comme une atteinte à la domination masculine ; on me dit souvent que je n'ai pas mon mot à dire car « ce sont les hommes qui dirigent ». Je suis d'accord, si on parle des hommes avec un H, dont les femmes font partie, bien sûr !
Nous, les filles, sommes exclues de l'éducation. J'ai eu la chance d'aller à l'école, car mon père l'a accepté. Si cela n'avait pas été le cas, je ne serais pas là aujourd'hui devant vous. Tant de petites filles n'ont pas eu cette chance, et n'ont pu accéder à l'éducation, car des personnes continuent à penser que nous, les femmes, n'avons pas notre place hors de la sphère privée !
Nous entendons depuis l'enfance que les femmes ne peuvent pas être des leaders politiques car « une femme ne sait pas prendre de bonnes décisions ». On finit donc par croire que c'est vrai... Mais si une jeune Guinéenne comme moi reçoit un prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat, c'est bien que c'est possible !
[Applaudissements.]
Je n'abandonnerai jamais ce combat, malgré les insultes que je subis sur les réseaux sociaux, parfois de la part de la nouvelle génération sur qui je fonde pourtant de grands espoirs ; cela me fait peur et je regrette que ce soit uniquement les jeunes filles qui portent cette voix actuellement, et que très rares soient les jeunes garçons qui s'associent à ce combat dans notre pays.
Mais nous avons une force car ce combat est une passion et nous allons continuer à déranger [rires] . Car il n'y aura pas de changement si on ne choque pas !
On ne pourra parler d'égalité dans mon pays que lorsqu'on en finira avec le mariage des enfants, lorsqu'on en finira avec les mutilations génitales féminines, lorsqu'on en finira avec le viol des enfants, et qu'on encouragera l'éducation et la scolarisation des jeunes filles pour assurer un monde égal.
Je vous remercie.
[Applaudissements.]
Annick Billon. - Merci, chère Hadja Idrissa Bah, pour la force et la ferveur avec lesquelles vous défendez vos convictions. Vous démontrez que la jeunesse est en mesure de poursuivre les combats en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes ! La relève est donc assurée !
Votre discours engagé conclut idéalement notre journée.
Avant de nous séparer, je voudrais une nouvelle fois remercier tous nos anciens collègues de la délégation qui sont venus jusqu'à nous, parfois d'assez loin, pour participer à cet anniversaire, ainsi que tous les participants à cette journée, sans oublier, bien sûr, les Françaises de l'étranger !
Je vous donne donc rendez-vous dès à présent en 2020, pour la prochaine édition du Prix de la délégation .
Bonne fin d'après-midi à tous et toutes.
* 108 Des femmes au service de la défense de notre pays , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Brigitte Gonthier-Maurin, Chantal Jouanno, Françoise Laborde et Vivette Lopez (n° 373,2014-2015).
* 109 Cette rencontre a eu lieu à l'initiative de Laurence Cohen, vice-présidente de la délégation.