D. L'INDISPENSABLE COORDINATION ET COMPLÉMENTARITÉ AVEC L'OLAF, EUROPOL ET EUROJUST : CONDITION DU SUCCÈS DU PARQUET EUROPÉEN
Pour permettre au parquet européen de remplir pleinement ses missions, il est indispensable que les différentes agences intervenant dans l'espace de justice européen coordonnent leurs activités.
Les agences européennes ont certes une obligation de coopération entre elles et avec le futur parquet européen, mais elles devront trouver la manière de fonctionner au mieux sans doublon ni déperdition de compétences et dans un champ géographique différent, l'OLAF, Europol et Eurojust comportant l'ensemble des États membres, mais le parquet européen seulement vingt-deux.
En fonction de leur mandat et de leurs habitudes de travail, il sera plus ou moins facile pour ces organes de coopérer avec le parquet européen. C'est sans doute avec Eurojust que les relations seront les moins sensibles, tandis que la création d'un tel parquet pourrait se traduire par des évolutions significatives du rôle et du mode de fonctionnement de l'OLAF et d'Europol.
1. Avec l'OLAF
L'Office européen de lutte antifraude ( OLAF ) a été créé par une décision de 1999 28 ( * ) , modifiée en 2015 29 ( * ) . Il est chargé de détecter les cas de fraude concernant des fonds du budget de l'Union européenne, d'enquêter à leur sujet et d'y mettre un terme, et de protéger les intérêts financiers de l'Union. Il n'a pas d'attributions judiciaires .
Malgré une autonomie budgétaire et administrative destinée à garantir son indépendance opérationnelle, l'OLAF fait partie intégrante de la Commission - il est placé sous l'autorité du commissaire en charge du budget, et non de celui compétent pour la justice. L' indépendance de l'OLAF en termes de pouvoirs d'investigation interdit toutefois à son directeur général de demander ou d'accepter des instructions d'un gouvernement ou d'une institution de l'Union, y compris la Commission. L'OLAF contribue également à la conception de la stratégie antifraude de l'Union européenne et peut prendre des initiatives destinées à élaborer ou renforcer la législation dans son domaine de compétence, y compris lorsqu'il s'agit d'instruments relevant de la coopération judiciaire et policière.
L'OLAF remplit ses missions :
- en menant des enquêtes indépendantes sur la fraude et la corruption portant sur des fonds européens, afin de s'assurer que ceux-ci servent effectivement à financer des projets susceptibles de stimuler l'emploi et la croissance en Europe. Ses enquêtes administratives peuvent être internes, c'est-à-dire effectuées au sein des institutions européennes, ou externes, c'est-à-dire menées dans les États membres et dans certains pays tiers avec lesquels des accords de coopération ont été conclus ;
- en contribuant à renforcer la confiance des citoyens dans les institutions de l'Union par le biais d'enquêtes sur les fautes graves commises par le personnel de l'Union européenne et les membres des institutions européennes ;
- en élaborant une politique antifraude solide pour l'Union européenne. Il peut enquêter sur des questions relatives à la fraude, à la corruption et à d'autres infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union en ce qui concerne : toutes les dépenses de l'Union (fonds structurels, fonds concernant la politique agricole commune et le développement rural, dépenses directes et aide extérieure) ; certaines recettes de l'Union, essentiellement les droits de douane ; les soupçons de fautes graves commises par le personnel de l'Union européenne et les membres des institutions européennes.
Les relations de l'OLAF avec les autorités judiciaires nationales Les relations de l'OLAF avec les autorités judiciaires nationales dans le cadre de procédures pénales peuvent prendre différentes formes prévues par le règlement n° 883/2013 relatif aux enquêtes effectuées par l'OLAF 30 ( * ) : 1°) transmission par l'OLAF de ses rapports et recommandations aux autorités des États membres à l'issue de ses enquêtes. Dans la pratique, il existe, en France, un double circuit de transmission : pour les enquêtes internes, l'OLAF transmet son rapport directement aux autorités judiciaires, accompagné de recommandations aux fins d'ouverture d'une enquête pénale au niveau national, en application de l'article 11.5 du règlement n° 883/2013 ; pour les enquêtes externes, l'OLAF transmet son rapport et ses recommandations aux autorités de gestion (régions ou administrations) et à d'autres autorités (judiciaires, financières, administratives ou disciplinaires), sur le fondement de l'article 11.1 31 ( * ) . Ces autorités peuvent ensuite saisir le parquet européen, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale ; 2°) assistance apportée par l'OLAF aux autorités judiciaires par la communication d'informations supplémentaires en provenance d'autres services ou institutions communautaires, obtenues au cours d'enquêtes internes ou externes, en application de l'article 12 du règlement, ou en tant qu'expert désigné par l'autorité judiciaire sur le fondement des articles 77-1 ou 156 du code de procédure pénale ; 3°) suivi par l'OLAF des procédures judiciaires nationales dans les États membres à la suite de la transmission d'informations ayant conduit les autorités nationales à ouvrir une enquête, lorsqu'une enquête administrative est ouverte à l'OLAF, en application de l'article 15.2 de la directive « PIF » et de l'article 11.6 du règlement qui prévoit qu' « à la demande de l'Office, les autorités compétentes des États membres concernés lui envoient, en temps utile, des informations sur les suites éventuellement données après la transmission par le directeur général de ses recommandations » ; 4°) association de l'Office à la procédure pénale nationale : en application de l'article 12 du règlement, « l'Office peut produire des éléments de preuve dans les procédures engagées devant les juridictions nationales conformément au droit national et au statut ». En outre, le guide de l'enquête de l'OLAF précise son intervention possible en tant que témoin au procès pénal afin d'exposer les intérêts communautaires en jeu. Source : Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice. |
Pour mener ces enquêtes, l'OLAF se fonde sur les informations transmises par les responsables de la gestion des fonds européens au sein des institutions européennes ou dans les États membres, ces derniers étant tenus de désigner un service de coordination antifraude (SCAF) pour favoriser la coopération et l'échange d'informations avec l'OLAF, dont il est le correspondant principal.
Pour la France, le SCAF est assuré par la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), rattachée au ministère de l'économie, des finances, de l'action et des comptes publics, qui a par ailleurs pour mission le pilotage de la coordination des administrations et des organismes publics en charge, chacun dans son domaine, de la lutte contre la fraude fiscale et sociale.
Le bilan de l'OLAF Entre 2010 et 2017, l'OLAF a mené à bien plus de 1 800 enquêtes, a recommandé le recouvrement de plus de 6,6 milliards d'euros pour le budget de l'Union européenne et a présenté plus de 2 300 recommandations de mesures judiciaires, financières, disciplinaires et administratives à prendre par les autorités compétentes des États membres et de l'Union. En effet, les enquêtes réalisées par l'OLAF peuvent déboucher sur des poursuites par les autorités nationales, des procédures disciplinaires, des sanctions administratives ou financières ou des modifications législatives. Les fraudes les plus importantes portent sur les fonds structurels européens et la contrebande de cigarettes. Pour l'année 2017, le rapport de l'OLAF souligne que l'Office a clos 197 enquêtes et transmis 309 recommandations (financières, judiciaires, disciplinaires ou administratives) aux autorités nationales et de l'Union européenne, sollicitant le recouvrement de plus de 3 milliards d'euros de fraude au budget de l'Union, contre 660 millions en 2016. Le temps moyen des enquêtes administratives menées par l'OLAF est de 17,6 mois. |
Par ailleurs, l'OLAF fournit les chiffres de 1 822 irrégularités, frauduleuses ou non, détectées par la France dans le domaine des ressources propres traditionnelles entre 2013 et 2017, pour 24 enquêtes clôturées avec recommandations de l'OLAF dans ce domaine, et 1 240 irrégularités, frauduleuses ou non, détectées par la France dans le domaine des fonds structurels et d'investissement européens de l'agriculture entre 2013 et 2017, pour 8 enquêtes clôturées avec recommandations par l'OLAF. Sur les 262 informations reçues des États membres en 2017, 11 émanaient de la France, dont 5 d'administrations ou autorités publiques. S'agissant des décisions prises par les autorités judiciaires françaises entre 2010 et 2017, le rapport indique que, sur 17 recommandations judiciaires formulées auprès des autorités françaises, 9 n'avaient fait l'objet d'aucune décision, 3 avaient été classées sans suite et 5 suivies. D'un point de vue qualitatif, plusieurs juridictions, notamment françaises, ont fait valoir que, dans certains cas, les garanties procédurales ayant entouré l'intervention sur place de l'OLAF étaient insuffisantes , tant au regard du droit de l'Union, de la Charte des droits fondamentaux en particulier, que du droit national, avec pour conséquence l'annulation des actes de l'Office . Ainsi, aux termes d'un arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2015 32 ( * ) , la chambre criminelle a considéré que les actes d'enquête effectués par l'OLAF, organisme administratif indépendant de la Commission européenne, et versés dans une procédure pénale, pouvaient être annulés afin de garantir un contrôle juridictionnel effectif, s'il est établi qu'ils ont été accomplis en violation des droits fondamentaux. En l'espèce, la Cour n'a cependant pas procédé à une telle annulation. Par ailleurs, dans un arrêt définitif du 17 décembre 2015, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a annulé les actes réalisés par les enquêteurs de l'OLAF (perquisitions, saisies, interrogatoires) au motif que les dispositions du code de procédure pénale, mais aussi celles du règlement n° 883/2013 exigeant le respect de la législation des États membres, n'avaient, en l'espèce, pas été respectées (absence d'officier de police judiciaire sur place, convocation à interrogatoire tardive et délivrée en langue anglaise, etc.) 33 ( * ) . Ces décisions viennent cependant nuancer le bilan de l'OLAF et ont constitué l'une des raisons, avec la création du parquet européen, ayant conduit la Commission à proposer une modification du règlement n° 883/2013. |
Le 23 mai 2018, la Commission a présenté une proposition de modification du règlement n° 883/2013 34 ( * ) afin :
- d'une part, de renforcer l'efficacité de la fonction d'enquête de l'OLAF . À ce titre, les évolutions proposées concernent principalement le cadre légal de la réalisation de vérifications et de visites sur place, la possibilité pour l'OLAF d'accéder aux informations portant sur les comptes bancaires et l'admissibilité en tant qu'élément de preuve devant les juridictions nationales des rapports d'enquête rédigés par l'Office ;
- d'autre part, de définir les relations entre l'OLAF et le parquet européen à la suite de l'adoption du règlement instituant le parquet, même s'il est essentiel d' insister sur la distinction entre le parquet européen et l'OLAF, le premier étant une autorité judiciaire indépendante pour laquelle le second doit constituer un soutien dans ses activités .
De manière générale, les relations entre les deux organes seront fondées sur la coopération mutuelle, sur l'échange d'informations et sur la complémentarité .
Des mécanismes spécifiques sont prévus pour assurer cette coopération :
- une obligation de signalement au parquet européen : l'OLAF a l'obligation de signaler au parquet « tout comportement délictueux à l'égard duquel celui-ci pourrait exercer sa compétence ». Il sera donc une source d'information importante pour le parquet européen. Dans cette perspective, l'OLAF est habilité à effectuer une évaluation préliminaire des informations avant de les communiquer au parquet. Il doit informer le parquet de toute ouverture d'une enquête préliminaire, mais peut ne pas transmettre les informations manifestement infondées. De même, le parquet européen est susceptible d'informer l'OLAF dès qu'il estime qu'il n'existe pas de motifs raisonnables de penser qu'une infraction relevant de sa compétence est en train d'être commise ou a été commise, mais qu'une enquête administrative de l'OLAF peut être appropriée, ou qu'il estime devoir classer l'affaire sans suite et pense souhaitable de renvoyer l'affaire à l'OLAF aux fins d'un suivi administratif de recouvrement ;
- un principe de non-duplication des enquêtes : l'OLAF ne doit pas ouvrir d'enquête parallèle sur des faits identiques à ceux faisant l'objet d'une enquête menée par le parquet européen. Un mécanisme de consultation est prévu afin d'éviter la duplication des enquêtes. Ainsi, le parquet européen pourra s'opposer à l'ouverture ou à la poursuite d'une enquête par l'OLAF ou à l'exécution de certains actes dans le cadre de cette enquête. Toutefois, en vue de permettre l'adoption de mesures conservatoires ou de dispositions financières, disciplinaires ou administratives, et de garantir le recouvrement ou de préparer une éventuelle action administrative ou disciplinaire future, l'OLAF, à la demande du parquet européen, peut ouvrir ou poursuivre une enquête administrative (dite enquête complémentaire) pour compléter une enquête pénale menée par le parquet européen ;
- l'OLAF peut également soutenir des enquêtes du parquet européen , à la demande de ce dernier, notamment en communiquant des informations et analyses, en apportant un support opérationnel, en facilitant la coordination avec certaines autorités administratives de l'Union ou en conduisant des enquêtes administratives ;
- le parquet européen dispose d'un accès indirect aux informations figurant dans le système de gestion des dossiers de l'OLAF sur la base d'un système de concordance/non-concordance, dit hit / no hit (il s'agit d'un mécanisme en deux temps : dans un premier temps, le demandeur est informé de l'existence éventuelle d'un hit dans la base de données consultée puis, en cas de hit , dans un second temps, il demande l'accès à l'information concernée).
Néanmoins, du fait des compétences de l'OLAF et du parquet européen, qui se recoupent largement, leurs relations ne seront pas simples . Ces deux organes devront s'accorder sur des méthodes de travail assurant leur complémentarité.
2. Avec Europol
L'Agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs, plus connue sous le nom d'Europol, et dont le siège se trouve à La Haye, est régie par un règlement modifié en 2016, entré en vigueur le 1 er mai 2017 35 ( * ) . Elle constitue le principal instrument de coopération des différents services répressifs des États membres (police, douanes, services de l'immigration). La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) du ministère de l'intérieur est le point de contact national avec Europol, sous la forme de l'Unité nationale Europol (UNE). Le rôle de l'agence est d'améliorer l'efficacité de ces services nationaux en facilitant leur coopération en matière de prévention et de lutte contre le terrorisme, de cybercriminalité, de trafic de drogue et d'autres formes graves de criminalité internationale. Pour autant, Europol n'est en rien un « FBI européen ».
Les principales compétences d'Europol Europol produit notamment une évaluation de la menace que représente la criminalité grave et organisée ( Serious and Organised Crime Threat Assessment ), qui sert de base aux décisions du Conseil, et élabore également le European Union Terrorism Situation and Trend Report . Bien qu'Europol ne dispose pas de pouvoir d'action coercitive , et ne puisse donc pas procéder à des arrestations ou à des perquisitions, ses compétences opérationnelles s'étendent progressivement . Par exemple, l'acte du Conseil du 28 novembre 2002 a permis à Europol de participer à des équipes communes d'enquête et de demander aux États membres d'ouvrir des enquêtes pénales. Europol a également accru ses capacités d'analyse, par exemple avec la création, en janvier 2013, du Centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3) , chargé notamment de l'évaluation de la menace que représente la criminalité organisée sur Internet. Ce centre comporte deux niveaux : le premier conduit des réflexions stratégiques, en lien avec des partenaires privés tels que des banques, des entreprises de télécommunications ou numériques, et le second présente une dimension opérationnelle autour de quatre entités : cyberattaques (déni de service, rançons sur Internet, attaques de réseaux, etc.), fraudes (distributeurs automatiques de billets, vol de données sur Internet, fraudes à la carte bancaire, etc.), pédopornographie et atteintes aux mineurs, et darkweb (entité transversale créée récemment). Chacune de ces entités comporte des experts nationaux et traite les plaintes reçues des autorités nationales. Par ailleurs, Europol est en première ligne de l'action répressive européenne contre les menaces émergentes . À la suite des attentats terroristes survenus à Paris et à Copenhague, début 2015, le Conseil JAI a chargé Europol de créer une unité de signalement des contenus sur Internet ( EU IRU ), destinée à lutter contre la propagande terroriste en ligne et d'autres activités extrémistes, opérationnelle depuis le 1 er juillet 2015. À la suite des attentats de Paris de novembre 2015, le Conseil a élargi le mandat d'Europol en matière de lutte contre le terrorisme par l'ouverture, le 1 er janvier 2016, du Centre européen de lutte contre le terrorisme , auprès duquel sont détachés des experts nationaux afin d'accroître les moyens d'enquête transfrontières. Selon M. Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales de la DCPJ, que vos rapporteurs ont auditionné, la façon dont la France a géré l'enquête consécutive aux attentats de novembre 2015 « a fait gagner vingt ans » à Europol en matière d'antiterrorisme, grâce en particulier à un meilleur partage d'informations et à la levée de réticences nationales initiales. De même, à la suite de l'afflux massif de migrants en situation irrégulière dans l'Union européenne, en 2014 et au début de 2015, Europol a lancé l'opération conjointe MARE, en mars 2015, en vue d'intensifier les efforts de lutte contre la traite des êtres humains. Elle contribue également à cette opération par le déploiement de « points d'accès », ou hotspots , aux frontières extérieures. Enfin, Europol est habilitée à négocier des accords avec des pays et des instances tiers. |
En outre, Eurojust effectue ses missions de coordination et de coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave, en s'appuyant notamment sur les opérations effectuées et les informations que lui fournit Europol. Enfin, Europol apporte une importante contribution dans le domaine de l'entraide judiciaire et des demandes de mandats d'arrêt européens. En 2016, le budget d'Europol s'établissait à 104 millions d'euros et à 119,23 millions en 2017, soit une hausse de 14,65 % . Les institutions européennes considèrent qu'Europol est une agence qui a désormais atteint son rythme de croisière. Pour autant, la directrice exécutive d'Europol, Mme Catherine De Bolle, que vos rapporteurs ont rencontrée à La Haye, a appelé l'attention sur les perspectives, défavorables selon elle, de l'évolution des moyens de l'agence . Elle a en effet indiqué qu'Europol réalisera des analyses pour le parquet européen, mais qu'elle n'avait encore aucune idée de la quantité de travail supplémentaire que cela représenterait. Elle a aussi fait part de la décision du conseil d'administration d'Europol de créer un centre européen compétent pour les crimes économiques et financiers, qui devra se traduire par une rémunération complémentaire par Europol des experts nationaux payés par leur État d'origine, les 24 agents actuellement affectés à ces tâches étant en nombre insuffisant. Actuellement, Europol est d'ores et déjà contrainte de faire des choix dans ses activités et donc dans ses dépenses : elle a réduit ses dépenses d'organisation de réunions, pourtant indispensables à la coopération, et pourrait supprimer des postes d'officiers de liaison à l'étranger (à Singapour et aux États-Unis notamment). De même, les dotations allouées aux infrastructures techniques sont très majoritairement affectées à la maintenance, et très peu au développement d'infrastructures nouvelles. Enfin, Mme De Bolle a estimé qu'Europol serait certes compétente pour travailler avec un parquet européen au mandat élargi à l'antiterrorisme, mais que la question de ses moyens se poserait nécessairement. Or, l'activité d'Europol croît de manière régulière. Ainsi, le système d'information Europol (SIE), qui est un fichier d'échange de données permettant de procéder à des recoupements opérationnels, contenait, au 1 er janvier 2018, plus de 1,062 million d'objets, dont plus de 564 000 liés au terrorisme. Le système d'analyse d'Europol ( EAS ), qui regroupe les fichiers thématiques, par exemple sur la drogue ou la pédopornographie, a permis à l'agence de fournir 18 431 rapports opérationnels en 2017, contre 4 096 en 2016, l'augmentation constatée étant largement due aux rapports d'EC3, en soutien aux investigations des États membres. La messagerie SIENA, qui permet l'échange sécurisé d'informations entre l'agence, les États membres et les organisations et États tiers, a enregistré, en 2017, plus d'1 million de messages, après environ 870 000 en 2016. Il convient toutefois de noter que les États membres contribuent de façon encore trop inégale à l'alimentation de ces différentes bases de données, cinq États membres, dont la France, assurant 80 % des informations d'Europol. Par ailleurs, les données nationales transmises sont de nature différente selon les États ; par exemple, la France transmet de nombreuses informations relatives au terrorisme, contrairement au Royaume-Uni. Source : Secrétariat général des affaires européennes et Europol. |
Europol a un rôle spécifique à jouer dans le futur parquet européen. Celui-ci s'appuiera notamment sur les différentes analyses et les compétences opérationnelles d'Europol. En vertu du principe de coopération loyale, Europol devra soutenir les enquêtes et les poursuites menées par le parquet européen et coopérer avec ce dernier, dès lors qu'un soupçon d'infraction aura été signalé par le parquet, et jusqu'à ce que ce dernier décide s'il y a lieu ou non d'engager des poursuites ou de procéder au classement sans suite. Les changements pour Europol pourraient donc être significatifs car elle aura des relations non plus seulement avec des services de police, mais également avec des autorités judiciaires.
Le règlement instituant le parquet européen précise que « la coopération avec Europol et l'OLAF devrait revêtir une importance particulière, tant pour éviter toute duplication que pour permettre au parquet européen d'obtenir les informations utiles dont ces organes disposent et de profiter de leur analyse dans certaines enquêtes » 36 ( * ) . En outre, l'article 102 précise que « le parquet européen établit et maintient une relation étroite avec Europol », les modalités de cette coopération étant définies dans un accord de travail conclu à cet effet et que, « si nécessaire pour les besoins de ses enquêtes, le parquet européen peut obtenir, à sa demande, toute information pertinente détenue par Europol au sujet de toute infraction relevant de sa compétence ; il peut également demander à Europol de fournir une aide à l'analyse dans le cadre d'une enquête particulière conduite par le parquet européen ».
Au cours de son audition, M. Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales de la direction centrale de la police judiciaire au ministère de l'intérieur, a indiqué que l'accord de travail entre le parquet européen et Europol devra respecter le principe de propriété de l'information , Europol procédant au traitement d'informations qui demeurent la propriété des États membres ou organismes contributeurs. Le système de gestion des dossiers du parquet européen devra en tenir compte en vue de l'interconnexion des systèmes d'information.
3. Avec Eurojust
Eurojust aura un rôle essentiel à jouer dans l'institution du parquet européen puisque le TFUE confie à la première l'origine (« à partir de ») du second.
Les relations entre le parquet européen et Eurojust sont régies par l'article 100 du règlement instituant le parquet. Ces relations devront être « étroites » et fondées sur un principe général de coopération mutuelle . Des réunions entre le chef du parquet européen et le président d'Eurojust devront avoir lieu régulièrement pour évoquer les sujets d'intérêt commun. Eurojust devra traiter toute demande d'assistance émanant du parquet européen dans les meilleurs délais et répondre à ces demandes de la même façon que si elles émanaient d'une autorité nationale compétente en matière de coopération judiciaire.
Le parquet européen aura la possibilité d'associer Eurojust à ses activités , notamment pour les affaires ayant une dimension transfrontalière en la sollicitant pour faciliter la transmission des demandes d'entraide à des États membres ne participant pas au parquet européen et à des pays tiers. De plus, le parquet européen pourra partager avec Eurojust des informations sur ses enquêtes . À cet égard, il disposera indirectement d'un accès au système de gestion des dossiers d'Eurojust par un système de concordance/non-concordance ( hit / no hit ).
Dans le nouveau règlement d'Eurojust, l'articulation entre la compétence de cette agence et celle du parquet européen est assurée par l'article 3 qui pose un principe de spécialité : Eurojust n'exercera pas sa compétence à l'égard des infractions pour lesquelles le parquet européen est compétent. L'article 50 prévoit des dispositions « miroir » avec le règlement instituant le parquet européen sur les relations entre l'agence et ce dernier, notamment sur les modalités de transmission d'informations et sur le soutien logistique et opérationnel.
Il sera intéressant d'observer les effets sur l'activité d'Eurojust de la création du parquet européen, les procureurs européens délégués allant travailler directement avec les autorités judiciaires, alors que la coordination passe aujourd'hui par les bureaux nationaux d'Eurojust.
* 28 Décision 1999/352/CE de la Commission du 28 avril 1999 instituant l'Office européen de lutte antifraude.
* 29 Décision (UE) 2015/2418 de la Commission du 18 décembre 2015 modifiant la décision 1999/352/CE.
* 30 Règlement (UE, EURATOM) n° 883/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 septembre 2013 relatif aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) n° 1074/1999 du Conseil.
* 31 L'article 11.1 prévoit une transmission des recommandations aux « autorités compétentes », tandis que l'article 11.5 prévoit une transmission aux « autorités judiciaires ».
* 32 Cass. Crim. 9 décembre 2015, n° 15-82.300.
* 33 La société mise en cause a contesté sur ce fondement la suspension de subventions décidée par la Commission sur la base des constatations de l'OLAF. En réponse, la CJUE a donné raison à la Commission, jugeant ainsi que l'annulation des actes de l'OLAF par la cour d'appel d'Aix-en-Provence n'avait pas d'effet dans l'ordre juridique de l'Union européenne et qu'aucune violation du droit de l'Union, qu'il s'agisse du règlement n° 883/2013 ou de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, n'avait été commise par l'OLAF.
* 34 Texte COM (2018) 338 final.
* 35 Règlement (UE) 2016/794 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relatif à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) et remplaçant et abrogeant les décisions du Conseil 2009/371/JAI, 2009/934/JAI, 2009/935/JAI, 2009/936/JAI et 2009/968/JAI.
* 36 Considérant 100.