B. L'AUTORITÉ EUROPÉENNE DU TRAVAIL
Vos rapporteurs avaient estimé dans leur précédent rapport que le projet d'Autorité européenne du travail constituait une opportunité indéniable en vue de mieux contrôler le détachement des travailleurs à l'échelle européenne en facilitant la coopération entre États membres. La résolution européenne du Sénat du 6 juillet 2018 était, à cet égard, assez ambitieuse en souhaitant que la future Autorité puisse s'appuyer sur une « banque-carrefour de la sécurité sociale », favorisant ainsi une interconnexion des systèmes européens de sécurité sociale. Le Sénat souhaitait également que la nouvelle Autorité publie une liste noire des entreprises condamnées pour fraude au détachement, consultable par les autorités de contrôle. Il appelait également à ce qu'elle puisse élaborer un registre d'entreprises réalisant des prestations de service au sein de plusieurs États membres afin de mieux cerner les « entreprises boîtes aux lettres ».
Le compromis obtenu entre le Conseil et le Parlement européen le 14 février 2019 apparaît beaucoup plus timide. L'Autorité aura pour tâches principales :
- d'informer les citoyens et les entreprises de leurs droits et devoirs dans des situations transfrontières ;
- de faciliter l'échange d'informations entre les États membres en mettant en contact, dans un même lieu, des agents de liaison, à l'image d'Europol ;
- de coordonner et faciliter des inspections conjointes - à la demande des États membres - dans une situation transfrontalière en cas de fraude, d'abus et de travail au noir ;
- de jouer un rôle de médiation en cas de litiges entre deux États membres.
L'Autorité n'aura simplement qu'un rôle facultatif, les États membres pouvant la solliciter pour mettre en oeuvre des inspections conjointes et pour trancher un litige. En ce qui concerne les inspections conjointes, l'Autorité devrait prendre le relais d'instruments déjà existants. Depuis 2016, l'OCLTI coordonne ainsi pour la France les journées d'action commune ( Joint Action Days - JAD) programmées par Europol pour rechercher et constater sur l'ensemble du territoire européen des situations de traite des êtres humains aux fins d'exploitation par le travail, considérées au sens large.
S'agissant des problématiques de coordination des régimes de sécurité sociale, la création de l'Autorité ne remet pas en cause l'existence de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, dont le mode de fonctionnement est pourtant régulièrement remis en question. Elle est en effet jugée lente et peu efficace, ses avis ne pouvant s'imposer aux États qui la sollicitent. La pratique actuelle prévoit, en effet, une première phase de dialogue de trois mois, renouvelable trois mois. Faute d'accord, une seconde période de dialogue d'une durée de six semaines peut ensuite s'ouvrir. Enfin, en l'absence d'accord à l'issue de cette seconde phase et au terme d'un délai d'un mois, une procédure de conciliation peut être ouverte auprès de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale. Celle-ci dispose alors de six mois pour concilier les points de vue. Une procédure de conciliation peut donc prendre plus d'un an sans aboutir. De tels délais ne peuvent qu'apparaître dissuasifs. L'accord trouvé sur l'Autorité européenne du travail permet simplement aux États membres de pouvoir faire un choix entre elle et la Commission administrative en cas de demande de médiation. Le texte n'apporte cependant aucune précision quant aux délais d'examens des dossiers par la future Autorité.
En l'état actuel du dispositif, vos rapporteurs estiment qu'il s'agit au mieux d'un premier pas et qu'il conviendra d'observer avec vigilance son action dans les mois à venir afin d'évaluer sa véritable utilité. Pour l'heure, la priorité concerne le choix de son installation. Chypre, la Lettonie et la Slovaquie sont candidats pour accueillir le siège du nouvel organisme. La Bulgarie, la Croatie, l'Italie ou la Roumanie seraient également intéressés.
Si vos rapporteurs insistent sur une amélioration de la procédure d'échanges d'information et la mise en oeuvre d'une coopération administrative véritablement loyale, ils relèvent cependant que la parole de la France dans ce domaine ne sera écoutée que si elle est légitime. Or, comme le note la Cour des comptes dans son rapport annuel 2019, le délai de transmission de réponse par la France aux États demandeurs restent trop largement supérieurs au délai fixé par le droit européen (25 jours). Elle se situait ainsi au 25 e rang en matière de rapidité de réponse en 2016 (42 jours) et au 24 e rang au premier semestre 2017 (34 jours).
Délai de réponse au premier semestre 2017
Pays |
Délai de réponse |
Pays |
Délai de réponse |
Pays |
Délai de réponse |
Allemagne |
43 jours |
Finlande |
8 jours |
Malte |
- |
Autriche |
6 jours |
France |
34 jours |
Pays-Bas |
30 jours |
Belgique |
14 jours |
Grèce |
37 jours |
Pologne |
22 jours |
Bulgarie |
33 jours |
Hongrie |
34 jours |
Portugal |
36 jours |
Chypre |
31 jours |
Irlande |
10 jours |
Roumanie |
16 jours |
Croatie |
10 jours |
Italie |
16 jours |
Royaume-Uni |
13 jours |
Danemark |
13 jours |
Lettonie |
16 jours |
Slovaquie |
58 jours |
Espagne |
25 jours |
Lituanie |
31 jours |
Slovénie |
- |
Estonie |
19 jours |
Luxembourg |
24 jours |
Suède |
9 jours |
République tchèque |
- |
Source : Cour des comptes