B. DEUXIÈME TABLE RONDE : PATRIMOINE, COMMENT FLUIDIFIER LA TRANSMISSION ?

M. Julien Bargeton . - Jusqu'à une période récente, nous analysions le sujet des liens entre le vieillissement de la population et les transferts financiers sous l'angle du financement de la protection sociale, c'est-à-dire des retraites. Ce sujet a été éclairé, débattu, car il était nécessaire de savoir comment financer notre système de protection sociale avec le vieillissement. Cependant, un angle mort existait sur le lien entre le vieillissement et les transferts intergénérationnels. Le champ de l'impact des évolutions démographiques sur les transferts privés de richesse a été moins exploré. En effet, le nombre de décès en France devrait passer de 550 000 par an actuellement à 750 000 en 2050, ce qui devrait entraîner une augmentation du nombre de transmissions. Ces dernières sont plus nombreuses et d'un montant plus élevé, car l'immobilier a cru, et les individus qui décèdent font partie d'une génération qui avait pu accumuler davantage de patrimoine. Au total, on estime que les transferts de patrimoine représentent 19 % du revenu disponible net en France, et qu'ils devraient atteindre 25 à 33 % en 2050. Nous héritons de plus en plus tard (ce sera 60 ans en 2040 en moyenne), ce qui n'était pas le cas des générations précédentes et a des impacts dans la formation du patrimoine et de la richesse.

Cette table ronde aborde ces sujets et les actions correctives qui seraient éventuellement nécessaires. Nous orientons-nous vers une société de personnes très âgées riches qui transmettent leur patrimoine à des personnes âgées riches ? Comment mobiliser ce patrimoine abondant, mais peu liquide ? Comment articuler les financements publics, la solidarité avec la mobilisation sous d'autres formes du patrimoine privé des seniors ?

France Stratégie s'est intéressé à la prospective des phénomènes de concentration et de transfert du patrimoine. Quels sont les enjeux de ce transfert de richesse qui s'annonce ? Pourquoi est-ce un débat public et plus seulement un sujet privé ? Quelles sont les difficultés sociales, politiques, économiques auxquelles nous risquons de nous heurter si rien ne change ?

M. Clément Dherbecourt, chef de projet au département société et politiques sociales de France Stratégie . - Vous avez présenté un certain nombre d'éléments que France Stratégie a publiés l'année dernière dans une note intitulée « Peut-on éviter une société d'héritiers ? ». Cette note proposait des éléments de contexte et de prospective sur la question des transmissions.

Nous assistons depuis quelques décennies à un retournement historique dans l'économie et la société française qui correspond à un retour du patrimoine. Thomas Piketty a montré que le patrimoine avait une valeur très importante au XIX e siècle, mais que sa valeur avait diminué par rapport au revenu au cours du XX e siècle. Nous nous situons dans une phase où le patrimoine revient. En effet, dans les années 80, le patrimoine possédé par les Français représentait environ quatre années de revenu disponible des ménages, contre huit années aujourd'hui. Cette augmentation a eu lieu dans les années 2000, et s'explique en partie par l'augmentation du prix de l'immobilier. Néanmoins, 40 % de la fortune se retrouve sous forme de titres financiers d'entreprises. Cette augmentation semble irréversible, car le prix de l'immobilier ne diminuera pas beaucoup à l'avenir selon les travaux des économistes de la Banque de France et de l'Institut des politiques publiques. En effet, la hausse du prix de l'immobilier est liée en partie au vieillissement de la population et il n'existe aucune raison pour qu'il diminue.

Parallèlement à ce retour du patrimoine, nous assistons à une concentration de la richesse au sein des générations les plus âgées. L'INSEE réalise des enquêtes sur le patrimoine des Français depuis les années 80, et sur 30 ans, nous constatons que le patrimoine médian des sexagénaires est deux fois plus élevé que celui des trentenaires, alors qu'ils étaient similaires en 1986. De plus, le patrimoine des septuagénaires est désormais trois fois plus important que celui des trentenaires. Par ailleurs, 50 % des contribuables à l'ISF en 2015 avaient plus de 70 ans. Ce constat n'est pas connu du grand public et des décideurs politiques alors qu'il s'agit d'un changement majeur. Le vieillissement du patrimoine pose un problème d'équité entre les générations, même s'il existe des inégalités au sein d'une même génération, mais aussi un problème d'efficacité économique. En effet, une société où l'essentiel du patrimoine se concentre chez les seniors n'est pas une société où les individus en âge de créer des activités, de se former, d'investir, peuvent accéder au patrimoine et donc contribuer à la croissance.

La dynamique des héritages jusque dans les années 2040-2050 entraînera un renforcement de la concentration du patrimoine au sein des générations les plus âgées. Cela est lié à l'allongement de l'espérance de vie, car dans les années 80, les individus héritaient en moyenne autour de 42 ans, contre 50 aujourd'hui et 58 ans en 2040. De plus, la pleine propriété est héritée lors du décès du second parent. Le deuxième élément conjoncturel est la disparition de la génération des baby-boomers qui a accumulé davantage de patrimoine que la génération précédente et qui disparaîtra à partir des années 2030-2035. L'INSEE a établi plusieurs scénarios en fonction de l'évolution de l'espérance de vie, mais en raison de la pyramide des âges française, nous nous dirigeons vers une augmentation du nombre de décès au cours de ces années.

Enfin, l'enjeu des données me semble fondamental. Nous disposons de très peu d'éléments sur les héritages ou les donations, le ministère des Finances ne possède pas d'outil permettant d'observer les flux de transmission. En effet, depuis les années 60, l'administration fiscale n'a pas souhaité se doter d'un appareil d'observation des transmissions. Des travaux sont en cours pour disposer d'une base de données administrative qui collecte les données patrimoniales et de mutation immobilière, mais il existe encore des incertitudes sur la forme que pourraient revêtir ces données et leur utilité. Nous devons constituer un observatoire de la transmission et rendre ces données accessibles au plus grand nombre afin d'anticiper ce choc inéluctable et évaluer les différentes réformes fiscales que nous pourrions mettre en oeuvre.

M. Julien Bargeton . - M. Schoeffler, pouvez-vous nous fournir des éléments de comparaison internationale ? Existe-t-il une spécificité française sur la question patrimoniale ? Comment agissent les autres pays européens confrontés au vieillissement de la population ?

M. Pierre Schoeffler, conseiller scientifique de l'IEIF, conseiller du président du Groupe La Française . - L'Institut de l'épargne immobilière et foncière est un institut de recherche indépendant. C'est une association loi 1901 financée par ses membres. Nous avons participé aux travaux de la chaire « transition démographique, transition économique » et nous nous sommes intéressés au problème de fluidification du patrimoine immobilier en France, et aux techniques utilisées dans les pays étrangers, en particulier l'Allemagne, la Suède et les États-Unis. Nous avons essayé de comprendre la structure du patrimoine des ménages dans ces différents pays et la façon dont elle pouvait être mise en relation avec la dynamique économique de ces pays. La structure du patrimoine en France est très particulière. Les deux tiers du patrimoine des Français sont constitués par le logement, le reste étant composé de titres financiers détenus au travers de l'assurance-vie. Or, dans les autres pays, les fonds de pension occupent une place importante. En Suède, le patrimoine est composé pour un tiers du logement, un tiers de fonds de retraite par capitalisation et un tiers de titres détenus sur les marchés financiers. Aux États-Unis, le logement constitue seulement 25 % du patrimoine des ménages.

Comment expliquer ces différences ? Les Français constituent leur retraite par le logement en raison de l'absence de fonds de pension. Cependant, ce système est inégalitaire, car chacun constitue son patrimoine en logement et le combine avec l'assurance-vie afin d'optimiser les frais de succession. Ce comportement s'est avéré rentable ces dernières années, car l'augmentation du prix des logements était plus importante que la hausse du cours des actions, ils ont donc maximisé la constitution de leurs fonds de retraite. Néanmoins, ce système est risqué en raison des disparités importantes du prix du logement selon les territoires.

Nous constatons que les pays disposant d'une structure de patrimoine dans laquelle le logement occupe une part peu importante connaissent une croissance économique élevée. En effet, la présence de fonds de pension puissants permet d'irriguer de façon plus efficace l'ensemble du financement de l`économie.

Dans les autres pays, les logements qui ne sont pas détenus par des particuliers sont la propriété de sociétés immobilières, elles-mêmes détenues par des fonds de pension. Ce système est plus égalitaire en termes de répartition du patrimoine, car les fonds de pension investissent dans un portefeuille diversifié de logements, et non pas dans un seul logement. Les foncières cotées, très importantes en Allemagne, en Suède et aux États-Unis (où elles représentent la principale capitalisation de l'immobilier coté) opèrent une gestion locative rigoureuse. De plus, il s'agit d'instruments de taille importante qui peuvent capitaliser jusqu'à 20 milliards d'euros.

Dans Paris au XX e siècle , publié en 1860, Jules Verne estimait que Paris serait détenu uniquement par une gigantesque foncière qui détiendrait tous les logements, serait cotée en bourse et serait détenue par les Parisiens.

Au sujet de la fiscalité, l'exemple de la Suède est intéressant. Les réformes menées actuellement par le gouvernement français sont similaires à celles qu'a connues la Suède dans les années 90. Dans ce pays, il n'existe plus d'impôt sur la succession et d'impôt sur les donations. L'idée d'imposer de façon importante le patrimoine pour que les individus le transmettent est fausse, car l'exemple suédois montre que l'inverse se produit.

M. Julien Bargeton . - Maître Bertrand Savouré, quel est votre regard de praticien sur le sujet ? Comment le droit s'est-il ou non adapté aux évolutions démographiques ? Comment le patrimoine des seniors pourrait-il être plus liquide ? Comment accélérer les transmissions ? Quel est le regard des familles sur ces questions ? Quelles sont les contraintes, les résistances culturelles, les spécificités de la France en matière d'évolution du droit ?

Me Bertrand Savouré, président de la Chambre des notaires de Paris . - Je vous remercie de donner la parole aux praticiens. En effet, on observe un certain nombre de comportements chez nos clients que nous pouvons faire remonter pour effectuer des propositions. Le notariat s'est saisi de la question de la fluidité de la transmission et a joué un rôle d'alerte sur le vieillissement de la population et son impact sur la transmission. Notre congrès retient des propositions qui se traduisent souvent par des réformes. En 2000, un grand congrès sur le patrimoine avait abouti à la réforme de 2006 sur la transmission du patrimoine, avec notamment la donation transgénérationnelle (c'est-à-dire le don directement aux petits-enfants). Les nouveaux instruments techniques font désormais partie de notre pratique quotidienne. En 2012, un deuxième congrès traitait de la transmission et nous avons à nouveau formulé plusieurs propositions.

Il existe quatre freins à la fluidité des transmissions. Tout d'abord, il n'est pas naturel de donner, de se déposséder. Ainsi, il est nécessaire d'inciter les individus, une étincelle doit provoquer l'acte libéral. De plus, le dogme « donner et retenir ne vaut » signifie que la donation est un acte grave, car elle est irréversible. Cela explique pourquoi elle doit être effectuée devant un notaire afin qu'il puisse en expliquer les conséquences. Il est donc indispensable de prendre en considération l'idée qu'il n'est pas naturel de donner. La fiscalité peut constituer un élément déclencheur, car elle crée un effet d'aubaine efficace économiquement. Cet effet a été mesuré dans le cadre des dons exceptionnels et leur succès a été considérable. La fiscalité est un levier incontestable, les donations doivent donc bénéficier d'incitations fiscales particulières par rapport aux successions, car il est préférable de donner plutôt que de transmettre par succession. Certains dispositifs existaient par le passé, mais ont été supprimés.

Le deuxième élément de réflexion concerne la crainte pour soi-même. En effet, le donateur redoute son propre vieillissement, et il souhaite savoir comment il subsistera jusqu'à la fin de sa vie à la suite de ce don. L'individu peut se montrer réticent à la donation, car il craint de devenir dépendant de ses enfants. Néanmoins, des solutions à ce problème existent. Par exemple, nous sommes favorables à la création d'un fonds familial, qui permettrait d'assurer une certaine réversibilité à la donation afin de répondre aux besoins économiques des donateurs. La fiducie comme support d'une libéralité est aujourd'hui interdite par le Code civil, pour des raisons fiscales. La réversibilité permettrait de renforcer la confiance du donateur.

Le troisième élément qui empêche la fluidité est que les donateurs se posent la question de l'utilisation des dons par les receveurs. Il est possible de donner pour de multiples occasions : début de la vie professionnelle, investissement immobilier, mariage, etc. Cependant, dès qu'un certain montant est dépassé, les parents ne connaissent pas l'utilisation qui sera faite par leurs enfants. Ainsi, les praticiens ont déployé plusieurs techniques qui permettent d'assurer par des clauses spéciales un emploi réservé à la donation. Il pourrait également exister des solutions autour de la fiducie. Cependant, celle-ci est difficilement admise, car elle pourrait être un vecteur d'évasion fiscale. La gestion de la donation par un individu extérieur, dans un premier temps, permettrait de fluidifier les transmissions.

Le quatrième élément est relativement technique. Dans le droit successoral, une donation est toujours considérée comme une avance sur une succession future. L'enfant qui reçoit est dépositaire de la donation, mais doit la rétablir au moment de la succession afin de rétablir l'égalité entre tous les héritiers. Ainsi, il est important pour les parents de donner dans un même temps à tous leurs enfants, dans la mesure du possible. Sans ce système de donation-partage, la donation correspondra toujours à une avance sur une succession future, qui peut poser des difficultés d'équilibre familial. L'outil existe, mais peut être rendu plus performant en allégeant le droit de partage. Actuellement, le coût du partage est de 2,5 % du patrimoine partagé, ce qui peut constituer un frein. Les notaires ne souhaitent pas la suppression des droits de succession, car dans ce cas le patrimoine ne serait pas transmis avant le décès des individus.

M. Julien Bargeton . - Je suis surpris que personne n'ait mentionné le viager, mais nous pourrons aborder ce sujet par la suite.

M. Roger Karoutchi, président . - J'ai déposé une proposition de loi cosignée par 80 sénateurs il y a quelques jours au sujet de la transmission. Je propose une baisse des droits de succession de manière globale (pas seulement avec les descendants) et un certain nombre de mesures afin de faciliter les donations. Nous sommes un pays très conservateur. La plupart des individus souhaitent être certains de disposer d'un logement et de ne pas payer un loyer jusqu'à la fin de vie. De plus, pendant un certain temps, les jeunes générations estimaient qu'elles n'auraient pas de retraite, car le système ne fonctionnait plus, elles souhaitaient donc se constituer un patrimoine pour leur retraite. Cependant, les propositions des professionnels sur la donation ne sont pas ambitieuses.

Les échanges de la table ronde précédente soulignaient la fracture des jeunes avec la société. Dans ce cas, pourquoi les donations ne sont-elles pas facilitées ? Il est préférable de décéder en ayant le sentiment que ses héritiers vivent mieux grâce aux donations. En raison des droits de succession importants, l'État préfère la succession à la donation afin de bénéficier de davantage de rentrées fiscales. L'absence de fracture entre les générations a également un rôle économique, social, sociétal important qui devrait bénéficier de l'attention du gouvernement. Nous devons réfléchir au fait qu'il est inutile de constituer un patrimoine jusqu'à la fin de sa vie. Je suis intéressé par l'idée du fonds familial. Nous devons trouver des solutions, car ce système n'est plus viable.

M. Pierre Schoeffler . - Le logement remplit trois fonctions pour les Français : un service locatif, la constitution d'une retraite et la construction d'un patrimoine à transmettre. La transmission en Suède se fait essentiellement par la transmission de valeurs mobilières, c'est un portefeuille liquide qui est transmis. Les Suédois ont supprimé les droits de succession et de donation, car ils étaient trop élevés et il était donc nécessaire de vendre le patrimoine pour payer ces droits. C'est un système différent où le besoin de sécurité ne s'exprime pas par un besoin d'investir dans la pierre, mais par un besoin d'investir dans l'économie réelle, génératrice de croissance et d'emplois. En France, nous nous situons dans un cercle vicieux : sans croissance et sans emploi, les individus épargnent pour sécuriser leur situation, ce qui limite la croissance. Il est possible de développer une vision plus optimiste, dans laquelle les individus investiraient dans l'économie réelle afin de se constituer un patrimoine et de permettre l'emploi et la croissance. En France, nous n'avons pas investi dans les fonds propres des entreprises françaises, et elles n'ont pas bénéficié du capital suffisant pour pouvoir croître.

M. Clément Dherbecourt . - Historiquement, la fiscalité des successions s'est construite dans le but de redistribuer la richesse à l'intérieur des générations, en limitant les inégalités entre ceux qui disposent d'un patrimoine important et ceux qui n'en ont pas. L'enjeu des prochaines années serait de développer une logique d'incitation à la donation, sans remettre en cause la lutte contre les inégalités. Il n'est pas possible de diminuer les droits de succession et en même temps d'inciter à la donation, car il s'agirait d'un signal contradictoire. La Suède a aboli les droits de succession et l'impôt sur la richesse, car le pays connaissait des difficultés de compétitivité et souhaitait attirer les grandes fortunes. L'enjeu de compétitivité a été privilégié au détriment des relations entre les générations.

Me Bertrand Savouré . - Je suis d'accord avec les propos de M. Karoutchi. Nous avons évoqué la succession en ligne directe, mais je souhaiterais également aborder le sujet de la succession en ligne indirecte, et notamment le taux de 60 % pour les individus étrangers, au-delà du cercle familial, au-delà des neveux et nièces. L'assurance-vie connaît un succès important en raison de la fiscalité favorable et de la capacité à récupérer ce que l'individu a donné.

En Belgique, les donations ne sont pas taxées à condition de ne pas mourir dans les trois ans qui suivent la donation. Sinon, il est possible d'enregistrer sa donation et de payer une taxe de 3 %. Ainsi, le patrimoine belge se transmet tôt. En Angleterre, le même système a été mis en place, mais avec un délai de sept ans, avec un taux dégressif selon la date du décès. Cette incitation à la donation est très performante dans la pratique chez nos voisins européens.

M. Jean-Luc Fichet . - Merci pour ces présentations intéressantes. J'estime cependant que nous abordons la question de la transmission sous un angle technique. Or, grâce à mon expérience d'élu, je sais que le contexte n'est pas serein dans de nombreuses situations, la transmission peut être une source de conflits familiaux majeurs. Ainsi, un certain nombre de transmissions ne sont pas effectuées, car elles sont bloquées par un des enfants. De plus, l'inquiétude du vieillissement est un sujet majeur. Les individus ont parfois le sentiment de disposer d'un patrimoine de grande valeur, alors que celle-ci se révèle faible à la succession. En outre, la question de la communauté universelle émerge peu à peu. Auparavant, au décès d'un parent, le conjoint conservait une partie du patrimoine afin de vivre de façon décente jusqu'à la fin de sa vie, et les enfants héritaient du reste. Désormais, les époux privent leurs enfants de l'héritage jusqu'au décès du dernier conjoint vivant. Je souhaite recueillir votre avis sur la question du contexte familial au moment de la transmission.

M. Yannick Vaugrenard . - Si les aspects techniques sont à prendre en compte, sur le fond, il s'agit de considérations politiques voire philosophiques. Les chiffres de l'INSEE démontrent que nous continuons à vivre dans une société inégalitaire. Un enfant sur deux dans les zones urbaines sensibles est en situation de pauvreté, et un sur cinq sur l'ensemble du territoire national. De plus, les familles monoparentales sont en moyenne plus pauvres que les familles traditionnelles. En outre, les inégalités patrimoniales deviennent plus importantes que les inégalités de revenu. Ainsi, comment pouvons-nous améliorer cette situation ? Des efforts doivent être effectués par les individus qui disposent d'un patrimoine plus important. À partir du moment où les individus vivent plus longtemps, la donation doit être facilitée afin de soutenir l'activité économique des générations plus jeunes. Il serait ainsi intéressant de s'inspirer de l'exemple belge. Si la donation est facilitée sur le plan économique, il est nécessaire que les efforts réalisés sur les droits de succession soient plus importants pour une raison d'égalité et pour permettre de financer la dépendance. La solidarité ne s'établit pas seulement entre les jeunes générations, mais entre ceux qui possèdent le plus et ceux qui possèdent très peu.

Mme Sylvie Vermeillet . - Je souhaite vous livrer le complément de la citation attribuée à Socrate, mais dont l'auteur est Platon : « Les adultes d'aujourd'hui aiment paraître, ils sont imbus d'eux-mêmes, ils méprisent la justice, ils n'ont aucun respect pour leurs cadets, ils manipulent au lieu de donner l'exemple, ils n'ont plus guère de courtoisie vis-à-vis de leurs semblables, ils contredisent ce qui ne vient pas d'eux, ils plastronnent en société, ils se hâtent de décider brutalement et à court terme, ils se frottent les mains et tyrannisent autrui. » Ainsi, il n'est pas naturel de donner, il existe un besoin d'avoir, car il y a un besoin d'être. Afin de fluidifier la transmission, il est nécessaire d'établir une confiance en l'avenir. Or, plus les individus se rapprochent de la fin de leur vie, moins ils ont confiance en l'avenir. Les jeunes sont persuadés qu'ils ne disposeront pas de retraite et sont donc moins complexés que les seniors, qui ne transmettent pas leur patrimoine, car ils n'ont pas confiance dans le peu d'avenir qu'il leur reste.

Mme Michèle Vullien . - Je vous remercie pour vos présentations. Le financement de la dépendance est une question majeure. Nous constatons que l'irréversibilité de la donation constitue un frein. En effet, avec l'allongement de l'espérance de vie et les maladies qui rendent dépendants, les seniors sont inquiets. Le législateur doit s'intéresser au financement de cette branche. À quel moment déciderons-nous de nous intéresser pleinement au sujet de la dépendance ?

M. Clément Dherbecourt . - Nous devons essayer de trouver une solution collective entre les générations. Comment pouvons-nous mettre en place un contexte serein autour des transmissions ? De nombreux ouvrages littéraires ont traité cette question sur les conflits d'héritage. En France, les individus qui approchent des âges élevés ne préparent pas leur succession, la pratique du testament est peu répandue. Nous devons développer cette pratique testamentaire. Par exemple, une partie de la fortune pourrait être directement léguée aux petits-enfants, afin de fluidifier la transmission.

La dépendance constitue un enjeu essentiel. Il existe une aversion légitime aux risques qui peut expliquer la difficulté de certains individus à se séparer de leur patrimoine. L'État a un rôle à jouer pour sécuriser les fins de vie, mais un changement culturel est nécessaire. Il faudrait prévoir les coûts engendrés par la dépendance, afin de conserver seulement ce qui est nécessaire et transmettre le reste.

Me Bertrand Savouré . - Je souscris à l'idée que la transmission est une affaire complexe qui procède d'une certaine philosophie. Il existe dans notre arsenal juridique certaines techniques de transmission efficaces. La pratique testamentaire n'est pas développée en France, car c'est le Code civil qui précise le fonctionnement des transmissions. Le testament existe dans les pays où le Code n'est pas écrit.

Depuis 2006, il est possible de renoncer soi-même à une succession et d'en faire bénéficier ses propres enfants. Au-delà des techniques existantes, l'élément déclencheur est indispensable et proviendra de la politique, qui doit sécuriser et donner de la confiance dans la transmission. La dépendance, la réversibilité, l'incitation fiscale sont des éléments essentiels pour rendre les individus confiants. Il est vrai que les conflits autour des héritages sont nombreux, mais ces questions ne doivent pas être réglées par les pouvoirs publics.

M. Pierre Schoeffler . - Comment fluidifier la transmission du logement ? L'épargne des ménages se mobilise dans les logements, mais il existe d'autres techniques pour disposer d'un logement en recourant moins à l'épargne : la propriété à vie, le démembrement, le viager. Le patrimoine des ménages doit être plus liquide.

M. Julien Bargeton . - Ce sujet répond à des enjeux politiques et philosophiques. En fonction des priorités et de la philosophie adoptée, un certain nombre de solutions techniques peuvent apparaître. En établissant des scénarios, plusieurs leviers peuvent être activés pour orienter les individus. Notre rapport sera nourri par vos échanges, toutes les options pourront être évoquées.

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