III. DES DÉBATS INTÉRESSANTS SUR DES SUJETS D'ACTUALITÉ
A. L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE FACE À LA CRISE MIGRATOIRE
1. La situation humanitaire des réfugiés dans les pays voisins de la Syrie
Mardi 26 juin 2018, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Manlio di Stefano (Italie - NI) au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, une résolution sur la situation humanitaire des réfugiés dans les pays voisins de la Syrie.
Les plus proches voisins de la Syrie - la Jordanie, le Liban, la Turquie et l'Irak - ont accueilli des millions de réfugiés qui représentent aujourd'hui une part importante de la population vivant sur leur territoire. Avant même le déclenchement du conflit armé en Syrie, l'ensemble de la région était l'une des zones du globe les plus densément peuplées en réfugiés avec leurs familles. Ces mouvements forcés de personnes qui restent ensuite sur place font peser une très lourde charge sur les infrastructures et les économies des pays voisins.
Le rapport présenté par M. Manlio di Stefano analyse les préoccupations majeures que soulèvent la situation humanitaire dans la région, le respect des droits fondamentaux des réfugiés, les textes de loi en la matière, les conditions de vie et l'accès aux services, ainsi que la gestion des flux de réfugiés, le financement et les perspectives d'avenir. Il comporte notamment des recommandations à l'intention des autorités des pays voisins et de la communauté internationale en vue d'améliorer la situation.
Au cours du débat, Mme Nicole Duranton (Eure - Les Républicains) a souligné que les pays voisins de la Syrie, où plus de 5,3 millions de personnes ont trouvé refuge, n'ont pas ratifié la convention de Genève et ne garantissent ainsi pas aux réfugiés les droits sociaux fondamentaux nécessaires pour s'intégrer. Elle a déploré l'insuffisance du cadre législatif encadrant leur statut et le manque de moyens dont disposent ces pays. Il est dès lors nécessaire que l'Union européenne et les pays du Golfe, notamment, fournissent leur aide à ces pays pour améliorer les conditions d'accueil des réfugiés et permettre aux plus vulnérables d'être réinstallés en Europe.
M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a déploré la situation dramatique dans laquelle se trouvent les quatre pays voisins de la Syrie - à savoir la Turquie, l'Irak, le Liban et la Jordanie - les rendant inaptes à accueillir un afflux de réfugiés dans des conditions conformes à la convention de Genève. Il a souligné l'insuffisance des mesures d'ores et déjà adoptées face aux difficultés prévalant dans ces pays. Il est nécessaire que la communauté internationale se mobilise et tienne ses engagements financiers, afin de permettre aux réfugiés d'avoir un accès effectif aux services fondamentaux que sont l'éducation et les soins.
M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a souligné le manque de moyens économiques, sociaux et financiers dont souffrent les pays voisins de la Syrie. Ils accueillent ainsi un plus grand nombre de réfugiés que certains autres États européens aux capacités pourtant bien supérieures. Il a félicité ainsi ces pays de leurs efforts malgré la fermeture de leurs frontières et invité l'Union européenne, mais aussi les États-Unis et les pays du Golfe, à leur fournir une aide financière plus importante.
M. Bernard Cazeau (Dordogne - La République en Marche) a regretté la situation toujours très précaire dans laquelle vivent les réfugiés dans les pays voisins de la Syrie. Il a affirmé que la pression que subissent ces pays d'accueil doit être allégée par un partage plus équitable des charges liées à l'accueil de ces réfugiés. Le sort de ces personnes déplacées doit être considéré comme une priorité absolue par l'Union européenne et les Nations Unies.
M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a souligné l'importance du partage de la charge financière entre les pays européens mais aussi ceux du Golfe et les États-Unis. Il a affirmé son soutien à la mise en place de programmes de développement bénéficiant aux réfugiés et aux populations locales dans un contexte où les retours en Syrie sont encore incertains. Il est nécessaire que les pays voisins de la Syrie ratifient la convention de Genève et que les réinstallations soient encouragées afin de soulager la pression migratoire.
Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche) a rappelé les énormes efforts consentis par les pays limitrophes de la Syrie, dont la part de réfugiés atteint parfois 30 % de la population dans le cas de la Jordanie et du Liban. Elle a affirmé son soutien au financement de projets en faveur de leur accueil. Toutefois, la solution à terme réside dans un règlement politique durable des conflits afin de permettre à ces personnes déplacées de retourner chez elles de manière sûre et durable.
2. L'accueil des migrants et le traitement des demandes d'asile
Un débat conjoint avec pour thèmes « Traitement extraterritorial des demandes d'asile et création de centres d'accueil sûrs pour les réfugiés à l'étranger » et « Conséquences pour les droits de l'Homme de la « dimension extérieure » de la politique d'asile et de migration de l'Union européenne : loin des yeux, loin des droits ? » était initialement prévu.
À la demande du Bureau, l'Assemblée a souhaité coupler à ce débat conjoint un débat d'urgence sur le thème « Obligations internationales des États membres du Conseil de l'Europe : protéger les vies en mer ».
Sur le premier thème, un rapport a été présenté par M. Domagoj Hajdukoviæ (Croatie - SOC), au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées. Il suggère que face au nombre toujours élevé de migrants qui perdent la vie à bord des embarcations des passeurs, en particulier au départ de la Turquie, de la Libye et du Maroc, les États membres devraient prendre les mesures législatives et pratiques nécessaires pour que les demandeurs d'asile puissent demander le traitement extraterritorial de leur demande à titre exceptionnel pour raisons humanitaires.
Toutefois, selon un principe général du droit international, il convient de demander le statut de réfugié dans le pays de premier accueil sûr. Tout pays de premier accueil est tenu de recevoir et de traiter dûment ces demandes. Les réfugiés ne doivent pas être privés du droit d'asile dans un pays parce qu'un autre pays permet le traitement extraterritorial des demandes d'asile.
En outre, le rapporteur a jugé urgent de prendre des mesures pour assurer la sécurité et la protection des réfugiés et des migrants dans les pays de premier accueil, conformément aux normes prévues par la convention des Nations Unies de 1951 relative au statut de réfugiés, par exemple dans les camps du HCR en Turquie, en Jordanie et en Libye.
Concernant les conséquences pour les droits de l'Homme de la « dimension extérieure » de la politique d'asile et de migration de l'Union européenne, Mme Tineke Strik (Pays-Bas - SOC) a présenté, au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, un rapport pour préciser les conditions de coopération entre l'Union européenne et des pays tiers sur la politique de l'asile.
Les objectifs de la délégation des procédures de migration aux pays en dehors des frontières de l'Union européenne sont, entre autres, d'alléger la pression migratoire des États membres aux frontières de l'Union européenne et de réduire le besoin des migrants d'entreprendre des voyages terrestres et maritimes potentiellement mortels. La réinstallation dans toute l'Europe devrait ensuite faciliter un afflux plus régulier sur le continent. Cependant, le transfert des responsabilités et l'engagement de pays tiers dans le renforcement de contrôles aux frontières de l'Union européenne comportent de sérieux risques pour les droits de l'Homme. En effet, il est possible que les migrants soient «bloqués» dans les pays de transit suite à une réadmission. Ils risquent également d'être victimes de mesures punitives et restrictives telles que le refoulement, la rétention arbitraire et les mauvais traitements. C'est enfin un moyen pour de nombreux États membres de l'Union européenne de prendre leurs distances par rapport à la question de l'assistance et de l'intégration des réfugiés, qui est source de divisions politiques.
Ce rapport a exhorté les États membres à oeuvrer ensemble pour que le recours accru à des politiques de dissuasion ne porte pas atteinte aux droits de l'Homme à l'échelle mondiale et à s'abstenir d'externaliser le contrôle des migrations vers les pays où la législation, les politiques et les pratiques ne respectent pas les normes de la convention de Genève.
Enfin, Mme Petra de Sutter (Belgique - SOC) a présenté un rapport, au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, dans le cadre du débat d'urgence sur le thème : « Obligations internationales des États membres du Conseil de l'Europe : protéger les vies en mer ». Vu le nombre élevé de décès en Méditerranée de demandeurs d'asile qui tentent désespérément de rejoindre l'Europe sur des embarcations de fortune, la rapporteure a estimé que les États membres devaient respecter leurs obligations internationales et coordonner leurs efforts pour protéger les vies humaines en mer, en particulier en établissant des responsabilités géographiques claires en ce qui concerne les opérations de recherche et de sauvetage. Les opérations de sauvetage menées par les États membres en mer devraient être séparées des demandes d'asile ultérieures des personnes secourues.
Ce rapport a appelé tous les États membres à placer la protection des vies humaines avant toute autre considération, quel que soit le statut des personnes concernées, et invité le Comité des Ministres à préparer des lignes directrices sur la protection de la vie humaine en mer par des opérations de recherche et de sauvetage, d'une part, et les États membres à mettre pleinement en oeuvre la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, d'autre part.
Au cours des débats, M. André Vallini (Isère - Socialiste et républicain) a rappelé qu'en vertu de la convention de Genève, un demandeur d'asile doit pouvoir faire sa demande dans des conditions sûres. Or, il a déploré que ce ne soit pas le cas dans beaucoup de pays de transit. Face à leur incapacité à fournir des conditions d'accueil élémentaires, il est important d'engager une réflexion prudente sur la mise en oeuvre d'une procédure de délivrance de visas exceptionnels extraterritoriaux.
M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a rappelé les responsabilités des États membres de l'Union européenne dans le cadre d'une politique d'asile et d'immigration dont la gestion serait confiée à des pays tiers. En effet, les droits fondamentaux des demandeurs d'asile ne sont pas garantis dans ces pays. Ce sera donc aux États qui ont recours à ce type d'externalisation de s'assurer que les droits des demandeurs d'asile sont respectés.
Mme Nicole Duranton (Eure - Les Républicains) a mis en exergue l'utilité d'une procédure extraterritoriale de demandes d'asile pour réduire les incitations aux traversées dangereuses et le trafic des passeurs, tout en réduisant l'afflux de réfugiés sur les côtes européennes. Il est toutefois nécessaire de mettre en place une véritable coordination préalable avec les pays de transit et de s'assurer de la sécurité des personnes déplacées.
M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a souligné les menaces qui pèsent aujourd'hui sur le droit d'asile. S'il est favorable au traitement extraterritorial des demandes d'asile, il estime que cela doit se faire en respectant certaines conditions et notamment une répartition plus équilibrée des personnes réinstallées entre les pays d'accueil. Il est également important de financer les hotspots pour les rendre plus accessibles et d'engager une véritable coopération avec les pays africains dans le but d'apporter de l'aide aux collectivités locales.
M. Bernard Cazeau (Dordogne - La République en Marche) a mis en garde sur les problèmes que pourrait générer un mécanisme de traitement extraterritorial des demandes d'asiles. S'il a reconnu leur utilité pour éviter les embarcations dangereuses des migrants, les conditions d'accueil dans les pays de transit ne sont pas toujours appropriées. En outre, cette mesure relève souvent d'une volonté de fermer ses frontières et les accords bilatéraux en la matière violent le principe du non-refoulement. Cette solution ne pourra être envisagée qu'en engageant la responsabilité des États membres qui y recourent.
À l'issue de ces échanges, l'APCE a adopté une recommandation et une résolution sur le traitement extraterritorial des demandes d'asile et la création de centres d'accueil sûrs pour les réfugiés à l'étranger, une recommandation et une résolution sur les conséquences pour les droits de l'Homme de la « dimension extérieure » de la politique d'asile et de migration de l'Union européenne, ainsi qu'une recommandation et une résolution sur les obligations internationales des États membres du Conseil de l'Europe en matière de protection des vies des migrants en pleine mer.