B. D'IMPORTANTS MOYENS JURIDIQUES DE CONTRÔLE ET DE SANCTION

La loi ALUR a renforcé les moyens juridiques de contrôle des communes concernées par le régime obligatoire d'autorisation de changement d'usage en octroyant aux agents assermentés des communes qui disposent d'un service municipal du logement 125 ( * ) et ayant pour fonction le contrôle de l'usage des locaux destinés à l'habitation les prérogatives prévues aux articles L. 651-6 et L. 651-7 du code de la construction et de l'habitation relatifs aux agents assermentés des services municipaux du logement. Ils peuvent, en conséquence, visiter - en la présence de l'occupant - les locaux à usage d'habitation entre 8h et 19h, l'occupant ou le gardien ne pouvant s'y opposer, se faire communiquer par les autres administrations publiques tous renseignements nécessaires à l'accomplissement de leur mission... Le fait de faire obstacle à leurs missions est passible d'une amende civile de 2 250 euros.

Le fait de ne pas respecter un régime de changement d'usage non temporaire est puni d'une amende civile dont le montant ne peut excéder, depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, 50 000 euros 126 ( * ) par local irrégulièrement transformé. Cette amende est prononcée par le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés , sur requête du maire ou de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et sur conclusions du procureur de la République. C'est également la loi de modernisation de la justice qui a permis au maire ou à l'ANAH de saisir le juge des référés, alors que la saisine était auparavant réservée au ministère public 127 ( * ) . Le produit de l'amende est intégralement versé à la commune 128 ( * ) .

Le maire peut également demander que le juge des référés prononce, sous astreinte d'un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré, le retour à l'usage d'habitation du local transformé sans autorisation.

Enfin, une sanction pénale est prévue par l'article L. 651-3 du code de la construction et de l'habitation, qui punit d' un an d'emprisonnement et d'une amende de 80 000 euros les fausses déclarations ou manoeuvres frauduleuses tendant à dissimuler les locaux soumis à autorisation.

C. UNE GRANDE DIVERSITÉ DE CHOIX OPÉRÉS PAR LES VILLES ENTRAÎNANT DES RÉGIMES D'AUTORISATION ADAPTÉS AUX SOUHAITS DES ÉLUS LOCAUX

Il convient de rappeler que les conditions de l'autorisation de changement d'usage sont déterminées par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents.

1. Quelques villes ont mis en place des obligations de compensation, selon des modalités plus ou moins strictes.

À Paris , une obligation de compensation a été mise en place au niveau de l'arrondissement, la surface de compensation devant équivaloir en principe à celle du logement concerné par le changement d'usage et, par exception, dans le secteur de compensation renforcé, au double de la surface transformée (sauf sauf si les locaux proposés en compensation sont transformés en logements sociaux) 129 ( * ) .

La compensation peut être effectuée directement par le demandeur, qui propose en compensation des locaux à autre usage que l'habitation dont il est propriétaire et qu'il va transformer en logements, ou indirectement, en achetant un titre de compensation (ou « commercialité ») auprès d'un tiers, propriétaire de locaux affectés à un autre usage que l'habitation qu'il va transformer en logements 130 ( * ) . Pour se procurer des titres de compensation, le demandeur peut se tourner sociétés spécialisées dans la recherche de commercialité 131 ( * ) ou vers des bailleurs sociaux, qui réalisent des opérations de transformation de bureaux en logements et peuvent donc proposer des locaux en compensation. Selon la Mairie de Paris 132 ( * ) , la moyenne constatée à Paris se situe autour de 1 600 € par m² avec des écarts très importants, de l'ordre de 400 € par m² jusqu'à 3 000 € par m² dans les arrondissements de l'ouest et du centre de la capitale où la demande est la plus forte. Autrement dit, le coût d'un certificat de compensation est bien moins élevé que les prix de l'immobilier à Paris. Néanmoins, l'acquisition d'une commercialité n'est pas toujours facile, dans la mesure où toute commercialité repose sur une opération préalable de construction d'un logement. Selon les informations de vos rapporteures, le marché de la commercialité existe à Paris - et uniquement dans cette ville - depuis une vingtaine d'années. Entre 2009 et 2016, le montant global des droits de commercialité aurait atteint presque 100 millions d'euros 133 ( * ) .

À Lyon 134 ( * ) , une obligation de compensation a été mise en place dans l'hypercentre et son contenu diffère selon la surface du logement : pour ceux dont la surface est égale ou supérieure à 60 mètres carrés, la compensation doit se faire par un logement de même taille, situé au sein de l'arrondissement et du périmètre défini comme l'hypercentre ; pour ceux dont la surface est inférieure à 60 mètres carrés, la compensation doit être effectuée dans les mêmes conditions si le demandeur est une personne morale. Si celui-ci est une personne physique, en revanche, c'est un régime d'autorisation temporaire de changement d'usage qui est applicable à ces logements, sauf si cette personne physique bénéficie déjà d'une autorisation temporaire pour un autre bien, auquel cas une autorisation de changement d'usage avec compensation sera nécessaire, comme pour les logements dont la surface est égale ou supérieure à 60 mètres carrés.

Au-delà de l'hypercentre, aucune compensation n'est nécessaire sauf si le changement d'usage est demandé à titre définitif : le demandeur devra alors obtenir une autorisation avec compensation par un logement de même taille et situé au sein du même arrondissement. Il s'agit ici de l'application de l'article L. 631-7-1 du CCH, qui distingue les autorisations accordées à titre personnel et celles attachées au local.

À Bordeaux 135 ( * ) , la location de meublés touristiques est soumise à compensation. Selon la zone géographique concernée, cette compensation doit avoir lieu dans la même zone ou au-delà.

À Strasbourg 136 ( * ) , pour les demandeurs personnes physiques, la compensation n'est dûe que lorsque celui-ci dispose déjà de deux autres logements affectés à la location touristique (qui font l'objet d'autorisations temporaires) alors qu'elle est automatique pour les demandeurs personnes morales. La compensation est requise au sein d'un même secteur et, dans le secteur de compensation renforcée, la surface apportée en compensation doit équivaloir à 1,5 fois celle faisant l'objet de la demande.

À Nice 137 ( * ) , dans certaines zones, pour les demandes portées par les personnes morales, l'autorisation est accompagnée d'une obligation de compensation sur le territoire de la commune de Nice 138 ( * ) . Sont néanmoins exonérés de cette obligation les demandes portant sur des locaux situés en rez-de-chaussée, ou dont la superficie est inférieure à 200 mètres carrés.

À Neuilly-sur-Seine 139 ( * ) , à Levallois 140 ( * ) et à Versailles 141 ( * ) , la transformation en meublé de tourisme est soumise à compensation, les locaux proposés en compensation devant être situés sur le territoire de la commune. À Versailles, pour les meublés de tourisme déjà déclarés avant décembre 2017, la commune a décidé un « sursis » à compensation de quatre ans.

2. Quelques villes ont mis en place des autorisations de changement d'usage temporaires pour les demandeurs personnes physiques.

La ville de Nice octroie de telles autorisations pour une durée de trois ans reconductible deux fois, un même propriétaire ne pouvant obtenir plus de trois autorisations. A Lyon , une autorisation de changement d'usage temporaire d'une durée de neuf ans est nécessaire pour les personnes souhaitant louer un meublé de tourisme dont la surface est inférieure à 60 mètres carrés dans le périmètre « hypercentre ». Sur le territoire de l'eurométropole de Strasbourg , cette autorisation est accordée pour une durée de neuf ans et ne peut être attribuée que pour deux biens (au-delà de ce seuil, c'est le régime de l'autorisation préalable avec compensation qui s'applique). A Marseille , la métropole a mis en place une telle autorisation, à condition que la durée de la location ne soit pas supérieure à huits mois consécutifs sur un an pour un même locataire, valable pour six ans reconductibles, un même propriétaire ne pouvant obtenir plus de cinq autorisations 142 ( * ) . A Versailles , une autorisation temporaire d'une durée de neuf ans a été instaurée pour une seule résidence secondaire.


* 125 Selon l'article L. 621-1 du code de la construction et de l'habitation : « Dans les communes désignées, sur proposition des maires intéressés, par décision administrative, un service municipal du logement, créé à titre temporaire, est chargé d'assurer une meilleure répartition des logements existants. Le service municipal du logement a notamment pour tâche de dresser un fichier général des locaux à usage d'habitation, en vue de déterminer les locaux vacants, inoccupés ou insuffisamment occupés. ».

* 126 Le quantum maximal de l'amende était, auparavant, de 25 000 euros. La mission d'inspection précitée remarquait que ce quantum n'était pas suffisamment dissuasif, dans la mesure où le montant total d'une compensation pour un logement de 30m2 dans le neuvième arrondissement de Paris avoisinerait les 40 000 euros. Elle soulignait également que, même en intégrant dans ses calculs de rentabilité une amende de 25 000 euros, l'activité de location de courte durée demeurait plus rentable qu'une location à usage d'habitation principale. Au demeurant, elle remarquait que le juge prenant en considération l'action du propriétaire pour rétablir l'usage d'habitation après avoir été informé de l'infraction, le montant de l'amende était le plus souvent très en-deçà du maximum encouru.

* 127 Le rapport de la mission d'inspection soulignait que ce passage obligatoire par le ministère public rendait les procédures engagées par la ville de Paris particulièrement longues : une fois les constatations effectuées par l'agent assermenté de la ville, une procédure de conciliation pouvant durer jusqu'à deux ans devait débuter, et ce n'était qu'en cas d'échec de la conciliation que le dossier était transmis au parquet, qui décidait alors d'éventuelles poursuites judiciaires.

* 128 Avant la loi ALUR, il était versé à l'ANAH.

* 129 Article 3 du règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d'usage de locaux d'habitation et déterminant les compensations en application de la section 2 du chapitre 1 er du titre III du livre IV du code de la construction et de l'habitation.

* 130 Autrement dit, toute personne qui fait construire un logement à Paris gagne une « commercialité », c'est-à-dire un droit de « détruire » un logement équivalent dans le même arrondissement et de céder sa « commercialité » à un tiers.

* 131 Selon le rapport de la mission d'inspection précité, quatre sociétés sont spécialisées dans cette activité à Paris.

* 132 https://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/urbanisme-et-architecture/demandes-d-autorisations/exercer-une-activite-dans-un-logement-172#autorisation-3-le-changement-d-usage-a-caractere-reel-avec-compensation_5 ; http://www.nicecotedazur.org/uploads/media_items/notice-chgt-d-usage-loc-comm-ou-prof-5.original.pdf

* 133 Pierre Morel, Immeubles à Paris : l'obscure clarté de l'autorisation de changement d'usage, Droit immobilier, n °79, 1 er trimestre 2017.

* 134 Délibération de la métropole de Lyon en date du 20 décembre 2017.

* 135 Source : annexe à la délibération du conseil municipal en date du 10 juillet 2017.

* 136 Source : https://www.strasbourg.eu/documents/976405/1598729/Locations-meublees-touristiques.pdf/343545e5-0e56-c8a2-a089-2be732ca40dc

* 137 Délibération n° 22.1 du conseil métropolitain du 22 mai 2015.

* 138 http://www.nicecotedazur.org/habitat-urbanisme/le-logement/autorisation-changement-d-usage-les-locations-meubl%C3%A9es-touristiques-sur-nice/changement-d-usagelocal-professionnel-ou-commercial

* 139 Délibérations du 21 novembre 2013 et du 15 décembre 2015.

* 140 Délibération du 29 juin 2009.

* 141 Délibération du 14 décembre 2017.

* 142 Délibérations de la Ville de Marseille du 26 octobre 2015 et de la métropole Marseille Provence du 30 décembre 2015.

Page mise à jour le

Partager cette page