COMPARAISON AVEC LES RÉFLEXIONS AVANCÉES JUSQU'ICI PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE : DES ESPOIRS DÉÇUS
Au regard du contenu de la résolution du Sénat du 8 septembre 2017, les idées avancées jusqu'à présent par la Commission européenne apparaissent décevantes, en particulier sur la question des moyens budgétaires, mais également sur l'économie générale et l'ambition même des mesures proposées.
En effet, la communication de la Commission européenne du 29 novembre 2017 suggérait « d'explorer » différentes pistes de réflexion visant toutes à réduire les montants versés - instaurer un plafonnement obligatoire des paiements directs, introduire des paiements dégressifs, cibler les aides sur les petites et moyennes exploitations - tout en réduisant les écarts entre les États membres.
Auditionné au Parlement européen, le Commissaire européen au budget, M. Günther Oettinger a bel et bien envisagé de réduire dans une fourchette de 5 % à 10 %, aussi bien les moyens alloués à la politique agricole qu'aux fonds de cohésion.
Si telle devait être effectivement l'orientation officielle retenue la Commission européenne le 29 mai prochain, elle serait alors explicitement contraire au deuxième point de la résolution du Sénat le 8 septembre 2017.
S'ajoutent à ces craintes celles d'une renationalisation de fait de la PAC, dans la mesure où la mise en oeuvre des obligations environnementales (« le verdissement ») serait largement renvoyée aux États membres. L'Union déterminerait alors uniquement les paramètres essentiels (objectifs de la PAC, principaux types d'intervention, exigences de bases). Elle laisserait le soin aux États membres de mettre en oeuvre ces objectifs chiffrés, fixés d'un commun accord, par le biais de plans nationaux, validés par la Commission européenne suivant un processus structuré. Il en résulterait, sans doute, une simplification bienvenue, mais qui pourrait ne concerner que l'administration européenne elle-même. Or, le rapport du groupe de suivi du Sénat avait fait valoir que la PAC actuelle apparaît déjà de moins en moins commune aux yeux des agriculteurs. Qu'en sera-t-il à l'avenir ?
Enfin, si les orientations des États membres venaient à être trop différentes les unes par rapport aux autres, se matérialiserait effectivement l'inquiétude portant sur la fragmentation du marché unique.
Le troisième axe de la résolution du Sénat - consacré à la nécessaire remise à plat du système de gestion des crises - trouve, lui aussi, un écho plus que limité dans la communication de la Commission. Cette dernière considère manifestement que le sujet a été traité dans le cadre du volet agricole du « règlement Omnibus », adopté le 12 décembre 2017. S'il est exact que ce véhicule juridique apporte des améliorations bienvenues (avec notamment l'abaissement à 20 %, au lieu de 30 %, du seuil des pertes déclenchant l'aide relative aux contrats d'assurance), la proposition de mettre en place un système volontaire de réduction de la production en temps de crise n'a pas été retenue. Le constat optimiste de la Commission européenne - selon lequel « la PAC offre déjà un ensemble hiérarchisé d'instruments qui aident les agriculteurs à prévenir et à gérer les crises » - n'apparaît manifestement pas à la hauteur des problèmes causés par les crises des dernières années.
Fort heureusement, en revanche, les idées avancées dans le quatrième axe de la résolution du Sénat sont, quant à elles, largement celles développées par la Commission européenne, dans la troisième partie de sa communication consacrée à « une PAC, plus intelligente, plus moderne et plus durable ». Y figurent, en particulier, la nécessité d'encourager la recherche et l'innovation, de mettre en réseau les coopérations entre agriculteurs (y compris par le biais des organisations de producteurs), d'améliorer l'investissement dans les zones rurales et de susciter de nouvelles vocations d'agriculteur (par un dispositif obligatoire d'aide à l'installation couvrant toute l'Union européenne).
La fin de la communication de la Commission européenne, consacrée à la dimension mondiale (et commerciale) de la PAC se situe très en retrait des cinq points de la résolution du Sénat, portant sur les enjeux du commerce extérieur des produits agricoles. L'écart apparaît ici particulièrement sensible avec le cinquième axe de réflexion du travail des Sénateurs : alors que ces derniers ont avancé des préconisations précises, le document de la Commission se borne à des considérations générales. On y note simplement la nécessité de « prendre en considération, dans les négociations commerciales, le caractère sensible des produits (..) et (de) réfléchir aux moyens de remédier à la répartition géographique inégale des avantages et désavantages que les accords commerciaux de l'Union (...) entraînent pour le secteur agricole ».
Le règlement (UE) 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017 a modifié sur de nombreux points les règlements de base de la PAC. Son apport apparaît très substantiel dans plusieurs domaines : paiements directs, organisation commune des marchés, développement rural et dispositions dites « horizontales ». Certaines de ces mesures touchent, en particulier, au droit de la concurrence, en changeant la rédaction d'articles « clé » du règlement (UE) 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles. - Droit aux contrats écrits Les articles 148 (lait) et 168 (clause générale) du règlement (UE) 1308/2013 du 17 décembre 2013 traitent des relations contractuelles. Leur rédaction respective a été complétée par une disposition permettant aux producteurs et à leurs organisations de producteurs (OP), de demander à bénéficier de contrats écrits (et ce même si l'État membre dont ils relèvent n'a pas décidé de rendre ces contrats obligatoires). Ces contrats ne peuvent toutefois être rendus exigibles si le premier acheteur est une petite, moyenne ou très petite entreprise (TPE/PME). - Clauses de partage de la valeur ajoutée Un nouvel article 172 bis relatif au partage de la valeur a été créé au sein du règlement (UE) 1308/2013 précité. Cet article prévoit que des clauses de partage de la valeur ajoutée au sein d'une filière peuvent être négociées entre les producteurs (qu'ils soient ou non organisés en OP) et leur premier acheteur. Il s'agit ici d'une reprise des dispositions déjà en vigueur dans le secteur du sucre. Par là même, les parties peuvent définir ex ante la façon dont la valeur du produit doit être répartie entre elles, en fonction de l'évolution des marchés pertinents. D'une façon générale, ce dispositif revêt une portée facultative. - Renforcement des interprofessions L'article 157 relatif aux organisations interprofessionnelles du règlement (UE) 1308/2013 a été complété de façon à étendre leurs compétences. Cette extension a porté, en particulier, sur la capacité à déterminer des clauses standards de partage de la valeur (clauses types en lien avec l'article 172a) et à définir des mesures de prévention et de gestion (en matière de santé animale et végétale ainsi que de risques environnementaux). - Renforcement du pouvoir des Organisations de producteurs et sécurisation de leurs activités par rapport au droit de la concurrence L'article 152 du règlement (UE) 1308/2013 relatif aux organisations de producteurs reconnues a été entièrement revu : la possibilité donnée aux secteurs de l'huile d'olive (art 169), de la viande bovine (art 170) et à certaines grandes cultures (art 171) de mener des négociations contractuelles (prix et volumes) a ainsi été étendue - en dehors du lait - à l'ensemble des secteurs agricoles. Cette extension porte, plus précisément, sur les critères de reconnaissance pour une organisation (nécessité de mener une action économique conjointe entre les membres, promotion, contrôle de qualité, emballage, étiquetage ou transformation). S'y ajoute la capacité, pour une organisation reconnue à planifier la production, à optimiser les coûts de production, à mettre sur le marché et à négocier des contrats, par dérogation à l'article 101 du TFUE (règles de concurrence). Ce nouvel article 152 s'applique également aux associations d'OP (AOP). Aucun plafond de taille n'est prévu, tant pour les OP que pour les AOP. En revanche, le « règlement Omnibus » a non seulement préservé le statu quo pour le caractère facultatif des OP, mais aussi écarté la proposition consistant à créer une nouvelle catégorie d'organisation (de négociation). - La capacité des autorités nationales de la concurrence à vérifier et, le cas échéant, à stopper l'activité d'une OP reconnue - si cette activité exclut la concurrence ou menace les objectifs de la PAC - a été confirmée. Toutefois , cette latitude d' intervention revêt, dans un premier temps, un caractère préventif (carton jaune) et non punitif (carton rouge), lorsque l'OP met en oeuvre les mesures correctives demandées. - Précision sur la dérogation générale au droit de la concurrence L'article 209 du règlement (UE) 1308/2013 a été réécrit pour offrir la possibilité aux OP et aux AOP d'interroger la Commission européenne sur la compatibilité de leurs accords avec les dispositions de l'article 39 du TFUE (sur les objectifs de la PAC). Le délai pour fournir une réponse est de 4 mois. |