VII. M. Claude Huriet, sénateur honoraire et professeur agrégé de médecine
Je profite de ce colloque pour revenir à mes premières amours, la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. Dans l'évolution du paysage sur ce sujet, les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat, dont j'ai eu l'honneur d'être membre pendant dix-neuf ans, ont joué un rôle moteur, via notamment le dépôt d'une proposition de loi dont je fus rapporteur.
Je puis dire que je n'ai jamais constaté de situation aussi complexe que celle qui est aujourd'hui la nôtre avec les perturbateurs endocriniens. Je voudrais confronter tout ce qui a été dit jusqu'ici à un certain nombre de faits, qui viennent à l'appui de la nécessité d'élaborer, en la matière, une législation cohérente.
Comment se protéger des perturbateurs endocriniens sans bouleverser notre mode de vie ? À cette question, il n'existe pas de réponse viable, sauf à entretenir une illusion. Si la condition posée est de ne pas modifier notre mode de vie, nous continuerons de vivre, à l'égard de ces substances, dans l'inquiétude, jusqu'à, peut-être, nous y faire.
Mon propos comportera trois parties : partant du constat des exigences du citoyen, je parlerai ensuite du principe de précaution, qui ne saurait consister en une simple « décharge de conscience », pour confronter enfin ce principe au problème des perturbateurs endocriniens.
Le citoyen des sociétés modernes refuse à la fois l'incertitude et le risque, tout en exigeant l'innovation. L'innovation comporte pourtant, par définition, des marges d'incertitude et de risque. Cette contradiction est insurmontable. Le refus de l'incertitude et du risque est compréhensible et impossible à honorer, surtout d'ailleurs quand il s'agit des sciences du vivant. Au vivant sont inhérentes l'incertitude, l'imprévisibilité, les possibilités de mutation et d'adaptation.
J'en viens au principe de précaution. Son origine, double, se trouve dans la déclaration de Rio de 1992 et dans la loi Barnier de 1995. Il est censé constituer la réponse aux préoccupations du citoyen s'agissant de l'incertitude scientifique. La confiance, d'ailleurs fragile, du citoyen dans la recherche repose sur l'illusion que la science réduit les marges d'incertitude. Telle est donc la question : que faire lorsque la science n'a pu fournir de certitude ? Les dispositions de la loi Barnier prévoient la mise en oeuvre de « mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement », « à un coût économiquement acceptable ».
En ce qui concerne les risques afférents aux nouvelles molécules dont nous discutons aujourd'hui, je voudrais brièvement évoquer le cancer. Selon les termes du rapport d'information, « ces substances sont à l'origine de nombreuses maladies comme les cancers du sein ou de la prostate. Elles sont d'autant plus dangereuses qu'elles sont omniprésentes dans notre environnement, notamment dans la nourriture, l'eau potable ou l'air. » Cette formule lapidaire ne peut qu'entraîner une réaction de panique : comment parvenons-nous à survivre ? Or, appliquer le principe de précaution ne signifie pas déclencher un « sauve-qui-peut » anxiogène ! Je souhaite donc, en la matière, que nous relativisions quelque peu - je pèse mes mots.
La note de l'Institut national du cancer sur les perturbateurs endocriniens est ainsi rédigée : « Le rôle de plusieurs perturbateurs endocriniens est à ce jour suspecté dans l'apparition de cancers hormonodépendants (sein, utérus, prostate, testicules), mais les données actuellement disponibles ne permettent pas de confirmer ce lien. » Eu égard à tout ce qui a été dit sur la hantise du cancer, une telle formulation donne à réfléchir !
Quant aux « mesures effectives et proportionnées », elles ont été évoquées tout à l'heure. Le principe de précaution ne saurait faire l'objet d'une application systématique sans prise en compte de la réalité des pathologies.