INTRODUCTION GÉNÉRALE

« La justice élève sa voix ;
mais elle a peine à se faire entendre dans le tumulte des passions.
»

Lettre LXXXIII,
Usbek à Rhédi, à Venise,
De Paris, le premier de la lune de Gemmadi 1, 1715

Montesquieu, Lettres persanes , 1721

Mesdames, Messieurs,

Lorsqu'il est question, dans les débats politiques ou médiatiques, de la justice, on ne connaît que la justice pénale et on ignore la justice civile, la justice du quotidien de nos concitoyens, celle qui rend le plus de décisions. On ignore tout autant le travail des magistrats et des fonctionnaires, dans les services judiciaires et pénitentiaires, qui se dévouent au service de l'oeuvre de justice, dans des conditions matérielles souvent dégradées, car on ne voit que les décisions rendues dans les affaires pénales les plus médiatisées.

Au-delà de cette apparence, de cette image bien trop partielle, votre commission des lois a voulu s'attacher aux réalités concrètes et quotidiennes de la justice.

Aussi a-t-elle créé, lors de sa réunion du 29 juin 2016, une mission d'information sur le redressement de la justice. Cette décision faisait suite, notamment, à un premier travail de diagnostic commun avec la commission des lois de l'Assemblée nationale, dans le cadre d'un déplacement conjoint des présidents des commissions des lois des deux assemblées au tribunal de grande instance de Créteil et à la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy, en région parisienne, le 2 juin 2016. Elle est intervenue alors que le Gouvernement, par la voix de son garde des sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas, soulignait lui aussi la nécessité de redresser durablement les moyens de la justice.

L'ambition portée par cette mission d'information a été d'établir un diagnostic incontestable sur l'état de la justice en France et de dessiner, à partir de ce diagnostic, les voies du redressement de l'institution judiciaire.

En effet, en dépit des augmentations de crédits intervenues au cours des dix dernières années, le fonctionnement de la justice judiciaire et de l'administration pénitentiaire n'apparaît pas digne d'une grande démocratie. L'effort de redressement de la justice passe par la remise à niveau de ses moyens humains et matériels, permettant d'améliorer son classement parmi les pays européens comparables à la France, autant que par de profondes réformes d'organisation, seules de nature à justifier une hausse forte et durable de ses crédits budgétaires dans un contexte très contraint pour les finances publiques.

Souhaitant surmonter les confrontations partisanes lorsqu'il est question du fonctionnement de l'institution judiciaire, votre commission a décidé de confier la présidence et le rapport de cette mission à son président et de désigner, en outre, un représentant par groupe politique, assurant ainsi son caractère pluraliste.

En raison de l'importance de l'enjeu, le Sénat, lors de la séance du 13 juillet 2016, a conféré à votre commission des lois les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, pour lui permettre de mener à bien cette mission, en ayant accès à toutes les informations utiles.

Ainsi constituée, votre mission d'information a conduit ses travaux, sous forme d'auditions et de déplacements, jusqu'en mars 2017. Au cours de cette période, elle a entendu au Sénat 289 personnes lors de 117 auditions et a effectué 13 déplacements, dans des juridictions, des écoles de formation du ministère de la justice et des établissements pénitentiaires 1 ( * ) . Elle a également souhaité bénéficier de l'apport de la Cour des comptes et, afin d'élargir sa réflexion, a ouvert un espace participatif sur le site internet du Sénat.

Les travaux de votre mission se sont organisés autour de six grandes questions, qui ont servi de cadre aux auditions et déplacements :

- comment améliorer les capacités de gestion et d'évaluation au sein du ministère de la justice ainsi que la conception et le pilotage des réformes judiciaires ?

- comment améliorer l'organisation et le fonctionnement des juridictions de première instance et des cours d'appel ?

- comment recentrer le juge sur son office ?

- comment financer l'aide juridictionnelle et maîtriser les frais de justice ?

- comment désengorger les juridictions pénales et améliorer l'efficacité de la chaîne pénale, l'exécution des décisions de justice en matière pénale et l'application des peines ?

- quel est l'impact des innovations technologiques et financières dans le domaine de la justice ?

Votre mission a aussi voulu placer sa réflexion dans la continuité des grands travaux antérieurs du Sénat sur la justice, au premier rang desquels le rapport de notre regretté collègue Pierre Fauchon sur les moyens de la justice, en 1996 2 ( * ) , et celui de notre ancien collègue Christian Cointat sur l'évolution des métiers de la justice, en 2002 3 ( * ) , tous deux au nom de votre commission des lois. Elle fait également écho aux travaux plus lointains de la commission de contrôle sur les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité judiciaire, sous la présidence de notre regretté collègue Hubert Haenel et sur le rapport de notre ancien collègue Jean Arthuis, en 1991 4 ( * ) . Force est de constater que certaines des propositions de votre mission reprennent des propositions déjà formulées dans le cadre de ces travaux antérieurs, s'agissant notamment des moyens de la justice et des réformes de nature à améliorer sa gestion et son fonctionnement.

Votre mission s'est également appuyé sur les travaux plus récents de votre commission des lois, notamment les avis budgétaires de notre collègue Yves Détraigne sur la justice judiciaire 5 ( * ) et les rapports d'information entrant dans son champ d'investigation, notamment celui de notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat et de notre collègue Yves Détraigne sur la réforme de la carte judiciaire, en 2012 6 ( * ) , celui de notre ancienne collègue Virginie Klès et de notre collègue Yves Détraigne sur la justice de première instance, en 2013 7 ( * ) , et enfin celui de nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard sur l'aide juridictionnelle, en 2014 8 ( * ) .

Tout au long de ses travaux, votre mission s'est attachée à étudier aussi bien le fonctionnement du service public de la justice, en matière civile et pénale, que l'organisation des juridictions des différents degrés, l'efficacité de l'accomplissement par l'administration centrale du ministère de la justice de ses missions ou encore la situation des établissements pénitentiaires et le système d'exécution des peines. En raison de son champ déjà très vaste, votre mission n'a pas été en mesure d'examiner de façon assez approfondie les problématiques concernant la protection judiciaire de la jeunesse, même si elle n'en ignore pas les enjeux. Sur cette question, elle renvoie à l'avis budgétaire de notre collègue Cécile Cukierman 9 ( * ) .

*

* *

Le constat de départ est simple. Les crédits du ministère de la justice ont progressé année après année, en moyenne de 6,52 % par an entre 2002 et 2007, de 3,58 % entre 2007 et 2012 et de 2,93 % entre 2012 et 2017. Même si la progression des crédits a profité davantage à l'administration pénitentiaire, les crédits destinés à la justice judiciaire ont aussi augmenté régulièrement. Pour autant, à l'issue de ses nombreux déplacements dans les juridictions, votre mission ne peut que constater l'insuffisance de leurs moyens, humains comme financiers, au regard de l'ampleur de leurs activités. Les juridictions restent le parent pauvre du budget du ministère de la justice, pour ses effectifs comme pour ses crédits immobiliers ou encore de fonctionnement courant.

Sur la base de ce constat largement partagé, votre mission ne peut qu'appeler à un redressement plus marqué et durable des moyens de la justice, dans le cadre d'un effort pluriannuel.

En revanche, sans ignorer le débat en cours sur la place de l'autorité judiciaire dans nos institutions, votre mission ne s'est pas donné pour ambition de refonder l'autorité judiciaire, mais d'améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, dans l'intérêt des justiciables et dans le respect des magistrats et des fonctionnaires qui y concourent. Elle a donc conduit sa réflexion à cadre constitutionnel constant, sous réserve de la nécessité de faire aboutir la révision constitutionnelle concernant le statut du parquet, à ce jour adoptée par les deux assemblées en termes identiques.

La loi de finances pour 2017 comporte une inflexion positive du budget alloué au ministère de la justice. Votre mission juge nécessaire de revaloriser de façon plus notable encore, mais également durable, selon une perspective pluriannuelle, les crédits alloués à cette grande fonction régalienne. Pour autant, elle considère qu'une telle revalorisation des crédits de la justice suppose une profonde réforme d'organisation et de structure, pour améliorer la gestion du ministère et le fonctionnement des juridictions.

Cet effort budgétaire durable devra se traduire dans une nouvelle loi de programmation quinquennale pour la justice, élaborée après une large concertation et soumise au Parlement au début de la prochaine législature
- la dernière loi de programmation dans ce domaine remonte à 2002. Cette loi déterminera également les réformes structurelles qui seront mises en oeuvre sur la même période, certaines rapidement, d'autres, qui demanderont une préparation plus longue, progressivement. Votre mission est consciente que de telles réformes ne peuvent pas être des moyens de compenser ou de partager la pénurie actuelle. Dans certains cas, l'accroissement des moyens devra donc précéder la mise en oeuvre des réformes.

À cet égard, au cours des dernières années, la réforme judiciaire a souvent été un succédané au manque de moyens, de sorte qu'elle ne pouvait atteindre réellement ses objectifs. Les réformes judiciaires à venir devront donc être assorties des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre, évalués par une étude d'impact rigoureuse et approfondie, établie dans le cadre d'une coordination renforcée entre les différentes directions du ministère de la justice. Il faut mettre fin à une méthode d'élaboration des réformes législatives déconnectée de la réalité du travail des juridictions.

Votre mission a également pu observer que l'inflation et l'instabilité législatives pèsent sur le travail des juridictions. Souvent des lois peu utiles accroissent leur charge de travail. Une pause législative dans le domaine de la justice civile et pénale - ou tout au moins une modération législative - est unanimement réclamée par l'institution judiciaire, sans préjudice d'un utile travail de simplification et d'allègement des procédures, notamment dans la perspective de leur dématérialisation, que votre mission souhaite rapide.

Plus largement, votre mission souhaite que l'institution judiciaire soit, demain, à l'abri des soubresauts résultant des alternances politiques, à l'instar des autres grandes fonctions régaliennes que sont la défense, les affaires étrangères ou la lutte contre le terrorisme, mais aussi des à-coups budgétaires, de façon à sanctuariser ses crédits, comme pour les autres autorités de rang constitutionnel. On peut s'étonner que ce ne soit pas déjà le cas aujourd'hui.

*

* *

À l'issue d'un constat chiffré et précis, après avoir rappelé quels sont les objectifs que l'on peut attendre de la réforme de la justice, votre mission a formulé 127 propositions, certaines opérationnelles, d'autres fixant des orientations à approfondir. Compte tenu de l'ampleur de son champ d'investigation, elle a fait le choix de ne pas rechercher l'exhaustivité, mais plutôt d'orienter ses recommandations dans les domaines qui lui sont parus prioritaires compte tenu de la situation actuelle des juridictions judiciaires et des prisons.

Votre mission a conçu ses propositions sans esprit de système, avec pragmatisme, dans le souci d'améliorer le fonctionnement au quotidien du service public de la justice.

D'un point de vue méthodologique, les propositions ainsi formulées se veulent complémentaires, liées les unes aux autres, formant un ensemble cohérent et, pour ainsi dire, les différents volets d'une réforme d'ensemble en vue du redressement de la situation de l'institution judiciaire, que devra concrétiser la loi de programmation proposée.

Les 127 propositions de la mission s'articulent autour de plusieurs orientations principales, qui revêtent une importance plus structurante :

- relever le budget et les effectifs de la justice par le vote d'une loi de programmation quinquennale ;

- moderniser le service public de la justice grâce aux technologies numériques ;

- pour renforcer l'accessibilité de la justice et sa proximité avec le justiciable, créer le tribunal unique de première instance ;

- proposer une justice capable de régler rapidement les litiges de la vie courante en développant la conciliation et en la rendant plus efficace ;

- pour améliorer l'efficacité de la justice, fonder un nouveau modèle de cour d'appel ;

- renforcer l'équipe de collaborateurs qui entoure le juge, pour lui permettre de se recentrer sur sa fonction de juger ;

- assurer un financement structurel de l'aide juridictionnelle, tout en renforçant le contrôle de son attribution et en mobilisant davantage la protection juridique assurantielle ;

- rendre plus efficace l'exécution des peines ;

- créer 15 000 nouvelles places de prison, adaptées et diversifiées.

*

* *

Enfin, au terme de leurs nombreux déplacements, les membres de votre mission tiennent à souligner le dévouement des magistrats, greffiers et personnels judiciaires et, trop souvent, leur désarroi face au manque de moyens et aux dysfonctionnements qu'ils subissent au quotidien. La réforme de la justice ne doit pas seulement améliorer son organisation et son fonctionnement, mais redonner confiance aux personnes qui la servent. Les membres de votre mission sont convaincus que l'institution judiciaire fonctionne essentiellement grâce à leur dévouement : une telle situation ne peut se prolonger indéfiniment.

Si, dans le cadre des auditions et des déplacements de votre mission, aucun magistrat ne s'est plaint de manquer d'indépendance dans l'exercice de ses fonctions, toutes les personnes rencontrées ont insisté sur le manque récurrent de moyens et sur les conditions matérielles très dégradées dans lesquelles la justice est rendue chaque jour.

La fonction de juger est une fonction noble et exigeante, qui justifie que l'État y consacre des moyens suffisants, dans un cadre plus efficace, au service des justiciables qui la sollicitent et pour la dignité des magistrats et des fonctionnaires qui la servent.

I. LE CONSTAT PARTAGÉ D'UNE HAUSSE RÉGULIÈRE DES MOYENS DE LA JUSTICE, SANS AMÉLIORATION SIGNIFICATIVE DE SON FONCTIONNEMENT

Si l'augmentation des ressources allouées à la justice depuis quinze ans est continue, elle n'a toutefois pas permis d'améliorer significativement son fonctionnement et le service public rendu aux justiciables.

A. UNE HAUSSE RÉGULIÈRE ET SOUTENUE DES MOYENS DE LA JUSTICE DEPUIS QUINZE ANS

1. Une augmentation globale bénéficiant à tous les secteurs de la justice, tant en termes de crédits que d'effectifs

Les crédits votés par le Parlement 10 ( * ) alloués au ministère de la justice 11 ( * ) ont fait l'objet d'une augmentation continue depuis 2002, date de l'adoption de la dernière loi de programmation pour la justice 12 ( * ) , de près de 89,06 % au total. Ils sont ainsi passés de 4,518 à 8,542 milliards d'euros entre 2002 et 2017.

Par voie de conséquence, depuis 2002, les services judiciaires (+ 1,603 milliard d'euros, soit + 93,32 %) et l'administration pénitentiaire (+ 2,235 milliards d'euros, soit + 161,35 %) ont connu une très forte progression de leurs crédits , tant en proportion qu'en valeur absolue. Les autres programmes ont aussi bénéficié de hausses de crédits, même si elles ont été moins marquées. Ainsi ceux de la protection judiciaire de la jeunesse, dont le budget a augmenté de 53,34 % entre 2002 et 2017 (+ 287,925 millions d'euros), ou des crédits affectés à l'accès au droit et à la justice, comprenant notamment l'aide juridictionnelle, qui ont augmenté de près de 37,41 % (+ 109,597 millions d'euros) sur cette même période.

Depuis 2007, soit au cours des dix dernières années, le budget de la justice a augmenté de près de 37,83 %, passant de 6,198 milliards d'euros en 2007 à 8,542 milliards d'euros en 2017, et ce toujours de manière plus marquée pour l'administration pénitentiaire, qui a fait l'objet d'une progression particulièrement dynamique de près de 1,378 milliard d'euros (+ 61,5 %), alors que les services judiciaires bénéficiaient de 722,152 millions d'euros supplémentaires (+ 27,79 %).

Source : commission des lois du Sénat à partir du budget voté « Justice » pour 2002,
des rapports annuels de performances « Justice
» pour 2007, 2012 et 2015,
des projets annuels de performances de la mission « Justice »2017
et de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

Cette dynamique a concerné toutes les législatures : + 1,680 milliard d'euros entre 2002 et 2007, + 1,194 milliard d'euros entre 2007 et 2012, et enfin + 1,150 milliard d'euros entre 2012 et 2017. Cet effort budgétaire est allé de pair avec le vote de créations d'emplois, les crédits consacrés à la masse salariale étant majoritaires au sein de la mission « Justice » : de 58,92 % du budget total en 2002, ils se stabilisent depuis 2010 autour de 61 %. D'un montant de 2,662 milliards d'euros en 2002, ils dépassent désormais les 5,323 milliards d'euros en loi de finances initiale pour 2017. L'augmentation de la masse salariale résulte principalement de l'autorisation de créations d'emplois : près de 17 690 emplois 13 ( * ) supplémentaires entre 2002 et 2017, dont près de 11 203 emplois sur la seule période 2007-2017.

Évolution des emplois de la mission « Justice » depuis 2002
(en équivalents temps plein travaillés - ETPT 14 ( * ) )

2002

2007

2012

2015

2017

Évolution sur 15 ans
2002-2017

Évolution sur 10 ans
2007-2017

Plafond prévu 15 ( * )

Plafond prévu

Plafond prévu

Plafond prévu

Plafond prévu

En %

En valeur

En %

En valeur

Justice judiciaire

28 369

30 286

31 137

31 642

32 748

15,44

4 379

8,13

2 462

Administration pénitentiaire

27 755

31 297

35 518

36 772

39 207

41,26

11 452

25,27

7 910

Protection judiciaire
de la jeunesse

7 439

8 806

8 428

8 598

9 092

22,22

1 653

3,25

286

Conduite et pilotage
de la magistrature

1 965

1 619

1 822

1 953

2 157

9,77

192

33,23

538

Conseil supérieur
de la magistrature

8

15

22

22

22

175,00

14

46,67

7

Total des effectifs
de la mission « justice »

65 536

72 023

76 927

78 987

83 226

26,99

17 690

15,55

11 203

Part des effectifs
de la justice judiciaire
sur le total de la mission

43,3 %

42,1 %

40,5 %

40,1 %

39,3 %

- 9,10

-

- 6,43

-

Part des effectifs
de l'administration pénitentiaire sur le total de la mission

42,4 %

43,5 %

46,2 %

46,6 %

47,1 %

11,24

-

8,41

-

Source : commission des lois du Sénat à partir des budgets votés « Justice » et du compte rendu de gestion budgétaire « Justice » pour 2002, des rapports annuels de performances pour 2007 et 2015,
ainsi que des projets annuels de performances de la mission « Justice » pour 2017.

Le rythme des prévisions de créations d'emplois a été soutenu dès 2002 : 6 487 postes entre 2002 et 2007, 4 904 entre 2007 et 2012, et enfin 6 299 postes entre 2012 et 2017.

La Cour des comptes, entendue par votre mission, a confirmé son analyse des augmentations budgétaires dont a bénéficié la justice sur longue période et a relevé, par ailleurs, la « rigidité » du budget de la mission « Justice », en partie du fait de l'importance des crédits de masse salariale.

2. L'administration pénitentiaire devenue le premier budget de la justice depuis 2012

Les crédits consacrés à l'administration pénitentiaire représentent une part toujours plus importante des dépenses de la mission « Justice », jusqu'à devenir le premier budget de la mission depuis 2012, devant la justice judiciaire. Dotée de 1,385 milliard d'euros en 2002 (contre 1,718 pour les services judiciaires), l'administration pénitentiaire représente en 2017 plus de 3,620 milliards d'euros de crédits (contre 3,321 pour la justice judiciaire). L'écart entre les deux programmes s'élève pour l'année 2017 à près de 298,974 millions d'euros, en faveur de l'administration pénitentiaire, ce qui a souvent été rappelé à votre mission lors de ses auditions et surtout dans ses différents déplacements, alors qu'était évoquée la hausse régulière du budget alloué aux juridictions judiciaires.

Au total, sur dix ans , les crédits consacrés à l'administration pénitentiaire sont passés d'une proportion de 36,16 % du budget total de la mission « Justice » en 2007 à 42,37 % en 2017 , quand la part de ceux des services judiciaires a diminué de 41,92 % à 38,87 % sur la même période. L'importance des effectifs de l'administration pénitentiaire par rapport à ceux des services judiciaires est également notable, et ce dès 2007. Cet écart en faveur de l'administration pénitentiaire n'a cessé de croître, de 1 011 postes en loi de finances initiale pour 2002, à 6 459 postes en loi de finances initiale pour 2017, les effectifs prévisionnels de l'administration pénitentiaire pour 2017 dépassant désormais les 39 000 emplois.

La progression des crédits et des effectifs du ministère de la justice a incontestablement profité davantage à l'administration pénitentiaire qu'aux services judiciaires.

3. Des difficultés d'exécution budgétaire persistantes, même si la situation s'est améliorée

En outre, si la consommation des crédits du budget de la justice s'est améliorée depuis 2002 16 ( * ) , elle n'atteint toujours pas l'objectif d'une exécution complète des crédits votés par le législateur, ce qui a pour effet de minorer la réalité des augmentations budgétaires. Alors que la sous-exécution du budget de la justice était notable en 2002 avec près de 9,16 % du budget non exécuté, la situation s'est améliorée dès 2007, avec un taux de sous-exécution proche de 1 %, puis de 0,66 % en 2015, dernier exercice dont le bilan est connu.

Source : commission des lois du Sénat à partir des crédits votés et du compte rendu de gestion budgétaire « Justice » pour 2002, des rapports annuels de performances pour 2007, 2012 et 2015.

Pour l'année 2016 17 ( * ) , ce sont toutefois près de 52 millions d'euros de crédits de paiement qui ont dû être annulés faute d'avoir pu être dépensés, dont 26 millions qui auraient pu être consacrés au recrutement de personnels des services judiciaires, magistrats et fonctionnaires. Votre mission a pu en effet constater que le plafond d'emplois voté chaque année par le Parlement, s'il est en augmentation constante, est toutefois sous-exécuté de manière récurrente, ce qui peut minorer les créations d'emplois prévues.

Évolution des effectifs réellement créés de la mission « Justice » depuis 2002

(en équivalents temps plein travaillés - ETPT 18 ( * ) )

2002

2007

2012

2015

Plafond prévu

Emplois créés

Exécution

Plafond prévu

Emplois créés

Exécution

Plafond prévu

Emplois créés

Exécution

Plafond prévu

Emplois créés

Exécution

Justice judiciaire

28 369

28 225

- 144

30 286

29 018

- 1 268

31 137

30 575

- 562

31 642

30 787

- 855

Administration pénitentiaire

27 755

26 822

- 933

31 297

30 791

- 506

35 518

35 080

- 438

36 772

36 212

- 560

Protection judiciaire
de la jeunesse

7 439

nc

nc

8 806

8 377

- 429

8 428

8 201

- 227

8 598

8 480

- 118

Conduite et pilotage
de la politique
de la justice

1 965

1 963

- 2

1 619

1 671

52

1 822

1 652

- 170

1 953

1 884

- 69

Conseil
supérieur
de la magistrature

8

8

0

15

4

- 11

22

18

- 4

22

18

- 4

Total des
effectifs de la mission « justice »

65 536

57 018

nc

72 023

69 861

- 2 162

76 927

75 526

- 1 401

78 987

77 381

- 1 606

Source : commission des lois du Sénat à partir du budget voté et du compte rendu de gestion budgétaire « Justice » pour 2002, des rapports annuels de performances pour 2007, 2012 et 2015.

Il faut néanmoins noter une amélioration de cet indicateur d'exécution du plafond d'emplois depuis dix ans, puisqu'en 2007 le taux de sous-consommation des emplois était de 3 % et de 1,82 % en 2012, même s'il faut noter une légère dégradation à 2,03 % de sous-consommation en 2015. Pour l'année 2015, 1 606 emplois 19 ( * ) , soit 2 % du plafond total, n'ont finalement pas été créés sur l'ensemble des programmes suivis par le ministère de la justice. Votre mission déplore le décalage systématique entre le plafond d'emplois prévu et les emplois effectivement créés, qui affecte la sincérité de la programmation budgétaire et réduit la portée des annonces de créations d'emplois.


* 1 La mission s'est déplacée dans 15 juridictions, 4 centres pénitentiaires et 3 écoles (École nationale de la magistrature, École nationale des greffes et École nationale de l'administration pénitentiaire), ainsi que dans les locaux de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires et sur le chantier du futur palais de justice de Paris.

* 2 Quels moyens pour quelle justice ? Rapport d'information n° 49 (1996-1997) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois, sur les moyens de la justice, déposé le 30 octobre 1996. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/1996/r96-49-notice.html

* 3 Quels métiers pour quelle justice ? Rapport d'information n° 345 (2001-2002) de M. Christian Cointat, fait au nom de la commission des lois, sur l'évolution des métiers de la justice, déposé le 3 juillet 2002. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/2001/r01-345-notice.html

* 4 Rapport n° 357 (1990-1991) de M. Jean Arthuis, fait au nom de la commission de contrôle chargée d'examiner les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité judiciaire, déposé le 5 juin 1991. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/1990/r90-357-1-notice.html

* 5 Avis n° 146 (2016-2017) de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de finances pour 2017, déposé le 24 novembre 2016. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a16-146-9/a16-146-9.html

* 6 La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée . Rapport d'information n° 662 (2011-2012) de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois, sur la réforme de la carte judiciaire, déposé le 11 juillet 2012. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-662-notice.html

* 7 Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance . Rapport d'information n° 54 (2013-2014) de Mme Virginie Klès et M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois, sur la justice de première instance, déposé le 9 octobre 2013. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-054-notice.html

* 8 Aide juridictionnelle : le temps de la décision . Rapport d'information n° 680 (2013-2014) de Mme Sophie Joissains et M. Jacques Mézard, fait au nom de la commission des lois, sur l'aide juridictionnelle, déposé le 2 juillet 2014. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-680-notice.html

* 9 Avis n° 146 (2016-2017) de Mme Cécile Cukierman, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de finances pour 2017, déposé le 24 novembre 2016. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/a16-146-10/a16-146-10.html

* 10 Ces crédits correspondent aux crédits établis en loi de finances initiale.

* 11 Ont été retenus les crédits de paiement du périmètre le plus récent de la mission « Justice », établi en loi de finances initiale pour 2017. Les crédits 2002 ont été reconstitués par la commission des lois du Sénat et sont présentés selon la nomenclature budgétaire de la loi de finances pour 2017, afin de permettre la comparaison des données à périmètre le plus constant possible.

* 12 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.

* 13 Les plafonds d'emplois de l'année 2002 ont été reconstitués et sont présentés selon la nomenclature de la loi de finances initiale pour 2017, afin de faciliter la comparaison. La loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances a défini une nouvelle comptabilisation des effectifs en équivalents temps plein travaillés (ETPT). Jusqu'à l'entrée en vigueur de ce décompte en ETPT pour la loi de finances initiale pour 2005, les effectifs étaient décomptés en « emplois ouverts ». Les chiffres pour 2002 sont donc mentionnés à titre indicatif mais ne relèvent pas du même mode de comptabilisation en ETPT.

* 14 Ibid .

* 15 Le plafond prévu correspond au plafond d'emploi autorisé en loi de finances initiale de l'année considérée.

* 16 Voir supra page 36 .

* 17 Décret n° 2016-1652 du 2 décembre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 18 Voir supra page 38 .

* 19 En équivalents temps plein travaillés (ETPT).

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