EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 24 mars 2016 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt, le débat suivant s'est engagé :

M. Alain Vasselle . - La proposition de résolution européenne aidera-t-elle à lever les difficultés que Frontex rencontre avec la Macédoine et la Serbie ? Vos propositions, si nous les avions adoptées plus tôt, auraient-elles pu éviter les évènements récents de Belgique ? Un des terroristes impliqué a été expulsé de Turquie vers les Pays-Bas avant de rentrer en Belgique, et la Belgique n'a pris aucune mesure contre lui. Le contrôle des frontières n'est donc pas suffisant.

M. Éric Bocquet . - Il s'agit d'un sujet grave, et cette crise met à mal l'idée européenne. Soyons modestes : nul n'a la solution. Bien sûr, nous devons contrôler nos frontières, mais nous n'empêcherons pas les migrants de passer. Après la fermeture de la route des Balkans, la pression s'accroît à Vintimille... Vers quelles solutions guideraient les « structures d'orientation » que vous évoquez ? De quels moyens disposeraient-elles ? Les conflits en Syrie et en Irak doivent être l'objet d'un effort supplémentaire de la diplomatie européenne. Quant à l'accord avec la Turquie, quel aveu d'échec ! Je m'abstiendrai sur le texte qui nous est proposé.

M. André Gattolin . - Il est dommage que certains principes ne soient pas mentionnés dans cette proposition de résolution européenne. Ce qui se passe aux frontières de Schengen est analogue à ce que nous voyons à Calais, et explique l'inquiétude de nos concitoyens. Le droit d'asile est supérieur aux autres droits, et il est d'une gestion complexe : le demandeur vient souvent malgré lui, et souhaite souvent revenir chez lui dès que possible. D'ailleurs, la majorité des migrants restent aux frontières turques, libanaises ou jordaniennes, pour s'éloigner le moins possible. Si nous n'avions pas laissé se dégrader la situation de leurs camps sur place, ils ne seraient pas venus si massivement vers l'Europe. Sur le plan géostratégique, on constate que la Russie a laissé passer 6 000 migrants venus de Syrie et d'Afghanistan, qui ont franchi la frontière norvégienne à vélo. Les responsables norvégiens y voient une réplique aux sanctions occidentales, et je considère que le bombardement désordonné d'Alep a augmenté de plusieurs milliers le nombre de candidats à l'exil... Renforcer Frontex, très bien, mais ses compétences sont floues quand il s'agit d'intervenir dans les pays candidats à l'adhésion, dont le système judiciaire et policier reste souverain. Je m'abstiendrai sur cette proposition de résolution.

M. Pascal Allizard . - Le coût de 100 milliards d'euros - dont 10 milliards d'euros pour la France - évoqué en cas de rétablissement des frontières intérieures ne correspond-il pas aux économies que nous avons réalisées en les abolissant, mais que nous n'avons pas affectées à un meilleur contrôle des frontières extérieures ?

M. Richard Yung . - Je suis favorable à la plupart de vos propositions. J'espère que l'installation de hotspots progresse. La remise en cause de la souveraineté que vous proposez n'est-elle pas irréaliste ? Quelle chance avons-nous de la voir aboutir ? Même la relocalisation n'est pas acceptée par tous les États. Quant à l'harmonisation des jurisprudences, comment voulez-vous la mettre en oeuvre ? Les juges sont indépendants.

M. André Reichardt, rapporteur . - Bien sûr, nous n'avons pas rappelé tous les principes dans cette proposition de résolution. L'aspect humanitaire de cette crise est évident, non moins que ses dimensions économiques ou sécuritaires. Nous proposons des mesures d'urgence pour remédier aux dysfonctionnements flagrants de Schengen. En particulier, il faut de vrais contrôles, biométriques, à l'extérieur, pour préserver la libre circulation à l'intérieur. On voit bien que la Grèce est débordée, et l'Italie n'a guère fait mieux qu'elle. Frontex doit donc monter en puissance, et la souveraineté des États passer au second rang. Il en va de l'avenir de l'Union européenne. Ce débat est indispensable. Les moyens de Frontex doivent être accrus. Les structures dont nous préconisons la création pourront assurer aussi un hébergement décent aux migrants. Il serait mieux qu'elles soient situées dans des pays tiers. Sinon, il est impossible de renvoyer les personnes déboutées. Pour la Macédoine et la Serbie, nous préconisons que Frontex puisse les aider si elles le demandent.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Pour harmoniser les jurisprudences en matière de droit d'asile, je proposais la création d'une cour d'appel européenne compétente pour traiter les recours juridictionnels contre les décisions administratives prises dans chaque État membre. Cela facilitera aussi la relocalisation, et sa jurisprudence obligera les instances nationales à converger.

M. André Reichardt, rapporteur . - Je m'y suis opposé, car je crois que c'est irréaliste. D'où la formulation retenue.

M. André Gattolin . - J'ai eu à intervenir auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui s'apprêtait à renvoyer un Tibétain en Chine car il n'avait pas trouvé le bon traducteur, et on ne lui avait pas laissé le temps de faire appel !

M. Daniel Raoul . - La proposition de M. Leconte me gêne car elle remet en cause plusieurs principes de droit. Envoyer le corps de garde-frontières européens dans un pays tiers me gêne aussi : ce serait un corps expéditionnaire !

M. Jean Bizet, président . - Cela se ferait à la demande du pays concerné.

M. Daniel Raoul . - Mais reviendrait à déplacer la frontière.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - La Macédoine et la Serbie n'ont pas accès à Eurodac ni aux bases européennes. Du coup, les migrants sont enregistrés plusieurs fois dans des systèmes différents. La Macédoine submergée a demandé à la Hongrie et à la Slovaquie de lui envoyer des effectifs, et ceux-ci ont manqué à Frontex, qui en avait besoin. Il aurait mieux valu répondre à la demande de ces pays en leur fournissant l'aide de Frontex.

Les contrôles biométriques nous rendraient plus crédibles face à la Turquie lorsque nous lui demandons de ne pas admettre nos ressortissants suspectés de vouloir se rendre en Syrie. Certes, la fermeture d'une voie en ouvre d'autres, ce qui fait la fortune des passeurs. C'est pourquoi nous devons avoir une voie d'accès robuste et durable. Quant aux structures que nous évoquons, il peut s'agir simplement de bureaux. La situation actuelle ne peut pas perdurer. Il faut donc consentir à un partage de souveraineté.

M. Daniel Raoul . - Un contrôle biométrique est-il réaliste ? Cela requiert de gros investissements, et le débit n'est pas le même.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Le système d'information de Schengen a coûté trois fois plus que prévu...

M. Jean Bizet, président . - Quels amendements voulez-vous porter au texte de la proposition de résolution, M. Leconte ?

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Il faudrait écrire : « Considérant qu'aux frontières de l'Union européenne la Turquie, le Liban, la Jordanie, l'Égypte font face à de très nombreux réfugiés qui résultent des crises syrienne, libyenne, mais aussi de la situation au Yémen, en Érythrée, au Soudan ou en Afghanistan, que la Turquie, le Liban et la Jordanie accueillent chacun plus de deux millions de réfugiés, que l'exil vers l'Europe d'une part de ces réfugiés s'explique par le besoin de trouver un endroit où une perspective de vie pourrait leur être offerte » et « Considérant que l'Union européenne doit être à la hauteur de ses valeurs fondatrices en ne laissant pas le Liban, la Jordanie, la Turquie, la Tunisie et l'Égypte seuls face aux tragédies du Moyen-Orient, et que cette solidarité est la condition pour ne pas aggraver la situation dans ces pays et ses répercussions en Europe. »

M. Daniel Raoul . - Ça tourne à la logorrhée !

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Ce sont des considérants. Je souhaite également que la proposition de résolution souligne qu'obtenir une protection donne aussi le droit au regroupement familial, et aborde la question de l'exemption de visas avec la Turquie.

M. Jean Bizet, président . - Ne bouleversons pas un texte, pour lequel vous étiez parvenus à un équilibre... Son point n° 38 ne déplace pas les frontières, mais prévoit l'appui de Frontex si le pays le réclame.

M. André Reichardt, rapporteur . - Ces nouveaux considérants ne font qu'expliciter la proposition de résolution, sauf en ce qui concerne le regroupement familial. L'« orientation » des migrants devrait permettre de prendre en compte toutes les questions dont celle du regroupement familial. Encore faut-il que les services concernés disposent de suffisamment d'informations.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - Il faut créer des voies crédibles, robustes, légales. La remise en cause du droit au regroupement familial est dangereuse.

M. Jean Bizet, président . - Je vous propose d'adopter la proposition de résolution en l'état. Elle sera ensuite examinée par la commission des lois.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur . - L'équilibre du texte n'est pas tout à fait atteint, puisqu'il ne réaffirme pas certains principes fondamentaux.

À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté - MM. Éric Bocquet et André Gattolin s'abstenant - la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

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