B. UNE CRAINTE : LE RISQUE D'EXPLOITATION DE MIGRANTS VULNÉRABLES

Considérant que cette problématique du croisement entre traite des êtres humains et crise des migrants devait absolument être prise en compte, les co-rapporteures ont souhaité rencontrer des acteurs de terrain au cours d'une table ronde organisée le 25 novembre 2015, et se sont rendues à Calais le 11 janvier 2016, à l'invitation de l'association France Terre d'Asile 104 ( * ) .

1. Calais : un enfer pour des migrants en situation d'extrême fragilité
a) Une « jungle » qui porte bien son nom : des conditions de vie infra-humaines

Lieu de transit incontournable pour les personnes cherchant à rejoindre le Royaume-Uni, Calais et le nord de la France connaissent depuis 25 ans une présence importante de migrants. En 1999 était créé un hangar à Sangatte, le Centre d'hébergement et d'accueil d'urgence humanitaire, géré par la Croix-Rouge. En trois ans, 67 000 migrants avaient séjourné dans ce camp. Malgré sa fermeture en 2002, l'afflux de migrants n'a pas été jugulé et les camps de fortune se sont multipliés, au gré des crises touchant le Moyen-Orient et le continent africain.

Le nombre de migrants a considérablement augmenté en 2014 et 2015 . Il n'y a pas de recensement officiel, mais la CNCDH estime qu'au début du mois de juillet, 2 500 à 3 000 migrants étaient présents dans les camps de Calais. L'association France Terre d'Asile a précisé que l'été 2015 a favorisé une arrivée massive de personnes, dont le nombre était estimé à 6 242 en octobre 2015. Lors de la visite de la délégation, ce nombre était évalué entre 3 800 et 4 200 personnes à Calais, la diminution étant liée à l'arrivée de la période hivernale mais surtout à l'impact du Plan Migrants 105 ( * ) .

La « jungle 106 ( * ) » de Calais regroupe plusieurs nationalités réparties en zones géographiques distinctes au sein des camps : Afghanistan, Syrie, Irak, Soudan, Érythrée, Égypte, mais également Vietnam. Sept camps sont identifiés à Calais : quatre le long de l'autoroute menant à Calais et trois le long de l'autoroute menant à Dunkerque. Le camp le plus important est appelé la « new jungle » par les migrants, la « lande » par les pouvoirs publics, et le « bidonville » par les associations locales .

Une vision d'épouvante saisit toute personne qui découvre le camp principal : des milliers de migrants vivent, ou plutôt survivent, dans une sorte de décharge à ciel ouvert, dans le dénuement le plus total. Ils sont installés dans des abris de fortune, dangereux et insalubres, composés de bâches, de sacs poubelles ou de morceaux de bois abîmés. La « rue » principale est un chemin boueux où il est impossible d'avancer normalement. Ordures et excréments jonchent le sol, même si la situation s'est dernièrement nettement améliorée avec l'arrivée récente de plusieurs toilettes mobiles et de points d'eau installés par l'association humanitaire ActionAid 107 ( * ) . Auparavant, il n'existait qu'un seul point d'eau de trois robinets, obligeant les personnes à parcourir plus d'un kilomètre pour s'y rendre, et les toilettes n'étaient pas accessibles entre 19h et midi. Cette situation intolérable avait été dénoncée par la CNCDH dans son avis du 2 juillet 2015 108 ( * ) . Paradoxalement, on trouve dans une zone du camp des « boutiques », sortes de guérites vendant boissons et sandwiches, et quelques « bars », dans lesquels les hommes peuvent se retrouver. Aucune femme n'ose s'y aventurer. Les femmes seules, d'ailleurs, dans les « rues » de cette zone, sont extrêmement rares.

Lors de la visite des co-rapporteures, des containers - manifestement sans fenêtres - étaient installés en vue d'accueillir 1 500  personnes, familles et hommes isolés, devant s'ajouter aux 200 femmes et filles accueillies dans une zone sécurisée qui leur est réservée dans le centre Jules Ferry ( cf. infra ). Les associations de terrain sont sollicitées pour sélectionner les familles qui devront avoir accès prioritairement à ces containers qui leur permettront de vivre dans des conditions plus acceptables. Mais il restera environ 2 000  personnes qui ne pourront être ainsi logées, et ce nombre risque fortement d'augmenter avec l'arrivée du printemps, lorsque le temps sera plus favorable aux déplacements de migrants depuis leur pays d'origine.

Une évacuation de la zone sud du camp de la « jungle » a commencé le 29  février 2016 à l'initiative des pouvoirs publics, qui présentent cette démarche comme une « opération humanitaire » destinée à proposer « des solutions à tous 109 ( * ) », tandis que les associations, qui ont saisi la justice contre cette évacuation, dénoncent une « violation des droits fondamentaux des individus 110 ( * ) » et des solutions d'accueil et d'hébergement insuffisantes.

b) La situation des femmes et des jeunes filles

Dans son avis du 2 juillet 2015, la CNCDH faisait état de seulement 300 femmes à Calais. Lors de la table ronde du 25 novembre 2015, France Terre d'Asile évoquait une proportion de 10 à 12 % de femmes dans les différents camps du Calaisis, et de 55 % dans la « new jungle » . Lors du déplacement du 11 janvier 2016, les responsables associatifs rencontrés ont indiqué la présence de 1 000 femmes, tous camps confondus, et 120 jeunes filles . Leur proportion semble en hausse : elle est corrélée avec la fuite plus importante de familles entières depuis les pays du Moyen-Orient, en crise depuis plusieurs mois. Selon les informations recueillies le 4 décembre 2015 à Genève par Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure, auprès d'experts du Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, les migrations de familles pourraient être liées aux perspectives d'accueil en Allemagne (voir l'encadré ci-dessus). En outre, de plus en plus de femmes seules voyageaient également depuis la corne de l'Afrique.

L'existence d'un centre d'hébergement pour les mineurs isolés étrangers (MIE) à Saint Omer permet de sécuriser les plus jeunes, qui étaient 1 365 en 2014 et 1 403 - dont 140 jeunes filles - en 2015. La question des mineurs se pose en termes particulièrement graves si l'on considère que 10 000 enfants migrants auraient disparu en Europe au cours des deux dernières années. Le centre d'hébergement de Saint Omer permet aux mineurs isolés étrangers de se reconstruire et de se voir proposer un accompagnement en vue d'une intégration dans la société française. Cependant ce temps de répit n'est que temporaire pour la très grande majorité : 85 % d'entre deux quittent ou veulent quitter le dispositif pour revenir à Calais et tenter leur chance vers le Royaume-Uni.

Les femmes et jeunes filles rencontrées peuvent connaître deux situations assez différentes au sein du camp visité à Calais .

La première hypothèse est celle d'un logement au sein du centre Jules Ferry, qui accueille 200 femmes et jeunes filles dans un espace sécurisé (les hommes ne peuvent y accéder, mais les femmes peuvent demander à sortir à tout moment). Elles vivent dans ce centre, surnommé « Salam » par les migrants, soit dans des bâtiments préfabriqués, soit sous des tentes chauffées. Elles disposent toutes de lits, ont un accès aux douches et aux toilettes, et des tours de ménage sont organisés entre les colocataires de fortune. L'ensemble est plus que sommaire mais relativement digne.

On y rencontre des femmes avec leurs enfants, des femmes isolées et de petites filles. Parmi les témoignages poignants entendus par les co-rapporteures à Calais, il y avait le récit de cette jeune femme, prête à tout pour rejoindre son mari à Londres, qui tous les soirs essayait de faire la traversée en prenant des risques inouïs, et celui d'une petite fille qui s'était enfuie de Syrie avec son père qui venait tous les jours lui rendre visite. Ces réfugiées - y compris les petites filles - sortent du camp chaque nuit pour tenter leur chance vers le Royaume-Uni. Chaque nuit, hormis le week-end, car le trafic de camions roulant en direction du tunnel sous la Manche cesse en fin de semaine. En effet, la seule option est celle d'un passage clandestin en se cachant entre les marchandises d'un camion de livraison. Rappelons que le passage sans payer n'existe que dans des cas très exceptionnels (un seul a pu être cité ces derniers mois) : le tarif habituel demandé par les passeurs est de 9 000 à 10 000 livres sterling.

Les autres femmes restent à l'extérieur du centre, c'est-à-dire dans la jungle . Mais en traversant le camp on ne les aperçoit pas, car elles restent cachées à l'intérieur des tentes, souvent avec le reste de la famille. « Seuls des groupes d'hommes vont et viennent autour des multiples échoppes construites dans une des allées principales qui jouxtent l'église érythréenne », confirme un reportage de de l'hebdomadaire La Vie sur Calais. 111 ( * )

On comprend facilement que les femmes n'osent s'aventurer seules dehors, tant le climat d'insécurité est fort et pesant dans cette zone de non-droit où des milliers d'hommes circulent . « C'est dangereux pour une femme ici, on préfère rester dans nos tentes », souligne le témoignage d'une Afghane cité par l'hebdomadaire La Vie , qui relève par ailleurs ce propos d'une réfugiée kurde, évocateur du quotidien des femmes à Calais : « On a les bras qui s'allongent à force d'aller chercher de l'eau avec nos bidons ».

c) La traite des êtres humains : une réalité dans les camps

La question de la traite des êtres humains au sein des camps de migrants est malheureusement une réalité déjà tangible 112 ( * ) , ayant incité associations et pouvoirs publics - français et britanniques - à s'organiser pour lutter contre le phénomène.

Comme l'indiquait France Terre d'Asile dans sa contribution à la table ronde du 25 novembre 2015, la hausse importante du nombre de migrants dans la région depuis janvier 2014 et la forte exposition de certains migrants au risque de traite ont conduit le ministère de l'Intérieur, en lien avec les autorités britanniques 113 ( * ) , à renforcer l'aide apportée à ces victimes . En ce sens, France Terre d'Asile a proposé la mise en oeuvre d'un projet d'identification, d'information et d'orientation des victimes de la traite des êtres humains dans le Calaisis sur une période de 18 mois. Cette action s'inscrit pleinement dans le cadre du Plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains 2014-2016 de la MIPROF et s'appuiera sur une coordination étroite avec les acteurs locaux et nationaux, institutionnels comme associatifs. Elle vise à :

- développer une méthode d'identification des victimes , adaptée au contexte de la migration et à l'environnement calaisien ;

- mettre en place , pour la première fois, des maraudes spécifiques d'identification et d'information des victimes ;

- développer un schéma d'orientation pour ces victimes , en lien avec les dispositifs existants à l'échelle nationale, notamment, le dispositif national de mise à l'abri Ac.Sé ou le dispositif de mise à l'abri des mineurs isolés étrangers mis en oeuvre par le département du Pas-de-Calais. D'autres partenariats seront recherchés en fonction des profils rencontrés. Le projet prévoit aussi des actions d'acheminement des victimes vers des lieux sécurisés et des transferts immédiats dans des hôtels refuge, dans l'attente d'une mise à l'abri nationale ;

- proposer aux victimes des réponses d'urgence , à travers un dispositif d'hébergement sécurisé immédiat, dans l'attente de solutions pérennes ;

- développer des supports d'information adaptés aux publics vulnérables , ainsi qu'un module de formation des professionnels.

Il s'agit également de développer la coordination des acteurs locaux et nationaux en matière d'aide aux victimes de la traite des êtres humains .

Enfin, le projet est réalisé en pleine coopération avec les pouvoirs publics et comporte la tenue de comités de pilotage trimestriels.

Les premières maraudes d'information menées dans le cadre du projet ont permis de repérer trois circuits d'exploitation . Ainsi, sont identifiées :

- des personnes victimes de la traite ayant lieu sur les camps ;

- des personnes victimes de la traite dans le pays d'origine ou dans d'autres pays du parcours de migration ;

- des personnes victimes de la traite à leur arrivée au Royaume-Uni ; il s'agit notamment de Vietnamiennes exploitées dans des salons de massage ou de manucure.

Les témoignages recueillis sur le camp lors de la visite du 11 janvier 2016 ont confirmé ces analyses : ont été évoqués les cas de femmes qui, du jour au lendemain, ont été repérées fréquemment la nuit dans les bars fréquentés par les hommes du camp. Certaines ont dû faire face à des infections à répétition, ont contracté des maladies sexuellement transmissibles, voire ont dû subir des interruptions volontaires de grossesse.

D'ailleurs l'association Gynécologie sans frontières (GSF), qui intervient à Calais depuis novembre 2015, confirme la situation de détresse des femmes qui rapportent des cas de grossesses non désirées, de viols et d'agressions sexuelles subis pendant leur parcours vers l'Europe ou au sein des camps 114 ( * ) . GSF intervient dans des conditions matérielles très difficiles pour suivre les grossesses des femmes enceintes repérées dans la jungle, le camp de Calais étant selon cette ONG bien pire que certains camps comme ceux situés en Jordanie, où GSF est intervenu récemment auprès de réfugiés syriens.

Cette situation de détresse se perçoit aisément au vu d'un phénomène de « fraude à la paternité » qui semble se développer parmi les migrantes, selon certains témoignages qui font état du cas de mères n'ayant pas réussi à obtenir un titre de séjour à l'issue d'une procédure de demande d'asile : elles se tourneraient alors vers des hommes qui, moyennant des sommes comprises en 3 500 euros et 5 000  euros, procèderaient à de fausses reconnaissances de paternité.

2. Vers une amplification du phénomène de la traite ?

Compte tenu de ce lien entre le phénomène de traite des êtres humains et la crise des migrants, on est en droit de se demander si les cas de traite ne vont pas être multipliés de façon importante avec la poursuite des migrations massives vers l'Europe.

Comme le rappelait Florence Boreil, associée à la protection au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), au cours de la table ronde du 25 novembre 2015, « plus de 84 % des migrants qui arrivent en Europe proviennent des dix principaux pays « producteurs » de réfugiés. Au cours de leur parcours migratoire, ces personnes qui fuient les conflits et les persécutions sont susceptibles de tomber dans des situations de traite. Malgré les flux importants que l'on observe vers l'Europe, l'immense majorité des réfugiés accueillis dans le monde le sont dans les pays du sud.

Parmi les personnes sous le mandat du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés, figurent des réfugiés, des demandeurs d'asile, des apatrides et des personnes déplacées. La question de la traite est évidemment prégnante .

Le HCR tient et met à jour régulièrement une cartographie des arrivées de réfugiés. Depuis le 1 er janvier 2015, plus de 863 000 arrivées en Europe ont été recensées, dont 16 % de femmes et 22 % d'enfants . On estime à 3 510 le nombre de personnes disparues ou décédées lors des traversées extrêmement périlleuses en mer.

Les réfugiés rejoignent l'Europe par deux routes principales, l'une par la Grèce, l'autre par l'Italie, et poursuivent leur chemin à travers l'ex-République yougoslave de Macédoine, la Serbie, la Croatie et la Slovénie, pour espérer gagner l'Autriche, l'Allemagne ou les pays du Nord.

La situation parfois chaotique constatée aux frontières de l'Europe et l'absence de lieux d'accueil adaptés, notamment de lieux tenant compte du genre ou de la présence d'enfants, ont pu conduire à des situations d'exploitation des personnes en migration.

La vulnérabilité de ces personnes tient notamment au fait qu'elles souhaitent avant tout se mettre à l'abri, continuer leur chemin le plus rapidement possible, dans la hantise de voir les frontières se fermer. Cette extrême mobilité rend très difficiles la délivrance d'information aux victimes potentielles, ainsi que leur identification et leur prise en charge 115 ( * ) ».

Les femmes et les jeunes filles , en raison de leur grande vulnérabilité, semblent particulièrement exposées au risque de traite des êtres humains , bien que cette dernière concerne aussi les hommes. Ainsi une enquête menée en 2015 par le journal britannique The Guardian a permis de dénoncer la traite sous forme d'exploitation par le travail des migrants arrivés au Royaume-Uni ou en Irlande . Forcés à travailler sans repos sur des chalutiers, dans des conditions inhumaines, peu ou pas rémunérés : de nombreux migrants se sont donc retrouvés victimes de traite, dans des situations évaluées à de l'esclavage moderne par le CCEM.

Selon un article paru sur le site du journal Le Figaro en date du 5 novembre 2015, la Commission européenne estimerait à 3 millions le nombre de nouveaux migrants attendus en Europe d'ici 2017. Aussi, compte tenu de la poursuite du phénomène de migration, il devient essentiel de se demander si la question de la traite est suffisamment prise en compte dans le cadre de la gestion de la « crise des migrants ».

C'est pourquoi la délégation souhaite que les services de police aux frontières participant à l'accueil des migrants soient sensibilisés et formés aux risques de traite des êtres humains afin de contribuer à mieux identifier leurs victimes .

3. Les difficultés d'identification des victimes de la traite dans une situation exceptionnelle

Au-delà des chiffres et de pratiques de traite qu'il est difficile d'appréhender par nature , le phénomène de la traite liée au trafic de migrants est particulièrement délicat à gérer car les victimes se trouvent déjà dans une situation clandestine qui leur font craindre toute démarche officielle pour sortir de la traite.

Rappelons que dans la ligne du Pacte européen pour l'immigration et l'asile d'octobre 2008, la Commission européenne a déposé un ensemble d'instruments modifiant les directives et règlements en vigueur afin d'achever la mise en place du régime d'asile européen commun (RAEC). Ainsi, le 26 juin 2013, le Parlement Européen et le Conseil ont adopté le règlement (UE) n°604/2013, dit « Dublin III ».

Bon nombre de migrants, comme tous ceux rencontrés à Calais, craignent la moindre procédure d'identification qui figerait leur parcours de migration, et font donc en sorte de s'y soustraire . En effet, ce règlement 116 ( * ) vise à déterminer l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée par un ressortissant de pays tiers sur le territoire de l'un des États membres de l'Union européenne. Il vise à éviter l' « Asylum Shopping », c'est-à-dire le fait de permettre à un demandeur d'asile de choisir le pays dans lequel il introduira sa demande d'asile . Pour ce faire, le règlement de Dublin III dispose qu'une demande d'asile doit être examinée par le premier Etat européen dans lequel le migrant est arrivé. Celui-ci est susceptible d'y être reconduit s'il le quitte ensuite.

C'est la raison pour laquelle la préfecture des Alpes-Maritimes a été amenée, depuis avril 2014, à interpeler 27 000 migrants devant être renvoyés en Italie , pays par lequel ils avaient d'abord transité.

Les États concernés par le dispositif Dublin III

Il s'agit des 28 membres de l'Union européenne et de 4 pays associés : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark*, l'Espagne, l'Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays- Bas, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède mais également en tant qu'États associés : l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein.

* Le Danemark n'est pas soumis au Règlement « Dublin III », mais continue d'appliquer la Convention de Dublin, signée le 15 juin 1990 .

Lors de la table ronde du 25 novembre 2015, Coralie Capdeboscq, chef de file du groupe de référents « traite des êtres humains » de l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA), a rappelé que l'office a pris en compte ce problème et, à la faveur d'une réforme interne, a créé en 2013 des groupes de référents thématiques, l'un d'entre eux étant dédié à la traite des êtres humains  : « L'identification des victimes, étape indispensable à leur protection, est extrêmement difficile. En effet, les victimes sont toutes sous emprise : les exploiteurs mettent tout en oeuvre pour les empêcher de verbaliser leur parcours de vie véritable et leur qualité de victime de traite des êtres humains à l'appui de leur demande d'asile . L'identification passe généralement par des signalements, d'où la mise en place par l'OFPRA d'un mécanisme de coopération et de concertation avec les interlocuteurs associatifs et institutionnels pertinents. L'enjeu est bien d'amener les victimes à nous révéler leur véritable parcours, et notamment leur minorité (qui ouvre des droits procéduraux et de protection), sachant que les victimes mineures sont souvent déclarées majeures à l'appui de leur demande d'asile, sous l'effet des réseaux qui les exploitent.

L'un des axes majeurs du groupe de référents concerne la formation et la sensibilisation de tous les agents de l'office et des interprètes susceptibles d'auditionner des potentielles victimes en demande d'asile.

Le groupe de référents propose par ailleurs un appui à l'instruction sur ces cas, qui peut amener à des coopérations avec des interlocuteurs extérieurs et à l'élaboration d'éléments de doctrine ou de techniques particulières pour la conduite des entretiens, extrêmement délicats à mener.

Enfin, nous avons mis en place un dispositif d'information et d'orientation des personnes que nous rencontrons lors des entretiens personnels vers des associations spécialisées en matière de traite. Je rappelle que l'OFPRA agit pour sa part sur un domaine particulier de compétences, celui des craintes en cas de retour dans le pays d'origine du demandeur d'asile 117 ( * ) ».

Dans ce contexte, compte tenu du rôle déterminant joué par l'OFPRA, il pourrait être pertinent d'envisager l'installation d'une antenne de cet organisme à Calais. En effet, même si des équipes de l'office viennent sur le terrain, les demandeurs d'asile doivent se rendre à Paris afin d'effectuer les démarches auprès de l'OFPRA. Cette étape rajoute des contraintes pratiques à un parcours déjà complexe pour des personnes vulnérables .

Les considérations suivantes ont été partagées par les co-rapporteures à l'occasion des déplacements de terrain effectués en janvier 2016.

Tous les témoignages ont convergé pour souligner la nécessité de médiateurs culturels . Les migrants, déjà effrayés par toutes les difficultés rencontrées depuis qu'ils ont fui leur pays, sont facilement influençables par les réseaux de passeurs et de traite qui n'hésitent pas à faire circuler de fausses informations visant à maintenir une emprise sur eux. Tous les acteurs de la lutte contre la traite, institutionnels comme associatifs, ont reconnu que sans des intermédiaires connaissant la langue et la culture des migrants et des victimes potentielles de traite, il est extrêmement difficile, voire impossible de gagner la confiance de ces dernières. Le succès des actions mises en oeuvre pour venir en aide aux populations migrantes est donc directement lié à la présence de tels médiateurs culturels.

La délégation plaide donc pour la création, dans les meilleurs délais, des 50 postes de médiateurs culturels annoncés dans le cadre du Plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains 2014-2016.

Une recommandation sera formulée en ce sens.

Ensuite, d'après la directive 2013/33/UE du Conseil européen du 26 juin 2013 relative aux normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile, les États membres doivent prendre en compte la situation particulière des personnes vulnérables, parmi lesquels figurent explicitement les demandeurs d'asile victimes de la traite des êtres humains (visés à l'article 21). L'article 22 de la directive précise que les États membres évaluent si le demandeur a des besoins particuliers en matière d'accueil. L'article L. 744-6 du CESEDA - reprenant les termes de la directive - rend obligatoire l'évaluation de la vulnérabilité de tout demandeur d'asile « afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil ».

La réalisation de cette première évaluation incombe à l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) et concerne, entre autres, les victimes de la traite des êtres humains, puisque l'article mentionne explicitement, parmi les personnes vulnérables, ces victimes. Or le questionnaire défini par l'arrêté du 23 octobre 2015, sur lequel se basent les agents de l'OFII afin d'évaluer les besoins d'accueil des demandeurs d'asile vulnérables, ne concerne qu'un nombre partiel de vulnérabilités limitées à la grossesse, la maladie ou le handicap .

Plusieurs catégories de personnes vulnérables ne sont pas visées, parmi lesquelles les victimes de traite, qui ne seront identifiées que si elles font expressément état d'un besoin de prise en charge spécifique. Cette absence de recherche systématique des victimes de traite parmi les demandeurs d'asile constitue une carence non négligeable dans notre système d'accueil qui limite très fortement l'identification précoce des victimes potentielles. Ce constat implique la révision du questionnaire précédemment évoqué dans un sens permettant l'identification des victimes de la traite .

L'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII)

Issu de l'ancien d'Office national d'immigration, l'OFII est aujourd'hui placé sous la tutelle du Ministère de l'Intérieur, et remplit quatre principales missions que l'État lui a déléguées :

- la gestion des procédures régulières aux côtés ou pour le compte des préfectures et des postes diplomatiques et consulaires ;

- l'accueil et l'intégration des immigrés autorisés à séjourner durablement en France et signataires à ce titre d'un contrat d'accueil et d'intégration avec l'État ;

-  l'accueil des demandeurs d'asile ;

-  l'aide au retour et à la réinsertion des étrangers dans leur pays d'origine.

L'OFII est désormais l'opérateur de l'État en charge de l'immigration légale. Ses agents travaillent à l'Office en France au siège parisien et dans plus de cinquante directions territoriales, délégations ou plates-formes hébergées qui permettent de couvrir l'ensemble du territoire national. À l'étranger, l'OFII est représenté dans neuf pays : le Maroc, la Tunisie, la Turquie, la Roumanie, le Mali, le Sénégal, le Canada, le Cameroun, l'Arménie. L'OFII est responsable du Premier accueil des demandeurs d'asile. Il gère le dispositif national d'accueil (hébergement en CADA).

Il gère et finance les plates-formes de premier accueil des demandeurs d'asile par ses directions territoriales et en passant convention avec des opérateurs extérieurs. Enfin, il coordonne et anime le Dispositif National d'Accueil (DNA) des demandeurs d'asile et des réfugiés. À ce titre, il gère une partie des entrées des demandeurs d'asile dans les Centres d'Accueil pour Demandeurs d'Asile (CADA), les Centres Provisoires d'Hébergement (CPH) des réfugiés et autres dispositifs relevant du DNA.

Le questionnaire annexé à l'arrêté précité (lequel figure en annexe au présent rapport) semble en effet inadapté à l'identification des vulnérabilités, qui semblent pourtant évidentes à toute personne ayant entendu les témoignages d'acteurs de la lutte contre la traite des êtres humains.

Cette question des vulnérabilités appelle deux remarques.

La première concerne la modification du questionnaire qui semble souhaitable et peut intervenir dans un délai très rapide . Puisque l'arrêté du 23 octobre 2015 vise expressément l'article L. 744-6 du CESEDA, il paraîtrait logique de prévoir des questions reprenant à tout le moins le détail des vulnérabilités citées dans ledit article : « L'évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines . »

La délégation souhaite donc que soit complété le questionnaire annexé à l'arrêté du 23 octobre 2015 , de façon à prévoir des questions relatives à toutes les situations de vulnérabilité visées au deuxième alinéa de l'article L. 744-6 du CESEDA. Une recommandation sera formulée en ce sens.

La deuxième observation est d'ordre plus général et concerne potentiellement tous les documents pouvant aider les professionnels susceptible de détecter des victimes de traite des êtres humains : il semble possible (et recommandé) d'associer plus systématiquement les associations de lutte contre la traite dûment référencées. L'exemple de France Terre d'Asile , qui a pour mission de développer des méthodes adaptées au cas de Calais, peut laisser penser que cette expertise pourrait être utile auprès des administrations concernées.

En conséquence, la délégation estime nécessaire de recourir plus systématiquement à l'expertise du secteur associatif engagé dans la lutte contre la lutte contre la traite des êtres humains pour définir les outils visant à identifier, à accompagner et à protéger les victimes. Une recommandation sera formulée en ce sens.


* 104 La délégation était composée de Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam et Brigitte Gonthier-Maurin.

* 105 http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2015/07/cir_39890.pdf

* 106 Terme utilisé à l'origine par les Afghans pour désigner les campements de cabanes dans lesquels les exilés sont amenés à vivre auprès des frontières auxquelles ils sont bloqués.

* 107 https://www.actionaid.org.uk/

* 108 CNCDH, Avis sur la situation à Calais et dans le Calaisis, assemblée plénière, 2 juillet 2015.

* 109 Bernard Cazeneuve cité par le journal Le Monde , dans un article intitulé A Calais, la pression monte avant l'évacuation , édition du mardi 23 février, p. 10.

* 110 Le Monde , dans un article intitulé A Calais, la pression monte avant l'évacuation , édition du mardi 23 février, p. 10.

* 111 « C'est dangereux pour les femmes ici », Laurence Faure, La Vie , 25 février 2016.

* 112 Dans une tribune au Huffington Post en date du 7 mars 2016, intitulée La traite des femmes et des enfants, douloureuse facette de la crise des réfugiés , notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam met en avant ce phénomène et ses conséquences.

* 113 Déclaration commune du ministère de l'intérieur et du Home office en date du 20 août 2015.

* 114 La commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen a adopté le 10 février 2016 un rapport sur la situation des femmes réfugiées et demandeuses d'asile dans l`Union européenne, qui souligne le lien entre traite, trafic des êtres humains et violences sexuelles.

* 115 Compte-rendu de la table ronde du 25 novembre 2015 sur les femmes victimes de la traite des êtres humains organisée par la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat.

* 116 http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/e-library/docs/ceas-fact-sheets/ceas_factsheet_fr.pdf

* 117 Compte-rendu de la table ronde du 25 novembre 2015 ayant rassemblée des représentants d'associations engagées dans la lutte contre la traite des êtres humains, organisée par la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page