B. UNE PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE TRADUITE PAR UN ARSENAL JURIDIQUE COMPLET
1. Un arsenal juridique international diversifié
a) Le protocole de Palerme des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes (2000)
La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants, du 15 novembre 2000, dit Protocole de Palerme, ont marqué une étape importante dans la mobilisation internationale contre la traite , après la Convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui. Ce protocole des Nations Unies est en effet le premier instrument par lequel la communauté internationale s'est dotée d'une définition commune de la traite des personnes .
Signe de l'importance qu'accorde l'Organisation des Nations Unies (ONU) à cette problématique, son Assemblée générale a adopté en juillet 2010 un Plan d'action mondial contre la traite des personnes 15 ( * ) , dont une première évaluation de la mise en oeuvre a eu lieu en 2013. Dans sa résolution, l'Assemblée générale demande notamment instamment aux États membres qui ne l'ont pas encore fait de ratifier la Convention et le Protocole de Palerme.
Comme l'indique la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) dans son rapport sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains, « l'adoption d'une définition claire et précise de la traite et de l'exploitation des êtres humains constitue le préalable nécessaire à la mise en oeuvre d'une politique cohérente en la matière et, si elle est communément admise, le moyen de renforcer la coopération internationale. À défaut, il se révèle impossible d'identifier auteurs et victimes, et par conséquent, d'exercer des poursuites à l'égard des premiers comme de protéger les secondes 16 ( * ) ».
Aux termes de ce protocole, la traite est définie comme « le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation. L'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes ».
Comme l'a indiqué à la délégation Michèle Ramis, ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée, lors de son audition du 29 octobre 2015, « cette définition reprend trois éléments cumulatifs : une action - recruter, transporter, transférer, héberger des personnes ; un moyen - force, contrainte, fraude, tromperie, abus d'autorité ou de vulnérabilité, octroi d'avantages altérant le consentement de la personne ; et enfin, un but : à des fins d'exploitation. La définition internationale donne une liste d'actes minimale, non exhaustive : exploitation de la prostitution d'autrui ou autre exploitation sexuelle, travail ou services forcés, esclavage, servitude, prélèvement d'organes. Je rappelle un point très important : le consentement de la victime n'exonère pas l'auteur 17 ( * ) ».
La France a ratifié en 2002 la convention de Palerme et son protocole additionnel 18 ( * ) . Elle a en conséquence adapté sa législation aux définitions internationales et européennes. Ainsi, la loi du 18 mars 2003 19 ( * ) puis celle du 5 août 2013 20 ( * ) ont introduit puis modifié, dans le code pénal, l'incrimination de traite des êtres humains ( cf. infra ). Dans son rapport de 2013, notre collègue Maryvonne Blondin s'était en particulier penchée sur le chapitre de cette dernière loi relatif à la prévention de la traite des êtres humains et à la lutte contre ce phénomène 21 ( * ) ( cf. infra ).
Comme le souligne la CNCDH dans son rapport précédemment cité, le Protocole constitue actuellement l'unique texte des Nations Unies à vocation universelle , qui s'attaque explicitement à la traite en tant que telle et appelle les États à prendre en compte le caractère particulier de ce crime, ainsi qu'à mettre en place une coopération internationale pour lutter contre ce phénomène. Pour autant, il limite son champ d'action aux seuls aspects transnationaux de la lutte contre la traite des êtres humains .
Grâce aux textes européens qui lui ont succédé, cette infraction est désormais consacrée par des textes légaux, y compris lorsqu'il s'agit de traite dans un cadre strictement national, isolé, et non nécessairement lié au crime organisé.
Une autre limite de ce protocole est qu'il est centré sur un arsenal répressif et qu'il s'avère insuffisant en matière de protection des victimes.
De surcroît, d'autres instruments internationaux adoptés dans le cadre de l'ONU coexistent et complètent la convention de Palerme en matière de lutte contre la traite des êtres humains. On peut notamment citer, à cet égard :
- la Convention sur l'élimination de toutes les discriminations à l'égard des femmes ( CEDAW ), adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 34/180 du 18 décembre 1979, et dont l'article 6 dispose que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l'exploitation de la prostitution des femmes » ;
- la Convention internationale des droits de l'enfant , adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989 et son Protocole facultatif concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 54/263 (annexe II) du 25 mai 2000.
b) La Convention du Conseil de l'Europe contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, dite Convention de Varsovie
Le Conseil de l'Europe dispose d'un instrument spécifique de lutte contre la traite des êtres humains : la Convention n° 197 du Conseil de l'Europe contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, dite Convention de Varsovie, entrée en vigueur le 1 er mai 2008.
Partant du principe que la traite des êtres humains constitue une violation des droits de la personne humaine, la Convention de Varsovie complète le protocole de Palerme en plaçant, pour sa part, la victime au coeur du dispositif de protection et de lutte contre la traite .
Trois objectifs principaux sont énoncés à son article premier :
- « prévenir et combattre la traite des êtres humains, en garantissant l'égalité entre les femmes et les hommes » ;
- « protéger les droits de la personne humaine des victimes de la traite, concevoir un cadre complet de protection et d'assistance aux victimes et aux témoins, en garantissant l'égalité entre les femmes et les hommes , ainsi qu'assurer des enquêtes et des poursuites efficaces » ;
- « promouvoir la coopération internationale dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains ».
Le champ d'application de la convention est plus large que celui du Protocole de Palerme , dans la mesure où elle « s'applique à toutes les formes de traite des êtres humains, qu'elles soient nationales ou transnationales et liées ou non à la criminalité organisée ».
Dans le cadre de cette convention, outre la mise en place d'un mécanisme d'identification préalable des victimes , le développement de la formation des professionnels (justice, police) et le renforcement des moyens de prévention (sensibilisation de l'opinion publique) , les États ont aussi l'obligation de mettre en place un mécanisme national de coordination afin de définir, d'orienter et de coordonner la politique gouvernementale en matière de lutte contre la traite.
Enfin, le Conseil de l'Europe s'est doté d'un organe conventionnel, le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), qui a pour mission de veiller à la bonne application de cet instrument juridique . La convention de Varsovie est ainsi le premier texte international ayant instauré un mécanisme de suivi dans le but de renforcer la mise en oeuvre des dispositions adoptées.
Le GRETA est composé de 1 5 membres venant de pays différents, signataires de la Convention, élus par le Comité des Parties pour un mandat de quatre ans et issus de divers domaines professionnels . Son action est décisive pour encourager les États à progresser dans la mise en oeuvre de leur politique de lutte contre la traite des êtres humains.
Les rapports d'évaluation du GRETA constituent en effet un outil très utile pour souligner les efforts que chaque État doit réaliser, comme en témoigne le Rapport concernant la mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France du 28 janvier 2013.
La convention de Varsovie s'est traduite en droit français par :
- la loi n° 2003-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France ( cf. infra ) ;
- le Plan d'action national contre la traite des êtres humains du 10 mai 2014, qui couvre la période 2014-2016 ( cf. infra ).
c) La directive européenne 2011/36/UE relative à la prévention de la traite des êtres humains
La directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes adopte une approche globale et intégrée mettant l'accent sur les droits de l'Homme ainsi que sur les victimes . Elle impose aux États membres de nommer un rapporteur national indépendant ou un « mécanisme équivalent ».
Elle comprend un volet répressif , qui instaure des règles minimales à l'échelle de l'Union européenne, à la fois en ce qui concerne :
- la définition des infractions pénales en matière de traite ;
- et les sanctions applicables.
Elle comporte également un volet centré sur l'assistance, l'aide et la protection des victimes . Ainsi, aux termes de son article 11-1, « les États membres prennent les mesures nécessaires pour qu'une assistance et une aide soient apportées aux victimes avant, pendant et durant une période suffisante après la clôture de la procédure afin de leur permettre d'exercer les droits qui leur sont conférés ».
En outre, son article 11-5 dispose que les victimes qui le souhaitent doivent bénéficier d'un hébergement adapté et d'une assistance matérielle , des soins médicaux nécessaires , y compris une assistance psychologique , des conseils et des informations, ainsi que des services de traduction et d'interprétation le cas échéant. Elle prévoit donc une approche globale de la prise en charge et du traitement des victimes.
Enfin, la directive comprend un volet préventif : les États membres sont tenus de prendre des mesures de formation, d'éducation et de sensibilisation, en coopération avec la société civile.
Afin de contribuer à la mise en oeuvre effective de cette directive et d'harmoniser l'application des différents textes européens et internationaux dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains, l'Union européenne s'est dotée en juin 2012 d'une Stratégie en vue de l'éradication de la traite des êtres humains pour la période 2012-2016 , déclinée autour de cinq priorités :
- la détection et la protection des victimes , auxquelles il doit être porté assistance ;
- le renforcement de la prévention de la traite ;
- la poursuite plus active des auteurs d'infractions ;
- l'amélioration de la coordination et de la coopération entre les principaux acteurs, ainsi que la cohérence des politiques ;
- un meilleur ciblage des nouvelles préoccupations relatives aux différentes formes de traite des êtres humains, pour y répondre plus efficacement.
Il appartient à Myria Vassiliadou , coordinatrice de l'Union européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains , entendue par la délégation le 22 septembre 2015, de mettre en oeuvre cette stratégie, notamment en améliorant la coopération et la cohérence des actions menées par les institutions européennes et les États membres en ce domaine. Certains acteurs de la lutte contre la traite ont fait part de leur souhait que cette action soit renforcée .
Au-delà cette directive de 2011 et de la stratégie qui l'accompagne, on peut mentionner l'existence de plusieurs autres instruments juridiques européens qui coexistent, tels que :
- la directive 2004/81/CE du Conseil relative au titre de séjour délivré aux ressortissants des pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes (29 avril 2004). Elle octroie notamment aux victimes de la traite qui coopèrent avec les autorités le droit à un titre de séjour, y compris en cas d'entrée irrégulière sur le territoire ;
- la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil ;
- ou encore, le « processus de Khartoum », initié en novembre 2014 dans le but de développer un dialogue migratoire entre l'Union européenne et les pays de la Corne de l'Afrique, avec pour objectif principal de lutter contre les trafics de migrants et la traite des êtres humains .
d) Le Protocole de la convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé
Le travail forcé est au coeur d'un autre texte qui a été très récemment examiné au Sénat, saisi du projet de loi n° 630 (2014-2015) autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé, de 1930 22 ( * ) . La France est l'un des premiers États à avoir ratifié cette convention, le 24 juin 1937 .
Comme l'a rappelé notre collègue rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, M. Gaëtan Gorce, cette convention n° 29 définit le travail forcé comme « tout travail effectué contre son gré et sous la contrainte » . Cent soixante-dix-sept États membres de l'OIT l'ont ratifiée, à l'exception notable des États-Unis et de la Chine .
Plus de 75 ans après l'adoption de ce texte, le travail forcé est encore loin d'être éradiqué . Selon les dernières estimations du Bureau international du travail (BIT), près de 21 millions de personnes sont encore victimes du travail forcé dans le monde.
Dans ce cadre, l'OIT, soutenue par la France, a proposé de compléter la convention n° 29 par un protocole adopté le 11 juin 2014, qui a pour objectif de prendre en compte plusieurs éléments de contexte :
- l'apparition de nouvelles formes de travail forcé depuis 1930, puisque le BIT estime que 90 % du travail forcé concerne aujourd'hui l'économie privée ;
- la nécessité de renforcer la prévention , la protection et l'indemnisation des victimes ;
- la nécessité de formaliser l'expiration de la période transitoire prévue par la Convention.
Une recommandation n° 203 sur le travail forcé (mesures complémentaires) de 2014, adoptée, elle aussi, à la quasi-unanimité, complète la convention n° 29 et le protocole par des orientations pratiques non contraignantes.
Le protocole tend à moderniser la convention n° 29 en proposant des mesures visant à prévenir le travail forcé , notamment dans le contexte de la traite des êtres humains. Il prévoit ainsi, en particulier :
- de mettre en place des mécanismes de recours et de réparation appropriés et efficaces ;
- de renforcer la coopération internationale en matière de lutte contre le travail forcé ou obligatoire ;
- d'insister sur le rôle des employeurs et des travailleurs pour prendre en compte les nouvelles formes de travail forcé.
L'étude d'impact annexée au projet de loi fait état des diverses conséquences attendues de la mise en oeuvre de ce Protocole :
- des conséquences d'abord économiques : les profits illégaux tirés du travail forcé dans l'économie privée mondiale sont estimés à 150 milliards de dollars par an. Dès lors, ce texte a vocation à réduire ces profits, sans qu'il ne soit cependant possible d'en mesurer, à ce stade, l'impact économique ;
- des conséquences sociales : la ratification de ce Protocole permettra pour la France d'améliorer la protection sociale des victimes du travail forcé, leur indemnisation par les tribunaux, et l'accès aux droits de séjour pour les victimes étrangères ;
- des conséquences juridiques : la législation française est d'ores et déjà conforme aux nouvelles obligations résultant du Protocole. Les dernières adaptations de la législation pénale prohibant le travail forcé résultent de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 qui modernise notamment les sanctions pénales relatives aux différentes formes de travail forcé ;
- des conséquences administratives enfin : l'extension de la compétence des agents de l'inspection du travail aux infractions de traite entraîne la création d'une méthodologie de contrôle adaptée, de guides spécifiques à cette thématique et d'un module de connaissance intégré au cursus de formations initiale et continue , sous l'égide de l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP).
Par ailleurs, la mise en place de cellules régionales et locales spécialisées, ainsi que la nouvelle organisation administrative du ministère du Travail pourront donner lieu à la désignation d'un référent « traite des êtres humains ».
Pour autant, comme l'a rappelé Patrizianna Sparacino-Thiellay, entendue par votre Délégation le 12 novembre 2015 « la volonté de la communauté internationale de travailler sur la problématique du travail forcé est manifeste : le protocole relatif à la convention n° 29 de l'OIT sur le travail forcé a pour objectif de renforcer les moyens de répression. Le projet de loi autorisant sa ratification sera soumis prochainement au vote du Parlement français. Ces engagements internationaux doivent cependant, avant de produire leurs effets, être ratifiés par une masse critique d'États pour que l'on puisse en percevoir le bénéfice 23 ( * ) ».
La délégation estime donc indispensable d'adopter au plus vite le projet de loi autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé, afin que la France ait achevé sa procédure interne de ratification. Une recommandation sera formulée en ce sens.
2. Un arsenal juridique national récemment renforcé
La législation interne a pris en compte l'incrimination de la traite en conséquence des engagements internationaux souscrits par la France, en élargissant la définition figurant dans le code pénal.
a) Le code pénal et la procédure pénale
(1) Une définition de la traite des êtres humains à compléter
Entendue par la délégation le 29 octobre 2015, Michèle Ramis, ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée, a rappelé que la définition de la traite des êtres humains « est longtemps restée incomplète et se résumait à la lutte contre l'esclavage et l'exploitation sexuelle 24 ( * ) ».
La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a introduit dans le code pénal français, à l'initiative du sénat, plusieurs articles visant à définir et à réprimer la traite des êtres humains (articles 225-4-1 et suivants).
La définition proposée s'inspirait principalement des dispositions de deux instruments internationaux : d'une part, l'article 3 du protocole de Palerme et, d'autre part, l'article 1 er de la décision cadre du Conseil de l'Union européenne du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains.
Cette définition de la traite a par la suite été complétée par la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, qui incrimine la personne qui exploite à son propre profit la victime.
Le processus de la traite des êtres humains
Source : rapport de la CNCDH sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains
Puis, en transposant la directive de 2011, la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 a précisé et modifié les articles 225-4-1 et 225-4-2 du code pénal (définition de la traite des êtres humains, incluant désormais le travail forcé 25 ( * ) et la réduction en servitude 26 ( * ) et/ou en esclavage 27 ( * ) ) et a introduit deux articles 225-14-1 et 225-14-2 (création des infractions de travail forcé et de servitude et peines associées). Cette loi a ainsi créé en droit des incriminations voisines de celles de traite des êtres humains proprement dite .
Par ailleurs, la loi de 2013 a inséré un nouvel article 225-4-8 dans le code pénal permettant la poursuite des faits de traite des êtres humains commis par des Français à l'étranger , même si la législation locale n'incrimine pas de tels faits, et sans qu'il soit besoin d'une plainte des victimes ou d'une dénonciation de l'État où les faits ont été commis.
La Délégation aux droits des femmes avait été saisie par la commission des lois du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France.
Deux chapitres l'intéressaient plus particulièrement dans ce texte, dont celui transposant la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène 28 ( * ) .
Dans ce cadre, la délégation avait adopté six recommandations rappelées dans l'encadré ci-après.
Recommandations adoptées par la
Délégation aux droits des femmes et à
l'égalité
Recommandation n° 1 : la délégation recommande que le fait de traite des êtres humains soit constitué dès lors que le but d'exploitation est établi. Recommandation n° 2 : la délégation demande que la traite des êtres humains devienne rapidement une priorité de la politique pénale, et que les enquêteurs soient formés à cette fin. Les services susceptibles de détecter les victimes de traite doivent être sensibilisés, sans oublier les services du travail et de l'emploi et les professionnels de santé. Recommandation n° 3 : la délégation propose que la France prenne une initiative au sein de l'Union européenne pour améliorer la coopération internationale et faire pression sur les États récalcitrants. Recommandation n° 4 : la délégation recommande que la protection des victimes continue à être améliorée pour faciliter leur soustraction à l'influence des trafiquants, et en particulier de se doter des moyens d'hébergement nécessaires. Recommandation n° 5 : la délégation juge indispensable l'implication des juridictions et magistrats spécialisés dans les affaires financières pour que puissent être portés des coups significatifs aux avoirs des trafiquants à l'étranger. Recommandation n° 6 : la délégation soutient les recommandations du Groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA). |
À la suite de ces évolutions législatives, ainsi que le rappelle la circulaire du 22 janvier 2015 de politique pénale en matière de lutte contre la traite des êtres humains, « dans le code pénal français, la traite des êtres humains est donc définie à l'article 225-4-1 comme le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes :
1°) soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;
2°) soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;
3°) soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;
4°) soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage ».
La traite des êtres humains à l'égard d'un mineur est constituée même si elle n'est commise dans aucune des circonstances prévues aux 1° à 4°.
Pour autant, la définition actuelle de la traite des êtres humains faite par le code pénal, bien que récemment élargie à plusieurs formes d'exploitation, n'intègre pas le cas des mariages forcés . Or, selon la Convention internationale des droits de l'enfant, le mariage forcé constitue une forme d'exploitation relative à la traite des êtres humains . De même, ainsi que le souligne le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », le mariage de mineurs, qu'il soit arrangé ou volontaire, pose des difficultés dans la mesure où le consentement de ces derniers en raison de leur minorité ne peut être considéré comme valable 29 ( * ) . « Il résulte de ces différentes situations que des mineurs peuvent dans le cadre du mariage se retrouver victimes de traite des êtres humains, mais ne pas être reconnus comme tels 30 ( * ) ».
En 2013, le législateur a néanmoins introduit un nouveau délit punissant de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende « le fait, dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l'étranger, d'user à son égard de tromperies afin de la déterminer à quitter le territoire de la République » (art. 222-14-4 du code pénal).
La délégation estime donc qu'il conviendrait de faire explicitement référence au cas des mariages forcés dans la définition de la traite à l'article 225-4-1 du code pénal . Une recommandation sera formulée en ce sens.
(2) Une gradation des sanctions pénales applicables en cas de traite des êtres humains
Le code pénal prévoit une gradation des sanctions relatives à la traite des êtres humains .
Tout d'abord, l'article 225-4-1 prévoit que la traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. La traite à l'égard d'un mineur est plus sévèrement réprimée, à hauteur de dix ans d'emprisonnement et de 1 500 00 euros d'amende.
De surcroît, l'article 225-4-2 prévoit des peines aggravées lorsque la traite est commise dans deux des quatre circonstances précédemment mentionnées , ou avec des circonstances supplémentaires. Par exemple, la traite concerne plusieurs personnes, elle est commise avec l'emploi de violences ayant causé à la victime une incapacité totale de travail de plus de huit jours, ou lorsque l'infraction a placé la victime dans une situation matérielle ou psychologique grave .
Dans ces cas, la traite est punie de dix ans de prison et de 1 500 000 euros d'amende.
En outre, l'article 225-4-3 dispose que la traite est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 3 000 000 euros d'amende lorsqu'elle est commise en bande organisée .
Enfin, l'article 225-4-4 punit de la réclusion criminelle à perpétuité et de 4 500 000 euros d'amende la traite commise en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie .
Aux termes de l'article 225-4-7 du code pénal, la tentative de commettre le délit de traite est punie des mêmes peines que le délit lui-même.
En ce qui concerne les infractions relatives à l'exploitation des êtres humains, le travail forcé est puni de sept ans de prison et de 200 000 euros d'amende, la réduction en servitude de dix ans de prison et de 300 000 euros d'amende, et la réduction en esclavage et l'exploitation d'une personne réduite en esclavage de vingt ans de réclusion criminelle, avec des peines aggravées dans certaines circonstances.
Au-delà du volet répressif de la traite, le droit français prévoit aussi plusieurs dispositions relatives à la protection et aux droits des victimes .
(3) L'accueil sécurisant et la question de l'hébergement
Le code de procédure pénale prévoit différentes mesures de protection des victimes , qui peuvent bénéficier aux victimes de la traite, telles que le témoignage anonyme (article 706-58), la possibilité de ne pas divulguer l'adresse de la victime (article 706-57 et R. 53-22 à R. 53-26), la possibilité d'auditionner les témoins par vidéoconférence ou audioconférence (article 706-71), ou la possibilité de mettre en place un dispositif de protection de l'intégrité physique de la victime.
Des dispositions répressives existent également , parmi lesquelles on peut mentionner la punition de l'auteur de menaces ou d'actes d'intimidation d'une victime (article 434-5 du code pénal), ou la punition plus sévère des infractions de violences volontaires lorsque la victime est un témoin (article 222-8 5° du code pénal).
En outre le dispositif Ac.Sé (Accueil-Sécurisant) - créé en 2001 - permet d'offrir aux victimes une protection spécifique . Ce mécanisme national de protection des victimes de la traite des êtres humains repose sur un réseau de 70 associations et centres d'hébergement, répartis sur quarante départements. Il propose un accueil sécurisant aux personnes majeures, françaises ou étrangères, sans distinction de genre, victimes de traite des êtres humains aux fins d'exploitation, en danger localement et nécessitant un éloignement géographique .
Deux des co-rapporteures 31 ( * ) se sont rendues à Nice le 15 janvier 2016, à l'invitation de Patrick Hauvuy, directeur de l'Association ALC-Dispositif national Ac.Sé , où elles ont visité et rencontré les équipes du Centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) des Lucioles. Au cours de cet échange, elles ont pu constater que, après des années de travail, les acteurs locaux sont parvenus avec les services de l'État et les associations à mettre en place une politique d'accueil et de protection des victimes de traite, fondée sur la coordination de l'ensemble des acteurs du secteur .
Le dispositif Ac.Sé a fait la preuve de son efficacité, la diversification des modalités d'accueil permettant dans la plupart des cas de répondre aux besoins de chaque victime . En 2014, la coordination du dispositif Ac.Sé a été sollicitée pour 79 demandes d'orientation, en provenance de 23 villes différentes. Près de 80 % des demandes ont été initiées par l'un des partenaires du dispositif, les autres émanant de services publics ou d'associations spécialisées en matière d'accompagnement des victimes de traite extérieures au partenariat.
Il se heurte toutefois aujourd'hui au manque de places d'hébergement . Ainsi, Patrick Hauvuy a rappelé que, en 2003, la loi de sécurité intérieure annonçait la création de 500 places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Or, à ce jour, selon lui, aucune place n'a été créée .
La problématique du manque de place pour l'hébergement des victimes constitue plus largement une critique récurrente des acteurs de terrain . Ainsi, Louis Guinamard explique que « dans l'immédiat, les victimes ont besoin d'un hébergement (...). Le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM) loue depuis des années un appartement qui peut héberger en urgence 6 victimes d'esclavage domestique. L'Amicale du Nid dispose de places d'hébergement spécialisées pour des victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle. Le foyer de l'AFJ, à Paris, est quant à lui spécialisé dans l'accueil des victimes de traite. Le souci est que nous ne disposons pas, en France, des structures d'hébergement qui permettent de répondre aux différents besoins de prise en charge . Ce qui fait que, parfois, nous gardons des personnes assez longtemps parce que l'on a peu de relais et très peu d'équipes formées sur la question. Cependant, si la situation l'impose, notamment s'il y a des risques sérieux pour la victime, elle est orientée vers le dispositif Ac.Sé 32 ( * ) ».
En outre, la CNCDH relève que « si le dispositif s'adresse aux personnes victimes de traite des êtres humains selon la définition de l'article 225-4-1 du code pénal, les personnes victimes de traite aux fins d'exploitation sexuelle représentent la quasi-totalité des victimes orientées et accueillies . Les victimes d'esclavage domestique et de travail forcé sont très peu représentées . Les pouvoirs publics expliquent cette situation par le fait que la traite à des fins d'exploitation sexuelle des victimes étant plus « visible » par rapport aux autres formes de traite, l'identification des victimes de ce type est facilité, et le pourcentage de prise en charge par conséquent est plus élevé 33 ( * ) ».
b) Les droits sociaux des victimes
Les victimes de la traite bénéficient enfin d'un certain nombre de droits sociaux, qui sont notamment rappelés dans le Rapport des autorités françaises à la Commission européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains 2011-2014 , en application de l'article 20 de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil :
- le droit à un hébergement et à un accompagnement social , garanti par les dispositifs d'accueil, d'hébergement, de logement temporaire et de veille sociale pour les personnes défavorisées (centres d'hébergement et de réinsertion sociale notamment...) et des organismes privé à but non lucratif, spécialisés dans le soutien aux personnes prostituées ou victimes de la traite des êtres humains, dans l'aide aux migrants ou dans l'action sociale ; - le droit au travail , à travers l'inscription à Pôle Emploi au profit des victimes de traite titulaires d'un titre de séjour, qui peuvent également bénéficier des formations diffusées par cet opérateur ; - l'accès aux soins , étant entendu que les victimes de la traite ont la possibilité de bénéficier de deux régimes distincts. D'une part, l'Aide médicale de l'État (AME) concerne les personnes en situation irrégulière présentes sur le territoire depuis au moins trois mois, pour une durée d'un an sous conditions de ressources. Pour mémoire, l'AME donne droit à la prise en charge à 100 % des soins médicaux et d'hospitalisation en cas de maladie ou de maternité 34 ( * ) . D'autre part, la couverture Maladie Universelle (CMU) s'applique aux victimes de traite titulaires d'un récépissé de titre de séjour ou de demande d'asile, et donne droit à une prise en charge de l'intégralité des soins médicaux ; |
- le droit à différentes allocations financières, parmi lesquelles le versement de l'allocation temporaire d'attente (ATA) aux victimes de la traite des êtres humains détentrices d'un accès au séjour sur le fondement de l'article L. 316-1 du CESEDA 35 ( * ) , jusqu'à l'adoption de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile. En effet, celle-ci a créé une nouvelle allocation pour demandeur d'asile qui concerne également l'étranger victime de la traite des êtres humains ou du proxénétisme, et qui remplace l'allocation temporaire d'attente (ATA) dont il pouvait bénéficier. Cette allocation, définie par l'article L. 744-9 du CESEDA, peut être accordée après évaluation des besoins du demandeur d'asile en fonction de sa vulnérabilité (article L. 744-6 du CESEDA, présenté en annexe du présent rapport).
Par ailleurs, les victimes de la traite peuvent bénéficier du revenu de solidarité active (RSA) sous certaines conditions ; - l 'accès à la justice : les victimes de la traite bénéficient enfin d'une information juridique sur leurs droits tout au long de la procédure ainsi que d'une assistance au procès, à condition de s'être constituées au préalable parties civiles . En outre, à certaines conditions, elles peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle et du droit à une indemnisation juste et effective. |
c) Une protection accrue en matière d'entrée et de séjour pour les victimes de la traite
La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a élargi, sous certaines conditions, le droit au séjour des victimes de la traite des êtres humains qui ont déposé plainte ou témoigné en modifiant l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Article L. 316-1 du CESEDA Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » peut être délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 311-7 36 ( * ) n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident est délivrée de plein droit à l'étranger ayant déposé plainte ou témoigné. Source : Legifrance |
Cette disposition vise la protection des victimes, qui sont en majorité des femmes étrangères . Elle est importante car elle permet le renouvellement de la carte de séjour temporaire pendant toute la durée de la procédure pénale et, en cas de condamnation définitive du responsable, permet l'octroi d'une carte de résident de plein droit . Elle renforce l'accès au droit des victimes de la traite des êtres humains en prévoyant l'exonération des taxes et des droits de timbres lors de la délivrance et des renouvellements des titres de séjour.
En outre, l'article R. 316-1 du même code impose aux services de police judiciaire ayant des motifs raisonnables de considérer que le ressortissant étranger retenu pour vérification de son droit au séjour est victime de traite, de l'informer de ses droits . À la demande de la victime, les forces de l'ordre sont tenues de lui accorder un délai de réflexion ou de l'orienter vers le dépôt de plainte afin qu'une procédure judiciaire soit engagée à l'encontre du réseau d'exploitation.
Dans la pratique, toutefois, ces dispositions ne sont que partiellement appliquées, au détriment des victimes qui pâtissent d'un défaut d'information sur leurs droits .
Le rapport du GRETA 37 ( * ) exhorte ainsi les autorités françaises à veiller à ce que les victimes de la traite soient systématiquement informées de la possibilité de disposer d'un délai de rétablissement et de réflexion , et se voient effectivement accorder un tel délai. Il recommande de mieux informer, pour ce faire, les services compétents de l'existence d'une telle possibilité en faveur des victimes et de la nécessité d'en faire systématiquement usage , et de s'assurer qu'aucun délai de rétablissement et de réflexion ne soit révoqué au motif que la victime ou la victime potentielle aurait, de sa propre initiative, renoué un lien avec les auteurs de l'infraction de traite sans avoir dûment pris en compte et examiné de manière approfondie sa situation personnelle.
Interrogée par les co-rapporteures sur les améliorations que pourrait apporter sur ce point la récente instruction du ministère de l'Intérieur en date du 19 mai 2015 38 ( * ) , l'association France Terre d'Asile a ainsi répondu : « en théorie, cette instruction ministérielle devrait permettre une meilleure mise en oeuvre du droit à l'information des victimes , notamment sur leur droit au délai de trente jours, d'autant qu'elle enjoint aux services préfectoraux d'être en mesure de fournir aux victimes potentielles les informations sur ce dispositif malgré l'absence d'obligation réglementaire (qui incombe aux services de police uniquement au titre de l'article R. 316-1 du CESEDA). France Terre d'Asile estime en effet que cette démarche proactive des services préfectoraux est indispensable pour faciliter l'accès à la protection des victimes 39 ( * ) ».
La délégation estime donc qu'il convient d'harmoniser les pratiques préfectorales en ce qui concerne la délivrance des titres de séjour au profit des victimes de la traite des êtres humains ( cf. infra ). Une recommandation sera formulée en ce sens.
d) La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées
Cette proposition de loi, déposée à l'Assemblée nationale le 10 octobre 2013 par les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés, vise à « faire prendre conscience que la prostitution est dans l'immense majorité des cas une violence à l'égard de personnes démunies et une exploitation des plus faibles par des proxénètes, qu'ils agissent de manière individuelle ou dans des réseaux réalisant des profits très élevés, la traite se cumulant souvent avec d'autres trafics ».
Elle s'inscrit dans le cadre de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes et d'égalité entre les femmes et les hommes. Certaines de ses dispositions rejoignent les constats opérés par nos collègues Chantal Jouanno et Jean-Pierre Godefroy , qui avaient notamment pointé la situation particulièrement préoccupante des personnes prostituées étrangères exerçant sous l'emprise des réseaux, en insistant sur les liens de la prostitution avec les réseaux de criminalité organisée et la violence faites aux femmes 40 ( * ) .
Après deux lectures dans chaque chambre, la commission mixte paritaire a échoué à proposer un texte sur les neuf articles qui restaient en discussion. La proposition de loi est à nouveau en cours d'examen dans le cadre d'une lecture définitive.
Il convient de noter que la plupart des articles en lien avec les enjeux de la traite ont été adoptés dans des termes identiques, ou sont encore en discussion, pour des raisons cependant tenant plus à leur rédaction qu'à leur contenu. En effet, beaucoup de dispositions font consensus, en particulier le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle , les mesures de prévention destinées aux jeunes et le dispositif de protection des victimes des réseaux , lorsqu'elles apportent un témoignage utile à la manifestation de la vérité dans le cadre d'une enquête.
Plusieurs articles de la proposition de loi présentent des avancées en matière de lutte contre la traite des êtres humains :
- l'article 1 er vient modifier l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et autorise le signalement, sur Internet, des contenus qui contreviendraient à la législation sur la traite des êtres humains ou le proxénétisme . À cet égard, nous savons que l'activité des réseaux d'exploitation sexuelle repose désormais, en grande partie, sur les facilités qu'offre Internet pour mettre en relation « acheteurs » et « vendeurs » de services sexuels ;
- l'article 1 er bis , adopté conforme, étend les formations prévues à l'article L. 451-1 du code de l'action sociale et des familles 41 ( * ) , à la prévention et à l'identification de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains ;
- l'article 1 er ter , encore en discussion en nouvelle lecture, insère un nouvel article 706-34-1 dans le code de procédure pénale, qui vise à accorder une protection adéquate , inspirée de celle offerte aux « repentis », aux personnes prostituées victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme qui aident l'autorité judiciaire, par leurs témoignages, à démanteler les réseaux ;
- l'article 1 er quinquies, adopté conforme, complète l'article L. 8112-2 du code du travail et étend le champ de compétence des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de la traite des êtres humains 42 ( * ) ;
- l'article 3 , encore en discussion en nouvelle lecture, modifie l'article L. 121-9 du code de l'action sociale et des familles et crée un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle afin que les personnes prostituées, soutenues par les pouvoirs publics et le secteur associatif, puissent bénéficier d'un véritable accompagnement, encadré, solide et pérenne, pour parvenir à rompre avec l'activité prostitutionnelle ;
- l'article 3 bis , encore en discussion en nouvelle lecture, reconnaît aux personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution et, plus généralement, aux victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme, le statut de public prioritaire pour l'accès aux logements sociaux (article L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation) ;
- l'article 4 , adopté conforme, met en place un fonds dédié à la prévention de la prostitution et à l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées , qui devrait être abondé à hauteur de 20 millions d'euros par an, d'après les engagements du Gouvernement ;
- l'article 6 , encore en discussion en nouvelle lecture, modifie le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) de façon à faciliter l'admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme ;
- l'article 9 , adopté conforme, complète l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles (CASF) afin que puissent être accueillis en centres d'hébergement et de réinsertion sociales (CHRS), dans des conditions sécurisantes , non seulement les personnes victimes de traite des êtres humains, mais également celles qui sont victimes de proxénétisme et de prostitution ;
- l'article 10 , adopté conforme, modifie l'article 706-3 du code de procédure pénale afin d'ouvrir aux victimes de proxénétisme un droit à la réparation intégrale des dommages subis du fait de cette infraction , sans qu'il soit nécessaire d'apporter la preuve d'une incapacité permanente ou d'une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois ;
- l'article 11 , adopté conforme, modifie l'article 2-22 du code de procédure pénale afin d'ouvrir la possibilité pour des associations déclarées d'utilité publique de se constituer partie civile , cela même en l'absence d'accord de la victime. Plusieurs des co-rapporteures s'interrogent toutefois sur la pertinence d'une disposition qui permettrait de contourner l'opposition d'une victime ;
- l'article 12 , adopté conforme, modifie l'article 306 du code de procédure pénale afin de rendre le huit clos de droit en cours d'assises ou en tribunal correctionnel , à la demande de la victime ou de l'une des victimes, dans les procès pour traite ou proxénétisme aggravé.
Tous ces articles sont ainsi porteurs d'avancées indéniables pour les personnes prostituées victimes de la traite, qu'elles soient de nationalité française ou étrangère. Ils permettent en effet d'assurer une plus grande protection de ces personnes par la puissance publique ainsi qu'un meilleur accompagnement dans leur parcours de sortie de la traite.
Après l'adoption de la proposition de loi en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale le 3 février 2016 , le communiqué de presse du secrétariat d'État aux droits des femmes indiquait que « Face à des réseaux internationaux de traite des êtres humains, la France doit pouvoir se doter des outils législatifs qui permettent de protéger les personnes prostituées , de faire reculer les réseaux, dans un cadre qui garantira leur accompagnement ».
À l'issue de l'examen de la proposition de loi en nouvelle lecture par le Sénat le 10 mars 2016, la lecture définitive par l'Assemblée nationale permettra la promulgation d'une loi, aux termes de deux ans et demi de procédure.
La délégation estime donc indispensable d'adopter au plus vite la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Une recommandation sera formulée en ce sens.
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Malgré les évolutions récentes - et incomplètes - de l'arsenal législatif français pour renforcer la lutte contre la traite des êtres humains, les résultats demeurent dans la pratique encore décevants, plusieurs difficultés se conjuguant et empêchant de fait de réaliser de réelles avancées concrètes en ce domaine.
Pour reprendre les termes du Plan d'action national contre la traite des êtres humains : « Les défis sont connus : l'identification des victimes est embryonnaire ; le dispositif de lutte est très inégalement organisé selon les territoires ; peu de poursuites sont engagées sur le fondement de l'infraction de la traite des êtres humains ; les victimes elles-mêmes ne font pas valoir leurs droits et sont insuffisamment protégées. La France a même été par deux fois condamnée pour non-respect de ses engagements internationaux 43 ( * ) ».
Si le diagnostic est connu et bien identifié, comment expliquer que la lutte contre la traite des êtres humains n'ait pas à ce jour produit tous les effets attendus ?
* 15 Le plan d'action comprend 61 paragraphes, répartis entre quatre parties thématiques respectivement intitulées : « Prévenir la traite des personnes » ; « Protéger et aider les victimes de la traite des personnes » ; « Poursuivre les auteurs de la traite des personnes » ; « Renforcer les partenariats établis pour lutter contre la traite des personnes ».
* 16 Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), La lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains, année 2015, rapport présenté à M. le Premier ministre et à la Commission européenne, adopté par l'Assemblée plénière le 15 janvier 2016 et rendu public le 10 mars 2016, p. 20.
* 17 Compte-rendu de l'audition de Mme Michèle Ramis, ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée, devant la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, le jeudi 29 octobre 2015.
* 18 Loi n° 2002-1041 du 6 août 2002 autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.
* 19 Loi n° 2003-639 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (article 32).
* 20 Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France (article 1 er ).
* 21 Traite des êtres humains et violences faites aux femmes : priorités nationales, lutte internationale - Rapport d'information n° 583 (2012-2013) de Mme Maryvonne Blondin, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
* 22 Texte n° 74 (2015-2016) adopté par le Sénat le 28 janvier 2016 et transmis à l'Assemblée nationale.
* 23 Compte-rendu de l'audition de Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice pour les droits de l'Homme, devant la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, jeudi 12 novembre 2015.
* 24 Compte-rendu de l'audition de Michèle Ramis devant la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat le jeudi 29 octobre 2015.
* 25 Le travail forcé est le fait, par violence ou la menace, de contraindre une personne à effectuer un travail sans rétribution ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli (article 225-14-1).
* 26 La réduction en servitude est le fait de faire subir, de manière habituelle, l'infraction de travail forcé à une personne dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur (article 225-14-2).
* 27 La réduction en esclavage est le fait d'exercer à l'encontre d'une personne l'un des attributs du droit de propriété (article 224-1 A).
* 28 Traite des êtres humains et violences faites aux femmes : priorités nationales, lutte internationale , rapport d'information n° 583 (2012-2013) de Mme Maryvonne Blondin, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes,
* 29 Le mariage des mineurs est interdit, l'âge légal pour contracter un mariage étant fixé à 18 ans, sauf dérogation exceptionnelle accordée par le Procureur de la République en cas de motifs graves.
* 30 Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », Rapport alternatif au cinquième rapport périodique de la France sur l'application de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et de ses protocoles additionnels au 28 février 2015, la traite des enfants dans le contexte français. Pour un accès de tous les enfants au droit commun .
* 31 Mmes Hélène Conway-Mouret et Brigitte Gonthier-Maurin.
* 32 Louis Guinamard, Les nouveaux visages de l'esclavage , sous la direction de Geneviève Colas, Secours Catholique - Caritas France, Contre la traite des êtres humains, avril 2015.
* 33 Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), La lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains, année 2015, rapport présenté à M. le Premier ministre et à la Commission européenne, adopté par l'Assemblée plénière le 15 janvier 2016 et rendu public le 10 mars 2016, p. 190.
* 34 À noter que si les personnes concernées ne remplissent pas ces conditions, seuls les soins d'urgence seront pris en charge.
* 35 Le versement de cette allocation, d'un montant de 11,35 euros par jour, est décidé par l'agence Pôle Emploi dont dépend le domicile des demandeurs.
* 36 Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, l'octroi de la carte de séjour temporaire et celui de la carte de séjour « compétences et talents » sont subordonnés à la production par l'étranger d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois.
* 37 Source : Rapport intermédiaire de la France du 13 février 2015 sur la mise en oeuvre des recommandations adressées par le comité des Parties de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains , en application de la Recommandation CP (2013)1 adoptée lors de la 10 ème réunion du Comité des Parties le 15 février 2013.
* 38 Ce texte rappelle notamment aux forces de l'ordre le caractère primordial que revêt l'information des présumées victimes de l'existence de ce délai ainsi que la procédure à suivre afin de leur délivrer un récépissé dans les meilleurs délais. Il figure en annexe au présent rapport.
* 39 Source : réponse de France Terre d'Asile au questionnaire des co-rapporteures.
* 40 Situation sanitaire et sociale des personnes prostituées : inverser le regard - Rapport d'information n° 46 (2013-2014) de M. Jean-Pierre Godefroy et Mme Chantal Jouanno, fait au nom de la commission des affaires sociales.
* 41 Son premier alinéa dispose que « les formations sociales contribuent à la qualification et à la promotion des professionnels et des personnels salariés et non-salariés engagés dans la lutte contre les exclusions et contre la maltraitance, dans la prévention et la compensation de la perte d'autonomie, des handicaps ou des inadaptations et dans la promotion du droit au logement, de la cohésion sociale et du développement social ».
* 42 Pour mémoire, la commission spéciale du Sénat avait, en première lecture, inséré cet article, qui a été adopté conforme lors de la deuxième lecture par l'Assemblée nationale en séance publique.
* 43 Introduction du Plan d'action national contre la traite des êtres humains 2014-2016, p. 3.