CONCLUSION
La proposition de résolution européenne qui vous est présentée prend acte d'un certain nombre d'avancées européennes qui ont, partiellement le plus souvent, plus complètement quelquefois, répondu aux attentes et aux préoccupations exprimées par la résolution européenne n° 88 adoptée par le Sénat, à l'initiative de sa commission des affaires européennes, le 1 er avril 2015.
Cette proposition est aussi l'occasion de souligner que l'intensification de la coopération et de l'échange d'informations entre les agences européennes concernées et les services de justice, de police et de renseignement des États membres, entre les agences européennes elles-mêmes mais aussi entre les services de justice, de police et de renseignement des États membres, constitue la condition « sine qua non » de l'« applicabilité » et, tout simplement, de l'efficacité de ces différentes initiatives.
Cet aspect des choses ne doit pas être négligé à l'heure où la valeur ajoutée de l'Union ne fait plus l'objet d'un consensus général dans maints domaines, en particulier dans celui de la sécurité intérieure des États membres alors même que ceux-ci continuent à y disposer d'un pouvoir régalien prédominant.
S'agissant plus particulièrement de la lutte contre le terrorisme, force est de constater que les attentats terroristes qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre dernier ont constitué un coup d'accélérateur pour des dossiers comme la révision ciblée du Code frontières Schengen, le PNR européen (qui attendait depuis bientôt 10 ans !), la réforme d'EUROPOL et de son implication accrue contre la menace terroriste, ou encore la modernisation des textes européens pour lutter contre le financement du terrorisme et le trafic d'armes à feu, etc.
Est-il souhaitable que l'agenda du terrorisme dicte l'ordre du jour des institutions européennes ? Cela pose, certainement, le problème déjà évoqué de la lenteur excessive des processus de décision européens dans les situations d'urgence. Le dossier du PNR est peut-être caricatural à cet égard.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 3 mars 2016 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :
M. Jean Bizet , président . - Merci pour cette présentation.
La mise en oeuvre de l'article 42-7 du TFUE est une première. Il serait intéressant d'en examiner les conséquences, en effet. Oui, il n'y a pas d'alternative à Schengen, et nous sommes condamnés à ce qu'il réussisse ! J'ai souligné devant l'AP-OSCE que si la création d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes est bienvenue, leur mission devra être clairement définie lorsqu'un État-membre n'assume pas ses obligations. La re-création de frontières intérieures pérennes serait une catastrophe économique : pour la France, cela coûterait près de 10 milliards d'euros par an ! C'est dire les effets désastreux qu'aurait la destruction du marché unique...
M. André Gattolin . - Bravo pour ce rapport très intéressant. Il donne toutefois l'impression, de la page 17 à la page 19, que le Parlement européen est seul responsable du blocage sur le PNR.
M. Simon Sutour . - C'est le cas...
M. André Gattolin . - Non, le retard peut également être imputé au temps que met la CJUE à rendre ses avis. Elle ne s'est toujours pas prononcée, par exemple, sur le PNR entre la France et le Canada. Elle n'a toujours pas indiqué si l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et Singapour était un traité simple ou mixte. Pis, elle n'a statué qu'en 2014 sur une directive de 2006 concernant la rétention des données ! De même, le contrôleur européen de la protection des données a une part de responsabilité. Certes, il est possible que le Parlement européen ne la saisisse que pour gagner du temps. Mais elle met trop de temps à se prononcer.
M. Simon Sutour . - Si le Parlement européen ne lui avait pas demandé son avis, il n'aurait pas à l'attendre.
M. André Gattolin . - A-t-elle la capacité de répondre dans les temps ?
Un rapport récent à la commission des finances évoquait la question du budget européen pluriannuel, dont le cadre actuel, sur sept ans, est bien trop large, décalé des réalités, et nous devons aussi nous méfier de la fongibilité, car on risque fort de manquer demain de moyens pour les politiques plus structurelles. Comment financer les mesures que nous envisageons ? Étant donné le faible enthousiasme des polices nationales à coopérer entre elles, il est indispensable de renforcer les moyens des services européens comme Frontex, et cela coûtera cher.
M. Claude Kern . - Je félicite les deux rapporteurs pour leur excellente présentation. Nous devons rapidement organiser les modalités d'une intervention européenne là où le contrôle de ses frontières par un État est défaillant.
M. Simon Sutour . - Cela figure dans la proposition de résolution.
M. Jean-Yves Leconte . - Merci aux deux rapporteurs pour leur travail. Merci, Monsieur le Président, d'avoir rappelé que Schengen est le meilleur outil de coopération pour faire face à la menace : il suffit de regarder une carte pour comprendre qu'il est plus facile de défendre les frontières de l'Union que toutes les frontières nationales ! Un meilleur contrôle aux frontières externes est la seule manière de faire respecter l'interdiction de sortir du territoire, ce qui vaudrait mieux que de reprocher à la Turquie de laisser entrer nos ressortissants. Je milite depuis longtemps pour que les vérifications biométriques soient systématiques. J'observe que depuis décembre, la vérification d'identité au départ de la France est devenue presque systématique, alors qu'auparavant elle n'avait lieu qu'une fois sur quatre environ. Pour autant, il n'en va pas de même dans tous les pays européens. Or, sans cette vérification, le PNR n'a pas de sens. N'oublions pas que notre mobilisation forte résulte des attentats qui nous ont frappés. Tous nos partenaires ne se sentent pas aussi concernés...
N'est-il pas paradoxal de s'attaquer aux paiements en espèces alors que les services fiscaux s'aperçoivent bien que les flux financiers électroniques leur échappent encore davantage ? Sur ce sujet, je ne suis pas sûr que nous ayons trouvé le bon équilibre.
Il faut multiplier les bornes Eurodac pour accroître les contrôles. Dans plusieurs pays, il reste possible d'acheter une carte SIM prépayée sans déclarer son identité. Enfin, les documents d'identité restent une prérogative nationale, et tous les pays ne disposent pas d'un fichier reliant les données biométriques à l'identité de leurs ressortissants.
Mme Patricia Schillinger . - Bravo pour cet excellent rapport. Ne pourrions-nous pas, à des fins humanitaires, appeler à un renforcement des contrôles sur les mineurs étrangers isolés ? Il y en aurait 10 000 sur le continent, c'est considérable...
M. Michel Billout . - Merci pour ce point d'étape. Qui cible-t-on lorsqu'on parle de terroristes ? Pour nous, il s'agit des djihadistes, représentés par Daech. Mais ailleurs, la définition est bien différente. En Turquie, il y a des dérapages : M. Erdogan utilise le terme de « terroristes » pour désigner des universitaires ou des journalistes, qu'il contraint au silence. Et il bombarde les Kurdes syriens, qui ont été les plus efficaces au sol contre Daech. Nous devrions donc préciser dans cette proposition de résolution qui nous visons.
M. Simon Sutour . - Notre travail n'est pas exhaustif. Je partage entièrement l'opinion, exprimée par M. Michel Billout, que le terrorisme vient de tous côtés. La situation turque, sur laquelle je suis aussi en accord avec vous, mérite une analyse plus approfondie.
M. André Gattolin . - Pour les Turcs, les terroristes sont les Kurdes !
M. Simon Sutour . - Notre collègue M. Jacques Mézard doit se rendre en mission en Turquie, accompagné du conseiller diplomatique du président Larcher. Il serait souhaitable que nous formalisions une position sur le sujet.
Nous assumons pleinement notre rapport, monsieur Gattolin, sur ce que nous avons dit du Parlement européen et du retard pris par le dossier « PNR ». La question de la Cour de justice de l'Union européenne est pertinente, mais elle est connexe. De même, le problème des enfants souligné par Patricia Schillinger est réel, mais il n'entre pas dans le périmètre de notre rapport.
Nous avons fait des progrès : alors qu'une personne sur quatre était contrôlée à l'arrivée en France, nous contrôlons désormais l'identité de la quasi-totalité. Les autres pays sont moins avancés, c'est pourquoi il faut aller plus loin.
M. Philippe Bonnecarrère . - Le rapport liste dans un tableau l'ensemble des projets de directive et de règlement. Il serait très utile de suivre l'élaboration de ces textes, ne serait-ce que par un tableau synthétique : plutôt que d'imaginer sans cesse de nouveaux textes, commençons par examiner le devenir de ceux qui ont déjà été initiés !
Vos objections, monsieur Leconte, sont assez largement satisfaites par la proposition de résolution dans ses alinéas 17 et 18, qui portent respectivement sur les modalités du contrôle aux frontières extérieures et le visa à sécurité renforcée. Dans son intervention devant les sénateurs sur le débat sur l'hébergement d'urgence pour les migrants, M. Cazeneuve n'a pas dissimulé que des terroristes potentiels s'étaient introduits parmi ces personnes. La contrefaçon de documents d'identité et de passeports est importante. À cet égard, les hot spots constituent un point faible, en raison de leur capacité insuffisante à croiser les identités relevées avec le système d'information Schengen (SIS). Ce point est bien abordé dans la proposition de résolution européenne.
Monsieur Billout, la définition du terrorisme est en effet évolutive ; c'est une question intéressante, qui cependant n'a pas vocation à être abordée dans la proposition de résolution. Alain Bauer utilise une définition fondée sur la victime : le terrorisme, c'est d'abord s'attaquer aux personnes sans protection.
M. Michel Billout . - M. Bocquet et moi-même nous abstiendrons.
M. Jean Bizet , président . - J'indique que nous avons prévu de nous rendre à Luxembourg auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cadre de nos rencontres avec les institutions européennes.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication du présent rapport d'information et adopté - MM. Michel Billout et Eric Bocquet s'abstenant - la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.