B. UN MODE DE GOUVERNANCE RÉFORMÉ
1. Le rôle central du Conseil des gouverneurs
Le Conseil des gouverneurs est la principale instance de direction de la BCE. Il conduit la politique monétaire de la zone euro et prend ainsi les décisions concernant les taux d'intérêt directeurs, l'approvisionnement en réserves ou la définition des objectifs monétaires.
Il se réunit deux fois par mois et est composé :
- Des six membres du directoire de la Banque (président, vice-président et quatre autres personnes). Ceux-ci sont désignés par le Conseil de l'Union européenne en fonction de leur autorité et de leur expérience Le Parlement européen et les gouverneurs de banques centrales de la zone euro sont consultés. Le mandat des membres du directoire est d'une durée de huit ans, il n'est pas renouvelable. Seuls les ressortissants des États membres peuvent être membres du directoire. Le directoire est responsable de la gestion courante de la BCE. Il est présidé par Mario Draghi depuis octobre 2011 ;
- Des gouverneurs des banques centrales des États membres de l'Union économique et monétaire, dont le nombre s'élève à 19 depuis l'adhésion de la Lituanie le 1 er janvier 2015.
Le Conseil des gouverneurs se distingue du Conseil général qui comprend le président et le vice-président de la Banque centrale européenne et les 28 gouverneurs des BCN des États membres de l'Union européenne.
Le directoire coordonne les travaux de la BCE. Il est à l'initiative des principales décisions. Celles-ci sont préparées au sein de comités dédiés où les banques centrales nationales disposent de représentants.
Le directoire de la Banque centrale européenne
Fonction |
Nationalité |
|
M. Mario Draghi |
Président |
Italienne |
M. Vítor Constâncio |
Vice-Président |
Portugaise |
M. Benoît Coeuré |
Membre |
Française |
Mme Sabine Lautenschläger |
Membre |
Allemande |
M. Yves Mersch |
Membre |
Luxembourgeoise |
M. Peter Praet |
Membre |
Belge |
2. Un directoire plus indépendant ?
L'adhésion de la Lituanie à la zone euro le 1er janvier dernier, qui devient ainsi le dix-neuvième État à participer au capital de la zone euro, a conduit à une modification du mode de gouvernance de la Banque centrale européenne, et plus particulièrement de son organe de décision, le Conseil des gouverneurs.
Le Conseil des gouverneurs prend ses décisions à la majorité simple, la voix du président de la Banque étant prépondérante en cas d'égalité. Une majorité qualifiée des deux tiers des gouverneurs est nécessaire lorsque son prises des décisions dites d'ordre patrimonial : augmentation du capital de la Banque ou utilisation des réserves de change. Les membres du directoire ne prennent alors pas part au vote. Les voix de chacune des banques centrales sont, dans ce cas précis, pondérées au regard de la participation des pays au capital de la Banque.
Ce mode de gouvernance a été mis en place en 1992. Il paraissait le plus adapté pour une Union économique et monétaire composée d'au maximum quinze membres. L'élargissement de l'Union européenne et les perspectives d'extension de la zone euro ont conduit le Conseil de l'Union européenne à proposer une révision de ce dispositif. Il s'agissait d'éviter une surreprésentation des gouverneurs des banques centrales nationales au détriment du directoire lorsque sont adoptées des mesures de politique monétaire. Alors que la zone euro n'est composée que de douze membres, la décision prise par le Conseil de l'Union européenne le 21 mars 2003 modifie le régime de vote au sein du Conseil des gouverneurs, en introduisant un système de rotation. Celui devient effectif à partir du moment où seize États adhèrent à l'Union économique et monétaire. Il ne concerne que les décisions de politique monétaire. Les décisions d'ordre patrimonial ne sont pas concernées.
L'évolution du mode de gouvernance est alors envisagée en deux étapes :
- Le droit de vote des gouverneurs des banques centrales est dans un premier temps limité à 15 voix, le nombre de voix du Directoire étant maintenu. Les gouverneurs des Banques centrales sont, à cet effet, divisés en deux groupes. Le premier réunit les gouverneurs issus des cinq plus grandes puissances économiques de l'Union européenne. Celles-ci sont déterminées au regard de leur produit intérieur brut et dans une moindre mesure du total des actifs consolidés dont disposent les institutions financières nationales. L'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie et les Pays-Bas composent logiquement ce groupe qui dispose de quatre voix. Le deuxième groupe est composé des autres États membres et détient 11 voix. ;
- À partir du moment où un vingt-deuxième État intègrera la zone euro, trois groupes de gouverneurs seront mis en place. Le premier comprendra toujours les cinq plus grandes puissances économiques et disposera de 4 voix. Le deuxième groupe comprendra la moitié du nombre total de gouverneurs et bénéficiera de 8 voix. Le troisième sera composé des gouverneurs restant et sera doté de 3 voix.
Cette division en groupes des gouverneurs des banques centrales et la limitation concomitante de leurs droits de vote est assortie d'un ordre de rotation égalitaire. En vertu de celui-ci, chaque gouverneur de banque centrale abandonne périodiquement son droit de vote. La France, comme les autres grandes puissances, ne peut ainsi voter deux mois dans l'année. Les gouverneurs qui ne disposent pas du droit de vote participent cependant aux débats précédant la prise de décision de politique monétaire.
Cette innovation aurait dû initialement prendre effet avec l'adhésion du seizième membre, en l'espèce la Slovaquie, le 1er janvier 2009. La décision du 21 mars 2003 qui vient modifier le Protocole n°4 sur les statuts du système européen des banques centrales et de la Banque centrale européenne laissait néanmoins la possibilité au Conseil des gouverneurs, statuant à la majorité des deux tiers, de différer l'application du nouveau système jusqu'à l'entrée d'un dix-neuvième membre au sein de la zone euro. Cette dérogation se justifie par le fait que dans une zone euro comprenant entre 16 et 18 membres, la fréquence de vote des pays du deuxième groupe est supérieure à celle du premier groupe, celui des grandes économies du continent. Prenant notamment en compte les réserves allemandes, le Conseil des gouverneurs a décidé le 18 décembre 2008 d'utiliser cette clause et de reporter la mise en place du nouveau système à l'entrée du dix-neuvième membre. Celle-ci est intervenue avec l'adhésion, le 1er janvier 2015, de la Lituanie.
L'Allemagne n'a pas officiellement émis de réserve à la mise en place du nouveau dispositif qui, ne devrait pas affaiblir le poids des cinq plus grandes économies européennes. Les chiffres fournis par la Banque centrale européenne soulignent que le groupe 1 disposera désormais de 19 % des voix contre 20 % aujourd'hui. A contrario les quatorze autres gouverneurs ne bénéficieront plus que de 52 % des votes contre 56 % lorsqu'ils étaient treize. La fréquence de vote de chacun des gouverneurs au sein du groupe 1 atteint quant à elle 80 %, alors que celle du groupe 2 devrait être amenée à diminuer au fur et à mesure de l'élargissement de la zone euro : les gouverneurs des autres pays ne devraient ainsi pas pouvoir voter quatre fois par an, soit à la moitié des réunions. Il convient d'insister sur le fait que les gouverneurs qui ne disposent pas du droit de vote participent néanmoins aux débats précédant la prise de décision. Plus qu'une fragilisation des pays du groupe 1, c'est à un renforcement du poids du directoire auquel on assiste véritablement, puisque celui-ci devrait disposer de 29 % des droits de vote contre 24 % aujourd'hui.
Système de rotation des droits de vote au sein du Conseil des gouverneurs
Nombre de gouverneurs au sein du Conseil |
|||||||||
19 |
20 |
21 |
22 |
23 |
24 |
25 |
26 |
||
Groupe 1 |
Nombre |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
Votes |
4 |
4 |
4 |
4 |
4 |
4 |
4 |
4 |
|
Fréquence |
80 % |
80 % |
80 % |
80 % |
80 % |
80 % |
80 % |
80 % |
|
Groupe 2 |
Nombre |
14 |
15 |
16 |
11 |
12 |
12 |
13 |
13 |
Votes |
11 |
11 |
11 |
8 |
8 |
8 |
8 |
8 |
|
Fréquence |
79 % |
73 % |
69 % |
73 % |
67 % |
67 % |
62 % |
62 % |
|
Groupe 3 |
Nombre |
- |
- |
- |
6 |
6 |
7 |
7 |
8 |
Votes |
- |
- |
- |
3 |
3 |
3 |
3 |
3 |
|
Fréquence |
50 % |
50 % |
43 % |
43 % |
38 % |
(Source : Banque centrale européenne et Natixis)
Avec la mise en place de ce nouveau système de vote, la Banque centrale européenne se rapproche du mode de fonctionnement de la Federal reserve américaine (Fed). L'équivalent du Conseil des gouverneurs, le Comité fédéral de l'open market, compte ainsi douze membres disposant d'un droit de vote dont sept sont issus du Board of governors , assimilable au directoire de la BCE. Il existe pourtant douze banques de réserve régionale. La rotation s'opère annuellement aux États-Unis et ne concerne que onze de ces douze banques, la banque régionale de New York disposant d'un droit de vote permanent. Les présidents des banques régionales de Chicago et Cleveland votent quant à eux une année sur deux et les neuf présidents votent une année sur trois.
Le nouveau système de rotation favorise le directoire dont la voix pèse plus au sein d'un Conseil des gouverneurs resserré. Une telle évolution, même si elle était prévue par les textes avant son arrivée, correspond assez à l'évolution du rôle de la Banque centrale européenne depuis la nomination à sa présidence de l'ancien gouverneur de la Banque d'Italie, Mario Draghi, le 1 er novembre 2011. A la gestion consensuelle de Jean-Claude Trichet succède, selon les observateurs, une lecture plus tranchée du mandat présidentiel, impliquant le recours au vote, dans un contexte marqué par un raidissement de la crise de la dette souveraine. Ce faisant, la Banque centrale européenne poursuit une mue initiée depuis l'épisode des subprimes et devient une véritable Banque centrale, dotée d'une stratégie lisible à long terme. La Banque centrale européenne s'est, en quelque sorte, révélée à elle-même avec la crise.