N° 533

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le rôle de la Banque centrale européenne face à la crise ,

Par M. Éric BOCQUET, Mme Fabienne KELLER et M. Richard YUNG,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mmes Nicole Duranton, Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard .

AVANT-PROPOS

Dix ans après son installation, la Banque centrale européenne a dû faire face à une crise économique et financière d'une ampleur inégalée, remettant en cause les fondements même de la zone euro. Critiquée jusque-là pour son manque de soutien à l'économie réelle, l'institution a su développer de nouveaux instruments, pour partie non-conventionnels, destinés à répondre aux difficultés rencontrées par le secteur bancaire mais aussi aux problèmes de refinancement des États sur le marché obligataire. Elle a largement contribué à endiguer la crise de liquidités qu'ont pu traverser les établissements financiers tout en tentant de faire baisser les coûts de refinancements auxquels sont confrontés certains États membres en difficulté.

Ce faisant, la Banque centrale européenne s'est affirmée comme un acteur de tout premier plan dans la réponse européenne à la crise. Sa défense volontariste de l'euro, « quoi qu'il en coûte » selon les termes de son président en juillet 2012 a même pu pallier l'absence de consensus politique entre les États membres pour réformer effectivement la gouvernance économique de la zone euro. Les mesures extrêmement fortes qu'elle a pu adopter à l'image du plan d'assouplissement quantitatif lancé en mars 2015 lui ont incontestablement conféré un rôle politique, bien qu'elle s'en défende.

Le présent rapport détaille les mesures adoptées par la Banque centrale européenne depuis le déclenchement de la crise, tant en ce qui concerne la politique monétaire que le rôle spécifique qui lui a été accordé en matière de supervision bancaire. Il tire les enseignements d'une visite de travail effectuée dans ses locaux à Francfort le 4 mai 2015 et d'entretiens organisés à Paris.

I. UNE INSTITUTION INDÉPENDANTE EN CHARGE D'UN PROJET POLITIQUE

Le traité de Maastricht (1992) a inscrit dans les traités européens la création d'une Union économique et monétaire, dont la monnaie serait l'euro (article 3 du traité sur l'Union européenne - TUE). Il confie dans le même temps la responsabilité de la politique monétaire unique à la Banque centrale européenne (BCE). Aux termes de l'article 130 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), celle-ci est indépendante, c'est-à-dire qu'elle ne peut ni solliciter ni accepter des instructions d'un État ou d'une autorité européenne quelconque. Cette exigence s'impose aussi bien à elle même qu'aux banques centrales nationales qui composent le système européen des banques centrales, qu'elle est chargée de coordonner. La BCE a été mise en place en juin 1998. Son siège est situé à Francfort (Allemagne).

A. ORGANISATION ET MISSIONS

Le mode de fonctionnement de la Banque centrale européenne est arrêté par le protocole n°4 sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne annexé au Traité de Maastricht. Les missions de la BCE sont, quant à elles, détaillées à l'article 127 du TFUE, qui s'inscrit lui-même dans un chapitre dédié à la politique monétaire (articles 127 à 133).

1. Une organisation décentralisée...

L'introduction de la monnaie unique et la disparition des devises des États membres de la zone euro n'a pas conduit à la disparition des banques centrales nationales (BCN) concernées. Celles-ci sont réunies au sein du Système européen des banques centrales (SEBC), avec les banques centrales des pays qui n'ont pas encore adhéré à l'UEM. Au sein du SEBC, il convient de distinguer l'eurosystème qui ne comprend que les BCN des pays ayant adhéré à l'euro. Le SEBC est lui-même dirigé par les organes de décision de la BCE : Conseil général et directoire. Le SEBC répond à un mode d'organisation coopératif et décentralisé, mais néanmoins hiérarchisé.

Aux termes du Protocole n°4, les BCN agissent conformément aux orientations et aux instructions de la BCE (article 14.2). Elles souscrivent au capital de la BCE, gèrent les réserves et exécutent les opérations de change. Elles demeurent les interlocuteurs naturels des établissements financiers où elles sont établies pour leur permettre d'accéder au refinancement notamment.

Le capital de la BCE provient des BCN de l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Il s'élève à 10,8 milliards d'euros au 1er janvier 2015. Les parts des BCN dans le capital de la BCE sont calculées sur la base d'une clé reflétant la part des différents pays dans la population totale et le produit intérieur brut de l'Union européenne, ces deux données étant assorties d'une pondération identique. La BCE ajuste ces parts tous les cinq ans et chaque fois qu'un nouveau pays adhère à l'Union européenne. Les neuf BCN n'appartenant pas à la zone euro sont tenues de contribuer aux coûts de fonctionnement de la BCE en raison de leur participation au Système européen de banques centrales.

Principales contributions au capital de la BCE

Banque centrale nationale

Clé de répartition du capital

Allemagne

18 %

France

14,18 %

Royaume-Uni

13,67 %

Italie

12,31 %

Espagne

8,84 %

Pologne

5,12 %

Pays-Bas

4,03 %

(Source : Banque centrale européenne)

2. ... au service de plusieurs objectifs

L'article 127 du TFUE attribue quatre missions à la BCE :

- définir et mettre en oeuvre la politique monétaire de la zone euro ;

- conduire les opérations de change ;

- détenir et gérer les réserves officielles de change des États membres;

- promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement.

La BCE est, dans cette optique, la seule habilitée à autoriser l'émission de billets de banque en euros dans l'Union. Elle peut, avec les banques centrales nationales, émettre de tels billets qui sont les seuls à avoir cours légal dans l'Union (article 128 du TFUE). Les États membres peuvent, de leur côté, émettre des pièces en euros, sous réserve de l'approbation, par la BCE, du volume de l'émission. L'harmonisation des valeurs unitaires et les spécifications techniques des pièces relève du Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et de la BCE.

Au-delà de ces missions, la BCE a pour principal objectif, au sein du SEBC, le maintien de la stabilité des prix (article 127 du TFUE). La BCE a interprété cette disposition en ciblant une inflation à des taux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme. Pour répondre à l'objectif de stabilité des prix, la BCE envoie des messages et agit afin de donner un horizon crédible sur les prix à moyen terme, soit généralement à deux ans. Ses anticipations peuvent néanmoins atteindre cinq ans. L'inflation n'est pas sans incidence sur la formation des prix mais aussi des salaires, des marges et donc du niveau d'investissement. Ce faisant, la BCE évalue la compétitivité et le niveau d'emploi à moyen terme. Force est de constater que la BCE a jusqu'à aujourd'hui rempli son mandat en contenant l'inflation en dessous de 2 %, ce qui n'apparaissait pas forcément évident au regard du passé des économies européennes.

Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l'Union, « en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l'Union, tels que définis à l'article 3 du traité sur l'Union européenne » . Aux termes de celui-ci, l'Union oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Le mandat de la BCE est donc, in fine , assez large. Elle agit, dans ce cadre, conformément au principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant notamment une allocation efficace des ressources.

Aux termes de l'article 127 du TFUE, le SEBC contribue également à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier. La crise économique et financière a contribué à renforcer cette mission, débouchant notamment sur la mise en place de l'Union bancaire.

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