D. RENFORCER LA PROTECTION DE LA POPULATION

1. Revoir le seuil d'empoussièrement pour la protection de la population

Défini en 1974 à partir de la mesure du fond de pollution de l'air en Ile-de-France, le seuil actuel de 5 fibres par litres est contesté, notamment par l'Andeva qui rappelle que l'amiante est une substance dangereuse quelle que soit la quantité respirée, aussi minime soit-elle. Dans un avis du 9 février 2009, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), depuis fusionnée au sein de l'Anses, avait préconisé de réduire le seuil d'amiante dans l'air à 0,47 fibre par litre. L'objectif de réévaluation du seuil constituait d'ailleurs l'une des sous-actions de l'objectif n° 10 du plan national santé environnement 2 (2009-2013). La direction générale de la santé a saisi en janvier 2010 sur ce point le Haut conseil de la santé publique qui doit rendre un avis au premier semestre 2014.

Votre comité de suivi constate qu'à ce jour le Haut conseil de la santé publique n'a toujours pas rendu son avis .

Tout en reconnaissant les difficultés techniques de cette réévaluation, qui tiennent notamment au problème de la sensibilité des mesures, votre comité de suivi souhaite que la préconisation de l'Afsset soit suivie et que le seuil d'amiante dans l'air soit abaissé à 0,47 fibre par litre.

Proposition n° 25

Abaisser le seuil d'amiante dans l'air déclenchant des travaux de désamiantage à 0,47 fibre par litre.

2. Mieux informer sur les déchets contenant de l'amiante
a) Faciliter la gestion des déchets amiantés

De nombreuses personnes auditionnées ont regretté le manque de déchetteries spécialisées pour accueillir les déchets amiantés et leur répartition inégale entre départements.

D'après la DGPR on recense actuellement 404 déchetteries accueillant de l'amiante sur l'ensemble du territoire dont 349 permettent l'accueil des déchets des professionnels.

Le nombre de sites était plus important avant 2012. En effet, dans son arrêt du 1 er décembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré que les déchets d'amiante liés à des matériaux inertes ne pouvaient être considérés comme des déchets inertes de par leur caractère dangereux. La France a ainsi été amenée à ne plus permettre l'élimination des déchets d'amiante liée en installation de stockage de déchets inertes. En conséquence, de nouvelles dispositions réglementaires pour l'enfouissement ont été définies par l'arrêté ministériel du 12 mars 2012 :


• depuis le 1 er juillet 2012, les déchets contenant de l'amiante ne sont plus acceptés en installation de stockage de déchets inertes (ISDI);


• par dérogation au principe selon lequel les déchets contenant de l'amiante, qu'il s'agisse de déchets routiers ou du bâtiment, composés d'amiante lié ou non, sont systématiquement considérés comme des déchets dangereux , les déchets d'amiante liés à des matériaux inertes ayant conservé leur intégrité sont admis dans les installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND).

L'élimination des matériaux contenant de l'amiante est imposée par le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996.

Le droit communautaire en matière de gestion des déchets d'amiante prévoit que les déchets d'amiante ne peuvent être gérés que :


• dans les installations de stockage de déchets dangereux (ISDD);


• dans des installations de stockage de déchets non dangereux sous couvert de la mise en oeuvre d'une gestion adaptée en matière de confinement des déchets et de gestion séparée des autres déchets.

En France, l'arrêté du 12 mars 2012 réglemente le stockage de déchets d'amiante.

Le producteur de déchets d'amiante est aussi tenu :


• de tenir un registre déchet conformément aux dispositions de l'arrêté ministériel du 29 février 2012 ;


• d'établir des bordereaux de suivi de déchets d'amiante (BSDA) ;


• d'obtenir, avant l'évacuation des déchets, l'accord de l'éliminateur retenu pour la prise en charge des déchets.

Les déchets d'amiante sont principalement traités par enfouissement pour un coût de 80 à 200 euros la tonne. L'établissement public d'aménagement universitaire de la région Ile-de-France (Epaurif) a pour sa part créé parallèlement à l'enfouissement une filière d'inertage de l'amiante. Il a donc recours à la seule usine européenne capable de procéder à ce traitement (Inertam implanté dans les Landes) qui consiste à faire fondre l'amiante pour en faire une roche silicatée non toxique. Le coût de la procédure paraît cependant prohibitif (de 1 500 à 2 000 euros la tonne y compris le transport) et peu efficiente du point de vue énergétique. L'inertage ne peut donc avoir qu'une portée limitée comme mode de traitement des déchets amiante.

b) Le cas particulier de l'enrobé routier

La délégation CGT-SNPTRI a également alerté votre comité de suivi sur une pratique méconnue mais apparemment courante dans le domaine des travaux publics : le recyclage d'agrégats bitumeux, parfois amiantés, pour fabriquer un nouvel enrobé. Il est vrai qu'entre 1974 et 1995, l'amiante a été intégrée dans le bitume pour la fabrication d'enrobé afin de lui donner de la résistance à l'orniérage et à l'usure. Selon la direction de la prévention des risques (DGPR), environ 0,4 % des routes seraient en enrobé amianté, avec une teneur en amiante de type chrysolite comprise entre 1 et 2 %, d'où une production de granulats d'enrobés amiantés estimé à 70 000 tonnes par an. Votre comité de suivi n'a pas eu l'occasion d'approfondir ce point, qui, s'il était avéré, serait absolument inacceptable car illégal et dangereux. Il convient de rappeler que la circulaire du 15 mai 2013 du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, portant instruction sur la gestion des risques sanitaires liés à l'amiante dans le cas de travaux sur les enrobés amiantés du réseau routier national non concédé, a clairement rappelé que « le remploi ou le recyclage d'un enrobé contenant de l'amiante est interdit ».

Votre comité de suivi souhaite que les directions interdépartementales des routes respectent rapidement les instructions prévues dans cette circulaire (qui ne traite pas d'ailleurs uniquement de la question des déchets amiantés), et que celles-ci soient déclinées et applicables pour l'ensemble des routes. L'objectif est en effet d'obtenir à terme une cartographie de la présence d'amiante dans les routes en France, quelle que soit l'identité de leur gestionnaire.

c) L'information des particuliers

Votre comité de suivi constate que la communication publique actuelle est trop peu orientée vers la population générale. Pourtant la diffusion de connaissances scientifiques sur les risques liés à l'amiante et sur les précautions de base à prendre pour un particulier faisant chez lui des travaux sont de nature à contenir les craintes diffuses au sein de la population et à encourager les comportements vertueux.

Le comité de suivi estime que ce travail de synthèse et de diffusion appartient à la direction générale de la santé en lien avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes). Les informations devront être pratiques et, tout en rappelant les exigences légales et réglementaires, d'abord orientées vers la réduction des risques. L'Andeva a ainsi souligné le risque que représente pour toute une famille le fait de porter dans sa voiture des gravats amiantés sans avoir pris les mesures nécessaires pour les isoler.

L'un des points essentiels en matière d'information est en effet la gestion des déchets. La direction générale de la prévention des risques du ministère de l'écologie a mené un suivi précis de cette question et considère que le nombre de structures susceptibles de recueillir les déchets d'amiante est suffisant pour faire face aux besoins. Cette approche reste cependant très liée à l'idée que la réalité se conforme aux textes. Dès lors que les particuliers réalisent eux-mêmes, en dépit des textes, des travaux les conduisant à produire des déchets contenant de l'amiante, il convient de réfléchir au meilleur moyen de permettre la collecte de ces déchets, leur acheminement vers les sites autorisés (inégalement répartis selon les régions) et le coût de ces opérations. En effet, le stockage des déchets d'amiante s'avère onéreux, ce qui renforce le risque de décharges sauvages, spécialement en milieu rural.

L'information à destination des particuliers a vocation à s'intégrer au portail internet regroupant l'ensemble de l'information publique sur l'amiante dont votre comité de suivi recommande la création.

Proposition n° 26

Mieux informer les particuliers sur la gestion des déchets susceptibles de contenir de l'amiante et réfléchir avec les collectivités locales aux moyens d'organiser la collecte et le stockage à des coûts abordables pour les particuliers.

3. Développer le suivi post-professionnel

Le suivi post-professionnel des personnes exposées au cours de leur activité à des produits cancérigènes comme l'amiante, défini aux articles D. 461-25 et suivants du code de la sécurité sociale, existe depuis plus de vingt ans.

Il permet la prise en charge des examens médicaux et cliniques nécessaires sans avance des frais auprès des professionnels de santé. Le contenu exact du suivi pour les personnes exposées à l'amiante a fait l'objet d'une recommandation de bonnes pratiques par la Haute Autorité de santé (HAS) en avril 2010 puis d'un protocole de suivi validé par ce même organisme en octobre 2011.

Le suivi post-professionnel des personnes exposées à l'amiante

Les examens pris en charge par les organismes de sécurité sociale dans le cadre du suivi post-professionnel amiante sont une consultation médicale et un scanner thoracique :

- tous les 5 ans pour les personnes ayant été fortement exposées ;

- tous les 10 ans en cas d'exposition de catégorie intermédiaire.

Les modalités techniques de réalisation du scanner thoracique de dépistage sont précisées dans le protocole validé par la HAS.

La radiographie pulmonaire standard et les explorations fonctionnelles respiratoires n'ont plus leur place dans le dépistage des affections pleuro-pulmonaires liées à l'amiante.

Une double lecture effectuée par des radiologues ayant satisfait aux exigences d'une formation appropriée est recommandée. Une troisième lecture devra être faite par un expert en cas de discordance.

Cette prise en charge repose néanmoins, s'agissant des expositions à des agents cancérogènes, sur l'obligation pour la personne d'adresser une demande de suivi post-professionnel à la caisse d'assurance maladie dont elle dépend en y joignant l'attestation d'exposition remplie par l'employeur et le médecin du travail.

S'il est impossible pour la personne de se procurer cette attestation (par exemple en cas de cessation d'activité de l'entreprise), la caisse d'assurance maladie fait procéder à une enquête pour établir la réalité de l'exposition.

Il apparaît à votre comité de suivi que ce mécanisme, qui dépasse la seule question de l'amiante, reste trop complexe . Il impose en effet une démarche volontaire des personnes exposées alors même qu'elles n'ont pas forcement connaissance de l'existence du dispositif de suivi. Dans son rapport de 2005, la mission commune d'information avait pourtant placé comme première recommandation le fait d'améliorer l'information des salariés susceptibles d'avoir été exposés à l'amiante au cours de leur carrière, pour qu'ils soient plus nombreux à demander le bénéfice d'un suivi médical post-professionnel.

Le Syndicat national des personnels techniques des réseaux et infrastructures (SNPTRI-CGT) mène un combat ancien pour la mise en place d'un suivi post-professionnel des personnels des travaux publics . Elle a obtenu, partiellement, satisfaction par la circulaire du 15 mai 2013 du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, portant instruction sur la gestion des risques sanitaires liés à l'amiante dans le cas de travaux sur les enrobés amiantés du réseau routier national non concédé. Dans son point 7, la circulaire prévoit en effet la mise en place d'un suivi par les employeurs. Celui-ci a connu un début d'application, notamment sous l'égide de la direction interdépartementale des routes du Massif central. Votre comité de suivi souhaite que l'effort se poursuive dans les autres régions en étroite concertation avec les partenaires sociaux et au sein des CHSCT, comme le prévoit la circulaire.

Un décret du 12 décembre 2013 relatif au suivi post-professionnel des agents hospitaliers et sociaux de l'Etat 36 ( * ) fait obligation aux établissements employeurs d'informer ceux-ci de leur droit à un suivi post-professionnel lors de leur cessation d'activité. Cette obligation devrait être étendue à l'ensemble des employeurs publics et reposer également sur les employeurs privés.

Le GTNAF a informé votre comité de suivi qu'une offre de service ciblée sur les bénéficiaires et anciens bénéficiaires du Fcaata est sur le point d'être lancée . Un tiers des personnes concernées devraient ainsi recevoir un courrier les informant des modalités du suivi post-professionnel avant septembre prochain. Un bilan d'étape sera réalisé début 2015. Il permettra d'ajuster les modalités d'information des bénéficiaires et anciens bénéficiaires du Fcaata non ciblés par la première vague et d'envisager l'information d'autres populations exposées.

Votre comité de suivi salue cette mesure bien que celle-ci paraisse tardive et préconise pour l'avenir que les fiches d'exposition amiante , prévues par l'article R. 4412-120 du code du travail issu du décret n° 2012-639 du 4 mai 2012 relatif aux risques d'exposition à l'amiante, soient transmises aux caisses d'assurance maladie lors de la cessation de l'activité de la personne (retraite, départ volontaire ou non). Une information sur le droit au suivi post-professionnel serait alors adressée par la caisse à la personne concernée.

Le comité de suivi a également été alerté sur les difficultés que rencontrent les services de l'université Pierre et Marie Curie s'agissant du suivi post-professionnel, mis en place en 1992, des personnels ayant travaillé sur le site de Jussieu entre 1966 et 1996. Sur 6 790 personnes identifiées, 1 700 personnes n'ont pu être contactées faute d'une adresse à jour. Le service des pensions de l'Etat, contacté par l'université, n'a pas donné suite à sa demande d'information ce qui l'empêche de proposer à ces personnes le suivi post-professionnel nécessaire. Pareil cloisonnement est, aux yeux de votre comité, particulièrement dommageable et il convient d'y remédier.

Proposition n° 27

Créer auprès du service des pensions de l'Etat une cellule pour aider les employeurs publics à contacter les agents susceptibles d'avoir été exposés à l'amiante.

Votre comité de suivi regrette par ailleurs que la réforme du statut des médecins du travail , qui constituait la proposition n° 24 de la mission sénatoriale de 2005, n'ait pas permis, malgré la loi n°2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail, de faire le lien entre suivi professionnel et suivi post-professionnel. Votre comité souhaite que la promotion de l'accès au suivi post-professionnel soit un des axes du futur plan de santé au travail 2015-2019 actuellement en cours d'élaboration.

Les enjeux liés à l'indemnisation des victimes de l'amiante

Si l'ensemble des partenaires sociaux manifeste leur attachement au mécanisme d'indemnisation des victimes de l'amiante tel qu'il a été mis en place avec le Fiva plusieurs interrogations doivent néanmoins être soulevées.

Tout d'abord, tout dysfonctionnement ponctuel du Fiva dans le traitement des dossiers, retards ou, d'après certains témoignages transmis à votre présidente, oublis, ont un impact individuel parfois important qu'il s'agisse de victimes ou d'ayants droit. Le travail de suivi des dossiers et le respect des délais légaux dans leur traitement, qui sont un objectif premier de la direction du Fiva, doit donc faire l'objet d'une attention particulière. Le dernier rapport public de la Cour des comptes a fait sur ce point plusieurs recommandations que partage votre comité de suivi.

Les différences persistantes dans la reconnaissance du lien entre l'exposition à l'amiante et les pathologies doivent également être soulignées. Un travail d'harmonisation des positions prises par les médecins de sécurité sociale doit donc être entrepris de même qu'un réexamen des tableaux de pathologie dont les incohérences ont été signalées par l'Adeva 56.

Enfin le classement d'une entreprise ou d'un site sur la liste de la Caata continue à poser d'importantes difficultés. Ici encore, la Cour des comptes a soulevé une contradiction lourde de conséquence pour les personnes exposées. Certains sites sont reconnus comme ayant utilisé l'amiante alors même que les éléments objectifs sont parfois ténus, tandis que d'autres pour lesquels les éléments de preuves sont plus importants ne le sont pas.

La Cour des comptes dans son rapport public pour 2014 a souligné la grande complexité de la procédure pour l'accès des anciens salariés de l'entreprise Tréfimétaux au dispositif de cessation anticipée d'activité. Une plus grande clarté des critères applicables en matière d'accès au Fcaata est nécessaire dans l'attente de la mise en place d'un accès individuel.

4. Renforcer le suivi épidémiologique des zones à affleurement naturel et des populations exposées au traitement de l'amiante et au désamiantage

La cartographie des zones naturellement amiantifères ayant été menée, des travaux sont en cours pour mesurer le taux d'empoussièrement naturels. Dans ces zones comme dans celles ayant connu l'implantation d'usine de traitement de l'amiante ou d'importants chantiers de désamiantage, pour lesquelles la cartographie a déjà été conduite, le comité préconise un suivi épidémiologique spécifique.

Un cas à particulièrement attiré l'attention de votre comité, celui du Comptoir des minéraux et matières premières (CMMP) implanté à Aulnay-sous-Bois . L'activité de cette entreprise a consisté, officiellement de 1938 à 1975, à broyer, défibrer et carder de l'amiante brut. La pollution environnementale générée par cette activité a été la cause de pathologies détectées à partir de 1995. Depuis 2005, la cellule inter-régionale d'épidémiologie d'Ile-de-France mène une étude de santé publique destinée au suivi de la population, y compris des anciens élèves de l'établissement scolaire avoisinant l'usine.

Il importe de développer ces études pour l'ensemble des sites susceptibles d'avoir causé une pollution environnementale. Votre comité reprend donc la proposition n°22 de la mission de 2005.

Proposition n° 28

Renforcer les effectifs de l'InVS, et notamment de son département santé-travail.


* 36 Cf. le décret n° 2013-1151 du 12 décembre 2013 relatif au suivi médical post-professionnel des agents des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 exposés à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction.

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