LE PROJET CIEL UNIQUE 2 + ET SES CONSÉQUENCES
La Commission européenne a présenté, le 11 juin 2013, un paquet dénommé « Ciel unique 2+ », composé des deux propositions de règlement qui vise à accélérer la réforme du système européen de contrôle de la circulation aérienne, mise sur pied par cinq règlements de 2008 ou paquet « Ciel unique 2 ». Ce projet n'est pas dénué de conséquences sociales.
Le texte COM (2013) 410 prévoit de séparer complètement, sur les plans organisationnel et budgétaire, les autorités nationales de surveillance - qu'il s'agisse de la surveillance technique de la sécurité ou de la surveillance économique -, des organisations de contrôle de la circulation aérienne qu'elles supervisent (prestataires de services de navigation aérienne). Les autorités nationales de surveillance devront néanmoins disposer de ressources suffisantes pour mener leurs tâches à bien. La Commission juge en effet qu'actuellement, de nombreuses autorités de surveillance manquent de ressources et sont tributaires du soutien des entités qu'elles sont censées superviser. Les États membres auraient jusqu'en 2020 pour mener à bien cette réorganisation.
Un tel projet conduirait la France à intégralement repenser son organisation. En effet, la direction des services de la navigation aérienne (DNSA), prestataire de services de navigation aérienne, et la direction de la sécurité de l'aviation civile (SDAC), autorité de surveillance de la sécurité aérienne font toutes deux parties d'un même ensemble : la direction générale de l'aviation civile (DGAC). La direction des transports aériens (DTA), responsable de la surveillance économique, fait également partie de la DGAC. Le texte présenté par la Commission suppose donc l'éclatement de ce dispositif, qui n'est pourtant pas sans analogie avec celui mis en oeuvre aux États-Unis, au travers de l'agence fédérale de l'aviation (FAA). Celui-ci pourrait déboucher sur la mise en place d'une autorité administrative indépendante en charge de la surveillance. L'autre solution consisterait à privatiser complètement la prestation de service, solution qui n'a pour l'heure jamais été expérimentée dans le monde. L'avantage des systèmes français et américain tient à la possibilité de regrouper au sein d'un cadre unique un maximum de compétences, qui peuvent tourner entre les directions et apporter ainsi leur expérience. Une telle séparation limiterait cet échange de bonnes pratiques.
Le deuxième axe fort du texte consiste à séparer juridiquement les services « d'appui » de la navigation aérienne (communication, navigation, surveillance, information aéronautique, météorologie) et de les mettre en concurrence à travers l'organisation d'appels d'offres ouverts et transparents. La Commission y voit un moyen de réduire le coût de la gestion du trafic aérien. Les services essentiels de contrôle de la circulation aérienne, quant à eux, sont des monopoles naturels et ne seront pas concernés par les nouvelles dispositions.
Il est toutefois regrettable que cette libéralisation des services d'appui n'ait jamais fait l'objet d'une étude d'impact sérieuse sur les plans technique ou financier ni suscité une réflexion sur ses conséquences en matière de sécurité et notamment sur la question de la cybersécurité.
La question de la météorologie est assez symptomatique d'une vision dogmatique de la libéralisation préconisée par la Commission européenne. À l'image de Météo France, la plupart des services de météorologie des États européens sont déjà indépendants juridiquement des services d'appui. L'intervention du législateur européen semble donc redondante. Pire, une mise en concurrence ne pourrait de fait qu'aboutir à l'éviction de certains opérateurs déjà établis et donc à des pertes financières importantes. 23 % du budget de Météo France est ainsi constitué des redevances perçues dans le cadre de ses travaux aéronautiques. Ce qui induirait à n'en pas douter une réduction sensible des effectifs de cette société.
Cette libéralisation a logiquement suscité des inquiétudes auprès de la Fédération européenne des travailleurs du transport (ETF). Une manifestation a d'ailleurs été organisée à Bruxelles le 14 octobre 2013. L'Allemagne et la France ont déjà manifesté leur opposition à ce projet qui devrait être instruit au Conseil à l'occasion de la présidence italienne (juillet-décembre 2014). Rome se montre également réservée sur ce texte. L'examen du texte au Parlement européen a débouché sur la suppression de la référence à l'obligation de séparation juridique et de mise en concurrence des services d'appui. Reste que les amendements adoptés en commission Transport et tourisme imposent aux prestataires de services de navigation de comparer les offres de plusieurs entreprises pour les services d'appui et de se décider pour l'offre la plus avantageuse en termes de qualité mais aussi en termes financiers. Les modalités de sélection seront en outre précisées par la Commission européenne au travers d'actes délégués. Un tel dispositif n'est pas éloigné en pratique de la mise en concurrence des services d'appui.
Le texte de la Commission européenne vise également à renforcer le système de performance en fixant des objectifs de performance globaux 2015-2019. Ceux-ci concernent la sécurité, l'efficacité économique, la capacité et l'environnement. La Commission propose que le taux moyen de redevance versée par les compagnies aériennes pour le contrôle aérien passe de 53,66 euros en 2015 à 43,86 euros en 2019. Cet objectif a suscité des réserves de la part du gouvernement français, rejoint par ses homologues allemand, espagnol et italien. Il y a lieu en effet de s'interroger sur les conséquences sur l'emploi et la qualité du service si une telle diminution devait avoir lieu.