II. REFONDER LA GOUVERNANCE EUROPÉENNE

A. UN MODÈLE EUROPÉEN SINGULIER ET À PLUSIEURS ÉTAGES OU PLUSIEURS CERCLES

À travers son histoire, l'Europe a su développer un modèle singulier qui doit être conforté. Sur cette base, l'Europe devra nécessairement fonctionner à plusieurs étages ou plusieurs cercles, chaque État membre devant rester libre de choisir un niveau d'intégration plus ou moins poussée et avoir la garantie que sa démarche sera accueillie positivement. En premier lieu, le couple franco-allemand doit retrouver son rôle moteur d'impulsion ; la zone euro doit, en deuxième lieu, constituer la base d'une intégration renforcée ; un troisième cercle doit permettre de concrétiser une « Europe espace ». Deux domaines devraient se constituer avec des géométries variables : la défense européenne et l'espace Schengen.

1. Un modèle européen singulier qui doit être conforté : la communauté de nations
a) Un partage de souveraineté

Pour franchir une nouvelle étape, il faut transcender les réflexes souverainistes d'un autre âge et cesser toute hypocrisie à cet égard. Le mot de souveraineté est abusivement utilisé. En particulier, il existe une difficulté à concevoir cette notion autrement qu'en termes d'exclusivité. Or, la réalité oblige à constater que les États - en théorie souverains - ont perdu en pratique leur capacité à décider seuls et de façon isolée. Dans un contexte où les flux économiques transcendent les frontières étatiques, les États ne peuvent pas agir sans se rassembler pour retrouver à un autre niveau la souveraineté que chacun d'eux a en fait perdue. L'Union européenne permet aux États membres de recouvrer leur souveraineté en en partageant l'exercice avec d'autres États auxquels ils sont unis par une communauté de valeurs. Nous serons d'autant plus souverains que nous serons européens.

Ce partage de souveraineté peut tout à fait se combiner avec un exercice exclusif par chaque État de sa capacité autonome de décision pour tout ce qui concerne son organisation sociétale et le choix des modes de vie en son sein. Il implique aussi de ne confier à l'Union européenne que les seules compétences qu'elle peut mieux exercer que les États membres individuellement. En clair, il faut faire l'Europe sans défaire la France ou toute autre Nation. Il faut unir sans asservir, harmoniser sans uniformiser.

Inversement, il serait vain de rechercher un « modèle pur » de fédéralisme auquel l'Union européenne devrait se conformer. Comme le montre l'étude comparative 27 ( * ) , réalisée à la demande de votre rapporteur, le concept de fédération, non dénué d'équivoques, permet de faire référence à des réalités très diverses qui résultent d'évolutions historiques propres à chaque ensemble. Il existe donc un large éventail de solutions institutionnelles où s'entremêlent les caractéristiques d'un régime fédéral et les traits d'un État unitaire. Les États dits fédéraux font prévaloir le pragmatisme et l'esprit de compromis permettant de résoudre les difficultés de nature très diverse.

b) Conforter l'Union européenne comme communauté de nations

L'Union européenne n'est ni une fédération ni une confédération. Elle a développé un modèle sui generis qui s'apparente à une fédération d'États-nations pour reprendre la formule de Jacques Delors.

L'Union présente certains traits qu'elle emprunte aux États fédéraux. Elle dispose de la personnalité juridique et d'institutions permanentes. Les principes de répartition des compétences entre l'Union et les États membres figurent dans les traités. Le droit de l'Union prime sur les droits nationaux. Il est « d'applicabilité directe » (pour les règlements) dans le droit interne des États membres. L'Union peut s'appuyer sur un budget alimenté par des ressources et sur une monnaie commune. On ajoutera la protection des droits fondamentaux depuis que le traité de Lisbonne a donné à la Charte des droits fondamentaux un caractère juridiquement contraignant.

À l'inverse, l'Union européenne continue à développer des procédures intergouvernementales qui l'éloignent du modèle de la fédération. Des décisions essentielles comme la définition de ressources propres ou la révision des traités restent entre les mains des États membres. La politique étrangère et la défense sont encore régies par l'intergouvernementalité.

La véritable originalité du modèle européen réside dans la méthode communautaire. Celle-ci confie à une institution indépendante des États, « dépositaire » de l'intérêt général européen, un monopole de l'initiative. Encore faut-il qu'elle exerce réellement cette mission. Cette méthode prévoit la majorité qualifiée comme mode de décision au Conseil. Elle associe le Parlement européen à la décision, sur un pied d'égalité avec le Conseil, à travers la procédure de codécision. Elle assure la primauté de la règle de droit en veillant à l'existence d'un contrôle juridictionnel exercé par la Cour de justice.

Ce modèle original doit être conforté et amélioré. Il ne s'agit pas de forger une « fédération-Léviathan » qui ferait de l'Europe un État-nation. Un État unitaire européen ne correspond pas aux aspirations du rassemblement de vieilles nations que nous représentons. Au contraire, nos diversités géographiques, historiques, culturelles constituent un formidable atout dans la compétition mondiale.

On pourrait toutefois imaginer que le pouvoir d'initiative de la Commission soit partagé selon des modalités à déterminer par le Parlement européen.

En fait, l'Europe doit être une « communauté de nations ». Jusqu'ici les relations entre les peuples se sont développées selon deux modes essentiels : l'impérialisme et le nationalisme. Ces modes ne sont pas satisfaisants au regard de nos propres valeurs. Ce que nous visons avec la construction de l'Europe n'est rien moins que l'invention d'un nouveau mode de relations entre les peuples ; une communauté, fondée sur la libre adhésion, la démocratie et le respect des identités culturelles de chacun. Notre ambition pour l'Europe doit donc être de construire un projet de civilisation servi par une puissance, organisée sur le mode du fédéralisme décentralisée et qui constitue une « communauté de nations ». Les provinces ont fait la France, les nations feront l'Europe !

Dans un important discours, l'ancien ministre allemand des affaires étrangères, Joshka Fischer, avait bien exprimé l'originalité d'un tel modèle : « la conception qui prévalait jusqu'à présent d'un État fédéral européen qui remplacerait comme nouveau souverain les États nations et leur démocratie s'avère être une construction artificielle » ; il faut, selon lui, que la fédération européenne « conserve les États nations », « ne les dévalorise pas » et que « le processus s'effectue sur la base d'un partage de souveraineté entre l'Europe et l'État nation 28 ( * ) . »

Dans son discours sur l'état de l'Union du 12 septembre 2012, le président José Manuel Barroso a exprimé cette perspective d'évolution que, selon lui, l'Union européenne devrait se donner : « nous devrons évoluer vers une fédération d'États-nations. Voilà de quoi nous avons besoin, tel est notre horizon politique. »

Il s'agit donc d'organiser cette « communauté de nations » en une fédération d'États-nations, décentralisée, fondée sur la subsidiarité et le respect de nos identités. Mais cette fédération doit être dotée d'une structure de pouvoir qui lui permette d'agir et de réagir avec l'efficacité nécessaire.

c) Pour une révision périodique des traités européens

Pour résoudre les difficultés auxquelles l'Europe a été confrontée au cours de son histoire, les dirigeants européens ont souvent fait de la révision des traités la clé des réponses à leur apporter. Pourtant, force est de constater qu'enlisées dans les négociations intergouvernementales, les révisions n'ont pas toujours apporté des réponses définitives et permis de fixer un cap clair au projet européen.

On doit donc dans ce domaine privilégier une approche pragmatique. Une telle approche conduit d'abord à constater qu'il est possible d'agir dans le cadre des traités existants. Depuis le traité de Lisbonne, l'Union européenne dispose d'une « boîte à outils » qu'il appartient aux institutions européennes d'utiliser à bon escient. Pour prendre deux exemples, on peut légitimement considérer que pour consolider la gouvernance de la zone euro, des instruments peuvent être utilisés et approfondis à traités constants ; les traités ont par ailleurs fixé le cadre pour lancer des coopérations renforcées entre les États membres auxquels il revient de prendre l'initiative dans ce sens, comme ils l'ont fait en matière de divorce, pour la création d'un brevet de l'Union européenne et d'une taxe sur les transactions financières.

Plus que d'un grand traité refondant globalement le fonctionnement de l'Europe, c'est plutôt d'une révision périodique des traités existants dont celle-ci a besoin. Cette méthode permettrait de tirer de façon concrète les leçons de la pratique institutionnelle en corrigeant ce qui doit l'être et d'introduire les innovations nécessaires. Une procédure de révision simplifiée rendrait le processus vite opérationnel (cf. infra).

2. Le rôle moteur du couple franco-allemand
a) Retrouver une vraie capacité d'entraînement

Le couple franco-allemand doit rester le moteur de la construction européenne dès lors que la France sera capable de rester une puissance économique à la hauteur de l'Allemagne. Après 50 ans de relations organisées par le traité de l'Élysée qui a largement contribué à rapprocher ces deux peuples, la crise actuelle montre qu'un approfondissement est nécessaire. Des réflexions et des échanges sur l'avenir à long terme de l'Europe, sur les conceptions économiques et sociales respectives sont indispensables.

La France et l'Allemagne doivent ensemble retrouver la dynamique qui leur permettra d'entraîner l'ensemble européen et lui ouvrir des perspectives. Elles doivent démontrer une capacité à proposer une vision stratégique de long terme pour l'Union européenne. Elles doivent proposer des actions concrètes qui montrent la direction.

Ce rôle clé de la relation franco-allemande dans l'unification européenne a été un axe fort du « papier » Schäuble-Lamers de 1994 29 ( * ) et du discours de l'ancien ministre allemand des affaires étrangères Joshka Fischer, en 2000, devant l'université Humboldt de Berlin.

Comme l'a bien montré notre collègue Jean Bizet 30 ( * ) , la réconciliation franco-allemande symbolise à bien des égards la construction européenne. Elle leur donne une capacité d'entraînement spécifique. Surtout les deux pays constituent le point de rencontre d'un grand nombre d'aspects différents, voire opposés, de l'identité européenne. Le rapprochement de leurs points de vue suppose une synthèse d'une large part de la diversité européenne. Une convergence franco-allemande est le meilleur moyen de favoriser une large convergence européenne.

Ce rôle moteur du couple franco-allemand ne peut signifier en aucun cas une quelconque volonté d'imposer des lignes directrices aux autres États membres. Il a plus simplement pour finalité de jeter les bases d'un compromis qui pourra être élargi aux autres partenaires européens. Il peut aussi inclure des États membres qui partagent la même volonté de construire l'Union européenne. On pense en particulier à l'Italie et à la Pologne.

Pour cette dernière, le Triangle de Weimar, qui associe la France, l'Allemagne et la Pologne, pourrait être un cadre pertinent pour promouvoir une volonté commune de faire avancer l'intégration européenne. Il permettrait de faire le lien nécessaire entre la zone euro et les États qui lui sont extérieurs. Il constitue, en effet, une bonne synthèse de l'équilibre européen entre le sud, le nord et l'est de l'Europe.

Si l'on veut que le couple franco-allemand fonctionne à nouveau, la France doit se rapprocher des performances de l'Allemagne. Pour retrouver leur rôle moteur, la France et l'Allemagne doivent nécessairement aller vers plus de convergence en rapprochant leurs systèmes fiscaux et sociaux et en ayant la même approche sur le respect des grands équilibres budgétaires. Elles doivent aussi définir une approche commune sur la politique énergétique. Ce rapprochement ne signifie en rien que chacun des deux États devrait perdre en tout ou en partie son identité. C'est au contraire leurs différences qui les rendent complémentaires et leur permettent de jouer efficacement un rôle d'entraînement en Europe. Ils ne peuvent renoncer à cette responsabilité spécifique. Nos deux pays doivent aussi approfondir la connaissance mutuelle dans tous les domaines pour rapprocher nos peuples. Des coopérations institutionnalisées doivent se développer au niveau des États mais aussi au niveau régional.

Il serait erroné de croire que l'Allemagne pourrait envisager d'exercer seule un leadership européen. Nos partenaires allemands ont la conviction que la France et l'Allemagne ont besoin l'une de l'autre, en particulier dans la phase difficile que traverse l'Europe. La France est le premier interlocuteur de l'Allemagne et son premier partenaire commercial. Il est de son intérêt - et de celui de l'Europe - de dialoguer avec une France forte. L'accord de grande coalition l'exprime en soulignant que « le partenariat franco-allemand demeure singulier dans sa profondeur et son étendue » . Il fait valoir que les deux pays, qui sont des puissances économiques, ont un intérêt particulier ainsi que les moyens de promouvoir l'unité de l'Union européenne, son bien-être, sa sécurité et sa compétitivité.

b) Vers un traité « du Château de Bellevue » ?

Le cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée a donné l'occasion, il est vrai dans une certaine discrétion, aux dirigeants français et allemands de manifester une volonté d'affirmer leur responsabilité commune au coeur de l'Europe.

50ème anniversaire du Traité de l'Élysée - Déclaration de Berlin

22 janvier 2013

1. Le 22 janvier 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer signaient un traité entré dans l'histoire sous le nom de Traité de l'Élysée, consacrant l'engagement irrévocable de la France et de l'Allemagne pour la paix, l'amitié de leurs peuples et l'Europe. C'est avec une grande fierté que nous célébrons aujourd'hui le cinquantième anniversaire de ce texte audacieux.

Les deux conflits mondiaux dévastateurs ont montré l'horreur de la guerre et les souffrances incommensurables infligées par la barbarie. Le souvenir de ces affrontements constitue le socle de notre réconciliation.

Le Traité de l'Élysée a marqué un nouveau départ dans notre relation. Il est plus que jamais indispensable.

Dans le discours qu'il a prononcé lors de la remise du prix Nobel de la paix à l'Union européenne, le 10 décembre 2012, Thorbjørn Jagland, le président du comité Nobel, a qualifié la réconciliation entre l'Allemagne et la France «d'exemple vraisemblablement le plus spectaculaire de l'histoire montrant comment un continent de guerre et de conflits peut se transformer si rapidement en un continent de paix et de coopération». La relation entre nos deux pays constitue le coeur de l'Europe et nous confère une responsabilité exceptionnelle.

2. La jeunesse représente l'avenir de l'amitié franco-allemande. Elle forme la priorité de nos relations. Depuis 1963, plus de huit millions de jeunes ont participé aux programmes d'échanges de l'Office franco-allemand pour la Jeunesse. Nous avons décidé de renforcer notre soutien à l'action de l'OFAJ en lui accordant des moyens à la hauteur de notre ambition. Notre jeunesse doit pouvoir avoir la chance de réaliser ses projets et d'y consacrer son énergie et le désir d'épanouissement qui l'anime. À cette fin, nous déploierons tous les efforts nécessaires pour qu'elle ait accès à la meilleure éducation, à des emplois et qu'elle puisse bénéficier de l'ensemble des possibilités offertes dans nos deux pays et en Europe. Nous avons décidé de mettre en place des mesures concrètes pour développer la formation et les compétences professionnelles des jeunes y compris par des filières bilingues.

3. Une communauté de destins et une véritable citoyenneté européenne ne peuvent se développer sans un espace commun de l'éducation, du savoir et de la culture. Dans cette perspective, la France et l'Allemagne développeront des coopérations concrètes qui auront vocation à inspirer des initiatives européennes. Dans le domaine culturel, elles promouvront des partenariats dans tous les domaines et l'approfondissement d'un système économique et fiscal européen protégeant le droit d'auteur, y compris dans le domaine numérique. Fortes de la promesse suscitée par le rapprochement de leurs sociétés civiles, elles s'engagent à favoriser une conscience citoyenne européenne, respectueuse des spécificités de chacun, à travers la promotion de l'enseignement de l'histoire de l'Europe, de l'apprentissage de la langue des autres États membres, de la préservation et la mise en valeur du patrimoine européen.

4. Sous l'impulsion conjointe de la France et de l'Allemagne, l'Union européenne a porté un projet fort pour la démocratie, les libertés, le progrès économique et social des peuples européens, tenant compte du principe du développement durable et de l'achèvement du marché intérieur et du renforcement de la cohésion et de la protection de l'environnement.

Nous, Allemands et Français, au même titre que tous les Européens, pouvons être fiers de ce que nous avons accompli. Notre modèle européen, conciliant d'une manière unique la réussite économique et la solidarité sociale, conserve toute sa force. Néanmoins, nous ne pourrons jouer ce rôle d'exemple à l'avenir que si nous partageons la volonté de renouveler continuellement notre modèle européen en maintenant ses fondements.

La coopération entre nos deux pays, à l'origine même de la construction européenne, traduit l'importance du rôle moteur du couple franco-allemand. Alors que l'Europe fait face à une crise qui frappe durement les Européens, nous sommes déterminés à développer encore la coopération franco-allemande et à la mettre au service de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire afin que l'Europe surmonte les difficultés et nous permette de sortir de la crise plus forts.

5. La compétitivité de nos économies est l'une des clés de notre prospérité et de la préservation de notre modèle économique et social. Elle constituera un thème important de notre coopération. Nous intensifierons nos échanges avec les partenaires sociaux, afin de prendre des initiatives communes pour renforcer la compétitivité de nos économies tout en assurant un haut niveau de protection sociale. A cette fin, nous invitons les représentants des employeurs, les syndicats et les représentants des salariés à créer un groupe de travail consultatif franco-allemand qui proposera des initiatives conjointes.

6. Ensemble, la France et l'Allemagne ont porté et défendu la monnaie unique. Elles s'accordent sur l'importance décisive de la stabilité et de la croissance au sein de l'Union économique et monétaire pour l'avenir de nos deux pays et de l'Union européenne. C'est une condition indispensable pour que notre modèle économique et social européen puisse s'affirmer dans le monde. La France et l'Allemagne sont conscientes de leur responsabilité particulière à cet égard.

Elles prendront des initiatives ambitieuses pour définir les étapes de cet approfondissement et établir les politiques, les instruments et le cadre institutionnel démocratique nécessaire à sa réalisation. La France et l'Allemagne présenteront une contribution commune en mai prochain visant à contribuer aux travaux engagés dans la perspective du Conseil européen de juin.

7. Au-delà, elle porteront également de nouvelles ambitions pour les politiques européennes, notamment dans le domaine de la recherche et de l'innovation, de l'énergie, des transports, de la politique industrielle, de l'économie numérique, de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, y compris par l'instauration d'un parquet européen, de la défense.

8. Nos sociétés sont caractérisées par de profonds changements démographiques. Elles doivent s'adapter pour relever ce défi. La solidarité entre les générations, la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et l'intégration de tous dans nos sociétés revêtent dans ce contexte une importance décisive. Aussi ces enjeux constituent-ils un axe prioritaire de la coopération franco-allemande.

9. Nous sommes déterminés à réussir la transition énergétique et écologique dans nos deux pays et à travailler ensemble au déploiement des énergies renouvelables, au renforcement de l'efficacité énergétique, au développement des nouvelles technologies, à la mise en place de nouveaux modes de financement des investissements et à l'approfondissement du marché intérieur de l'énergie. Nous devons avancer résolument vers une véritable politique européenne de l'énergie. C'est ainsi que nous tiendrons notre rang dans la compétition mondiale et que nous contribuerons à la lutte contre le réchauffement climatique.

10. La France et l'Allemagne poursuivront leur concertation étroite sur toutes les questions importantes de politique étrangère. Elles entendent renforcer le rôle, les objectifs et la voix de l'Europe dans le monde pour promouvoir la paix et la sécurité, faire progresser les droits de l'Homme, soutenir le développement, lutter contre la pauvreté, protéger l'environnement, réguler les échanges internationaux. Le développement d'une politique extérieure et de sécurité commune renforcée, y compris à travers une politique de sécurité et de défense commune, devra répondre à ces objectifs. La France et l'Allemagne contribueront à l'émergence d'une véritable culture de sécurité et défense commune en Europe grâce au développement des échanges entre jeunes officiers et à l'établissement d'une analyse stratégique convergente. Elles développeront des options d'actions conjointes et les moyens et capacités nécessaires au travers de l'harmonisation des besoins militaires. Dans ce contexte, elles souhaitent renforcer l'industrie de défense européenne.

11. En cette année de souvenir autant que d'engagement pour l'avenir, la France et l'Allemagne sont conscientes de l'importance de leur relation dans la définition et la mise en oeuvre des orientations qui dessineront l'Europe de demain. Le Traité de l'Élysée est une source d'inspiration pour notre action.

La coopération de la France et de l'Allemagne doit engager également les Parlements, qui ont décidé aujourd'hui même d'une nouvelle étape de leur travail commun. Les initiatives d'échange issues de la société civile doivent aussi se poursuivre afin de prolonger le rapprochement engagé par les générations précédentes.

Nos deux pays s'engagent à honorer le Traité de l'Élysée en oeuvrant, dans un rapprochement toujours plus étroit entre leurs autorités et entre leurs citoyens, à la construction d'une Union qui préserve notre idéal européen de société dans l'intérêt de tous les citoyens de l'Union européenne.

En mai 2013, les dirigeants français et allemands ont adopté une contribution commune pour le renforcement de la compétitivité et de la croissance en Europe.

Ils ont désormais trois années devant eux sans consultation nationale majeure. Ils doivent saisir cette opportunité non pas pour dresser une liste de thèmes de travail sur des sujets techniques mais pour exprimer un véritable engagement européen en proposant à nos partenaires une vision commune de long terme sur le fonctionnement de l'Union et sur ses politiques.

L'année 2014 est particulièrement propice à une démarche commune. Les institutions européennes vont être renouvelées. La présidence italienne, au second semestre, sera propice à des initiatives politiques. La France et l'Allemagne doivent donc, dans le cadre des traités existants, présenter une « feuille de route » qui vise à rénover les pratiques institutionnelles en particulier en renforçant leur caractère démocratique, et à adapter la conduite des politiques européennes aux exigences économiques et sociales.

À plusieurs reprises, l'Allemagne a indiqué qu'elle était prête à l'Union politique. Dans sa conférence de presse du 16 mai 2013, le Président de la République a indiqué que « la France est également disposée à donner un contenu à cette Union politique ». Il a fixé un délai de deux ans pour y parvenir et proposer une initiative en quatre points : un gouvernement économique de la zone euro, un plan pour l'insertion des jeunes, une communauté européenne de l'énergie et une nouvelle étape d'intégration avec une capacité budgétaire qui serait attribuée à la zone euro et la possibilité, progressivement, de lever l'emprunt.

La France et l'Allemagne doivent prendre ensemble des initiatives concrètes dans le domaine économique et social, pour renforcer l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ou encore pour faire avancer la politique étrangère et la défense européenne.

Lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, le Président de la République a plaidé pour une « relance de l'Europe » et en faveur d' « initiatives pour l'Europe » qui « doivent d'abord être entre la France et l'Allemagne ». Il a formulé trois propositions : une initiative pour la convergence économique et sociale entre la France et l'Allemagne, qui au-delà de l'instauration d'un salaire minimum (qui figure dans l'accord de la grande coalition en Allemagne), passerait par l'harmonisation des règles fiscales, notamment pour les entreprises ; une coordination pour la transition énergétique avec la création d'une grande entreprise franco-allemande pour la transition énergétique ; une action commune pour l'Europe de la défense.

La France et l'Allemagne doivent présenter leurs initiatives communes aux autres États membres qui diront s'ils souhaitent s'y associer ou non. Ils renoueront ainsi avec des pratiques qui ont permis, dans le passé, à l'Europe d'avancer. Ils reconstitueront ces « solidarités de fait » chères à Robert Schuman et Jean Monnet.

Nous devons retrouver le chemin des initiatives communes susceptibles d'entraîner l'ensemble de nos partenaires, car c'est d'abord le moteur franco-allemand qui permet à l'Europe d'avancer.

Elles devraient être conclues par un nouveau traité « du Château de Bellevue », du nom du siège de la Présidence de l'Allemagne, qui inaugurerait une nouvelle phase du « vivre ensemble franco-allemand ». Des États très favorables à la construction européenne pourraient se joindre aux initiatives de ce couple.

3. La zone euro : vers une Europe plus intégrée
a) Des coopérations renforcées au sein de la zone euro

Le deuxième étage ou deuxième cercle, qui inclut bien évidemment le couple franco-allemand, doit être constitué de tous les États qui ont l'ambition d'aller vers plus d'intégration. La zone euro apparaît comme le cadre adapté pour affirmer une véritable ambition européenne.

C'est en effet à partir de la zone euro que le projet européen pourra retrouver toute sa dimension politique. La zone euro représente plus de 300 millions d'habitants. Elle constitue le plus grand marché mondial. Elle possède la deuxième monnaie du monde. Elle doit donc se fonder sur ses atouts pour sortir d'une gestion « au jour le jour » et se projeter vers une vision à moyen et long terme. À partir de cette vision, que le couple franco-allemand peut grandement contribuer à bâtir, la zone euro doit se doter des moyens de compter parmi les grandes puissances économiques et politiques.

Le moment est propice pour des avancées décisives. La zone euro a, en effet, enregistré des progrès spectaculaires depuis 2009 dans la conduite des ajustements indispensables pour faire face à la crise des dettes souveraines. Elle est sortie de la récession et peut afficher un excédent de la balance courante. Le déficit public a été ramené à 2,9 % en moyenne même si cette moyenne recouvre encore de fortes disparités. La dette reste élevée (94 % du PIB) mais elle est nettement inférieure à celle des États-Unis (108 % du PIB) ou du Japon (245 % du PIB). L'Irlande, l'Espagne et le Portugal ont mené des politiques courageuses pour résorber leurs déséquilibres publics. Ils peuvent désormais se refinancer dans de bonnes conditions sur les marchés. La Grèce est encore sur le chemin du redressement. Mais elle a commencé à renouer avec la croissance. Ces politiques ont impliqué des efforts considérables de la part des populations. Elles ont permis de sauvegarder l'euro dont chacun peut mesurer qu'il constitue un atout majeur dans la compétition internationale. Sa suppression se traduirait par des coûts exorbitants pour les États membres.

Comme votre rapporteur l'a mis en évidence précédemment, la crise a permis à la zone euro de progresser de façon spectaculaire sur la voie de l'intégration. La gestion « fédérale » de la politique monétaire était déjà acquise à travers le rôle confié à la Banque centrale européenne. Sous l'effet de la crise, les États membres ont admis qu'il fallait aller avec un cadre commun pour la gestion des politiques budgétaires qui sont désormais coordonnées dans le cadre du semestre européen. La réalisation d'une Union bancaire franchit progressivement les obstacles.

Outre la consolidation de ces acquis, déjà évoquée, la zone euro doit s'attacher à porter de nouveaux projets qui lui permettent d'avancer de façon concrète et pragmatique. Même si c'était l'idéal, il serait illusoire d'escompter que chacun de ces projets recueillera l'assentiment de tous. La zone euro est elle-même de plus en plus hétérogène. Tous les États membres dotés de l'euro n'ont pas pour autant une vision intégrationniste, voire fédérale.

Il faut donc promouvoir l'utilisation des coopérations renforcées au sein de la zone euro comme moyen de mettre en oeuvre des actions nouvelles utiles pour l'affirmation du projet européen. Selon la formule de l'ancien ministre allemand des affaires étrangères, M. Hans-Dietrich Genscher, « un pays ne peut obliger les autres à aller plus loin qu'ils ne le veulent, mais aucun pays ne peut empêcher ceux qui veulent aller plus loin de le faire. » Cette formule fait parfois craindre une perte de cohérence du projet européen. Mais comme votre rapporteur l'a montré précédemment, elle a été souvent utilisée dans le passé avec succès pour le développement de la construction européenne. Peu suspect de vouloir nuire à la cohérence de l'Union, M. Jacques Delors a lui-même défendu cette méthode des coopérations renforcées 31 ( * ) , cette méthode était aussi préconisée par M. Joshka Fischer dans son discours du 12 mai 2000 à l'université Humboldt de Berlin. La procédure est d'ores et déjà prévue par les traités qui en précisent les conditions afin que les règles communes soient respectées et que le fonctionnement du marché unique ne soit pas mis en cause.

b) Un « appel d'offres fédéral » pour des projets concrets et ambitieux

La constitution progressive d'un pouvoir politique européen peut très bien ne pas recueillir l'unanimité au sein des États membres de la zone euro. Ce n'est pas un obstacle absolu. On peut très bien commencer à constituer un pouvoir politique et démocratique à quelques-uns. Tel serait l'objet d'un « appel d'offres fédéral » qui serait lancé en vue de la constitution d'une Europe fédérale à quelques-uns. Il vaut mieux que les pas soient franchis par des États volontaires et déterminés, même peu nombreux, que de rechercher une démarche qui conduirait à rassembler davantage de pays mais autour du plus petit commun dénominateur.

c) Un budget de la zone euro

Pour que la zone euro puisse progresser vers plus d'intégration, il lui faudra disposer de moyens adéquats et donc d'un budget autonome. Le rapport de M. Herman Van Rompuy au Conseil européen, en décembre 2012, sur l'avenir de l'Union économique et monétaire a envisagé cette capacité budgétaire pour la zone euro. Il l'a présenté comme un pas supplémentaire dans un processus à plusieurs étapes. Le nouveau cadre de gouvernance économique doit permettre une large coordination ex ante des budgets annuels des États membres de la zone euro ; il renforce la surveillance de ceux qui connaissent des difficultés financières. La mise en oeuvre d'arrangements contractuels entre les États membres et l'Union européenne, ainsi que des incitations financières, soutiendront un processus de convergence. Cette convergence conduira, lors de la troisième étape, à la création d'une capacité budgétaire destinée à faciliter l'ajustement aux chocs économiques. Selon le rapport, cette capacité prendrait la forme d'un mécanisme « de type assurance » entre pays de la zone euro. Le rapport fait valoir qu'une capacité budgétaire de la zone euro pourrait constituer une base appropriée pour « l'émission en commun de dette sans recourir à la mutualisation de la dette souveraine ».

Nous pensons que ce budget de la zone euro devrait être alimenté par des ressources fiscales propres. À la suite de M. Jacques Delors, on pourrait envisager aussi la création d'un fonds spécial de cohésion à l'intérieur de l'Union économique et monétaire. Il s'agirait d'aider les États en difficulté à reconstituer une base de compétitivité.

Au-delà de cette fonction de réponse aux crises, ce budget de la zone euro devrait avoir vocation à évoluer à mesure que les États membres lanceront de nouveaux projets traduisant leur volonté d'intégration renforcée.

4. L'Europe espace fondée essentiellement sur le marché unique
a) L'Europe du marché unique

Cette « Europe espace » doit permettre le rassemblement des États qui, à l'instar du Royaume-Uni semble-t-il, voient dans l'Europe essentiellement un grand marché dans lesquels les biens et les services peuvent s'échanger librement mais qui refusent toute idée d'intégration. Ces États se reconnaîtront dans les mesures visant à approfondir le marché unique en abolissant tout ce qui peut encore en entraver le bon fonctionnement. Mais ils seront aussi sensibles à la démarche du Premier ministre britannique visant à préserver leurs prérogatives dans de nombreux domaines.

Avec les États de l'Europe plus intégrée, ces États continueront à partager les grands idéaux qui ont fondé le projet européen et qui se trouvent exprimés dans le Préambule des traités. C'est en tout premier lieu, l'adhésion aux valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de droit. C'est aussi l'attachement à un espace de paix et la reconnaissance de l'importance historique de la fin de la division du continent européen. De même, tous les États européens continueront à partager les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Seront aussi acceptés par tous, la recherche du progrès économique et social, et du respect du développement durable.

En revanche, l'idée - affirmée dans le Préambule - de poursuivre un processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe établira manifestement un clivage entre les États du premier cercle et second cercle et ceux du troisième cercle de l'« Europe espace ».

Ces États auront choisi de ne pas franchir de nouvelles étapes pour faire progresser l'intégration européenne. Ils pourront entretenir des relations régulières, libres, confiantes, organisées, institutionnalisées s'ils le souhaitent, avec ceux qui ont choisi de renforcer leurs liens, mais ils ne pourront freiner ces derniers sur la voie d'une Europe intégrée. À tout moment, ils pourront, s'ils le souhaitent, décider de rejoindre le cercle des États les plus intégrés. Le traité prévoit d'ailleurs que tous les États membres - sauf s'ils ont négocié des opt out - ont vocation à rejoindre l'euro. Le cheminement vers plus d'intégration est donc inscrit dans le texte même des traités. Il correspond à leur esprit qui est de resserrer toujours plus les liens entre les États membres.

Logiquement, les États nouveaux membres de l'Union européenne devraient passer par ce troisième cercle de « l'Europe espace ». Ils pourraient ainsi s'insérer, dans un premier temps au moins, dans un cadre moins exigeant. Ils s'acclimateraient à leurs obligations européennes par la voie du marché unique pour l'essentiel. Ils pourraient mettre à profit ce temps d'adaptation pour se préparer à franchir, s'ils le souhaitent, une nouvelle étape en rejoignant le cercle de l'Europe intégrée.

b) Une coopération sur des politiques intéressant le marché unique

Ces États, qui ne souhaitent pas aller vers plus d'intégration, pourront demeurer intéressés par des grandes politiques qui conditionnent le marché unique ou qui intéressent le positionnement de l'Europe sur les marchés extérieurs. On pense naturellement à la politique de concurrence qui conditionne le bon fonctionnement du marché unique en veillant à combattre tout ce qui peut entraver une compétition loyale entre les entreprises. La politique commerciale commune, dès lors qu'elle est - comme ce fut le cas jusqu'à présent - animée par le souci de favoriser le libre-échange, pourra aussi retenir l'attention de ces États. La politique de voisinage peut aussi contribuer à assurer une stabilité dans les espaces proches de l'Europe. Elle peut donc favoriser un climat favorable à une bonne coopération et aux échanges économiques. L'Ukraine et la Turquie sont des marchés potentiels importants pour les entreprises européennes. L'Afrique s'éveille et pourrait connaître des taux de croissance élevés dans les années à venir. La politique de coopération avec ce continent peut donc motiver les États de l'« Europe espace ».

Le souci de rationaliser les approvisionnements en matières premières pourrait aussi susciter un certain intérêt pour des progrès vers une communauté européenne de l'énergie, sous réserve qu'une certaine souplesse soit envisagée et que les États membres ne sacrifient pas leurs intérêts stratégiques.

Enfin, dans le domaine de l'environnement et du climat, de l'industrie numérique, l'interdépendance entre les États justifie des actions communes.

5. Deux domaines à géométrie variable : la défense européenne et l'espace Schengen

Ces deux domaines sont caractérisés par une géométrie variable dans le nombre d'États qui y participent. Mais le noyau dur franco-allemand y joue là aussi un rôle important.

a) La défense européenne

Les actions en faveur d'une défense européenne relèvent d'une problématique spécifique. On pourrait objecter que seuls des États ayant un souhait affirmé d'intégration européenne pourraient souscrire à une forte ambition dans ce domaine. Ce serait méconnaître les réalités européennes en matière de défense. Comme on l'a déjà souligné, la France et le Royaume-Uni concentrent 40 % de l'effort en matière de défense.

C'est donc autour de ces deux pays, pour l'essentiel, mais aussi
- dans une moindre mesure - de l'Allemagne, que la défense européenne pourra se structurer en associant les États membres ayant une certaine capacité militaire ; les autres États se contentant d'une contribution essentiellement financière. Le traité exprime cette réalité en permettant des coopérations structurées permanentes ouvertes aux États membres « qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes » (art. 42 § 6 TUE). Le traité permet aussi au Conseil de confier la réalisation d'une mission, dans le cadre de l'Union, à un groupe d'États membres (article 42 § 5). De même, l'Agence européenne de défense qui doit jouer un rôle important dans la promotion d'une industrie européenne de l'armement est, selon le traité, « ouverte à tous les États membres qui souhaitent y participe. » (article 45 § 2 TUE).

Un récent rapport de la commission de la défense, des affaires étrangères et des forces armées du Sénat 32 ( * ) a bien mis en évidence les ambiguïtés du concept d'« Europe de la défense ». D'abord, c'est un domaine régi par l'intergouvernemental : il n'est pas question pour les États de s'engager dans des projets qu'ils n'auraient pas consentis ou dans des opérations qu'ils n'auraient pas souhaitées. En conséquence, l'optionalité et la géométrie variable restent la règle. En deuxième lieu, la démarche est progressive ; c'est la politique des petits pas qui prévaut. Enfin, la complémentarité avec l'OTAN conditionne cette démarche.

Le pragmatisme n'interdit pas des améliorations institutionnelles. Le rapport d'information précité a préconisé l'« institutionnalisation » du Conseil des ministres de la défense, qui serait doté d'une présidence stable exercé par un « ministre européen » de la défense. Un « Eurogroupe de la défense » permettrait de rassembler un groupe pionnier composé des États membres, souhaitant et pouvant aller plus loin. Il serait d'abord fondé sur les capacités opérationnelles de la France et du Royaume-Uni, en y associant l'Allemagne. Au sein de cet « Eurogroupe », les États participants pourraient développer une plus grande cohérence de leurs moyens opérationnels, capacitaires et industriels avec l'élaboration d'un « Livre blanc » européen. Ils pourraient se doter d'une force expéditionnaire avec un quartier général de planification et de conduite des opérations, doté de moyens propres de renseignement.

Le contexte budgétaire rend la mutualisation indispensable. Il rend inévitable une coopération de plus en plus étroite. Les États membres passeraient ainsi d'une dépendance subie à une coopération consentie. Tous les États ne disposent pas d'une capacité opérationnelle. Mais tous doivent pouvoir contribuer à l'effort commun. À cette fin, ils devraient réserver un pourcentage de leur PIB, par exemple 2 %, aux dépenses de sécurité. Les sommes ainsi dégagées devraient pouvoir soutenir des actions nationales mais aussi alimenter un budget européen de défense dédié à des actions communes. Dans le même temps, les conceptions diplomatiques et stratégiques devraient se rapprocher.

b) L'espace Schengen

La coopération Schengen marque assurément une volonté d'intégration forte avec l'abolition des contrôles aux frontières intérieures. Mais elle présente aussi de vraies spécificités. Elle associe les États membres au-delà de la zone euro. Elle fait aussi participer des États qui ne sont pas membres de l'Union européenne tandis que certains États membres se tiennent à l'écart de cette coopération.

À l'origine, Schengen a été le résultat d'une coopération intergouvernementale qui s'est développée en dehors des traités européens. C'est un accord de 1985 et une convention d'application de 1990.

La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997. En vertu de l'article 67 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), celle-ci « constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice ». Elle « assure l'absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière (...) de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre les États membres et qui est équitable à l'égard des ressortissants des pays tiers. »

Vingt-six États font aujourd'hui partie de l'espace Schengen :

- vingt-deux États membres de l'Union européenne, soit tous les États membres sauf :

? Le Royaume-Uni et l'Irlande qui bénéficient d'un statut particulier dans la mesure où ils ont obtenu de ne participer qu'à une partie des dispositions Schengen ; ces deux États conservent le droit de contrôler les personnes à leurs frontières ;

? Chypre, qui a demandé un délai supplémentaire, ainsi que la Bulgarie et la Roumanie qui sont entrés dans l'Union européenne en 2007. Les contrôles aux frontières entre ces deux derniers pays et l'espace Schengen seront maintenus jusqu'au moment où le Conseil de l'Union européenne décidera que les conditions de suppression de ces contrôles seront remplies ;

- quatre États non membres de l'Union européenne qui sont associés à Schengen et font partie à ce titre de l'espace Schengen : l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein ; le cas de la Suisse devant être réexaminé à la suite du référendum du 9 février 2014.

Ainsi constitué, l'espace Schengen peut être un vecteur important pour une intégration renforcée. Il permet aussi de faire le lien entre les États membres de la zone euro et les États non dotés de l'euro, mais aussi avec des États tiers à l'Union européenne qui se trouvent dans son voisinage immédiat et avec lesquels des liens étroits doivent être noués.


* 27 Etude de législation comparée précitée.

* 28 Discours prononcé le 12 mai 2000 à l'Université Humboldt de Berlin, M. Joschka Fischer, ministre allemand des affaires étrangères

* 29 Rapport du groupe parlementaire CDU/CSU du Bundestag sur l'avenir de l'unification européenne, 1 er septembre 1994.

* 30 Rapport d'information précité.

* 31 M. Jacques Delors : « Repenser l'UEM et « repositiver » la grande Europe », Notre Europe - Institut Jacques Delors, tribune du 28 juin 2013.

* 32 Rapport d'information n° 713 (2012-2013) de MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat : « Pour en finir avec " l'Europe de la défense " - Vers une défense européenne ».

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