B. DES INSTITUTIONS RENOUVELÉES

Selon l'expression de M. Jean Monnet : « rien n'est possible sans les hommes, rien n'est durable sans les institutions ». Se doter d'une architecture institutionnelle plus efficace et plus démocratique est un défi essentiel que l'Union européenne doit relever. Un budget européen réévalué doit lui permettre de mettre en oeuvre les ambitions affichées dans les traités. Coeur d'une Europe intégrée, la zone euro doit être dotée d'une organisation institutionnelle renforcée et démocratique. Enfin, une simplification des ratifications doit permettre d'adapter périodiquement le cadre juridique prévu par les traités.

1. Une architecture institutionnelle plus efficace et plus démocratique
a) Un Président pour l'Europe

Nous l'avons souligné, l'Europe doit avoir une voix, un visage et un patron. Elle doit être incarnée. Le président du Conseil européen a vocation à jouer ce rôle. Pour cela, il doit bénéficier d'une légitimité démocratique très forte. Il doit donc être désigné de façon démocratique.

Quand on observe la situation des grands États fédéraux, on peut constater qu'à l'exception de la Suisse (dont l'exécutif fédéral est collégial), c'est la désignation au suffrage universel du président fédéral qui est privilégiée. Cette désignation peut être directe (Brésil, Mexique) ou indirecte. Dans ce dernier cas, ce peut être dans le cadre d'une assemblée ad hoc de grands électeurs (États-Unis), par les deux assemblées fédérales et les législatures des États (Inde) ou par l'une des assemblées (Bundestag) 33 ( * ) .

La désignation de l'exécutif fédéral

Allemagne

Brésil

États-Unis

Inde

Mexique

Suisse

Détenteur du pouvoir exécutif

Chancelier fédéral ( Bundeskanzler )

Président de la République ( Presidente de la República )

Président des États-Unis d'Amérique ( President of the United States of America )

Président de l'Union ( President of India )

Président

des

États-Unis

du Mexique ( Presidente de los Estados Unidos Mexicanos )

Conseil fédéral

(7 membres)

Électorat

Chambre basse ( Bundestag )

Peuple

Grands électeurs

Membres des deux chambres du Parlement fédéral et membres des Parlements des États

Peuple

Assemblée fédérale

Type de suffrage

Suffrage universel indirect

Suffrage universel direct

Suffrage universel indirect

Suffrage universel indirect

Suffrage universel direct

Suffrage universel indirect

Règle de majorité

Majorité absolue des membres du Bundestag puis majorité simple au 3 ème tour

Majorité absolue puis majorité simple

Majorité des grands électeurs

Scrutin

avec vote unique transférable

Majorité relative

Majorité absolue

Nombre de tours

Jusqu'à trois tours

Un ou deux tours

Un tour

Un tour

Un tour

Un ou plusieurs tours

Âge minimum pour être élu

18 ans

35 ans

35 ans

35 ans

35 ans

18 ans

Nombre maximum de mandats

Illimité

Deux

Deux

Illimité

Un

Illimité

Durée du mandat

Égale à la législature (quatre ans au plus)

Quatre ans

Quatre ans

Cinq ans

Six ans

Quatre ans

Nous proposons que, dans un premier temps, le président du Conseil européen soit élu par tous les parlementaires d'Europe, députés et sénateurs, et par les parlementaires européens, c'est-à-dire par plus de 10 000 élus du peuple.

Ce président ne pourrait cumuler sa fonction avec une quelconque responsabilité au sein d'un État ; son mode d'élection, la mission qui lui serait confiée, les pouvoirs qui lui seraient conférés, feraient de lui, non pas un secrétaire général à qui l'on confie les négociations les plus difficiles, mais un véritable homme d'État en charge du destin de l'Union et visible dans la société internationale.

Dès lors que le président du Conseil européen sera élu selon cette procédure, il sera possible de supprimer la présidence tournante du Conseil de l'Union.

Un tel mode d'élection contribuerait en outre à rapprocher davantage les parlementaires nationaux de la construction européenne et les inciterait à s'impliquer davantage.

b) Une Commission réformée

Il faut préserver le rôle essentiel de la Commission européenne qui ne doit pas outrepasser ses pouvoirs mais qui doit être en mesure d'assumer pleinement toutes ses responsabilités. Avec les élargissements successifs, la composition de la Commission européenne n'a cessé d'augmenter pour atteindre 28 membres. Cela a conduit à une dilution des responsabilités préjudiciable à la recherche de l'efficacité et à la préservation du rôle original de cette institution comme gardienne de l'intérêt général européen.

On rappellera qu'aux Conseils européens de décembre 2008 et de juin 2009, les chefs d'État et de gouvernement avaient répondu aux préoccupations irlandaises face à la perspective ouverte par le traité de Lisbonne d'une réduction du format de la Commission européenne, en décidant de maintenir le principe d'un commissaire par État membre.

En mai 2013, le Conseil européen a confirmé cette décision. Il a toutefois indiqué qu'au vu de ses effets sur le fonctionnement de la Commission, il réviserait cette décision bien avant la nomination de la première Commission qui suivra l'adhésion du trentième État membre ou de la nomination de la Commission qui prendra ses fonctions au 1 er novembre 2014. Il existe donc bien une possibilité qui est ouverte de promouvoir une composition plus rationnelle de la Commission.

Les conséquences pour les États membres d'un format plus réduit ont déjà été prises en compte dans une déclaration annexée au traité, par laquelle la conférence intergouvernementale a considéré que « lorsque la Commission ne comprendra plus des ressortissants de tous les États membres, celle-ci devrait accorder une attention particulière à la nécessité de garantir une transparence absolue dans ses relations avec l'ensemble des États membres. En conséquence, la Commission devrait rester en contact étroit avec tous les États membres, que ceux-ci comptent ou non un de leurs ressortissants parmi les membres de la Commission, et, à cet égard, elle devrait accorder une attention particulière à la nécessité de partager les informations avec tous les États membres et de les consulter. »

La déclaration ajoute que « la Commission devrait prendre toutes les mesures utiles afin de garantir que les réalités politiques, sociales et économiques de tous les États membres, y compris ceux qui ne comptent pas de ressortissant parmi les membres de la Commission, sont pleinement prises en compte. Parmi ces mesures devrait figurer la garantie que la position de ces États membres est prise en compte par l'adoption des modalités d'organisation appropriées. »

Votre rapporteur considère que le nombre de commissaires pourrait être maintenu mais à condition de revoir profondément l'organisation des « portefeuilles ».

Le traité (article 17 § 6 TUE) prévoit que le président de la Commission définit les orientations dans le cadre desquelles la Commission exerce sa mission. Il décide par ailleurs de l'organisation interne de la Commission afin d'assurer la cohérence, l'efficacité et la collégialité de son action. En outre, il lui revient de nommer des vice-présidents, autres que le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, parmi les membres de la Commission.

Cette organisation pourrait être renforcée. À cette fin, il faudrait hiérarchiser la Commission en fonction de l'importance des responsabilités exercées par chacun en distinguant hauts commissaires, commissaires, commissaires délégués . En particulier devraient être créés des postes de haut commissaire à l'économie, à la défense, à l'écologie, aux institutions, à la justice, à la santé et la solidarité, en plus de celui des affaires étrangères, soit sept hauts commissaires.

Cette organisation permettrait de constituer des « pôles de compétences » au sein de la Commission. Elle rétablirait le format d'une Commission composée de personnalités éminentes, ayant une forte expérience tirée de responsabilités antérieures exercées au niveau national et européen, capables de formuler, d'impulser une véritable ambition par des propositions répondant à l'intérêt général européen. Elle inciterait la Commission à sortir de son « enkylose » administrative actuelle qui la conduit à traiter tous les sujets, les plus importants comme les plus secondaires, sans discernement véritable de ce qui est essentiel pour l'intérêt général européen.

Le renforcement de la démocratie européenne passe également par l'élection directe du président de la Commission par les parlementaires européens.

Le traité (article 17 § 7 TUE) prévoit actuellement que le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, doit proposer au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Il doit tenir compte des élections au Parlement européen, et procéder aux consultations appropriées. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Le Conseil, d'un commun accord avec le président élu, adopte la liste des autres personnalités qu'il propose de nommer membres de la Commission. Le choix de celles-ci s'effectue sur la base des suggestions faites par les États membres.

La vocation de la Commission n'est pas de devenir à terme un secrétariat général du Conseil. Il convient dès lors de légitimer son existence par une désignation démocratique. Cette élection directe conférerait au président une autorité incontestable vis-à-vis du collège des commissaires qu'il pourrait choisir lui-même et de l'appareil administratif de la Commission. Il reviendrait aux parlementaires européens de désigner une personnalité permettant de fédérer les différentes tendances politiques et de transcender les intérêts nationaux.

c) Revenir à l'esprit communautaire

Avec la crise, des décisions fondamentales ont été prises sur le mode intergouvernemental. Il s'agissait de définir des réponses d'urgence.

Le couple franco-allemand a été en première ligne pour définir ces réponses d'urgence. En mai 2010, la chancelière Angela Merkel a accepté le principe de la mise en place d'un filet de sécurité pour les États exclus des marchés obligataires, prenant ainsi le risque de s'aliéner une opinion publique hostile à la perspective d'une « union de transfert ». Au sommet de Deauville, à l'automne 2010, la France et l'Allemagne ont convenu de lier cette solidarité au renforcement des disciplines budgétaires, actant ainsi le principe d'une réforme du pacte de stabilité et de croissance destiné à mettre en place des procédures contraignantes auxquelles la France était traditionnellement réticente. Le couple franco-allemand a aussi joué le premier rôle dans la préparation des sommets européens qui se sont succédé pour apporter des réponses à la crise.

Ces sommets ont marqué l'impulsion intergouvernementale dans la gestion de la crise. Dès l'automne 2010, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé de renforcer le pacte de stabilité et de croissance. En mars 2011, ils ont décidé d'assurer une coordination des politiques économiques à travers le semestre européen. Au préalable, en décembre 2010, le Conseil européen avait décidé de doter la zone euro d'un mécanisme pérenne pour relayer le Fonds européen de stabilité financière (FESF). En mars 2011, le Conseil européen a fixé les grands principes applicables au nouveau « Mécanisme européen de stabilité ». Parallèlement, les sommets de la zone euro de juillet et décembre 2011 ont accéléré son entrée en vigueur au mois de juillet 2012.

La conclusion du traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance (TSCG) de l'Union économique et monétaire, le 2 mars 2012, par 25 États membres, a marqué le point culminant de cette dimension intergouvernementale de la gestion de la crise.

Face à la gravité de la situation, il importait que les principaux responsables européens puissent définir le plus rapidement possible les réponses d'urgence de nature à permettre une sortie de la phase aigüe de la crise.

Mais on peut douter que cette méthode puisse être pérennisée et qu'elle permette de promouvoir une vision à long terme, stable et dégagée des intérêts nationaux. En outre, elle pose une question de légitimité démocratique. En effet, le Parlement européen n'exerce son pouvoir de contrôle - voire de censure - que sur la seule Commission. En sa qualité de colégislateur, il peut par ailleurs infléchir les positions du Conseil. En revanche, il ne contrôle pas le Conseil européen.

Pourtant, l'urgence passée, la tentation de recourir à la méthode intergouvernementale demeure. Les États ont ainsi décidé d'établir un fonds commun de résolution - qui pourra soutenir la restructuration des banques en crise - par un accord intergouvernemental et non par un règlement créant le Mécanisme de résolution unique (MRU), comme l'avait proposé la Commission. Ce choix aurait pour effet d'écarter le Parlement européen du processus.

De même, la mise en place d'instruments de convergence et de compétitivité et, à terme, d'un budget de la zone euro, devra impérativement s'accompagner d'un renforcement de sa légitimité démocratique et être soumise à un véritable contrôle parlementaire. Sur le rapport de notre collègue Dominique Bailly, la commission des affaires européennes a souligné cette exigence dans une proposition de résolution européenne 34 ( * ) .

Enfin, le rôle de la « troïka » est légitimement discuté. Cet organe ad hoc est formé de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international FMI). Il gère les programmes de sauvetage de la Grèce, de l'Irlande, du Portugal et de Chypre. Son manque de base juridique dans les traités, de transparence et de contrôle démocratique est mis en cause.

Tout cela souligne la nécessité d'en revenir à l'esprit communautaire. Celui-ci doit conduire à faire prendre les décisions par les institutions de l'Union dans le cadre des traités européens, en veillant à assurer leur légitimité démocratique. Il suppose aussi que les règles de majorité au Conseil n'entravent pas le processus de décision. Le traité de Lisbonne a étendu la majorité qualifiée à une cinquantaine de domaines. C'est le cas notamment pour la plupart des mesures relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ainsi que pour les nouvelles compétences attribuées à l'Union.

L'extension du champ de la majorité qualifiée fait néanmoins l'objet d'aménagements, notamment dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale.

La règle de l'unanimité reste, en revanche, la règle générale en matière de politique étrangère et de défense et en matière d'harmonisation fiscale et sociale. Elle s'applique également à des décisions essentielles comme l'adoption du cadre financier pluriannuel de l'Union, l'adhésion de nouveaux États membres et la révision des traités.

Sauf rares exceptions, par exemple en matière de défense, la majorité qualifiée au Conseil doit devenir la règle. Après cinquante ans de vie « communautaire », il est légitime d'interdire à un État de bloquer l'avance de tous les autres, au moins pour ceux qui auront choisi l'« Europe puissance ».

Le traité de Lisbonne a d'ores et déjà permis un basculement vers la majorité qualifiée dans le cadre des coopérations renforcées. Lorsqu'une disposition des traités susceptible d'être appliquée dans le cadre d'une coopération renforcée prévoit que le Conseil statue à l'unanimité, le Conseil, statuant à l'unanimité, peut adopter une décision prévoyant qu'il statuera à la majorité qualifiée. De même, lorsqu'une disposition des traités susceptible d'être appliquée dans le cadre d'une coopération renforcée prévoit que le Conseil adopte des actes conformément à une procédure législative spéciale, le Conseil, statuant à l'unanimité, peut décider qu'il statuera conformément à la procédure législative ordinaire (article 333 TFUE). Ce passage à la majorité qualifiée devrait être généralisé au sein des coopérations renforcées que votre rapporteur propose de développer pour promouvoir l'intégration européenne.

Les modalités de calcul de la majorité qualifiée ont aussi leur importance. Elles doivent refléter la réalité démographique des États membres sans pénaliser les États les moins peuplés.

Les règles de calcul de la majorité qualifiée au Conseil

Dès le traité de Rome, les États membres se sont vu attribuer un nombre de voix différent au sein du Conseil en fonction de leur population respective. Toutefois, une surreprésentation minimum des États les moins peuplés a toujours été admise. L'objectif est de prévenir une marginalisation des petits pays et, à l'inverse, une hégémonie des grands pays dans le processus de décision. Cependant, les élargissements successifs ont remis en cause l'équilibre entre la prise en compte du critère démographique et la protection des intérêts des « petits » pays.

Le traité de Nice a instauré une pondération des voix moins défavorable aux États les plus peuplés, assortie de deux règles complémentaires :

- l'acte devait être approuvé par une majorité d'États membres ;

- si un État membre en faisait la demande, il fallait s'assurer que la majorité en voix représente au moins 62 % de la population de l'Union ( « clause de vérification démographique ») .

Reprenant le système du traité Constitutionnel, le traité de Lisbonne a instauré le système de la « double majorité », selon lequel la majorité qualifiée doit réunir 55 % des États, représentant au moins 65 % de la population.

La « double majorité » incarne la double nature de l'Union européenne : union d'États et de citoyens. Mais son application pleine et entière est repoussée à 2014, voire à 2017.

En effet, le compromis adopté par les chefs d'État et de gouvernement prévoit :

- que les règles pour la prise de décision au Conseil définies par le traité de Nice continueront à s'appliquer jusqu'au 1er novembre 2014 ;

- qu'à partir du 1er novembre 2014 et jusqu'au 31 mars 2017, le système de la « double majorité » entrera en vigueur mais qu'un État membre pourra demander l'application de la règle du traité de Nice ;

- qu'à partir du 31 mars 2017, le système de la « double majorité » deviendra obligatoire.

À la demande de la Pologne, le traité de Lisbonne consacre par ailleurs le « compromis de Ioannina ». Celui-ci prévoit que, lorsqu'un groupe d'États est proche de constituer une minorité de blocage, la discussion doit se poursuivre au sein du Conseil, malgré l'existence d'une majorité qualifiée, afin de parvenir dans un délai raisonnable à une solution satisfaisante pour les deux parties.

Enfin, on doit observer que le processus de décision aboutit à des situations surprenantes. Tous les États sont appelés à se prononcer sur tous les sujets même lorsqu'ils ne sont pas concernés (par exemple, pour l'entrée dans la zone euro ou sur les questions relatives à la politique de la pêche). On peut se demander si cette situation ne favorise pas une sorte de « marchandage » des voix au sein du Conseil, bien éloigné de la recherche de l'intérêt général européen !

d) Un Parlement européen plus représentatif et renforcé

Améliorer la représentativité du Parlement européen doit également être une priorité. Le principe de représentation proportionnelle dégressive engendre une composition déformée et peu représentative des citoyens européens. La France en est la première victime.

Selon l'article 14 TUE, « le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l'Union. Leur nombre ne dépasse pas sept cent cinquante, plus le président. La représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de six membres par État membre. Aucun État membre ne se voit attribuer plus de quatre-vingt-seize sièges. » Depuis les débuts de la construction européenne, le nombre de membres du Parlement européen n'a cessé d'augmenter. En 1957, l'Assemblée des Communautés communautaires ne comprenait que 142 membres. Le traité d'Amsterdam avait fixé à 700 l'effectif maximal du Parlement européen et le traité de Nice a porté ce nombre à 736. En fixant un plafond de 750, le traité constitutionnel se situait dans la continuité des traités précédents. Le traité de Lisbonne a repris ce plafond en ajoutant le président, soit 751 membres. Il prévoit par ailleurs un minimum de 5 sièges et un maximum de 99 sièges par État membre.

Depuis l'origine, la composition du Parlement a toujours été fondée sur le principe de la « proportionnalité dégressive ». Ce système favorise les petits pays : un député maltais représente 67 000 citoyens, alors qu'un député allemand en représente 860 000. Le traité de Lisbonne n'a pas fixé lui-même la composition du Parlement. Comme le traité constitutionnel, il renvoie la question de la répartition des sièges à une décision du Conseil européen statuant à l'unanimité, sur proposition et avec l'approbation du Parlement. Le Parlement européen a demandé que la répartition des sièges soit révisée avant le début de la législature 2014-2019, afin de mettre en place un système de répartition plus objectif et équitable.

Dans sa décision du 23 juin 2013, le Conseil européen a explicité le principe de proportionnalité dégressive énoncé par le traité. Selon le Conseil européen, les principes suivants devraient s'appliquer :

- la répartition des sièges au Parlement européen utilise pleinement les nombres minimaux et maximaux fixés par le traité sur l'Union européenne afin de refléter aussi étroitement que possible la taille des populations respectives des États membres ;

- le rapport entre la population et le nombre de sièges de chaque État membre avant l'arrondi à des nombres entiers varie en fonction de leurs populations respectives, de telle sorte que chaque député au Parlement européen d'un État membre plus peuplé représente davantage de citoyens que chaque député d'un État membre moins peuplé et, à l'inverse, que plus un État membre est peuplé, plus il a droit à un nombre de sièges élevé.

La solution retenue a pour effet que 12 États membres - Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Grèce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Portugal et Roumanie - perdront chacun un siège lors des prochaines élections européennes. L'Allemagne se voit privée de trois sièges, sa part régressant de 99 à 96 sièges, le maximum permis par le traité. Elle évite d'infliger de lourdes pertes pour les moyens et petits États membres au profit des plus grands États. La part de la France, avec 74 députés, reste inchangée. Le Conseil européen a toutefois pris soin de préciser que sa décision serait révisée suffisamment longtemps avant le début de la législature 2019-2024 sur la base d'une initiative du Parlement européen, présentée avant la fin de l'année 2016, « dans le but d'instaurer un système qui, à l'avenir, avant chaque nouvelle élection au Parlement européen, permettra de répartir les sièges entre les États membres d'une manière objective, équitable, durable et transparente, en traduisant le principe de la proportionnalité dégressive (...), en tenant compte de toute modification de leur nombre et des évolutions démographiques dûment constatées pour leurs populations, en respectant ainsi l'équilibre global du système institutionnel tel qu'il a été fixé dans les traités. »

Nouvelle répartition des sièges au Parlement européen

États membres

Répartition des sièges actuelle

Répartition des sièges proposée

Différence

Allemagne

99*

96

-3

France

74

74

=

Royaume-Uni

73

73

=

Italie

73

73

=

Espagne

54

54

=

Pologne

51

51

=

Roumanie

33

32

-1

Pays-Bas

26

26

=

Grèce

22

21

-1

Belgique

22

21

-1

Portugal

22

21

-1

République tchèque

22

21

-1

Hongrie

22

21

-1

Suède

20

20

=

Autriche

19

18

-1

Bulgarie

18

17

-1

Danemark

13

13

=

Slovaquie

13

13

=

Finlande

13

13

=

Irlande

12

11

-1

Croatie

12

11

-1

Lituanie

12

11

-1

Slovénie

8

8

=

Lettonie

9

8

-1

Estonie

6

6

=

Chypre

6

6

=

Luxembourg

6

6

=

Malte

6

6

=

TOTAL

766

751

15

* Les trois sièges supplémentaires alloués à l'Allemagne faisaient partie d'un accord transitoire qui expirera à la fin de la législature actuelle.

Source : Parlement européen

Ce système doit évoluer. Dans son arrêt relatif au traité de Lisbonne, qu'elle a rendu le 30 juin 2009, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a souligné que le traité n'instituait pas, au centre des institutions de l'Union, un organe de décision politique élu au suffrage égalitaire par tous les citoyens et qui soit capable de représenter la volonté du peuple ; selon la Cour, « le Parlement européen n'est pas un organe représentatif d'un peuple européen souverain » , étant composé à partir de contingents nationaux de députés entre lesquels les inégalités de représentation sont considérables. Cette situation, qui serait inacceptable au regard du principe de démocratie dans le cas d'un État, ne l'est pas, selon la Cour, lorsqu'il s'agit de compléter la légitimation démocratique d'un groupement d'États doté d'une compétence d'attribution.

On voit bien, à travers cette analyse de la Cour suprême allemande, le déficit de légitimité qui affecte le Parlement européen. Il faut donc modifier les règles qui déterminent sa composition pour asseoir sa légitimité démocratique.

Le Parlement européen devrait être élu selon une procédure électorale uniforme arrêtée par le Parlement lui-même sur une meilleure base démographique. Le nombre de parlementaires européens devrait être limité à 700 (contre 751 aujourd'hui) quel que soit le nombre d'États membres. En cas de scrutin régionalisé, il devrait être possible d'accepter des circonscriptions transnationales si les États concernés le demandent.

Rendu plus légitime, le Parlement européen devrait disposer d'un pouvoir d'initiative renforcé qui obligerait la Commission européenne à élaborer une proposition jugée nécessaire par le Parlement (actuellement l'article 225 TFUE laisse la Commission libre de décider de la suite à donner à la demande du Parlement). Il pourrait aussi exercer un véritable pouvoir budgétaire, c'est-à-dire le pouvoir le lever l'impôt, de décider et de contrôler les dépenses.

e) Renforcer le rôle des parlements nationaux

À compter de l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, les parlements nationaux avaient été largement ignorés par la construction européenne. Leur rôle s'est progressivement renforcé à partir des années 1990, dans le but de remédier au « déficit démocratique » de l'Union. Le traité de Maastricht (1992) était accompagné d'une déclaration relative aux parlements nationaux et à la coopération interparlementaire. Avec le traité d'Amsterdam (1997), un protocole a été consacré au « rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne ».

Ce rôle des parlements nationaux s'est traduit en France, mais aussi dans les autres États membres, par la faculté qui leur est reconnue de voter des résolutions européennes (article 88-4 de la Constitution). Ces résolutions ont pour but d'exprimer la position de chaque assemblée sur les objectifs à poursuivre dans la négociation. Elles ne lient pas le Gouvernement (contrairement à ce qui existe dans d'autres États membres comme la Finlande où le parlement donne un mandat au gouvernement avant chaque négociation européenne). Mais les résolutions donnent au Gouvernement des indications politiques importantes. S'il n'en tient pas compte, il risque des difficultés lorsqu'il faudra transposer le texte en droit national. Les résolutions européennes peuvent aussi contribuer à mieux affirmer la position de la France dans la négociation.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, les projets d'acte soumis aux assemblées ne sont plus les seules bases possibles pour des résolutions européennes : celles-ci peuvent également se fonder sur « tout document émanant d'une institution de l'Union européenne ». Le champ des résolutions européennes devient ainsi extrêmement large, puisque l'Union compte aujourd'hui cinq « institutions ».

Avec le traité de Lisbonne, le rôle des parlements nationaux a été expressément reconnu dans le corps même des traités, et non plus seulement dans un protocole. L'article 12 TUE spécifie qu'ils « contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union ». Le traité crée un droit à l'information et met en place trois formes nouvelles d'intervention des parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union : le contrôle du respect de la subsidiarité, leur association à la procédure de révision des traités, leur association au fonctionnement de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Le mécanisme permettant aux parlements nationaux de veiller au respect du principe de subsidiarité comprend trois aspects :

- toute chambre d'un parlement national peut adresser aux institutions de l'Union un « avis motivé » exposant les raisons pour lesquelles elle estime qu'un projet de la Commission ne respecte pas le principe de subsidiarité. Lorsqu'un tiers des parlements nationaux ont adressé un « avis motivé », la Commission doit réexaminer son projet (pour les textes relatifs à la coopération policière et à la coopération judiciaire en matière pénale, ce seuil est abaissé à un quart) ;

- si un projet d'acte législatif est contesté par la majorité des parlements nationaux et si la Commission décide cependant de le maintenir, le processus législatif est suspendu, et le Conseil et le Parlement européen doivent se prononcer sur la compatibilité de ce projet avec le principe de subsidiarité ; si le Conseil (à la majorité de 55 % de ses membres) ou le Parlement (à la majorité simple) donne une réponse négative, le projet est définitivement écarté ;

- après l'adoption d'un texte, la Cour de justice peut être saisie d'un recours émanant d'un parlement national ou d'une chambre de celui-ci, afin que la Cour se prononce sur le respect de la subsidiarité.

À côté de ce contrôle de la subsidiarité prévu par le traité, les parlements nationaux poursuivent un dialogue politique direct avec la Commission européenne. Durant la « période de réflexion sur l'avenir de l'Union » qui s'était ouverte à la suite des référendums négatifs en France et aux Pays-Bas, le président de la Commission européenne avait pris une initiative en faveur de ce dialogue direct des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Cette initiative a été approuvée dans les conclusions du Conseil européen des 15 et 16 juin 2006.

Dans ce cadre, le Parlement reçoit toutes les propositions d'actes mais aussi les livres verts, diverses études ou encore les travaux de comitologie. Le champ est donc très vaste. Cette procédure s'est progressivement enracinée, avec une participation de plus en plus active des parlements nationaux. Le Sénat, par l'intermédiaire de sa délégation pour l'Union européenne, puis de sa commission des affaires européennes, a pleinement participé à cette procédure. Désormais ce dialogue ne se limite plus aux questions de subsidiarité et de proportionnalité. Il s'agit d'un véritable dialogue politique qui permet à la Commission européenne de connaître de manière précoce la position des parlements nationaux sur ses initiatives et d'en débattre avec eux.

Le traité de Lisbonne précise également que les parlements nationaux doivent être associés à l'élaboration des projets de révision des traités, même si la Conférence intergouvernementale composée des représentants des États membres reste l'institution souveraine in fine .

L'entrée en vigueur de la décision du Conseil européen modifiant tout ou partie des dispositions du traité concernant les « politiques internes » suppose son « approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ». Par ailleurs, chaque parlement national dispose d'un droit d'opposition en cas d'utilisation d'une « clause passerelle » 35 ( * ) .

Le traité de Lisbonne a aussi prévu l'association des parlements nationaux à la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice :

- ils sont informés de la teneur et des résultats de l'évaluation à laquelle il est procédé, des conditions dans lesquelles les autorités des États membres ont mis en oeuvre les politiques de l'Union en matière d'espace de liberté, de sécurité et de justice ;

- ils sont tenus informés des travaux du comité permanent chargé de favoriser la coordination entre les autorités des États membres en matière de sécurité intérieure ;

- ils sont associés à l'évaluation des activités d'Eurojust et au contrôle des activités d'Europol ;

- en outre, les parlements nationaux ont un droit d'opposition (comme dans le cas des « clauses passerelles ») lorsque le Conseil détermine la liste des aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontalière (et donc sur lesquels l'Union peut légiférer).

Sur ces bases, la coopération entre parlements nationaux s'est considérablement développée. L'utilité de cette coopération pour le « bon fonctionnement de l'Union » est reconnue par le traité de Lisbonne (article 12 TUE). Elle permet aux parlements nationaux d'exercer un suivi collectif des principales politiques de l'Union. Mais sa qualité est également importante pour l'exercice par chaque parlement de sa fonction de contrôle, grâce à l'échange d'informations et a de bonnes pratiques entre les assemblées.

Des réunions des présidents des parlements nationaux se tiennent périodiquement. Des réunions conjointes avec le Parlement européen sont organisées au cours de chaque présidence semestrielle de l'Union européenne.

Le protocole sur le rôle des parlements nationaux officialise le rôle de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, la COSAC, créée en 1989, en matière d'échange d'informations et de bonnes pratiques entre les parlements. Il faut souligner que ce rôle est étendu aux « commissions spécialisées » des parlements nationaux. La porte est ainsi ouverte à ce que des conférences réunissant des délégués de ces commissions spécialisées se tiennent sous l'égide de la COSAC.

Le nouveau protocole ouvre également la possibilité pour la COSAC d'organiser, à côté de ses réunions ordinaires, des conférences sur des thèmes particuliers, ce qui suppose que sa composition devrait alors s'adapter en conséquence. Un thème est mentionné en particulier : les questions de politique étrangère, de sécurité et de défense. Il s'agit là d'un élément à prendre en compte dans la réflexion sur l'avenir du contrôle parlementaire à l'échelon européen dans ce domaine.

À côté de la COSAC, le dialogue entre les parlements nationaux s'est développé en matière de défense avec la mise en place, en 2012, d'une Conférence spécialisée qui a comblé le vide créé par la disparition de l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) 36 ( * ) . En matière économique et budgétaire, la conférence de l'article 13 du TSCG permet de développer les échanges entre les parlements nationaux et le Parlement européen. Ceux-ci seront appelés également à collaborer pour le contrôle d'Europol et l'évaluation d'Eurojust, conformément à ce que prévoient les traités (articles 85 et 88 TFUE).

À partir de ces acquis, le rôle des parlements nationaux dans le processus de décision et le contrôle de l'action européenne devra être renforcé. À cette fin, il faudra agréger les différentes formes d'association existantes pour assurer une représentation permanente des parlements nationaux. Sur le modèle du Bundesrat, cette représentation, composée de délégués désignés par leur chambre, se réunirait périodiquement et en tant que de besoin. Les parlements nationaux devraient être dotés d'un droit d'initiative leur permettant de suggérer des actions à conduire par les institutions européennes.

2. Un budget européen réévalué
a) Un système de ressources propres à revoir

À l'origine, le budget de l'Europe était alimenté directement par des taxes et des prélèvements qui n'émanaient pas des États. Avec leur progressive disparition, ces ressources propres ont été remplacées par des contributions nationales qui représentent aujourd'hui 86 % du budget. Cette renationalisation a fait de l'Europe un club de cotisants qui passent leur temps à vouloir diminuer leurs contributions, à ne raisonner que selon la théorie du « juste retour » et à se quereller sur des montants de rabais. Aujourd'hui, les États membres conduisent les négociations sur le cadre financier pluriannuel avec l'obsession de leur « solde net », c'est-à-dire la différence entre le montant de leur contribution au budget européen et les sommes que celui-ci leur verse en retour.

Dans un précédent rapport 37 ( * ) , votre rapporteur a eu l'occasion de dénoncer cette situation et de proposer des pistes pour y remédier.

Cette vision déformée du budget européen est la conséquence de la part prédominante de la contribution RNB des États dans le financement de l'Union. Les États membres raisonnent en termes de « juste retour » et de dépense budgétaire. En France, le traitement budgétaire en Loi de finances de notre contribution RNB illustre cette dérive qui empêche de percevoir le budget européen comme un outil complémentaire et plus efficace pour le financement de certaines politiques.

Il conviendrait prioritairement de réformer le système des ressources du budget européen. Pour sortir de cette logique, la première condition est d'augmenter sensiblement la part des ressources propres authentiques. La Commission européenne a proposé de porter la part des ressources propres (ressources propres traditionnelles, ressource TVA et TTF) à près de 60 % des besoins de financement.

Cet objectif est atteignable dès 2020 sur la base des propositions de la Commission européenne ou par d'autres voies, notamment celle tracée par votre rapporteur. Il doit être une priorité politique majeure.

Il faut rompre avec le système actuel et faire en sorte que de nouvelles ressources propres alimentent le budget européen à hauteur d'au moins 60 % d'ici 2020.

Dans la négociation entre le Conseil et le Parlement européen sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, la mise en place d'un groupe de haut niveau inter-institutions sur les futures ressources propres a été actée, conformément à la demande du Parlement européen 38 ( * ) .

b) Un montant révisé

Il faut dans le même temps augmenter ce budget qui ne représente que 1 % du PNB européen. Une telle situation porte atteinte à la crédibilité de l'Europe et ne permet pas de pratiquer une politique de relance au travers de différents secteurs tels que la recherche, les infrastructures de transport, la transition énergétique, etc... Par comparaison, les dépenses du budget américain représentent 25 % du PIB !

L'air du temps ne va pas dans le sens d'une augmentation sensible du budget européen. Mais la question du niveau du budget de l'Union
- seulement 1 % du RNB à ce jour - souffre d'une mauvaise présentation. La réaction immédiate des États membres consiste, au nom d'un faux souci de cohérence, à réclamer de l'Union des efforts de restriction budgétaire équivalents à ceux des États membres. Ce raisonnement ne tient pas si l'on veut bien être de bonne foi et se souvenir que si les États sont confrontés à d'importantes dettes souveraines, l'Europe n'est pas endettée.

Il faut concevoir la hausse du budget de l'Union comme la stricte conséquence d'un transfert de dépenses des budgets nationaux vers l'Union. La dépense publique globale doit demeurer constante. Il faut être sans ambiguïté sur ce point. À cette condition, les États membres pourraient retrouver des marges de manoeuvre avec la hausse des ressources propres de l'Union qui leur offrirait la possibilité de réduire leur contribution directe (RNB) et donc leurs dettes souveraines.

Dans le rapport précité, votre rapporteur avait estimé que l'Union devait se fixer comme objectif politique de porter son budget de 1,11 % du RNB1 à 2 % du RNB à horizon 2020 en inscrivant très fermement le principe selon lequel cette hausse doit se réaliser à dépense publique constante au sein de l'Union. Il faut d'ailleurs rappeler que le budget de l'Union a décru tendanciellement depuis 20 ans. Sur la période 1993-1999, le plafond des crédits de paiement s'est établi en moyenne à 1,18 % du RNB contre 1 % pour le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Si cet objectif devait être atteint en 2020, cela porterait les crédits de paiement à près de 280 milliards d'euros (prix 2011).

C'est aussi la raison pour laquelle des emprunts devraient pouvoir être lancés au niveau européen.

De même, dès lors que chaque État aura fait la preuve qu'il est capable de contrôler sa dette et de pratiquer en tous points une politique responsable, allant vers une plus grande convergence des compétitivités respectives, il sera possible d'envisager la création « d'Euros Bonds » car l'Europe ne pourrait trouver que des avantages à mutualiser ses emprunts ainsi peut-être qu'une partie des dettes existantes.

Enfin, le vote d'une partie des recettes par le Parlement européen doit être instauré. Le Parlement européen est certainement la seule assemblée démocratique qui vote des dépenses sans avoir le droit de voter les recettes.

Parallèlement, l'Union européenne devrait veiller à ce que le taux de change avec les autres monnaies ne pénalise pas les entreprises européennes. L'euro a permis de créer une zone de stabilité monétaire et de réduire l'incertitude dans les échanges commerciaux et financiers au sein de l'Union. La Banque centrale européenne a mis en oeuvre efficacement les missions que les traités lui ont confiées. En particulier, la stabilité des prix a été assurée et les taux d'intérêt à long terme sont bas. Mais un euro surévalué constitue une menace pour la croissance et l'emploi. Il peut conduire à des pertes de parts de marché et à des délocalisations d'activité.

Or l'euro doit protéger. La plupart des pays qui ont une monnaie internationale ont une politique de change, sauf l'Europe. Les États-Unis et le Japon se sont livrés à une manipulation du taux de change par une très forte création monétaire. La Banque centrale chinoise a maintenu la valeur du yuan, par rapport au dollar américain, à un niveau artificiellement faible, ce qui a pour conséquence de creuser l'excédent de la balance commerciale chinoise par rapport aux États-Unis. La Banque d'Angleterre a elle-même utilisé la création monétaire pour soutenir l'économie.

Une politique de change européenne pourrait se fixer pour objectif de maintenir les fluctuations de change dans des limites acceptables.

Le traité (article 219 TFUE) permet au Conseil, statuant soit sur recommandation de la Commission et après consultation de la Banque centrale européenne, soit sur recommandation de cette dernière, de formuler les orientations générales de politique de change vis-à-vis de ces monnaies. Ces orientations générales ne doivent pas affecter l'objectif principal de la politique monétaire européenne, à savoir le maintien de la stabilité des prix. Cette responsabilité pourrait être confiée à la Banque centrale européenne, à laquelle il reviendrait de trouver un bon équilibre entre politique monétaire et politique de change.

Une baisse des taux de change ne produirait pas nécessairement les résultats escomptés. Elle renchérirait le coût des importations en provenance des pays hors zone euro. Elle aurait des résultats contrastés selon les secteurs : favorable à l'industrie, elle serait pénalisante pour les services et la consommation. Elle bénéficierait à certains pays et pas à d'autres.

Une politique de change devrait donc revêtir une certaine prudence et rester dans certaines limites. Elle devrait lisser les mouvements de change sur une courte période et éviter les fluctuations trop importantes.

c) Une Cour des comptes européenne réformée et au rôle mieux affirmé

Enfin, le rôle de la Cour des comptes européenne doit être élargi. En France, la Cour des comptes fait un très bon travail. Ses analyses, souvent percutantes, ont un réel écho même si ses recommandations ne sont pas toujours suivies. Par contraste, la Cour des comptes européenne apparaît beaucoup plus effacée.

Créée en 1975, la Cour des comptes européenne est devenue une institution de l'Union depuis le traité de Maastricht (1992). Pourtant, son travail reste mal connu. Elle n'a pas fait entendre sa voix pendant la phase aigüe de la crise des dettes souveraines. Elle devrait s'affirmer davantage face à la Commission européenne et au Parlement européen.

Il est très regrettable qu'elle n'utilise pas plus son pouvoir de s'autosaisir pour rendre des avis afin de faire des observations sur la qualité de la gestion et des recommandations.

La Cour consacre la majeure partie de son temps et de ses ressources à l'établissement du rapport d'exécution du budget (article 287 TFUE). Elle donne ainsi une déclaration d'assurance au Parlement européen sur la régularité comptable des dépenses et sur leur conformité à la législation européenne. Par ailleurs, elle produit chaque année une vingtaine de rapports spéciaux, à son initiative, sur la performance et la qualité de la gestion. Cette activité mériterait d'être développée.

Une composition à 28 membres n'est pas un facteur d'efficacité. Elle ne peut que susciter une lourdeur de fonctionnement. Une Cour composée de neuf membres pouvant s'appuyer sur des services conséquents (900 personnes dont 150 traducteurs) fonctionnerait probablement de façon plus rationnelle.

Des compétences reconnues et plus homogènes entre les membres faciliteraient aussi un travail en commun et un engagement plus affirmé dans des actions d'évaluation assorties de recommandations. Actuellement, le traité prévoit que les membres sont nommés par le Conseil sur proposition des États membres après consultation du Parlement européen. Ils sont choisis parmi des personnalités appartenant ou ayant appartenu dans leur État respectif aux institutions de contrôle externe ou possédant une qualification particulière pour cette fonction. Ils doivent offrir toutes garanties d'indépendance (article 286 TFUE).

Sur le modèle de ce qui a été prévu pour le recrutement des juges et des avocats généraux à la Cour de justice et du Tribunal, il pourrait être envisagé de mettre en place un comité de sélection qui se prononcerait sur les compétences des candidats à la nomination, en particulier dans le domaine de l'audit.

Article 255 TFUE

« Un comité est institué afin de donner un avis sur l'adéquation des candidats à l'exercice des fonctions de juge et d'avocat général de la Cour de justice et du Tribunal avant que les gouvernements des États membres ne procèdent aux nominations conformément aux articles 253 et 254.

« Le comité est composé de sept personnalités choisies parmi d'anciens membres de la Cour de justice et du Tribunal, des membres des juridictions nationales suprêmes et des juristes possédant des compétences notoires, dont l'un est proposé par le Parlement européen. Le Conseil adopte une décision établissant les règles de fonctionnement de ce comité, ainsi qu'une décision en désignant les membres. Il statue sur initiative du président de la Cour de justice. »

Enfin, la compétence de la Cour des comptes européenne devrait être étendue à l'analyse économique et budgétaire des États en relation très étroite avec les Cours des comptes nationales lorsqu'elles existent.

Ainsi consolidée dans sa composition et son mode de fonctionnement, la Cour pourrait jouer un rôle d'analyse et de conseil plus important.

3. Une organisation institutionnelle renforcée et démocratique de la zone euro
a) Une réunion régulière des chefs d'État et de gouvernement

Une zone euro plus intégrée et portant des projets ambitieux doit aussi avoir une organisation institutionnelle renforcée et démocratique.

Cette exigence avait été clairement formulée dans le rapport établi par notre collègue Jean Arthuis en mars 2012, dans le cadre d'une mission que le Premier ministre lui avait confiée 39 ( * ) . Elle a été soulignée dans le rapport final du groupe du futur, élaboré en septembre 2012, par les ministres des affaires étrangères de plusieurs États membres 40 ( * ) . Elle est exprimée dans la contribution franco-allemande pour le renforcement de la compétitivité et de la croissance en Europe du 30 mai 2013, qui a été présentée au Conseil européen de juin 2013.

En premier lieu, comme le traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance (article 12) l'a déjà envisagé, des sommets des chefs d'État et de gouvernement doivent se tenir régulièrement. Le traité prévoit au moins deux réunions par an.

À l'instar du Conseil européen, il serait souhaitable qu'au moins deux réunions se tiennent par semestre, soit quatre réunions annuelles au minimum. Cela permettrait aux sommets des dirigeants de la zone euro de jouer pleinement un rôle d'impulsion pour promouvoir des initiatives ambitieuses.

Les conditions de désignation du président du sommet de la zone euro, prévues par le traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance (TSCG) pourraient être maintenues. Rappelons que le président est désigné à la majorité simple par les chefs d'État ou de gouvernement des parties contractantes dont la monnaie est l'euro lors de l'élection du président du Conseil européen, et pour un mandat de durée identique. Cette formule permet d'assurer une stabilité souhaitable pour veiller à la continuité et à la bonne coordination des travaux. Elle doit aussi favoriser une plus grande visibilité à travers une véritable incarnation de la fonction. Le président de la Commission européenne et le président de la Banque centrale européenne participeront à ces réunions.

Le champ des questions pouvant être abordées devrait nécessairement être élargi. Le TSCG précise que sont discutées les questions ayant trait aux responsabilités spécifiques que partagent les parties contractantes dont la monnaie est l'euro à l'égard de la monnaie unique, les autres questions relatives à la gouvernance de la zone euro et aux règles qui s'appliquent à celle-ci, et les orientations stratégiques relatives à la conduite des politiques économiques pour renforcer la convergence au sein de la zone euro. Devraient désormais pouvoir être discutées toutes les questions portant sur les initiatives que les États de la zone euro souhaiteraient conduire soit ensemble, soit dans le cadre de coopérations renforcées.

b) Un rôle renforcé pour l'Eurogroupe

L'Eurogroupe, réunion des ministres, devra lui-même jouer un rôle essentiel pour traduire concrètement les impulsions données par les sommets de chefs d'État et de gouvernement. Comme l'ont déjà suggéré la France et l'Allemagne, il devra être doté d'une présidence permanente.

Actuellement, le Protocole n° 14 (article 2) prévoit que les ministres des États membres de la zone euro élisent à la majorité un président pour deux ans et demi. L'Eurogroupe est présidé par M. Jeroen Dijsselbloem, ministre des finances des Pays-Bas. À l'avenir, cette fonction devrait être exercée à plein temps.

Comme le précise déjà le Protocole, la Commission participe aux réunions. La Banque centrale européenne est invitée à y prendre part. Comme pour le sommet des chefs d'État et de gouvernement, le champ des questions devra être élargi. Le Protocole (article premier) précise que les discussions portent sur les questions liées aux responsabilités spécifiques que les États partagent en matière de monnaie unique. Les réunions sont préparées par les représentants des ministres chargés des finances des États membres dont la monnaie est l'euro et de la Commission. L'Eurogroupe devrait pouvoir aborder toutes les questions faisant l'objet d'initiatives communes. Selon les thèmes, les réunions seraient préparées par des ministères différents. La contribution franco-allemande du 30 mai 2013 esquisse cette solution en prévoyant la possibilité pour le sommet de la zone euro de mandater d'autres ministres de la zone euro, par exemple les ministres de l'emploi et des affaires sociales, de la recherche ou de l'industrie.

Il pourrait être intéressant de créer un lien entre l'Eurogroupe et la Commission européenne, qui devrait pouvoir jouer pleinement son droit d'initiative. À cette fin, le président de l'Eurogroupe pourrait être, parallèlement - en s'inspirant du modèle du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité -, vice-président de la Commission en charge des affaires économiques et monétaires et aussi vice-président du Conseil. S'appuyant tantôt sur les travaux de l'Eurogroupe, tantôt sur ceux du Comité économique et financier (pour les sujets concernant tous les États membres), il disposerait d'un secrétariat général du Trésor de la zone euro. Il assurerait la représentation externe de la zone euro. Soumis au contrôle du Parlement européen, il serait aussi l'interlocuteur naturel des parlements nationaux, en particulier au sein de la conférence mise en place par l'article 13 du TSCG. Ce statut et ces missions en ferait une sorte de ministre des finances européen 41 ( * ) .

c) Un contrôle démocratique indispensable

Le contrôle démocratique de cette zone euro plus intégrée est un enjeu essentiel. Le TSCG (article 13) a prévu que le Parlement européen et les parlements nationaux des parties contractantes définissent ensemble l'organisation et la promotion d'une conférence réunissant les représentants des commissions concernées du Parlement européen et des parlements nationaux. L'objet de cette conférence est de de débattre des politiques budgétaires et d'autres questions régies par le traité.

La Conférence de « l'article 13 » s'est réunie à Vilnius les 13 et 14 octobre 2013. Les conclusions de la présidence estiment qu'elle « deviendra un important forum parlementaire de discussions et d'échanges d'idées, d'informations et de meilleures pratiques sur la gouvernance économique et financière dans l'UE, et en particulier au sein de l'Union économique et monétaire ». Elles invitent la Commission européenne « à donner suite à son engagement de développer un dialogue politique régulier avec les parlements nationaux dans le cadre du semestre européen, au rythme de deux fois par an ». La Conférence interparlementaire serait, selon ces conclusions, « la plateforme idéale pour un tel dialogue ».

La Conférence doit se réunir deux fois par an, en coordination avec le cycle du Semestre européen. Après celle de Vilnius en octobre 2013, une deuxième réunion s'est tenue à Bruxelles du 20 au 22 janvier 2014.

Cette Conférence présente effectivement un grand intérêt pour renforcer l'association des parlements nationaux aux décisions prises au niveau européen concernant les politiques budgétaires. Mais sa composition inclut l'ensemble des États signataires, soit sept États qui ne sont pas membres de la zone euro. Il conviendrait, en conséquence, de permettre aux parlementaires issus des États dotés de l'euro de se réunir dans une formation ad hoc pour aborder les questions qui intéressent la zone euro spécifiquement. Dans ce cadre, ils devraient pouvoir procéder à des auditions, adopter des rapports d'initiative, émettre des avis ou des résolutions. Ils devraient aussi être consultés préalablement à des nominations qui concernent la zone euro.

Dès lors que l'on doterait la zone euro de la capacité de lancer des projets sortant du strict champ des problématiques économiques et budgétaires, la question démocratique devrait être posée de façon plus approfondie. C'est bien une représentation parlementaire spécifique qui devrait être envisagée. La solution la plus simple et opérationnelle serait de prévoir la réunion du Parlement européen dans une formation à dix-huit, c'est-à-dire réduite aux parlementaires issus des États membres de la zone euro. C'est aussi la solution envisagée par la contribution franco-allemande précitée. Il y aurait ainsi une analogie de la représentation parlementaire avec l'organisation de l'exécutif : le sommet des chefs d'État et de gouvernement est une sous-formation du Conseil européen ; l'Eurogroupe est une sous-formation du Conseil Ecofin 42 ( * ) .

Cette architecture parlementaire devrait aussi intégrer les parlements nationaux à travers la Représentation permanente dont votre rapporteur a proposé la création. Son format devrait alors être réduit aux représentants des États membres de la zone euro.

Dans tous les cas, ces instances devraient être dotées d'une capacité politique autonome.

4. Une simplification des ratifications

Il est également nécessaire d'accélérer et de simplifier la ratification des traités. Il faut d'abord négocier le texte à 28, c'est-à-dire le réduire à son plus petit commun dénominateur après plusieurs mois de négociations, et ensuite le faire ratifier par les 41 assemblées que comptent les 28 États de l'Union européenne !

Les règles de modification des constitutions fédérales laissent une place importante à la représentation des États fédérés, étant donné l'exigence d'adopter une loi :

- aux 3/5 e des membres de chacune des Chambres au Brésil ;

- aux 2/3 du Bundestag et aux 2/3 du Bundesrat en Allemagne, la révision ne pouvant porter atteinte ni à l'organisation de la fédération en Länder, ni au principe de la participation des Länder à la législation ;

- aux 2/3 des présents et votants de chaque Chambre en Inde à laquelle s'ajoute la ratification de la moitié des États si le projet concerne l'élection du président fédéral, l'étendue du pouvoir législatif ou la répartition des compétences entre l'Union et les États ;

- aux 2/3 des présents des deux Chambres du Congrès général et à la majorité des législatures des États fédérés au Mexique ;

- et, enfin, par les 3/4 des législatures des États aux États-Unis.

Ces différents modèles mettent en évidence que la décision sur la révision peut être directement prise par les Chambres à une majorité qualifiée, même si ce n'est pas la règle générale. S'inspirant de ces modèles, ne pourrait-on pas, lorsqu'une ratification est nécessaire, faire désigner pour la circonstance, par chaque assemblée des pays de l'Union et par le Parlement européen, des représentants choisis en leur sein qui seraient, pour cette seule circonstance, érigés en « SÉNAT » et qui auraient en charge une ratification collective ?


* 33 Étude de législation comparée précitée.

* 34 Devenue résolution européenne du Sénat le 4 février 2014.

* 35 Les « clauses passerelles » ont été prévues par le traité de Lisbonne qui permet de modifier les traités sans qu'il soit nécessaire de procéder à une ratification parlementaire dans deux cas : dans le cadre des politiques communes, le Conseil européen statuant à l'unanimité après approbation du Parlement européen, autorise le passage au vote à la majorité qualifiée (sauf dans le cas des décisions ayant des implications militaires ou relevant du domaine de la défense) ; de même, lorsqu'une procédure législative spéciale est prévue (cas où le Parlement européen n'a pas le pouvoir de codécision), le Conseil européen statuant à l'unanimité après approbation du Parlement européen peut décider que la procédure législative ordinaire impliquant la codécision s'appliquera. Le recours à une clause passerelle est notifié aux parlements nationaux. La décision ne peut entrer en vigueur que si aucun parlement national n'a fait connaître son opposition dans un délai de six mois.

* 36 Qui a résulté de la dissolution de cette organisation intergouvernementale en 2011.

* 37 Rapport d'information n° 385 (2011-2012) de M Pierre Bernard-Reymond : « Les ressources propres : un nouveau test de la capacité de l'Union européenne à se réinventer ».

* 38 Ce groupe de haut niveau est présidé par M. Mario Monti, ancien président du Conseil italien et ex-commissaire européen.

* 39 M. Jean Arthuis : « Avenir de la zone euro : l'intégration politique ou le chaos », mars 2012.

* 40 Autriche, Belgique, Danemark, France, Italie, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal et Espagne.

* 41 M. Thierry Chopin : L'« Union politique » : du slogan à la réalité, Fondation Robert Schuman, Question d'Europe n° 280, 27 mai 2013.

* 42 La création d'une sous-commission zone euro après les élections européennes de mai 2014 a été suggérée, en janvier, par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.

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