II. LA PAUVRETÉ EN EUROPE ET AU SEIN DE L'OCDE

A. EN EUROPE

En 2012, d'après Eurostat 39 ( * ) , 124,5 millions de personnes, représentant 24,8 % de la population, étaient menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale dans l'Union européenne, contre 24,3 % en 2011 et 23,7 % en 2008. Ces personnes étaient ainsi confrontées à au moins l'une des trois formes d'exclusion suivante :

• à risque de pauvreté ;

• en situation de privation matérielle sévère ;

• ou vivant dans des ménages à très faible intensité de travail.

1. Les personnes à risque de pauvreté

Les personnes à risque de pauvreté sont celles qui vivent dans un ménage disposant d'un revenu disponible équivalent-adulte inférieur au seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu disponible équivalent-adulte médian national après transferts sociaux. Le revenu équivalent-adulte est calculé en divisant le revenu total du ménage par sa taille, déterminée par l'application des pondérations suivantes : 1 au premier adulte, 0,5 aux autres membres du ménage âgés de quatorze ans ou plus et 0,3 à chaque membre du ménage âgé de moins de quatorze ans.

En 2012, 17 % de la population était à risque de pauvreté. Les taux de risque de pauvreté les plus élevés se situaient en Grèce et en Roumanie - 23 % chacun -, en Espagne - 22 % -, en Bulgarie et en Croatie - 21 % chacun -, et les plus bas en République tchèque et aux Pays-Bas - 10 % chacun - ainsi qu'au Danemark, en Slovaquie et en Finlande - 13 % chacun.

Il convient de noter que le taux de risque de pauvreté est une mesure relative de la pauvreté et que le seuil de pauvreté varie considérablement d'un État membre à un autre. Le seuil évolue également dans le temps et, en raison de la crise économique, a diminué au cours des dernières années dans un certain nombre de pays.

2. Les personnes en situation de privation matérielle sévère

Les personnes en situation de privation matérielle sévère ont des conditions de vie limitées par un manque de ressources et sont confrontées à la privation d'au moins quatre des neuf éléments suivants : être en mesure de payer un loyer, un prêt immobilier ou des factures courantes à temps ; être en capacité de chauffer correctement le domicile ; faire face à des dépenses imprévues ; consommer de la viande, du poisson ou un équivalent de protéines tous les deux jours ; s'offrir une semaine de vacances en dehors du domicile ; posséder une voiture personnelle ; un lave-linge ; un téléviseur couleur ; ou un téléphone, y compris un téléphone portable.

En 2012, 10 % de la population étaient dans cette situation. La proportion de personnes en situation de privation matérielle sévère différait fortement selon les États membres, variant de moins de 5 % au Luxembourg et en Suède, aux Pays-Bas, au Danemark et en Finlande ainsi qu'en Autriche, à 44 % en Bulgarie, 30 % en Roumanie et 26 % en Lettonie et en Hongrie.

3. Les personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail

Les personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail sont les personnes âgées de 0 à 59 ans vivant dans des ménages dans lesquels les adultes, âgés entre 18 et 59 ans, ont utilisé en moyenne moins de 20 % de leur potentiel total de travail au cours de l'année passée. Les étudiants sont exclus.

Les plus fortes proportions de personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail se situaient en Croatie - 16 % -, en Espagne, en Grèce et en Belgique - 14 % chacun -, et les plus faibles au Luxembourg et à Chypre - 6 % chacun.

Le nombre total de personnes à risque de pauvreté ou d'exclusion sociale est inférieur à la somme des personnes comptabilisées dans chacune des trois formes de pauvreté ou d'exclusion sociale, car certaines personnes sont affectées simultanément par plus d'une de ces formes.

4. Des tendances similaires à la France

La pauvreté en Europe touche plus particulièrement les femmes, les enfants, les jeunes et les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans. On recense ainsi plus de 45 millions d'enfants pauvres.

Jérôme Vignon 40 ( * ) , président de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES), précise que la France occupe, depuis les années soixante-dix, une place intermédiaire, loin d'un premier groupe de pays qui rassemble l'Autriche, la République tchèque, les Pays-Bas et les pays scandinaves. S'agissant de ces derniers, Jean-Michel Charbonnel, enseignant en sciences sociales, et Nicolas Duvoux, sociologue, insistent sur les adaptations extrêmement vigoureuses qui ont été consenties en vue de préserver le système de retraite, celles-ci s'appuyant sur une retraite beaucoup plus individualisée et calculée par points.

En Allemagne, ce sont les réformes du marché du travail, dites « réformes Hartz », qui ont marqué, entre 2003 et 2005, le mandat du chancelier Gerhard Schröder. Si elles ont produit d'indéniables améliorations, l'analyse ci-dessous en donne une lecture plus ambiguë.

Les failles du modèle allemand

Nathalie Versieux Berlin, journaliste au quotidien suisse Le Temps a publié le 10 septembre 2013 un article dans lequel elle pointe les failles du modèle allemand. En voici des extraits :

« [Il est une] nouvelle pauvreté qui se développe à grands pas en République fédérale depuis l'entrée en vigueur des réformes d'inspiration libérale du gouvernement Schröder. À la pauvreté des chômeurs et des retraités s'ajoute une nouvelle classe de salariés pauvres, dont les revenus sont si faibles - en l'absence de salaire minimum dans le pays - qu'ils ne leur permettent pas de vivre décemment. Selon l'Agence pour l'emploi, 1,6 million de salariés touchent en Allemagne un complément de revenus de l'État, pour ne pas passer sous le seuil de pauvreté.

« "Au cours des dernières années, l'Allemagne est devenue une société très inégalitaire", explique Gustav Horn, le président de l'institut IMK. D'après les calculs de cet organisme proche des syndicats, les ressources à la disposition des plus riches ont progressé de 12,4 % depuis 1991. Au cours de la même période, les moyens à la disposition des plus pauvres baissaient de 11,2 %. "Avant, on pouvait dire que l'Allemagne était une société plutôt égalitaire. Ce n'est plus le cas", estime l'économiste.

« Gustav Horn n'est pas seul avec sa théorie des vases communicants : voilà deux ans, l'OCDE constatait pour l'Allemagne un accroissement des inégalités supérieur à la moyenne des pays développés. "C'est entre 2000 et 2005 que l'écart s'est le plus creusé", souligne Gustav Horn. Ce sont précisément les années où les réformes sociales sont entrées en vigueur. La plus connue de ces mesures, Hartz IV, s'est traduite par une diminution considérable du montant des allocations de fin de droit pour les chômeurs de longue durée. Un adulte vivant du minimum social dispose de 382 euros par mois pour vivre (345 euros pour le conjoint ; 255 à 289 euros pour les enfants selon leur âge). Le loyer et le chauffage sont également pris en charge par la collectivité. "Angela Merkel n'a rien changé à l'Agenda 2010 adopté par [Gerhard] Schröder", souligne Gustav Horn. "Pourtant, on sait aujourd'hui que l'accroissement des disparités sociales représente l'un des principaux risques d'instabilité d'une économie donnée. Lorsqu'un fort volume de capital est à la recherche du placement idéal, c'est le possible détonateur d'un dérapage des marchés financiers!". »


* 39 Direction générale de la Commission européenne chargée de l'information statistique à l'échelle communautaire. Les données fournies sont fondées sur l'enquête sur le revenu et les conditions de vie EU-SILC.

* 40 Audition du 23 mai 2013.

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