IV. NE PAS CRAINDRE L'ÉVALUATION

L'intérêt de s'assigner des objectifs n'a de valeur que s'il est possible de vérifier, à intervalles réguliers, les tendances qui permettent de les atteindre et d'analyser les raisons des écarts constatés.

Très nombreuses sont les évaluations conduites dans de multiples domaines à la demande de l'État, d'administrations ou d'agences publiques ou encore de collectivités territoriales. Pour autant, des interrogations subsistent quant à l'utilisation qui est faite de leurs résultats.

Force est de constater, trop souvent, un décalage, voire une rupture, entre la démarche évaluative et ses résultats, d'une part, le processus de décision et la décision elle-même, d'autre part. La limitation des questions évaluatives dès la commande, la généralisation d'expérimentations alors même que leur évaluation n'est pas achevée, le classement sans suite de certains rapports en sont des manifestations trop fréquentes.

L'évaluation doit non pas se cantonner à n'être qu'un exercice intellectuel parmi d'autres mais devenir une véritable aide à la décision. Pour éviter de réduire l'évaluation à un effet de mode ou à un exercice formel, il convient d'impliquer plus fortement les décideurs.

Dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, il ne faut pas hésiter à le dire : l'évaluation est un bien en soi et pas du tout un mal nécessaire.

A. EN AVAL

1. L'exemple de l'association Resolis
a) Présentation

C'est dans un rapport remis au gouvernement en 2006 137 ( * ) que Philippe Kourilsky, membre de l'Institut et professeur émérite au Collège de France, a souligné la nécessité de développer l'action de terrain dans une perspective scientifique. D'après cet ancien directeur général de l'Institut Pasteur 138 ( * ) , « il n'y a pas réellement d'évaluation, de partage des savoirs et des savoir-faire » .

Une telle absence de suivi, et donc de capitalisation des connaissances, est véritablement préjudiciable, surtout dans le domaine de la lutte contre la pauvreté. Les réussites n'étant pas mises en avant, ce sont les erreurs qui ont tendance à être reproduites. D'où l'intérêt de bâtir un répertoire intelligent des pratiques innovantes, pour donner une image de ce qui se passe réellement.

« Il est de notre devoir » 139 ( * ) , souligne Philippe Kourilsky, « de lutter contre la pauvreté, mais il est aussi de notre devoir de le faire de façon rationnelle, "scientifique", en utilisant des méthodes qui ont fait la preuve de leur efficacité. Créer une science de l'action de terrain est donc une entreprise pragmatique, essentielle, urgente, qui en appelle à la raison pour atteindre des buts que la générosité seule ne peut atteindre. »

C'est avec cet objectif de recherche, d'évaluation et de valorisation des innovations de terrain qui contribuent au progrès social qu'il a fondé, en 2010, l'association Resolis (recherche et évaluation de solutions innovantes et sociales).

Resolis procède à la validation d'un certain nombre d'expériences menée partout dans le monde selon une démarche scientifique. Il peut s'agir de programmes en cours, en cours d'achèvement ou terminés, qui se distinguent par leur caractère novateur, dont l'efficacité est vérifiée par les résultats obtenus et avec un potentiel de transposition à plus grande échelle, à un autre domaine ou lieu.

b) Le programme « Précarités France »

Lors de l'atelier de prospective organisé par la délégation le 19 février 2014, Pierre Corvol, professeur émérite au Collège de France et vice-président de l'association Resolis a présenté le projet engagé sur le territoire national dans le triple but « d'identifier, d'enregistrer et de promouvoir les expériences françaises originales qui permettent de retrouver la dignité et de reconstruire le lien social » .

Ce programme est déployé dans plusieurs villes pilotes et dans le département de Seine-et-Marne, grâce à l'appui de relais comme les municipalités, dont Aubervilliers et Villeurbanne, et les partenariats.

La sélection des expériences recensées s'effectue selon une démarche scientifique et selon les critères de reproductibilité et d'innovation. Resolis entend l'innovation dans son acception large : un produit, un service, un savoir-faire, une méthode organisationnelle, un mode de distribution, un événement...

Le programme comprend deux phases : la constitution d'une base de données, d'accès libre et gratuit ; des publications de type scientifique.

L'association précise : « L'inventaire hébergé et la publication des articles apporteront une visibilité aux efforts déployés sur le terrain et une reconnaissance à leurs initiateurs. Cela constituera une source d'informations précieuses puisqu'ils présenteront les clés et la marche à suivre critique pour dupliquer des innovations sociales ayant fait leurs preuves sur le terrain. Ils alimenteront également de façon novatrice le débat français sur la lutte contre la pauvreté. »

2. La difficile question de l'évaluation des bénévoles

Au travers de l'évaluation du travail des associations, c'est celle, ô combien délicate, des bénévoles qui les composent qui est posée. Un bénévole qui donne de son temps pour une association, pour aider les autres, peut-il accepter de se voir évaluer ? Est-il même légitime de le lui demander ?

Puisqu'il s'agit d'oser, il faut aller jusqu'au bout et ne pas s'empêcher de mettre de telles propositions sur la table.


* 137 Optimiser l'action de la France pour l'amélioration de la santé mondiale.

* 138 Audition du 25 juin 2013.

* 139 « Évaluer la lutte contre la pauvreté » - Article paru dans Le Monde du 6 mars 2012.

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