D. LES CRÉATIONS OU AGGRAVATIONS DE CHARGE PUBLIQUE
1. Les cas d'irrecevabilité caractérisée
a) L'élargissement des droits détenus par les administrés
La notion de charge publique englobe les droits que les administrés peuvent détenir sur une personne publique 196 ( * ) , et notamment les droits à diverses prestations ou allocations .
(1) Les ouvertures de droits nouveaux
Par conséquent, sont irrecevables les ouvertures de droits nouveaux. Ainsi, la commission des finances a été amenée à déclarer irrecevables les amendements qui prévoyaient :
- la création d'un « congé parental paritaire » ouvert à la mère de l'enfant, le père, le conjoint ou la personne vivant maritalement avec la mère, et donnant lieu à un revenu de remplacement versé par la sécurité sociale ;
- l'introduction d'une majoration de pensions pour les parents ayant eu ou élevé trois enfants et plus pour les assurés relevant du régime des professions libérales (CNAVPL) ;
- la mise en place d'une majoration de pension pour les personnes ayant élevé un enfant en situation de handicap .
(2) L'élargissement du champ des bénéficiaires ou l'assouplissement des conditions d'application de certains dispositifs créateurs de droits
Une aggravation de charge est également identifiée en cas d' élargissement du champ des bénéficiaires , ou d' assouplissement des conditions d'application, de certains dispositifs créateurs de droits. Ont ainsi été déclarés irrecevables les amendements proposant :
- l'intégration automatique des étudiants bénéficiant d'une bourse d'études sur critères sociaux dans le champ des bénéficiaires de la couverture maladie complémentaire universelle (CMU-c - qui ouvre droit à une complémentaire santé gratuite) et de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) (aide financière pour l'acquisition d'un contrat d'assurance maladie complémentaire de santé individuel) ;
- l'extension du champ des bénéficiaires des pensions de réversion aux personnes liées par un pacte civil de solidarité ;
- l'élargissement de la liste des établissements qui permettent aux « travailleurs de l'amiante » qui y ont travaillé de bénéficier d'une cessation anticipée d'activité financée par le FCAATA ;
- la suppression des conditions de ressources pour l'attribution des pensions de réversion ;
- le relèvement du plafond de ressources pour bénéficier de l'aide à la complémentaire santé.
(3) L'accroissement de la durée d'application de tels dispositifs
Sont également irrecevables les amendements tendant à augmenter la durée d'application de tels dispositifs . Par exemple, ont été déclarés irrecevables :
- l'anticipation de l'entrée en vigueur de la revalorisation de la retraite des anciens combattants ;
- la prolongation de la durée légale du congé de maternité ou du congé de paternité ;
- l'anticipation de la date d'effet de l'affiliation à la sécurité sociale étudiante.
(4) L'élargissement de l'assiette des cotisations sociales ouvrant un droit à prestations
La commission a également été amenée à considérer irrecevables les amendements tendant à élargir l'assiette des cotisations sociales dans le but d'améliorer les droits à prestation des assurés .
Ont, ainsi, été déclarés irrecevables les amendements proposant d'élargir l'assiette des cotisations sociales « retraites » des apprentis afin d'améliorer leurs droits à la retraite ou assimilant les périodes d'études donnant lieu à l'obtention d'un diplôme à des périodes de travail soumises à cotisations sociales.
La même logique a conduit à déclarer irrecevables les amendements :
- assouplissant ou proposant un dispositif de « rachat d'années » , même à titre onéreux, comme l'augmentation du nombre de trimestres pouvant être validés au titre de l'assurance retraite par le biais du rachat de périodes d'études ;
- intégrant les primes des fonctionnaires dans le calcul de leur pension.
b) Les dotations publiques
Parmi les cas d'irrecevabilité caractérisés, figurent également les amendements instituant une dotation ou une subvention nouvelle ou augmentant celles-ci 197 ( * ) . La commission des finances a ainsi déclaré irrecevables :
- la création d'une dotation de convergence tarifaire pour compenser les effets de la convergence tarifaire sur le niveau des ressources des établissements de santé ;
- l'élargissement de la liste des médicaments onéreux remboursés par l'assurance maladie, en sus du financement par une dotation annuelle de financement ;
- la création, au bénéfice des établissements d'accueil des personnes âgées, d'un forfait à la charge de l'assurance maladie destiné spécifiquement à la couverture des dépenses relatives à la prise en charge de la maladie d'Alzheimer et des maladies apparentées lorsqu'elles ne sont pas totalement prise en charge par les le forfait soins « ordinaire » ;
- l'élargissement de la liste des établissements et services sociaux et médico-sociaux bénéficiant de l'ONDAM médico-social aux groupes d'entraide mutuelle pour les personnes handicapées psychiques ;
- la création d'une indemnité forfaitaire au bénéfice des praticiens qui s'engagent à exercer dans les zones où l'offre de soins est déficitaire ;
- l'octroi de subventions aux entreprises éligibles dans le cadre de programmes nationaux de prévention .
c) La création de nouvelles structures publiques ou l'élargissement des compétences de structures existantes
Comme pour la sphère « Etat », un amendement créant une structure nouvelle est irrecevable au regard de l'article 40 de la Constitution , dans la mesure où cette création est en elle-même coûteuse. De plus, la structure une fois créée aura inévitablement vocation à dépenser 198 ( * ) .
Ont ainsi été déclarés irrecevables :
- la création d'un Fonds national de financement des évaluations externes des établissements et services médico-sociaux et lieux de vie et d'accueil , alimenté chaque année par le budget de l'Etat, les organismes d'assurance maladie et les collectivités territoriales ;
- la possibilité pour les établissements de formation agréés par la région de se constituer en groupements de coopération avec les organismes gestionnaires d'établissements et services sociaux et médico-sociaux et les établissements d'accueil des enfants de moins de six ans, afin d'assurer l'accompagnement du tutorat des étudiants en travail social en stage, la gestion des lieux de stages et le versement des gratifications, pouvant bénéficier de concours des régimes d'assurance maladie.
Selon la même logique, sont également irrecevables les amendements élargissant les compétences de structures publiques existantes . La commission des finances a ainsi déclaré irrecevable un amendement tendant à élargir les compétences du Fonds national de financement de la protection de l'enfance à la compensation de la prise en charge par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance des mineurs étrangers isolés.
d) La création d'un fonds de concours
La commission des finances a également déclaré irrecevable un amendement tendant à affecter le produit de la taxe sur les complémentaires santé, créée dans le cadre de la gestion de la grippe A, à l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), par le biais d'un rattachement par voie de fonds de concours .
La création d'un fonds de concours aurait en effet constitué un décaissement de l'assurance maladie au profit de l'EPRUS.
e) La suppression d'un « verrou » à la dépense publique
Autres cas récurrents d'irrecevabilité, les amendements tendant à supprimer des « verrous » à la dépense publique. Ont ainsi été déclarés irrecevables les amendements :
- supprimant les « tarifs plafonds » instaurés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 pour limiter les dotations allouées aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. La suppression d'un levier de maîtrise de dépenses conduit à une aggravation de charges publiques ;
- prévoyant que la prise en charge par l'assurance maladie des cotisations dues par les professionnels de santé ne peut être minorée (en fonction des formes particulières d'exercice comme dans le cadre des maisons de santé ou des pôles de santé). Cet amendement, présenté à l'occasion du PLFSS pour 2011, revenait à instaurer un plancher de dépenses ;
- raccourcissant d'un mois le délai d'entrée en vigueur des mesures conventionnelles de revalorisation tarifaire de professionnels de santé , ce qui aurait conduit à revenir sur le dispositif de l'article L. 162-14-1-1 du code de la sécurité sociale qui prévoit que toute mesure conventionnelle ayant pour effet une revalorisation des tarifs des honoraires entre en vigueur au plus tôt à l'expiration d'un délai de six mois à compter de l'approbation de la convention et que, lorsque le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie émet un avis considérant qu'il existe un risque sérieux de dépassement de l'ONDAM, la signature de cette convention est suspendue. L'amendement constituait, en tous les cas, une anticipation de dépenses ;
- prolongeant la durée de l'autorisation délivrée aux centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie et des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogue, autorisation qui leur ouvre le droit à un financement par le biais de l'ONDAM .
2. Les cas où la création ou l'aggravation de charge publique n'est pas constituée
a) Les amendements non normatifs
Comme pour le volet « Etat » ou « collectivités territoriales », les amendements dépourvus de portée normative, ou « voeux pieux », sont par définition recevables , quand bien même les intentions de leurs auteurs sont coûteuses 199 ( * ) .
Aussi, lors de l'examen de la réforme des retraites de 2010, la commission des finances a-t-elle considéré qu'entraient dans cette catégorie les amendements prévoyant que :
- « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au coeur du pacte social qui unit les générations et le droit intangible de tous à une période de vie en bonne santé, dégagée des activités professionnelles, ouvert à soixante ans, et à un niveau de pension au moins égal au salaire minimum interprofessionnel de croissance » ;
- « La Nation garantit aux assurés la protection de la santé, la réussite matérielle et le repos, ouvert à soixante ans ».
b) Les effets indéterminés et la théorie de la « modulation »
Selon une interprétation favorable à l'initiative parlementaire, la commission des finances a déclaré recevables les amendements ayant un effet indéterminé ou dont l'impact à la hausse ou à la baisse sur les dépenses publiques n'est pas explicite , comme :
- l'exclusion de la procédure d'appels à projets des lieux de vie et d'accueil et des structures expérimentales ainsi que des groupes d'entraide mutuelle ;
- la mise en place de coefficients correcteurs géographiques, s'appliquant aux tarifs plafonds, adaptés aux écarts de charges financières qui doivent être assumées par les établissements implantés dans certaines zones géographiques.
c) Les engagements du Gouvernement
Au titre des engagements du Gouvernement 200 ( * ) dans le champ social, la commission a déclaré recevable la prise en charge des frais de transport des enfants accueillis en centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP) et en centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) par les caisses primaires d'assurance maladie.
Elle a en effet considéré que la réponse du secrétaire d'Etat à la famille et à la solidarité à la question écrite de notre collègue Philippe Paul 201 ( * ) , valait engagement du Gouvernement 202 ( * ) :
Toutefois, l'assurance maladie prenait jusqu'en 2008 en charge les frais de transport pour six séances au CMPP ou en CAMSP. En juillet 2008, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), par une directive interne interprétant une instruction ministérielle, a demandé aux caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) de cesser le remboursement des frais de transport. Le Gouvernement ne partage pas cette interprétation et souhaite, à la suite du rapport remis par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et dans une volonté de traitement d'ensemble de la question des frais de transport des personnes handicapées, que la CNAMTS revienne sur sa directive .
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 a ouvert explicitement cette possibilité. Les frais de transports des enfants suivis par des CAMSP et CMPP pourront désormais faire l'objet d'une prise en charge par l'assurance maladie, s'ils font l'objet d'une prescription médicale, dans les conditions prévues par le droit commun.
d) Les redéploiements en projet de loi de financement de la sécurité sociale
Le IV de l'article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale, introduit par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) 203 ( * ) , autorise également certains redéploiements en matière de loi de financement de la sécurité sociale, s'agissant spécifiquement de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM).
Il dispose, en effet, que « au sens de l'article 40 de la Constitution, la charge s'entend, s'agissant des amendements aux projets de loi de financement de la sécurité sociale s'appliquant aux objectifs de dépenses, de chaque objectif de dépenses par branche ou de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ». Ceci permet ainsi aux membres du Parlement de proposer des redéploiements entre les sous-objectifs de l'ONDAM, dès lors que le montant global de ce dernier n'est pas majoré .
La commission des finances a ainsi déclaré recevables les amendements qui, sans modifier le montant global de l'ONDAM, opéraient des redéploiements de crédits entre les sous-objectifs de l'ONDAM.
Il convient toutefois, comme l'avait souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale 204 ( * ) , de combiner ces dispositions avec celles de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, qui dispose que la liste des sous-objectifs est définie par le Gouvernement. En pratique, il résulte de ces dispositions l'impossibilité de créer un sous-objectif par amendement parlementaire, et ce quand bien même le montant global de l'ONDAM ne serait pas augmenté .
* 201 Cf. question écrite n° 12494 de Philippe Paul, Journal officiel du Sénat du 11 mars 2010, page 576 .
* 202 Cf. réponse du secrétaire d'Etat à la famille et à la solidarité à la question n° 12494 précitée, Journal officiel du Sénat du 24 juin 2012, page 1634 .
* 203 Loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale .
* 204 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005 .