B. LES BASES DE RÉFÉRENCE
La recevabilité financière d'un amendement parlementaire ou d'une proposition de loi s'apprécie nécessairement à partir d'un point de comparaison. Afin de favoriser l'initiative parlementaire, plusieurs bases de référence sont possibles, que l'on peut regrouper en deux grandes catégories :
- le droit existant , constitué par la législation, les textes réglementaires, les traités et accords internationaux en vigueur, la jurisprudence, voire, dans certains cas, les situations de fait ;
- le droit proposé , qui comprend le texte de loi en discussion et les propositions de loi adoptées par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires. Les intentions du Gouvernement peuvent également, sous certaines conditions, être utilisées comme base de référence.
Suivant une pratique constante, la base de référence la plus favorable à l'initiative parlementaire est systématiquement choisie .
1. La notion de droit existant
En principe, l'examen de la recevabilité financière d'un amendement parlementaire ou d'une proposition de loi est effectué par rapport au droit existant. Une conception extensive du droit existant est retenue par le juge de la recevabilité afin de donner une plus grande latitude à l'initiative parlementaire. Cinq niveaux de normes sont ainsi considérés comme faisant partie du droit existant.
a) La législation en vigueur
Le droit existant inclut en premier lieu les textes législatifs en vigueur au moment où s'engage la discussion parlementaire , qu'ils résultent d'une loi ou d'une ordonnance, même non ratifiée. Bien qu'elles soient formellement soumises à autorisation parlementaire annuelle en loi de finances, les mesures fiscales permanentes font également partie du droit en vigueur.
En pratique, la législation en vigueur constitue la base de référence la plus courante . Ainsi un amendement parlementaire proposant la suppression de dispositions d'un projet de loi afin de maintenir la législation en vigueur est-il toujours recevable au regard de l'article 40. Par exemple, dans le cadre de l'examen du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, j'ai déclaré recevables des amendements prévoyant la suppression des nouvelles règles encadrant le cumul emploi-retraite, dans la mesure où ces amendements visaient un retour au droit existant.
La volonté de favoriser l'initiative parlementaire m'a également conduit à accepter comme base de référence au titre du droit existant, le « droit à venir », promulgué mais qui ne serait pas encore appliqué . Par exemple, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, j'ai apprécié la recevabilité des amendements augmentant le nombre de conseillers départementaux au regard de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 qui créait le conseiller territorial, mais aussi par rapport au droit alors appliqué, la réforme de 2010 n'étant destinée à être appliquée qu'à compter du prochain renouvellement, en 2015.
b) La réglementation en vigueur
Pour l'examen de la recevabilité financière, sont considérés comme faisant partie du droit existant les actes résultant du pouvoir réglementaire : décrets, arrêtés, circulaires ou instructions ministérielles . Ces dispositions réglementaires doivent bien évidemment être conformes à la législation en vigueur.
Un amendement parlementaire reprenant une disposition réglementaire coûteuse déjà en vigueur serait ainsi recevable au regard de l'article 40. Néanmoins, le dispositif proposé par l'amendement devrait être identique à la disposition réglementaire en vigueur ou, du moins, ne devrait pas aggraver la perte de recettes ou la charge résultant de ladite disposition réglementaire.
Par ailleurs, la recevabilité financière d'un tel amendement n'exclut en rien la possibilité pour le Gouvernement d'invoquer l'article 41 de la Constitution, afin d'opposer, le cas échéant, une irrecevabilité tirée d'un « empiètement » sur le champ réglementaire.
c) Le droit international et de l'Union européenne régulièrement applicable
Un texte de droit international remplissant les conditions d'applicabilité prévues par l'article 55 de la Constitution - à savoir l'approbation ou la ratification régulière, la publication et la réciprocité - peut servir de base de référence pour l'examen de la recevabilité financière.
Ainsi, une initiative parlementaire reprenant une disposition inconditionnelle et suffisamment précise d'un traité déjà ratifié ou « transposant » une disposition d'un texte communautaire en vigueur serait conforme à l'article 40, même si cette disposition s'avérait coûteuse.
S'agissant du droit de l'Union européenne , il convient de préciser que seules les normes de droit dérivé présentant un caractère obligatoire , c'est-à-dire les règlements, les directives et les décisions, entrent dans le champ du droit existant considéré par le juge de la recevabilité. De plus, un amendement prévoyant une entrée en vigueur anticipée d'une disposition coûteuse d'une directive serait irrecevable au titre de l'article 40. Un tel amendement tendrait, en effet, à aggraver la perte de recettes ou la charge publique prévue.
d) La jurisprudence nationale et internationale
Cherchant à préserver l'initiative parlementaire, le juge de la recevabilité peut également utiliser comme base de référence, au titre du droit existant, des décisions de justice . Néanmoins, seules des décisions définitives, interprétant le droit et s'imposant à tous peuvent être retenues . Entrent ainsi dans cette catégorie :
- le contentieux pour excès de pouvoir ; les décisions d'annulation prononcées par le juge administratif ont alors un effet erga omnes : toute personne peut s'en prévaloir et elles sont opposables à tous ;
- le plein contentieux objectif - notamment le contentieux fiscal - où le juge tend à trancher un point de droit, c'est-à-dire à établir le droit, législatif ou réglementaire, applicable ;
- le contentieux par voie d'exception , dès lors que le juge administratif y est amené, de façon incidente, à se prononcer sur la légalité d'un acte administratif.
S'agissant de la jurisprudence internationale , les arrêts en annulation et les arrêts en manquement de la Cour de justice de l'Union européenne ( CJUE ) peuvent également servir de base de référence, car ces derniers ont un effet erga omnes et viennent ainsi s'insérer dans la jurisprudence nationale. A ces décisions de la CJUE s'ajoutent celles de la Cour européenne des droits de l'homme ( CEDH ). En vertu du premier paragraphe de l'article 46 de la Convention européenne des droits de l'Homme, tout Etat partie à ladite Convention s'engage à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour tandis que le Conseil d'Etat a indiqué que « l'autorité qui s'attache aux arrêts de la Cour implique en conséquence non seulement que l'Etat verse à l'intéressé les sommes que la Cour lui a allouées [...] mais aussi qu'il adopte les mesures individuelles et, le cas échéant, générales nécessaires pour mettre un terme à la violation constatée » 72 ( * ) .
Dans tous les cas, eu égard au volume de jurisprudence considéré et aux délais restreints dans lesquels s'exerce le contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires, les auteurs sont invités à faire connaître dans l'objet de leur amendement ou l'exposé des motifs de leur proposition de loi l'existence d'une décision de justice pouvant faire office de base de référence au titre du droit existant.
Enfin, les décisions du Conseil constitutionnel doivent nécessairement être prises en compte dans l'appréciation de la recevabilité financière. En effet, en vertu du dernier alinéa de l'article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
e) La coutume
A titre exceptionnel, certains éléments de fait peuvent être intégrés dans la base de référence au regard de l'article 40. Des situations existantes et coûteuses peuvent ainsi être légalisées par une initiative parlementaire. Cette possibilité est néanmoins soumise à deux conditions, appréciées de façon stricte :
- la situation de fait considérée doit être constitutive d'une coutume , c'est-à-dire qu'elle doit correspondre à une pratique constante et continue, partagée par l'ensemble des acteurs concernés ;
- la pratique coutumière doit être conforme à la législation en vigueur . Une initiative parlementaire ne saurait régulariser une situation de fait coûteuse et contra legem .
Ainsi, j'ai récemment été amené à déclarer irrecevable un amendement sur le projet de loi organique portant actualisation de la loi du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie 73 ( * ) , visant à permettre au conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon de participer au financement des dépenses de fonctionnement des établissements d'enseignement privé du premier degré. Le fait que le conseil territorial ait, dans la pratique, financé ces écoles ne pouvait constituer une base de référence étant donné qu'il s'agissait d'une pratique contraire à l'article R. 442-44 du code de l'éducation nationale, qui prévoit que ces dépenses relèvent de l'échelon communal.
f) La temporalité, une dimension essentielle du droit existant
Au-delà des différents niveaux de normes, la notion de droit existant doit être appréciée correctement dans le temps. En la matière, l'expérience conduit à appeler l'attention sur deux points.
D'une part, le droit existant ne correspond pas au droit qui a existé . Au contraire des initiatives parlementaires proposant le retour à l'état du droit en vigueur par rapport au texte en discussion, les amendements proposant le retour à un ancien état du droit ne sont pas recevables s'ils créent une charge ou diminuent sans compensation des ressources publiques . C'est ainsi que mon prédécesseur Jean Arthuis a déclaré irrecevables des amendements abrogeant la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz 74 ( * ) et la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie 75 ( * ) , dans la mesure où ils tendaient à refaire des sociétés Electricité de France (EDF) et Gaz de France (GDF) des établissements publics. Bien que ces dernières aient été des établissements publics de 1946 à 2004, le retour à ce statut aurait impliqué que l'Etat rachète l'ensemble des actions de ces groupes détenues par des tiers, ce qui aurait constitué une charge publique.
D'autre part, les amendements visant à pérenniser ou à proroger des dispositifs existants mais limités dans le temps , dès lors que ces dispositifs comportent un coût pour les finances publiques, sont irrecevables du point de vue de l'article 40 . En effet, de semblables amendements constituent ipso facto la création d'une charge. Un amendement parlementaire prolongeant une expérimentation coûteuse au-delà de la date de fin prévue par le droit en vigueur serait donc considéré comme irrecevable au titre de l'article 40.
En revanche, il est toujours possible pour les parlementaires de s'opposer à la reconduction d'une mesure limitée dans le temps ou de proposer l'abrogation d'un dispositif coûteux.
2. La référence au droit proposé
Si le droit en vigueur constitue la base de référence la plus souvent retenue pour l'application de l'article 40, la recevabilité financière des initiatives parlementaires peut être appréciée par rapport au droit proposé lorsque les dispositions du texte discuté tendent soit à une diminution de ressources publiques, soit à la création ou l'aggravation d'une charge publique.
Cette pratique est avalisée de longue date par le Conseil constitutionnel. Dans une décision du 20 janvier 1961 76 ( * ) , ce dernier a considéré qu'un amendement représentant une charge pour le régime de sécurité sociale des exploitants agricoles par rapport au droit en vigueur mais n'étant pas plus onéreux que la disposition du projet de loi initial, ne pouvait pas être regardée comme aggravant une charge publique.
La référence au droit proposé confère donc une plus grande latitude à l'initiative parlementaire. De surcroît, le droit proposé est apprécié de façon large.
a) Les textes en discussion
Selon le moment de la discussion, plusieurs textes peuvent servir de base de référence pour l'examen de la recevabilité financière :
- soit le projet de loi déposé par le Gouvernement (auquel l'article 40 n'est pas opposable) ;
- soit le texte de la proposition de loi inscrite à l'ordre du jour (pour les seuls amendements à celle-ci) ;
- soit le texte adopté par la commission saisie au fond dudit projet de loi ou de ladite proposition de loi au sein de chaque chambre (pour les seuls amendements à celle-ci). En application de l'article 42 de la Constitution, tel que modifié lors de la révision constitutionnelle de 2008, « la discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie ». Toutefois, l'invocation de l'article 40 à l'encontre de dispositions du texte de la commission qui seraient irrecevables demeure possible ; le cas échéant, l'irrecevabilité qui en découlerait entraînerait la disparition de la base de référence ;
- soit les textes transmis d'une assemblée à l'autre au cours de la navette parlementaire . L'appartenance des textes transmis d'une chambre à l'autre au champ du droit proposé relève initialement de la pratique.
Dès la première législature de la V e République, il a été admis qu'il n'y a pas, devant la deuxième assemblée saisie, de contrôle de recevabilité des textes adoptés par l'autre assemblée. A cet égard, il est possible de se référer à la prise de parole d'Henri Rochereau, ministre de l'agriculture, devant l'Assemblée nationale lors de la deuxième séance du 23 novembre 1960 :
La commission des finances du Sénat a estimé que l'article 40 de la Constitution ne s'appliquait pas. J'ai alors réservé la position du Gouvernement en déclarant qu'il saisirait le Conseil constitutionnel du conflit surgi entre le Sénat et le Gouvernement sur l'application de l'article 40 en présence d'un accroissement des charges publiques.
C'est pourquoi je me suis permis de préciser aujourd'hui, devant votre assemblée, qu'il n'était plus possible d'invoquer l'article 40 de la Constitution, puisque vous étiez appelés à vous prononcer en deuxième lecture sur un texte adopté par le Sénat.
Telle est la thèse constamment soutenue par le Gouvernement.
Au fil de l'examen du texte et de la navette parlementaire, le nombre de bases de référence de droit proposé s'accroît. Cette situation peut, dans certains cas, compliquer l'exercice du contrôle de la recevabilité. Je m'efforce toutefois de retenir systématiquement la base de référence la plus favorable à l'initiative parlementaire.
b) Les propositions de loi adoptées par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires lors de la législature en cours
Au titre du droit proposé, une proposition de loi adoptée par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires , lors de la législature en cours , peut également constituer une base de référence valable pour l'appréciation de la recevabilité financière. L'amendement parlementaire doit toutefois se borner à reprendre les dispositions de la proposition de loi adoptée, sans en aggraver le caractère coûteux.
Lors de l'examen, en octobre 2013, du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, je me suis ainsi référé à une proposition de loi adoptée le 31 janvier 2013 par le Sénat, afin de déclarer recevable un amendement visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels.
En revanche, ne peuvent constituer une base de référence au titre du droit proposé :
- une proposition ou un projet de loi adopté par l'une des chambres du Parlement lors d'une précédente législature . En d'autres termes, un amendement créant une charge ou diminuant sans gage les ressources publiques, même s'il ne fait que transcrire des mesures adoptées par le Sénat ou l'Assemblée nationale au cours d'une ancienne législature, demeure irrecevable ;
- une proposition de loi déposée mais non adoptée . Un amendement reprenant une proposition de loi n'est pas nécessairement recevable étant donné que les instances parlementaires chargées d'examiner la recevabilité financière ne sont pas les mêmes pour les amendements et les propositions de loi.
Par ailleurs, un amendement parlementaire déposé à l'Assemblée nationale et non adopté ne peut servir de base de référence . Chaque assemblée assure en effet de manière autonome le contrôle de la recevabilité financière et la jurisprudence de chaque assemblée peut différer sur certains points.
c) La prise en compte des intentions du Gouvernement
Enfin, l'intention du Gouvernement peut servir de base de comparaison afin de valider un amendement ou une proposition de loi .
De manière à éviter toute dérive à ce qui pourrait paraître comme une pratique très libérale (d'ailleurs en vigueur dans les deux assemblées), l'expression de cette intention doit respecter des formes strictes. Aussi, seules sont susceptibles d'être retenues comme base de référence les intentions exprimées de façon formelle par :
- le dispositif, l'exposé des motifs ou l'étude d'impact de tout projet de loi déposé par le Gouvernement en fonction. J'ai, par exemple, retenu comme base de référence le projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi et de promotion de l'égalité des territoires, déposé le 10 avril 2013 sur le bureau du Sénat, pour examiner la recevabilité financière de certains amendements au projet de loi d'affirmation des métropoles. De nombreux amendements au projet de loi relatif à la création de la Banque publique d'investissement ont quant à eux été acceptés en ce qu'ils visaient à introduire des missions que l'exposé des motifs ou l'étude d'impact du projet de loi se proposaient d'assigner à la future Bpifrance ;
- un amendement du Gouvernement rejeté par l'une des assemblées au cours de la navette parlementaire ;
- un membre du Gouvernement s'exprimant au nom du Gouvernement - et non seulement en son nom propre - devant l'Assemblée nationale ou le Sénat ou bien devant une commission de l'une des deux assemblées et dont les propos ont été repris dans un compte rendu officiel . Peuvent également être admises les réponses des ministres aux questions écrites des parlementaires, publiées au Journal officiel. En revanche, les déclarations de presse ne sont donc pas admises.
Dans tous les cas, l'intention du Gouvernement doit avoir été exprimée en termes suffisamment clairs et précis - y compris dans une étude d'impact ou l'exposé des motifs d'un projet de loi - afin d'éviter toute ambiguïté. Bien entendu, l'amendement ou la proposition ne doit pas aller plus loin que ce à quoi s'est expressément engagé le Gouvernement.
Sur cette base, la commission des finances a pu insérer elle-même au sein de la loi de régulation bancaire et financière de 2010 un dispositif d'encadrement du marché des quotas de gaz à effet de serre après que la ministre de l'économie Christine Lagarde eut déclaré devant elle, la semaine précédente, travailler de concert avec cette commission « pour que l'Autorité des marchés financiers dispose des pouvoirs de supervision, de régulation, et, éventuellement, de sanction sur ce marché ».
Il est important de distinguer, d'une part, ce qui précède et, d'autre part, le simple avis favorable du Gouvernement à une proposition ou à un amendement d'origine parlementaire, qui n'empêche pas l'application de l'article 40 . La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne laisse pas planer le doute à cet égard, celui-ci ayant ainsi censuré au titre de l'irrecevabilité financière la loi complémentaire à la loi du 2 août 1960 et relative aux rapports entre l'Etat et l'enseignement agricole privé, pourtant issue d'une proposition de loi à propos de laquelle le gouvernement de l'époque avait manifesté son consentement en l'inscrivant à l'ordre du jour prioritaire des deux assemblées 77 ( * ) .
Cette distinction, qui pourrait sembler subtile de prime abord, répond cependant à la logique profonde de l'article 40 :
- dans le premier cas, l'initiative parlementaire rejoint, sans la dépasser, celle du Gouvernement. D'un strict point de vue juridique (et non politique), l'amendement ou la proposition peut être considéré comme un véhicule traduisant une initiative gouvernementale, qui est donc recevable ;
- à l'inverse, dans le second cas, l'initiative de la mesure coûteuse émane véritablement du Parlement et l'accord du Gouvernement ne saurait retirer au dispositif son caractère irrecevable.
3. Les limites de la combinaison entre le droit existant et le droit proposé
La base de référence choisie pour l'examen de la recevabilité financière est toujours celle qui est la plus favorable à l'initiative parlementaire. Toutefois, la possibilité d'une option entre le droit proposé et le droit existant ne peut être interprétée comme autorisant une initiative parlementaire à combiner les éléments les plus favorables de dispositifs issus de deux bases de référence possibles . Cette règle trouve notamment à s'appliquer lorsque le texte en discussion propose un aménagement à la fois extensif et restrictif d'une ressource ou d'une charge publiques. Un amendement ou une proposition qui s'opposerait à la mesure restrictive, au nom du droit en vigueur, tout en laissant s'appliquer la mesure extensive, au nom du droit proposé, se traduirait par une dégradation des finances publiques au regard de chacune des deux bases de comparaison possibles. Celui-ci devrait alors être considéré comme irrecevable au regard de l'article 40.
Un tel cas s'est présenté lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2014. Un amendement proposait de supprimer deux alinéas correspondant à l'abaissement du plafond du quotient familial, tout en maintenant deux alinéas visant à neutraliser l'effet de ladite baisse pour certains publics spécifiques. Dans la mesure où cet amendement aurait entraîné une perte de recettes pour le budget de l'Etat, j'ai suggéré à son auteur d'ajouter un gage afin d'être en mesure de le déclarer recevable.
Le même raisonnement s'applique en matière de charges. Si le Gouvernement propose d'attribuer une nouvelle mission, dont la mise en oeuvre dépasserait la charge de gestion, à un opérateur de l'Etat, tout en supprimant l'une de ses missions actuelles, en sorte de ne pas augmenter le nombre d'emplois de cet opérateur, un amendement parlementaire s'opposant à la suppression de cette mission, tout en conservant la nouvelle mission proposée par le Gouvernement, conduirait à une création de charge et serait, à ce titre, irrecevable.
Certes, l'application de cette règle peut aboutir, en quelque sorte, à imposer le gage retenu par le Gouvernement lors de l'introduction d'une mesure entraînant une perte de recettes, la création ou l'aggravation d'une charge publique.
La limitation de la combinaison entre le droit existant et le
droit proposé correspond néanmoins à la jurisprudence du
Conseil constitutionnel et s'impose donc aux autres instances examinant la
recevabilité financière des initiatives parlementaires. En
réponse à la saisine de députés sur la loi
supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle, le Conseil
constitutionnel a considéré que «
l'institution par
ladite loi de la taxe professionnelle doit être regardée non comme
la création d'une ressource fiscale entièrement nouvelle, mais
seulement comme la substitution de cette taxe professionnelle à la
contribution des patentes
»
78
(
*
)
. Dans cette configuration, des amendements
parlementaires aboutissant à une réduction du produit de la taxe
professionnelle à un niveau inférieur
à la fois à celui résultant du projet de loi et à
celui de la patente préexistante avaient, à juste titre,
été déclarés irrecevables. Ainsi, lorsqu'une
ressource se substitue à une autre, une initiative parlementaire ne peut
contester le bien-fondé de cette substitution qu'à condition de
maintenir, en contrepartie, le niveau des ressources existantes.
* 72 Cf. décision du Conseil d'Etat du 4 octobre 2012, « M. Gilbert B. » (n° 328502).
* 73 Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie .
* 74 Loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières .
* 75 Loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie .
* 76 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 60-11 DC du 20 janvier 1961 , op. cit .
* 77 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 77-91 DC du 18 janvier 1978 , op. cit.
* 78 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 75-57 DC du 23 juillet 1975 , op. cit .