DEUXIÈME PARTIE - L'EXERCICE DU CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE
L' article 40 de la Constitution dispose que :
Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.
Ainsi, il apparaît que la rédaction de l'article 40 traite distinctement les « ressources publiques », qui figurent au pluriel, et la « charge publique », qui est au singulier. Loin de constituer une question d'ordre grammatical, cette distinction emporte des conséquences juridiques concrètes s'agissant, d'une part, des initiatives parlementaires créant ou aggravant une charge publique et, d'autre part, de celles diminuant des ressources publiques.
En effet, si l'emploi du mot « charge » au singulier prohibe les créations ou aggravations de charge - même compensées par la baisse d'une autre charge ou par l'augmentation des ressources publiques - , l'emploi du mot « ressources » au pluriel permet, quant à lui, la diminution ou la suppression d'une ressource publique, dès lors qu'elle est compensée par un surcroît de recettes, le principe étant de maintenir le niveau global des ressources publiques.
Ce traitement différencié des charges et des ressources publiques, qui est conforme à la volonté des auteurs de la Constitution du 4 octobre 1958 (cf. supra ), a été validé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Les développements qui suivent visent à expliciter les notions de « charge publique » et de « ressources publiques » , qui figurent à l'article 40 de la Constitution , telles qu'elles sont entendues dans le cadre de la jurisprudence de la commission des finances du Sénat.
I. L'INTERDICTION DES CRÉATIONS ET AGGRAVATIONS DE CHARGE PUBLIQUE
L'interdiction de créer ou d'aggraver une charge publique par le biais d'une initiative parlementaire est absolue ; aussi le Conseil constitutionnel a-t-il estimé, dans une décision du 28 décembre 1985, « qu'il résulte des termes mêmes de [l'article 40 de la Constitution] qu'il fait obstacle à toute initiative se traduisant par l'aggravation d'une charge, fût-elle compensée par la diminution d'une autre charge ou par une augmentation des ressources publiques » 79 ( * ) . Comme cela était indiqué précédemment, il est donc impossible de compenser l'aggravation d'une charge publique , conformément à la volonté des auteurs de la Constitution, qui souhaitaient éviter le retour des « opérations compensées » (cf. supra ).
A. QU'EST-CE QU'UNE CHARGE PUBLIQUE ?
La notion de charge publique recouvre une réalité plus large que celle des dépenses stricto sensu imputées aux personnes publiques. En effet, elle comprend également les droits que des tiers détiennent sur ces personnes ou les compétences qu'elles exercent et les missions dont elles s'acquittent.
La charge publique est, avant tout, une notion juridique ; elle est constituée dès lors qu'une initiative parlementaire en ouvre la possibilité juridique - en accordant, par exemple, la possibilité d'exercer une compétence nouvelle, soit en octroyant un nouveau « droit de dépenser ». Par conséquent, ne sont pas opposables les raisonnements faisant valoir le caractère facultatif du dispositif proposé, impliquant que la personne concernée puisse ne pas faire usage de ce droit nouveau.
Les développements qui suivent explicitent les critères établis par le juge de la recevabilité financière - sur le fondement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel - pour identifier la constitution d'une charge publique.
1. La charge doit être directe et certaine
Une charge publique est constituée au sens de l'article 40 de la Constitution dès lors qu'elle est directe et certaine . A cet égard, il faut rappeler que, dans sa décision du 24 juillet 2003 80 ( * ) , le Conseil constitutionnel avait clairement laissé entendre qu'auraient dû être déclarés irrecevables des dispositions prévoyant une « augmentation du nombre de sénateurs » dans la mesure où « celle-ci [avait] une incidence directe et certaine sur les dépenses du Sénat, lesquelles font partie des charges de l'Etat ».
Dans une décision du 5 janvier 1982 81 ( * ) , le Conseil constitutionnel avait jugé que c'était à bon droit qu'avait été opposé l'article 40 de la Constitution à des amendements portant des mesures qui « constituaient [...] une autorisation, indirecte mais certaine, de créer ou d'aggraver la charge publique » ; ceci semble indiquer que les critères précités ne sont pas cumulatifs . Dans ces conditions, un amendement proposant la création d'une charge certaine mais indirecte devrait être déclaré irrecevable.
Pour autant, rechercher les conséquences les plus infimes pour les finances publiques d'une initiative parlementaire est hors de la portée du juge de la recevabilité financière . Par conséquent, le lien entre la charge et le dispositif doit présenter une certaine évidence pour que l'amendement qui le propose se voie opposer l'exception d'irrecevabilité.
Si la création ou l'aggravation d'une charge publique ne constitue qu'une conséquence trop indirecte du dispositif proposé, l'initiative doit être déclarée recevable . A titre d'exemple, lors de l'examen du projet de loi de programmation relative à l'exécution des peines, j'ai déclaré recevable un amendement supprimant l'obligation pour les psychiatres hospitaliers d'obtenir l'autorisation du directeur de leur établissement de rattachement pour exercer des missions d'expertise sur leur temps de travail ; en effet, j'ai jugé que les conséquences éventuelles sur les ressources humaines des établissements publics de santé - notamment en termes de recrutement - présentaient un lien trop indirect avec l'initiative proposée.
En outre, parce que la création ou l'aggravation d'une charge publique doit être certaine , les amendements pour lesquels il existe un doute quant aux conséquences financières sont considérés comme recevables, conformément au principe selon lequel le doute profite à l'auteur de l'amendement .
Toutefois, il convient d'être attentif à la manière dont s'applique ce principe. En effet, il ne saurait être invoqué au profit d'un amendement proposant un dispositif coûteux mais facultatif au motif qu'une incertitude existe quant à la réalisation de la charge publique ; cette dernière est constituée dès lors qu'elle existe juridiquement - ce qui explique que soient déclarées irrecevables des initiatives parlementaires créant une charge future 82 ( * ) , voire éventuelle ou facultative (cf. infra ).
La question n'est donc pas de savoir s'il est certain que l'initiative aura pour conséquence d'aggraver une charge publique, mais plutôt de déterminer s'il est certain que celle-ci peut entraîner une aggravation de charge - étant entendu qu'il est indifférent qu'elle se réalise ou non. Par conséquent, il y a doute lorsqu'il n'est pas certain que l'amendement puisse aggraver une charge publique. Par exemple, j'ai déclaré recevable un amendement au projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle tendant, tout à la fois, à réduire le plafond des dépenses de campagne ainsi que le pourcentage de suffrages obtenus à partir duquel les candidats ont droit à un remboursement. Au regard des données disponibles lors de son examen, rien ne permettait d'affirmer que l'amendement aurait conduit à une hausse de la dépense liée au remboursement des frais de campagne - l'existence d'un doute plaidant donc en faveur de sa recevabilité.
2. La charge peut n'être qu'éventuelle ou facultative
Comme l'indiquent les développements qui précèdent, dans la mesure où la charge publique est une notion essentiellement juridique, celle-ci est constituée à partir du moment où une initiative parlementaire en ouvre la possibilité juridique. Il en résulte que les initiatives parlementaires proposant la création ou l'aggravation d'une charge éventuelle ou facultative sont également irrecevables .
Sont qualifiées d' éventuelles les charges publiques dont la réalisation dépend de l' intervention d'évènements futurs aléatoires . Il s'agit, par exemple, des mécanismes d'indexation de prestations servies par une administration publique, ou encore de l'octroi d'une garantie publique. Le Conseil constitutionnel a ainsi validé la censure par la commission des finances de l'Assemblée nationale d'un amendement tendant à garantir un taux minimum de 11 % par an pour les intérêts attachés aux obligations données en échange des actions des sociétés nationalisées en vertu de la loi du 11 février 1982 alors même que, comme le faisaient valoir les députés requérants, le taux d'intérêt des emprunts d'Etat dépassait alors 17 % 83 ( * ) .
Les charges sont considérées comme facultatives lorsque leur réalisation dépend de la décision d'une personne entrant dans le périmètre de l'article 40 de la Constitution qui y a été autorisée par la loi sans pour autant y être obligée . Ainsi, mon prédécesseur Jean Arthuis avait déclaré irrecevable un amendement à la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique qui tendait à assouplir les conditions de participation des collectivités territoriales au capital de sociétés commerciales - élargissant un « droit de dépenser » pour celles-ci.
3. Les cas d'irrecevabilité caractérisée
En application des principes qui viennent d'être explicités, il est proposé d'établir, à l'usage des auteurs d'amendements ou de propositions de loi, une « typologie » des cas les plus répandus d'irrecevabilité prononcée sur le fondement de la création ou de l'aggravation d'une charge publique.
Il convient de préciser que les conditions de l'exercice du contrôle de la recevabilité financière s'agissant des initiatives parlementaires portant sur les collectivités territoriales 84 ( * ) ou encore le secteur social 85 ( * ) font l'objet d'un traitement approfondi dans deux annexes spécifiques au présent rapport.
a) Les dotations publiques
Parmi les cas d'irrecevabilité les plus aisément décelables figurent tout d'abord les amendements visant les dotations et subventions attribuées par une personne publique, ces derniers se traduisant par un supplément de dépense.
Sont ainsi contraires à l'article 40 de la Constitution les initiatives parlementaires augmentant des dépenses existantes - à l'instar de celles prévoyant la majoration de la participation financière de l'Etat au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) - ou instituant une subvention nouvelle , en prévoyant par exemple que des « crédits spécifiques » seraient attribués à certains établissements de santé afin de permettre le financement de l'intégration du temps de garde dans le temps de travail des médecins.
Récemment, lors de l'examen du projet de loi d'affirmation des métropoles, j'ai déclaré irrecevable un amendement visant à attribuer à la Métropole d'Aix-Marseille-Provence une dotation de fonctionnement et un fonds d'investissement alimentés par l'Etat.
b) Les droits détenus par les administrés sur une personne publique
Comme cela était indiqué précédemment, la notion de charge publique intègre également les droits que les administrés peuvent détenir sur une personne publique, en particulier les droits à diverses prestations ou allocations.
Sont irrecevables les ouvertures de droits nouveaux ; par exemple, l'article 40 de la Constitution a été opposé à un amendement créant un « congé parental paritaire » ouvert à la mère de l'enfant, au père, au conjoint ou à la personne vivant avec la mère et donnant lieu au revenu de remplacement versé par la sécurité sociale.
Sont également concernés les amendements élargissant le champ des bénéficiaires ; aussi, mon prédécesseur Jean Arthuis avait été contraint de déclarer irrecevables des amendements abaissant de 25 à 18 ans l'âge minimal requis pour bénéficier du revenu minimum d'insertion (RMI). Au cours de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, j'ai jugé qu'était irrecevable un amendement prévoyant que les élèves handicapés bénéficiaient d'un concours particulier au titre du fonds d'amorçage de la réforme des rythmes scolaires, ainsi qu'un autre amendement prolongeant d'une année l'existence de ce fonds.
S'agissant des initatives parlementaires visant à assouplir les conditions d'application de certains dispositifs créateurs de droit , j'ai considéré comme contraire à l'article 40 un amendement qui tendait à intégrer automatiquement les étudiants bénéficiant d'une bourse d'étude sur critères sociaux dans le champ des bénéficiaires de la couverture maladie complémentaire universelle (CMU-c), qui ouvre droit à une complémentaire santé gratuite, et de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS).
En outre, il faut être attentif au fait que sont irrecevables les amendements tendant à élargir l'assiette des cotisations sociales dans le but d'améliorer les droits à prestations des assurés . En application de ce principe, Jean Arthuis avait, par exemple, opposé l'irrecevabilité à une initiative tendant à intégrer les primes des fonctionnaires dans le calcul de leur pension de retraite. A contrario , un amendement augmentant le taux ou élargissant l'assiette d'une cotisation sociale sans création de droits nouveaux est recevable.
c) Les créations de structures ayant vocation à dépenser
Les créations de structures publiques nouvelles auxquelles sont confiées des missions et des moyens sont aussi irrecevables :
- tout d'abord, parce que cette création peut, en elle-même, être coûteuse. Mon précédesseur Jean Arthuis indiquait, à cet égard, qu'un « amendement qui prévoit la fusion d'Electricité de France, Gaz de France et des gestionnaires de réseaux de transports et de distribution en un "pôle public de l'énergie" ayant le statut d'établissement public industriel et commercial conduirait par exemple l'Etat à racheter les actions qu'il ne détient pas » ;
- ensuite, parce que les structures ainsi créées auront inévitablement vocation à dépenser , en rémunérant des personnels, etc.
Cela concerne notamment les amendements portant la création de « fonds » , dès lors que leur nature publique est admise. Qu'ils aient ou non la personnalité juridique, les fonds disposent nécessairement d'une autonomie budgétaire qui suppose l'existence, même formelle, de recettes et de dépenses, donc une compensation interdite .
A cet égard, lorsqu'il était président de la commission des finances, Jean Arthuis avait été amené à déclarer irrecevable un amendement créant quatre fonds de co-développement régional pour la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion, pour lesquels il était de surcroît précisé qu'ils étaient alimentés par « des crédits de l'Etat » ou des « dotations du département, de la région, de toute autre collectivité publique ou de tout autre organisme ».
J'ai opposé l'article 40 de la Constitution à un amendement dotant la Métropole d'Aix-Marseille-Provence d'une dotation de fonctionnement et d'un fonds d'investissement, dans le cadre de l'examen du projet de loi d'affirmation des métropoles. J'ai agi de même avec un amendement au projet de loi relatif à la création de la Banque publique d'investissement qui proposait la création d'un fonds « innommé », géré par la Caisse des dépôts et consignations, ayant vocation à accueillir une quote-part du total des dépôts collectés au titre du livret A et du livret de développement durable au profit de la nouvelle Banque publique d'investissement.
Par ailleurs, j'ai été amené à déclarer l'irrecevabilité d'un amendement au projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale précité portant création obligatoire d'un conseil économique, social et environnemental dans chaque établissement public de coopération intercommunal (EPCI) ou encore d'un amendement au projet de loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports qui visait à autoriser des collectivités à participer à la mise en place de groupements européens de coopération territoriale ayant pour objet d'exécuter les missions de service public de transport frontalier.
En outre, dans le cadre du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, j'ai opposé l'article 40 de la Constitution à un amendement créant des commission régionales de l'emploi et de la formation dont le financement aurait été assuré par un prélèvement obligatoire assis sur la valeur ajoutée des entreprises.
Ainsi, cette jurisprudence aurait vocation à s'appliquer à toute création de structure publique coûteuse, quelle que soit sa forme ; il peut s'agir, par exemple :
- d'un établissement public , si tant est qu'il ne s'agisse pas d'un établissement public industriel et commercial (EPIC) réalisant des activités de nature privée qui serait hors du champ de l'article 40 de la Constitution (cf. supra ) ;
- d'une autorité administrative indépendante (AAI) ou d'une autorité publique indépendante (API) ;
- d'un groupement d'intérêt public (GIP).
d) L'élargissement des compétences d'une personne publique
Sont incluses dans la notion de charge publique les compétences des personnes entrant dans le champ de l'article 40 de la Constitution. Aucun amendement parlementaire ne saurait donc attribuer des compétences nouvelles à une telle personne, que ces compétences soient générales ou prennent la forme d'une mission ponctuelle .
Sur ce fondement, mon prédécesseur Jean Arthuis avait déclaré irrecevable un amendement attribuant aux départements et aux régions une compétence d'aménagement et d'exploitation des installations hydroélectriques et un amendement imposant la réalisation d'un diagnostic amiante préalablement au transfert aux universités de la propriété de leurs biens immobiliers.
Les compétences d'une personne publique ne peuvent pas davantage être élargies que créées. A ainsi été déclaré irrecevable un amendement étendant les missions du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et des centres de gestion à la prise en charge des fonctionnaires territoriaux privés d'emploi à la suite de la cession du patrimoine d'un office public de l'habitat. Si, en l'espèce, l'irrecevabilité résulte de l'élargissement du champ des prérogatives de la personne concernée, il en serait de même d'un amendement portant extension du ressort territorial sur lequel ses prérogatives s'exercent. Par exemple, j'ai opposé l'irrecevabilité à un amendement habilitant la caisse centrale de réassurance (CCR) à pratiquer des opérations d'assurance et de réassurance couvrant les dommages aux personnes et aux biens susceptibles de survenir à l'étranger et non pas seulement sur le territoire français.
Est également irrecevable tout amendement visant à contraindre une personne publique à consacrer une fraction déterminée de ses ressources à une compétence identifiée . Ce « fléchage » de ressources s'analyse, en effet, soit comme une création de compétence dans les cas où les missions vers lesquelles les ressources sont fléchées n'existaient pas auparavant, soit comme une aggravation de charge en introduisant un élément de contrainte supplémentaire au détriment de la personne publique censée arbitrer entre les différents postes de son budget. Cette règle avait amené mon prédécesseur Jean Arthuis à refuser le dépôt d'un amendement obligeant les départements d'outre-mer à consacrer 5 % du produit des droits de consommation sur les produits du tabac qu'ils perçoivent à des actions de prévention et de lutte contre le tabagisme.
Enfin, il est nécessaire d'évoquer le cas des expérimentations . Alors que l'article 37-1 de la Constitution prévoit que la « loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental », l'article 72 dispose que, dans certains conditions, « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences ». Aussi, il convient de préciser que la commission des finances du Sénat a constamment jugé irrecevables les amendements autorisant l'Etat ou des collectivités territoriales à procéder à des expérimentations - si tant est qu'elles soient coûteuses - , de même que ceux élargissant le périmètre de ces dernières, et ce quand bien même l'aggravation de charge publique ne serait que provisoire. En effet, si les articles 37-1 et 72 de la Constitution affirment que la loi peut permettre d'aggraver temporairement les charges de l'Etat ou des collectivités, ils n'autorisent pas pour autant l'initiative parlementaire à y procéder. Un sort identique est réservé aux initiatives portant sur les expérimentations menées par les organismes de sécurité sociale ; par exemple, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, j'ai été contraint de déclarer irrecevable un amendement qui élargissait aux personnes souffrant de diabète une expérimentation coûteuse portant sur le parcours de soins et la prise en charge des personnes atteintes d'insuffisance rénale chronique.
e) Les transferts de charge entre personnes publiques
Parce qu'en application de l'article 40 de la Constitution une création ou une aggravation d'une charge publique ne saurait être compensée par la baisse d'une autre charge publique, il n'est pas possible de procéder par l'initiative parlementaire à un transfert de compétence entre personnes publiques ; en effet, ce transfert se traduirait par une création de charge pour la personne destinataire.
Ce principe s'applique sans exception, entre personnes publiques de catégories égales ou différentes, et quand bien même l'auteur de l'amendement ferait valoir qu'un tel transfert permettrait au nouveau titulaire de la charge de l'assumer à moindre coût .
Aussi la commission des finances a-t-elle déclaré irrecevable un amendement tendant à transférer à la branche maladie de la sécurité sociale des charges supportées par les conseils généraux au titre de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
J'ai également jugé contraire à l'article 40 de la Constitution, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, un amendement tendant à supprimer la possibilité pour les exploitants agricoles de s'assurer au titre du risque maladie auprès du groupement des assureurs maladie des exploitants agricoles (GAMEX) dans la mesure où celui-ci aurait abouti à un versement des exploitants concernés, donc à un transfert de charge, vers la Mutualité sociale agricole (MSA).
Toutefois, la création ou l'aggravation d'une charge publique n'est pas constituée lorsque le transfert de compétence se borne à redistribuer le poids d'une même charge entre différentes personnes publiques relevant de la même catégorie de collectivités territoriales - soit appartenant à un même « bloc » de collectivités -, en application d'une jurisprudence favorable à l'initiative parlementaire. Dès lors, un amendement modifiant la répartition entre communes d'une charge qui leur incombait déjà, ou entre des communes et un établissement public de coopération intercommunal (EPCI), serait recevable en raison du rattachement de ces personnes au « bloc communal ». Ce point est traité plus avant dans l'annexe au présent rapport relative à la recevabilité financière des amendements ayant trait aux collectivités territoriales 86 ( * ) .
En outre, ne constituent pas un transfert de compétence les simples délégations de compétence entre collectivités territoriales relevant de catégories différentes dans la mesure où la compétence demeure, juridiquement, à la collectivité délégante. De plus, la collectivité qui reçoit la délégation n'engage pas ses propres deniers, mais agit pour le compte du délégant. Il convient alors de se demander si elle pourra raisonnablement exercer cette charge sans nouveaux moyens humains , ce qui revient à apprécier la délégation de compétence comme une « charge de gestion ».
Enfin, il convient de traiter le cas particulier des transferts de compétences au sein de l'Etat . En effet, l'initiative parlementaire ne saurait transférer en toute liberté - et surtout sans effet sur les finances publiques - toute charge ou compétence entre les différentes composantes de ce dernier.
Cependant, afin de favoriser l'initiative parlementaire, ce principe fait l'objet d'une application souple. Si les transferts de charge entre le budget général de l'Etat, ses budgets annexes ou ses comptes spéciaux me paraissent contraires à l'article 40 de la Constitution, en raison de l'autonomie comptable reconnue à chacun, les initiatives tendant à effectuer des transferts de compétence entre administrations relevant du budget général seraient recevables .
Ainsi, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2012, j'ai pu déclarer recevable un amendement visant à transférer à la direction générale des finances publiques (DGFiP) la compétence de percevoir la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à l'importation, aujourd'hui prélevée par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).
J'en conclus également que la fusion entre deux autorités administratives indépendantes (AAI) serait recevable - à la différence de la création d'une AAI qui engendrerait des compétences ou du moins des charges de fonctionnement nouvelles.
f) Les dispositions intéressant l'emploi public
Tout recrutement opéré par une personne publique, qu'il concerne des agents titulaires ou non, est constitutif d'une création de charge. A tout emploi s'attachent en effet des dépenses - liées notamment aux rémunérations - et des droits détenus par l'agent public sur son employeur, en particulier des droits à pension. Un amendement parlementaire n'est, par conséquent, pas conforme à l'article 40 de la Constitution lorsqu'il prévoit que le contrôleur général des lieux de privation de liberté peut recruter des collaborateurs pour former son cabinet ou des fonctionnaires et agents non titulaires pour les services placés sous son autorité.
De la même manière un amendement parlementaire ne peut prévoir la titularisation d'agents contractuels. En effet, les droits attachés au statut de fonctionnaire titulaire étant plus étendus que ceux des agents non titulaires, toute titularisation est constitutive d'une aggravation de charge.
Se sont également vu opposer une exception d'irrecevabilité un amendement prévoyant, dans le cadre du projet de loi portant réforme des retraites, l'intégration de certaines catégories d'agents de la fonction publique hospitalière à la catégorie A et un amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2009 qui visait à transposer aux maîtres de conférence des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministre chargé de l'agriculture le régime de reclassement prévu pour les enseignants-chercheurs de l'enseignement supérieur.
Enfin, sont irrecevables les initiatives parlementaires impliquant nécessairement des recrutements pour la personne concernée. A titre d'exemple, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, j'ai déclaré irrecevable un amendement tendant à créer une obligation, dans certaines académies, pour « l'école [de] propose[r] un enseignement de langue et culture régionales tout au long de la scolarité » qui aurait rendu nécessaire le recrutement de nouveaux enseignants.
g) Les charges de trésorerie
Au chapitre des cas d'irrecevabilité dont la compréhension peut paraître moins « intuitive », on relèvera qu' un amendement ayant pour effet de créer une charge de trésorerie pour une personne publique s'analysera comme une aggravation de charge , dans la mesure où il pèsera, même momentanément, sur sa capacité de décaissement. Par ailleurs, une charge de trésorerie est susceptible de créer un besoin de financement pour l'organisme considéré, généralement comblé par un recours à l'emprunt coûteux en termes d'intérêts.
A cet égard, il faut rappeler que ce cas avait été envisagé par les rédacteurs de la Constitution, Gilbert Devaux ayant clairement inscrit « les dépenses [...] de trésorerie » dans le champ des charges publiques lors de la réunion de la commission constitutionnelle du Conseil d'Etat des 25 et 26 août 1958 (cf. supra ). Depuis lors, le Conseil constitutionnel a intégré de fait cette notion dans sa jurisprudence en validant la censure, par la commission des finances de l'Assemblée nationale, d'un amendement diminuant la durée d'amortissement des obligations données en échange des actions des sociétés nationalisées en vertu de la loi du 11 février 1982 alors que, selon les députés requérants, une telle opération aurait diminué la charge subie par l'Etat au titre des intérêts d'emprunt 87 ( * ) .
Ainsi, mon prédécesseur Jean Arthuis avait opposé l'article 40 à un amendement raccourcissant les délais de remboursement par l'Etat des crédits de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) détenus par les entreprises, ainsi qu'à un amendement supprimant le délai de carence en matière de versement de l'aide personnalisée au logement.
Quant à moi, j'ai déclaré irrecevable un amendement à la proposition de loi instaurant une tarification progressive de l'énergie qui instituait pour les organismes de gestion de l'eau l'obligation de « permettre un étalement de la facturation pour toute personne qui le demande » de même que, lors de l'examen du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, un amendement prévoyant le « versement des pensions sous forme de capital ».
h) Les autres cas d'irrecevabilité
Si le présent rapport ne saurait prétendre à l'exhaustivité, il m'a paru important de présenter certains cas d'irrecevabilité spécifiques présentant un intérêt particulier .
Bien qu'augmentant les ressources ou le patrimoine de personnes publiques, les iniatives parlementaires qui prévoient la nationalisation d'entreprises ou, plus généralement, ouvrent une possibilité d' expropriation doivent être considérées comme irrecevables. En effet, conformément à l'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 88 ( * ) , les personnes privées de leur propriété doivent impérativement faire l'objet « d'une juste et préalable indemnité », principe constamment réaffirmé par le Conseil constitutionnel. A titre d'exemple, ce dernier a jugé que « la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique a été légalement constatée ; que la prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité ; que, pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation » 89 ( * ) . Dans ces conditions de telles opérations impliquent nécessairement une indemnisation des personnes privées de leur propriété et donc l'aggravation d'une charge publique.
Doivent également se voir opposer l'article 40 de la Constitution les amendements créant ou étendant des droits de préemption qui s'apparentent, d'un point de vue juridique, à une autorisation d'acheter un bien - à laquelle est donc associé un « droit de dépenser ». Aussi, j'ai déclaré irrecevable un amendement au projet de loi de mobilisation du foncier public en faveur du logement qui autorisait les communes ayant fait l'objet d'un arrêté de carence - dont le droit de préemption est donc exercé par le représentant de l'Etat dans le département - à faire de nouveau usage d'un droit de préemption dont elles étaient privées.
Enfin, il convient d'évoquer le cas des initiatives ayant pour effet de faciliter l'engagement de la responsabilité d'une personne relevant du champ d'application de l'article 40 de la Constitution. En effet, l'engagement de la responsabilité d'une telle personne est susceptible de se traduire par le versement d'une indemnité, venant ainsi aggraver une charge publique. Aussi ai-je par exemple déclaré irrecevable, dans le cadre du projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, un amendement tendant à assouplir les règles relatives à la présomption de causalité applicables en matière d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
4. Les cas pour lesquels l'irrecevabilité n'est pas constituée
La création ou l'aggravation de charge n'est naturellement pas constituée lorsqu'elle est totalement étrangère au dispositif de l'amendement ou lorsqu'elle n'en constitue qu'une conséquence très indirecte . Peu d'amendements seraient en effet susceptibles d'échapper à la déclaration d'irrecevabilité s'ils étaient évalués à l'aune de leurs implications ultimes sur la dépense publique.
Par ailleurs, il est d'usage de considérer qu'en matière de recevabilité financière, le doute profite à l'auteur de l'amendement . Dès lors que le juge de la recevabilité ne peut établir de façon certaine que l'amendement est constitutif d'une création ou d'une aggravation de charge publique, cet amendement sera donc déclaré recevable.
Toutefois, et en dehors des cas qui viennent d'être évoqués, le dépôt peut être admis de certains « amendements de charge » apparemment situés « à la lisière » de l'irrecevabilité financière.
a) Les amendements non normatifs
Ainsi que cela a déjà été indiqué à plusieurs reprises, une charge publique n'est constituée au sens de l'article 40 de la Constitution que dès lors qu'est ouverte une possibilité juridique de créer ou d'aggraver une charge. Par conséquent, une initiative parlementaire sans portée normative ne saurait être déclarée irrecevable .
Le caractère non normatif d'un amendement affichant l'intention de créer ou d'aggraver une charge peut résulter tout d'abord de la rédaction de celui-ci. Le manque de précision ou encore l' absence de mention explicite du principe de l'intervention d'une personne publique interdisent de constater la constitution juridique d'une charge publique.
Un raisonnement identique doit également s'appliquer aux initiatives parlementaires qui relèvent de la déclaration d'intention ou formulent ce que je qualifie de « voeux pieux », affirmant des principes ou des droits généraux, et qui présentent une dimension plus politique que juridique. Aussi ai-je jugé recevables, lors de l'examen du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, des amendements prévoyant, par exemple, que les « assurés bénéficient d'un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent. Tout est mis en oeuvre pour leur garantir l'allongement de leur espérance de vie en bonne santé » ou que « la Nation se donne comme objectif de combler les écarts de pensions, d'âge moyen de fin d'activité et d'âge moyen de départ en retraite entre les hommes et les femmes ». Toutefois, j'ai déclaré irrecevable un amendement tendant à ce que les régimes de retraite garantissent un niveau de pension égal au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).
En outre, dans le cadre des lois de programmation , les amendements parlementaires bénéficient, dans certaines conditions, d'une présomption de recevabilité, dès lors que ces textes ont vocation à accueillir des dispositions fixant des orientations politiques et, éventuellement, une programmation de moyens financiers mais qui n'ont pas, à proprement parler, de valeur normative (cf. supra ).
Enfin, puisque le contrôle de la recevabilité financière porte uniquement sur le dispositif des initiatives parlementaires, il est toujours possible de créer ou d'augmenter une recette publique et d' indiquer dans la motivation d'un amendement - voire dans l'exposé des motifs d'une proposition de loi - quel usage l'auteur souhaite qu'il soit fait de ce surcroît de ressources , sans remettre en cause la recevabilité de son initiative 90 ( * ) .
b) Les charges de gestion
Les initiatives parlementaires dont les effets n'excèdent pas la charge de gestion sont recevables . Est ainsi qualifiée une charge si minime qu'une personne relevant du champ de l'article 40 de la Constitution pourrait y faire face par la mobilisation des moyens existants dans le cadre de son activité normale.
Cette jurisprudence, s'inscrivant dans une pratique parlementaire déjà ancienne, a été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 novembre 1999, ce dernier ayant jugé que c'était à bon droit que l'article 40 de la Constitution n'avait pas été opposé à la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité (PACS) dès lors que « l'augmentation des dépenses pouvant résulter, pour les services compétents, des tâches de gestion imposées par la proposition de loi n'était ni directe, ni certaine » 91 ( * ) .
Une fois de plus, si la variété de ces amendements est potentiellement infinie, quelques critères permettent d'en définir les principales catégories.
Constituent, au premier chef, d'emblématiques charges de gestion les demandes de rapport , dont l'élaboration, la rédaction et l'impression sont, selon toute vraisemblance, réalisées à moyens constants par les services qui en ont la charge.
Appartiennent également à cette catégorie les amendements aménageant de façon limitée les missions d'une personne entrant dans le champ de l'article 40. A titre d'exemple, dans le cadre du projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle, j'ai déclaré recevable un amendement permettant aux candidats potentiels, dès lors qu'ils avaient déclaré un mandataire financier, de saisir la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) afin d'obtenir, au cas par cas et sur la base de situations concrètes, des précisions relatives aux règles de financement.
La création de certaines structures légères peut également ressortir à la catégorie des charges de gestion. Cela sera d'autant plus vrai :
- que ladite structure sera dépourvue de personnalité juridique ;
- qu'elle sera dotée d' attributions limitées , à vocation notamment informative, consultative ou prospective, et par principe peu coûteuses à exercer ;
- et que l'amendement ne prévoira aucun moyen explicite de fonctionnement ou aucun recrutement d'agents pour en assurer le fonctionnement.
A ce titre, j'ai considéré comme recevable un amendement au projet de loi relatif à l'Agence nationale des voies navigables qui instituait « auprès de l'établissement public Voies navigables de France, un Conseil de service aux usagers chargé du suivi de tous les problèmes liés à la sécurité, à l'hygiène et au cadre de vie des usagers navigants notamment dans les ports, les ouvrages de navigation et les zones de stationnement ».
A l'inverse, ne sauraient être considérés comme constitutifs d'une charge de gestion, en raison de l'importance des coûts qu'ils entraînent, des amendements :
- faisant obligation à la Banque de France de créer un répertoire national des crédits aux particuliers pour des besoins non professionnels ;
- octroyant une formation linguistique aux personnes étrangères non couvertes par un contrat d'accueil et d'intégration ;
- prévoyant l'envoi obligatoire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception des avis d'amende forfaitaire majorée résultant d'une contravention au code de la route. Un calcul opéré par votre commission des finances avait permis, dans ce dernier cas, d'évaluer la dépense annuelle supplémentaire à plusieurs dizaines de millions d'euros.
c) La jurisprudence de l'« Etat employeur »
Sont toujours recevables les amendements de portée générale , qui auraient pour but de créer ou d'aggraver une charge tant pour les personnes privées que pour les personnes publiques. Il en va ainsi des amendements portant sur la législation du travail et qui imposeraient des mesures coûteuses à l'ensemble des entreprises, mais également aux personnes inscrites dans le champ de l'article 40 de la Constitution qui emploient des salariés relevant du droit privé, parmi lesquels figurent notamment l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics.
Le cas de l'« Etat employeur » n'est toutefois pas le seul dans lequel la portée de l'amendement fait « écran » à l'application de l'article 40 92 ( * ) . Ainsi, bien qu'il puisse concerner des entreprises publiques, mon prédecesseur Jean Arthuis avait déclaré recevable un amendement faisant obligation à l'ensemble des entreprises de transport d'indemniser les autorités organisatrices en cas de défaut d'exécution dans la mise en oeuvre d'un plan de transport adapté ou d'un plan d'information des usagers.
Il doit être fermement établi que c'est bien la portée générale d'un dispositif qui exonère l'amendement de l'irrecevabilité. C'est pourquoi a été déclaré irrecevable un amendement qui supprimait l'exonération de taxe d'enlèvement des ordures ménagères dont bénéficiaient l'Etat, les départements, les communes et certains établissements publics louant certains locaux affectés à un service public. En effet, cet amendement, en assujettissant des personnes publiques à un prélèvement obligatoire dont elles étaient préalablement exonérées , était créateur d'une charge spécifique aux personnes publiques et, comme tel, contraire à l'article 40.
Il est vrai que la question du maintien de la jurisprudence de l'« Etat employeur » pourrait se poser dans la mesure où elle est susceptible d'aboutir, dans certains cas, à ce que des amendements d'origine parlementaire puissent créer ou aggraver, et ce de manière substantielle, des charges publiques.
d) La jurisprudence « démocratie »
En application de la jurisprudence « démocratie », les initiatives parlementaires visant à permettre ou à améliorer l'exercice de la démocratie par les citoyens font l'objet, au Sénat, d'une certaine tolérance.
En effet, l'expression de la volonté populaire est le premier pilier sur lequel repose la République. Aussi, pour ce type de proposition ou d'amendement, il ne saurait être considéré que l'intention de l'auteur est de créer ou d'aggraver une charge publique, le coût éventuel de cette initiative n'en étant qu'une conséquence accessoire.
Cette jurisprudence a récemment été rappelée en séance par Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement : « Je suis heureux que nous débattions de ces amendements, qui ont échappé à l'application de l'article 40 de la Constitution parce qu'ils concernaient une question électorale, conformément à une tradition respectable et respectée dans cette assemblée » 93 ( * ) .
Il ne faudrait cependant pas réserver à cette jurisprudence, favorable à l'initiative parlementaire, une interprétation trop large, qui pourrait conduire à accepter toutes les initiatives ayant trait à l'organisation des institutions démocratiques, et dès lors à contourner les règles de la recevabilité financière.
J'ai donc retenu une distinction entre :
- d'une part, les initiatives ayant pour objet l'expression de la souveraineté populaire , qui sont recevables, dans la mesure où elles n'ont pas pour objet direct l'aggravation d'une charge publique ;
- et, d'autre part, les initiatives concernant le fonctionnement des institutions démocratiques , auxquelles l'article 40 s'applique de façon classique.
La première catégorie regroupe notamment les amendements relatifs à l'organisation des élections : sont ainsi recevables des amendements prévoyant la mise à disposition des électeurs de bulletins blancs ou augmentant la fréquence des élections partielles. J'ai également déclaré recevable au titre de la jurisprudence « démocratie », un amendement au projet de loi d'affirmation des métropoles prévoyant l'organisation d'un référendum dans chaque commune ou EPCI concerné par une modification de son statut ou de son périmètre.
La seconde catégorie comprend par exemple les initiatives relatives au nombre ou à la rémunération des élus 94 ( * ) . J'ai ainsi déclaré irrecevable un amendement visant à majorer les plafonds des indemnités maximales votées par les conseils municipaux pour l'exercice effectif des fonctions de maire des communes et de président de délégations spéciales.
* 79 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 85-203 DC du 28 décembre 1985 .
* 80 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 2003-476 DC du 24 juillet 2003 , op. cit .
* 81 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 81-134 DC du 5 janvier 1982 , op. cit .
* 82 A titre d'exemple, mon prédécesseur Jean Arthuis avait déclaré irrecevable un amendement tendant à augmenter le délai de prescription des demandes d'indemnisation adressées au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) alors même que l'aggravavation de la charge publique n'aurait été constatée que dans le futur.
* 83 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 81-132 DC du 16 janvier 1982.
* 84 Cf. annexe 1 « La recevabilité financière des initiatives ayant trait aux collectivités territoriales », page 123 .
* 85 Cf. annexe 2 « La recevabilité financière des initiatives ayant trait aux administrations de sécurité sociale », page 143 .
* 86 Cf. annexe 1 « La recevabilité financière des initiatives ayant trait aux collectivités territoriales », page 123 .
* 87 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 , op. cit .
* 88 L'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».
* 89 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 2012-236 QPC du 20 avril 2012, « Mme Marie-Christine J. » .
* 90 Sous réserve, toutefois, que l'accroissement de ressources ainsi prévu ne constitue pas une « incitation » pour l'organisme concerné à dépenser (cf. infra ).
* 91 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 .
* 92 Le principe de la jurisprudence de l'« Etat employeur » avait fait l'objet d'un développement par Christian Goux lorsqu'il était président de la commission des finances de l'Assemblée nationale : « l'amendement [...] institue au profit de chaque salarié un crédit annuel payé comme temps de travail lui permettant de s'informer de l'activité syndicale. Il crée donc, indiscutablement, une charge financière pour les employeurs. Le champ d'application de cet amendement est très large et englobe l'ensemble des entreprises. S'il vise prioritairement les entreprises privées, il concerne aussi des personnes publiques, notamment des établissements publics, industriels et commerciaux qui emploient des salariés soumis aux règles du droit privé mais dont les charges doivent être considérées comme publiques dès lors qu'ils bénéficient de subventions de l'Etat. Toutefois, ces établissements n'entrent que de manière accessoire dans le champ de l'amendement [...], dont je confirme par conséquent la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution, puisque la charge créée doit être estimée comme de nature privée » ( cf. compte rendu intégral de la 2 e séance de l'Assemblée nationale du jeudi 13 mai 1982, page 2438 ).
* 93 Cf. compte rendu intégral de la séance du Sénat du 28 février 2013 , page 1638.
* 94 Cf., pour plus de détails sur cette jurisprudence, annexe 1 « La recevabilité financière des iniatives ayant trait aux collectivités territoriales », page 125 .