B. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
La Commission européenne a également contribué au débat sur le renforcement de l'UEM.
Le 28 novembre 2012, elle a publié une communication intitulée Projet détaillé pour une Union économique et monétaire véritable et approfondie - Lancer un débat européen 4 ( * ) , dans laquelle elle constate que « l'UEM a été remodelée, mais le travail n'est pas terminé ». Elle y formule un certain nombre de propositions, à court (six à dix-huit mois), moyen (dix-huit mois à cinq ans) et long termes (au-delà de cinq ans), parmi lesquelles la coordination préalable des réformes d'importance majeure et la création d'un instrument de convergence et de compétitivité comprenant des accords contractuels assortis d'un soutien financier.
À la suite de ce texte, la Commission a présenté trois communications plus particulièrement examinées dans le présent rapport :
- le 20 mars 2013, deux communications, la première relative à la création d'un instrument de convergence et de compétitivité 5 ( * ) , la seconde portant sur la coordination préalable des projets de grandes réformes des politiques économiques 6 ( * ) , ces deux textes présentant différentes options de mise en oeuvre et posant des questions soumises à consultation ;
- le 2 octobre 2013, une communication intitulée Renforcer la dimension sociale de l'Union économique et monétaire 7 ( * ) .
1. Création d'un instrument de convergence et de compétitivité
L'idée d' « arrangements contractuels » associés à un mécanisme de solidarité visant à encourager les réformes structurelles relatives à la compétitivité et à la croissance dans les États membres contractants figure, comme on l'a vu, à la fois parmi les propositions du Conseil européen et de la Commission européenne.
Cet arrangement contractuel est dénommé instrument de convergence et de compétitivité (ICC) par la Commission dans sa communication. Son objectif serait « d'aider les États membres qui connaissent des difficultés susceptibles d'affecter toute la zone euro à engager [...] les réformes nécessaires plus rapidement qu'ils n'auraient pu le faire sans cette aide ».
L'ICC comporterait deux éléments :
- d'une part, les arrangements contractuels proprement-dits , à savoir les principales mesures, prenant en compte les recommandations par pays émises au titre du semestre européen, qu'un État membre s'engagerait auprès des institutions communautaires à mettre en oeuvre selon un calendrier.
Les réformes concernées seraient celles qui seraient susceptibles d'avoir des répercussions sur les autres États membres, la zone euro et l'Union européenne .
L'ICC serait négocié entre la Commission et l'État membre concerné, puis soumis à l'approbation du Conseil, sur proposition de la Commission. Celle-ci serait également chargée de la surveillance de sa mise en oeuvre dans le cadre du semestre européen ;
- d'autre part, un soutien financier pour la mise en oeuvre des réformes inscrites dans les arrangements contractuels.
Les États membres participants contribueraient au mécanisme de soutien financier, selon des modalités qui restent ouvertes. La Commission évoque plus particulièrement « des contributions spécifiques », par exemple « une clé RNB » ou « le produit de nouvelles ressources propres réservées à cet usage ». La Commission précise également qu'elle « envisage d'inclure le mécanisme dans le budget de l'Union européenne en tant que recettes affectées externes. [...] ces dépenses ne seraient pas concernées par les plafonds fixés dans le règlement relatif au cadre financier pluriannuel ». La capacité du mécanisme pourrait croître au fur et à mesure de sa montée en charge. Ce soutien financier serait ciblé, limité dans le temps et rapide . Il ne serait accordé que si les réformes négociées étaient effectivement mises en oeuvre. En cas de non-respect persistant des engagements pris, le soutien financier pourrait être retiré à l'État membre en cause.
La Commission, se conformant là aussi au souci exprimé par le Conseil européen, considère que les parlements nationaux doivent être associés à la procédure de l'ICC , en particulier avant la fixation des réformes structurelles faisant l'objet du contrat et avant l'approbation du contenu de l'ICC par le Conseil. Elle indique que « des représentants de la Commission pourraient participer au dialogue avec les parlements nationaux sur l'application de l'instrument ». Elle évoque également la participation des partenaires sociaux.
Avant tout examen plus avant, il convient d'emblée de constater que la mise en place de l'ICC soulève assurément de très nombreuses questions sur les modalités qui seraient les siennes : Quels États pourraient contracter ? Seulement ceux de la zone euro ou l'ensemble des États membres ? À quel moment et à quelles conditions l'ICC serait-il activé ? Serait-il obligatoire ou facultatif ? Quel type de réformes serait éligible ? Qui négocierait avec l'État membre concerné ? La Commission est-elle la mieux placée pour le faire ? Que se passerait-il si les négociations n'aboutissaient pas ? Et si les réformes sur lesquelles l'État membre contractant s'était engagé n'étaient que partiellement atteintes ? Selon quelles modalités les parlements nationaux, et les partenaires sociaux, pourraient-ils être impliqués dans la négociation de l'ICC et, surtout, comment pourraient-ils y exercer une influence réelle ? Quelles seraient les modalités concrètes d'abondement du soutien financier ? L'ICC serait-il mis en oeuvre à budget constant ou entraînerait-il des dépenses supplémentaires ?
Votre rapporteur insiste sur le fait que les instruments de convergence et de compétitivité ne doivent pas reposer, comme la procédure existante, sur une logique de discipline, mais qu'ils doivent plutôt exprimer une logique de solidarité propice au financement d'investissements en faveur de la croissance et de l'emploi .
2. Coordination préalable des projets de grandes réformes des politiques économiques
Le renforcement de l'UEM s'est traduit, notamment, par l'introduction d'une surveillance des politiques économiques dans le cadre du semestre européen, avec l'institution d'une procédure relative aux déséquilibres macroéconomiques.
Dans sa communication, très liée à la précédente, la Commission européenne propose que les projets nationaux de grandes réformes des politiques économiques soient examinés et débattus au niveau de l'Union européenne avant qu'une décision définitive soit adoptée au niveau national afin que les États membres intègrent la dimension européenne des réformes structurelles dans leurs procédures nationales . Cette coordination préalable est inspirée de l'article 121.1 du TFUE 8 ( * ) et de l'article 11 du TSCG.
Seuls les projets de grandes réformes des politiques économiques nationales seraient concernés par cette procédure de coordination préalable, c'est-à-dire les réformes qui auraient des conséquences sur d'autres États membres, la zone euro ou l'Union européenne . Parmi les domaines concernés, la Commission mentionne les marchés des produits, des services et du travail, la fiscalité ou encore les marchés financiers.
La Commission envisage que cette procédure soit obligatoire pour les États membres de la zone euro, sans pour autant en exclure les autres pour lesquels elle serait facultative. Néanmoins, les États membres faisant l'objet d'un programme d'ajustement macroéconomique en seraient dispensés dans la mesure où ils sont déjà soumis à de nombreuses obligations strictes.
La communication décrit la procédure de coordination préalable proposée. Celle-ci s'intègrerait dans le semestre européen. Les États membres concernés informeraient la Commission de leurs projets de grandes réformes lors de la présentation de leurs programmes nationaux de réforme. La Commission va relativement loin dans les informations à communiquer puisque son texte prévoit que « les États membres doivent fournir à la Commission une description qualitative détaillée de la réforme indiquant précisément les principaux objectifs économiques poursuivis, un calendrier et une estimation des bénéfices attendus de la réforme, ainsi que son impact budgétaire ». Les projets transmis seraient évalués par la Commission qui prendrait en considération l'impact, y compris social, des réformes proposées sur la compétitivité de l'État membre concerné et sur les autres États membres et la zone euro. Elle s'attacherait également à tenir compte d'éventuelles mesures d'accompagnement prévues pour limiter les effets négatifs de ces réformes. Elle soumettrait alors son évaluation au Conseil et à l'Eurogroupe, les avis exprimés étant pris en compte dans le conseil de politique économique adressé à l'État membre concerné dans le cadre du semestre européen.
Le processus décisionnel national serait pris en compte, la Commission indiquant que « la décision en ce qui concerne le plan de réforme doit rester entre les mains de l'État membre ». La Commission estime que cette procédure de coordination préalable, afin de bénéficier d'une légitimité démocratique, requiert un « dialogue économique » au niveau européen, par exemple par l'organisation de réunions et de débats entre la commission compétente du Parlement européen et les autres institutions européennes concernées, d'une part, et les États membres, d'autre part.
Là encore, il n'est guère besoin d'une analyse poussée pour se rendre compte que cette procédure de coordination préalable pose également des questions nombreuses et épineuses : Qu'est-ce qu'une « grande réforme » ? Que se passerait-il si les parties prenantes à la procédure n'étaient pas d'accord sur la définition à retenir : une réforme est-elle une « grande réforme » ou pas ? La procédure prévoirait-elle des éléments de souplesse qui permettraient d'adapter le calendrier ou l'impact budgétaire notifiés à la Commission ? Sinon que se passerait-il si le calendrier notifié n'était pas respecté ? Quelle serait la place des parlements nationaux dans cette procédure, alors que ce n'est naturellement pas au Parlement européen qu'il peut incomber de contrôler un gouvernement national ?
Pour votre rapporteur, la coordination préalable des grandes réformes doit constituer un outil permettant de parvenir à la mise en place d'un véritable gouvernement économique au niveau de la zone euro .
3. Renforcer la dimension sociale de l'Union économique et monétaire
Rappelant que les politiques sociales et de l'emploi relèvent très largement de la compétence nationale des États membres, la communication de la Commission européenne propose toutefois des mesures dans trois domaines :
- un meilleur suivi des défis qui se posent en matière sociale et d'emploi et une amélioration de la coordination des politiques ;
- une solidarité accrue et des mesures renforcées en faveur de l'emploi et de la mobilité des travailleurs ;
- le renforcement du dialogue social.
La Commission rappelle que la stratégie Europe 2020 9 ( * ) place, pour la première fois, la politique sociale au centre de la stratégie économique de l'Union européenne. Elle considère que le suivi des réformes dans le domaine social et de l'emploi devrait être réalisé dans le cadre du semestre européen , c'est-à-dire que la surveillance des déséquilibres macroéconomiques intégrerait la dimension sociale, ce qui permettrait d'affiner les réformes à préconiser aux États membres et de coordonner les politiques économiques et les politiques sociales.
La Commission propose en particulier la mise en place d'un tableau de bord comprenant cinq indicateurs qui étaierait son projet de rapport conjoint sur l'emploi afin de surveiller les évolutions en matière sociale et d'emploi :
- le niveau du chômage et son évolution ;
- le taux de jeunes ne travaillant pas, ne suivant pas d'études ni de formation et le taux de chômage des jeunes ;
- le revenu disponible brut réel des ménages ;
- le taux de risque de pauvreté chez les personnes en âge de travailler ;
- les inégalités.
Les politiques sociales et de l'emploi feraient ainsi l'objet d'une surveillance multilatérale qui permettrait d'anticiper les mesures à mettre en oeuvre. Les inclure dans cette procédure favoriserait également l'apprentissage mutuel, la diffusion des bonnes pratiques et l'évaluation comparative des performances, propices à la convergence.
En lien avec sa proposition d'instaurer une capacité budgétaire pour la zone euro, préfiguration d'un budget autonome au niveau de cette dernière, qui aiderait les États membres à affronter les chocs asymétriques et donc à assurer la stabilisation macroéconomique, la Commission évoque « un système d'assurance où les risques de chocs économiques seraient mutualisés entre les États membres ». Elle prend l'exemple du système américain d' allocations de chômage , « où un fonds fédéral rembourse 50 % des allocations excédant la durée standard, à concurrence d'un maximum donné, sous réserve que le chômage ait atteint un certain niveau et continue d'augmenter ». L'instauration d'un tel dispositif au niveau central en Europe nécessiterait naturellement une modification « substantielle » du traité.
Par ailleurs, la Commission estime que les partenaires sociaux doivent être bien davantage associés à la gouvernance de l'UEM , en particulier à l'occasion du sommet social tripartite et du dialogue macroéconomique. Elle évoque des consultations pendant le semestre européen et appelle les États membres à débattre avec les partenaires sociaux nationaux de l'application des recommandations par pays.
* 4 COM(2012) 777 final.
* 5 COM(2013) 165 final.
* 6 COM(2013) 166 final.
* 7 COM(2013) 690 final.
* 8 « Les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil ».
* 9 La stratégie Europe 2020 fixe cinq objectifs à atteindre : remonter le taux d'emploi à au moins 75 %, contre 69 % aujourd'hui ; consacrer 3 % du PIB à la recherche et au développement, au lieu des 2 % actuels ; réaffirmer les objectifs de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique (dits "20/20/20"), qui sont déjà parmi les plus ambitieux du monde ; proposer de réduire le taux de pauvreté de 25 %, ce qui reviendrait à faire sortir 20 millions de personnes de la pauvreté ; améliorer les niveaux d'éducation en réduisant le taux d'abandon scolaire à 10 % et en portant à 40 % la proportion des personnes de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur ou atteint un niveau d'études équivalent.