D. MAROC : UNE RÉVOLUTION TRANQUILLE ET MAÎTRISÉE

Entre l'immobilisme algérien et l'agitation tunisienne, le processus de transition démocratique marocain apparaît progressif et maîtrisé. Il n'y a pas d'exception marocaine, mais il y a une voie marocaine, à la fois parce que ce processus est engagé de longue date, qu'il avance à un rythme régulier sans à-coups majeurs, ni régressions.

1. Une transformation engagée

Plusieurs choix effectués au début des années 1960 constituent des marqueurs idéologiques et ont orienté le Maroc dans la voie de la transition démocratique même si celle-ci est loin d'avoir été immédiate. En tout cas, ces choix vont le moment venu faciliter cette transition sans heurt : le choix du multipartisme avec la Constitution de 1962, alors que nombre de ses voisins préservent l'unitarisme issu des luttes d'indépendance, le choix de l'économie de marché alors que beaucoup optaient pour un modèle administré d'inspiration communiste, le choix d'un partenariat avec l'Occident alors que d'autres pays restaient attachés à la ligne tiers-mondiste (mouvement des non-alignés) ou se rapprochaient de fait du bloc soviétique.

Depuis la fin du règne du roi Hassan II et sous celui de Mohammed VI, le Maroc a engagé sa modernisation économique (voir supra p.  73) et sociale, avec la réforme du code de la famille (Moudawana) en 2004 et de la protection sociale, mais aussi un processus d'ouverture politique progressif et de développement de la société civile.

Pour autant, il n'a pas échappé aux « printemps arabes », l'accélération des réformes engagées en 2011, imprimée par le contexte régional plus que par une volonté politique propre en témoigne. Celle-ci procède toutefois d'une ingénierie propre dans la tradition marocaine d'ouverture et d'inclusion progressive qui confère à cette transition un caractère original.

Le système traditionnel marocain est caractérisé par l'ouverture et l'inclusion progressive, mais contrôlée, des oppositions.

Au début de la décennie 1990, le roi Hassan II a mis en place un régime d'alternance politique, consistant à renouveler les élites et à opérer une ouverture relative du système politique en associant au pouvoir l'ancienne opposition (UFSP). Comme le précise Khadija Mohsen-Finan, « ce processus d'ouverture est le fait du système qui le suscite. Il consiste à élargir le nombre de participants à la compétition légale, tout en continuant d'en exclure une partie, obéissant ainsi à l'un des principes fondamentaux du fonctionnement du système traditionnel marocain. Mais l'ouverture politique se définissait aussi dans l'élargissement de l'espace de négociation entre régime et opposition. Celle-ci reste à géométrie variable et peut connaître des limites. Ces balises souvent désignées de « lignes rouges » à ne pas dépasser permettent à la monarchie de ne jamais perdre le contrôle du gouvernement. Cette relation négociée et le rapport de forces inhérents aux régimes ouverts ont pu se trouver biaisés, notamment lorsqu'il s'agissait de nouveaux acteurs du système, les « entrants ». Ce fut le cas des islamistes du parti de la justice et du développement (PJD) qui, malgré leurs succès électoraux, ont dû se contenter d'être présents au parlement et non au gouvernement pour figurer dans le paysage politique (42 députés en 2002 et 47 après les législatives de 2007) 144 ( * ) . »

En 2006, le rapport de l'Instance équité et réconciliation, instituée par le roi afin de faire la lumière sur les graves violations des droits de l'homme entre 1956 et 1999, a également marqué une étape importante.

Cette politique engagée depuis plusieurs années expliquent pour partie que le mouvement des printemps arabes ait eu relativement peu de prise au Maroc.

Le Mouvement du 20 février a mis en évidence les limites du consensus sur les réformes initiées par la monarchie en exprimant des demandes d'accès à la justice sociale, à l'éduction, au travail, à la dignité et à la liberté.

Le Mouvement du 20 février

Ce Mouvement qui regroupait au départ des personnes qui n'étaient pas issues de partis, de syndicats ou d'association, a bénéficié très vite du soutien de certains partis de gauche (PSU et la Voie démocratique), de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH) et du syndicat CDT et de l'association islamiste de cheikh Yacine Justice et bienfaisance.

Toutefois, les critiques se sont arrêtées à l'entourage du Roi - ce dernier étant exempt, ce qui démontre son aura- et elles n'ont pas été relayées par les principales forces politiques 145 ( * ) .

Le roi n'a pas attendu pour apporter une réponse à cette crise naissante en proposant une nouvelle Constitution.

2. La nouvelle Constitution

Conçue dans le contexte marqué par le « printemps arabe » et la montée en puissance des revendications démocratiques, la nouvelle Constitution qui a été annoncée le 9 mars par un discours du roi, élaborée par une commission ad hoc 146 ( * ) sur la base d'une consultation étendue des partis politiques, des syndicats et de la société civile, et approuvée massivement par referendum 147 ( * ) , est l'instrument choisi par le roi Mohammed VI pour asseoir sa légitimité et répondre aux aspirations de son peuple par une double mutation des ordres politique et juridique. Le projet de réforme se place dans la continuité des réformes engagées.

Ainsi le Royaume se revendique-t-il comme une monarchie parlementaire et s'inscrit-il dans l'approche constitutionnaliste pour tendre vers l'État de droit.

Dès son préambule, la Constitution affirme l'identité et l'unité nationale du Maroc.

« État musulman souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes 148 ( * ) arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s'est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ». Elle ajoute que « la prééminence accordée à la religion musulmane dans ce référentiel national va de pair avec l'attachement du peuple marocain aux valeurs d'ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue pour la compréhension mutuelle entre toutes les cultures et les civilisations du monde ». Cette définition originale s'accompagne en conséquence de la reconnaissance de l'amazighe comme langue officielle de l'Etat, aux côtés de la langue arabe et de l'organisation décentralisée du Royaume.

La nouvelle Constitution instaure une monarchie parlementaire dualiste. Elle renforce très sensiblement les prérogatives du chef du gouvernement et du parlement par un profond rééquilibrage des pouvoirs.

Nommé obligatoirement au sein du parti politique arrivé en tête à l'élection à la Chambre des représentants 149 ( * ) (chambre basse), le Premier ministre, chef du gouvernement, acquiert une double autonomie par rapport au roi :

- il est responsable devant la seule Chambre des représentants (et non plus devant le souverain) et dispose du pouvoir de dissoudre celle-ci ;

- il est le chef de l'exécutif et à ce titre préside le conseil du gouvernement, distinct du conseil des ministres que préside le roi.

Le Parlement est renforcé par un élargissement de ses compétences : extension du domaine de la loi et du domaine des traités dont la ratification est soumise à son approbation préalable, par une modernisation et une rationalisation du travail parlementaire et par une amplification du caractère inégalitaire du bicamérisme. La Constitution octroie également un statut à l'opposition lui garantissant l'accès aux médias officiels, le bénéfice de financements publics ainsi qu'une participation active à la procédure législat

La Chambre des conseillers 150 ( * ) est maintenue mais elle se trouve dans une situation d'infériorité par rapport à la Chambre des représentants.

Comme l'indique le professeur David Melloni : « en dotant ainsi le gouvernement et le Parlement d'un statut à hauteur de leurs fonctions, la nouvelle Constitution marocaine participe assurément à une transition du régime marocain vers un authentique parlementarisme. Surtout en posant plus précisément le « principe selon lequel « le roi nomme le chef du gouvernement au sein du parti arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants et au vu de leurs résultats », le pouvoir constituant s'est engagé dans la voie exigeante d'une démocratie de type majoritaire » 151 ( * ) .

Ce choix n'était pas évident, car l'actuel système de partis, au Maroc, ne l'appelle pas. Le mode de scrutin, à dominante proportionnelle, et la vie politique donnent lieu depuis de nombreuses années à un affaiblissement et à un émiettement des forces politiques. En ne déterminant pas le mode de scrutin et en n'introduisant pas la motion de censure constructive, la Constitution peut créer les conditions d'une crise politique. Il faut donc compter sur l'évolution de la législation électorale et plus encore de la structuration partisane et des comportements électoraux pour assurer la pérennité du nouveau système. ive et au contrôle du gouvernement.

Certains observateurs estiment que ce nouvel équilibre institutionnel permet au roi d'assurer une position centrale et arbitrale dans les rapports entre pouvoirs constitués. En effet, la Constitution ne remet pas en cause la suprématie constitutionnelle du monarque, qui garde les attributs inhérents à un régime parlementaire dualiste. En outre, le roi se situe au-dessus des partis et représente le Maroc dans son ensemble. Cette position lui confère une position d'arbitrage ou de médiation dans les conflits entre formations politiques, mais il n'est pas dans la politique courante un intervenant permanent 152 ( * ) . La direction est celle d'une monarchie constitutionnelle même si elle n'est pas encore la réalité actuelle, en grande partie parce que les acteurs politiques n'ont pas encore pris la mesure de leurs nouvelles libertés d'action et continuent à se référer à la personne du roi en permanence.

Le roi conserve également son titre de Commandeur des croyants et demeure la première autorité religieuse du pays. Sa personne est inviolable.

La mise en oeuvre de la Constitution dans toute son ampleur est toutefois subordonnée à l'adoption de 19 lois organiques (régionalisation avancée, égalité hommes-femmes, protection des droits de l'homme, indépendance de la justice...) 153 ( * ) .

3. Des avancées significatives dans la construction de l'Etat de droit

La nouvelle Constitution permet d'aborder une étape nouvelle dans la construction d'un É tat de droit.

Au cours de notre déplacement au Maroc, nous avons eu la capacité d'aborder les questions concernant les droits de l'Homme avec une grande liberté et semble-t-il avec honnêteté tant avec les autorités marocaines qu'avec les représentants des associations de défense des droits de l'homme, y compris au Sahara occidental, ce qui démontre une volonté de transparence.

Le second constat est que le Maroc a mis en place avec l'Institution équité et réconciliation (IER) d'abord, puis, un certain nombre d'autorités indépendantes en charge de ces questions (Conseil national des droits de l'homme, Instance centrale de lutte contre la corruption ...) qui se sont vues reconnaître un statut constitutionnel en 2011 154 ( * ) , enfin avec la nouvelle Constitution, un arsenal juridique conséquent à hauteur des textes constitutionnels les plus modernes.

La Constitution instaure des principes tels que la non-rétroactivité des lois, l'égalité absolue des sujets de droit (y compris les pouvoirs publics), l'application impartiale de la loi comme seul fondement des décisions de justice, l'obligation de publication des normes juridiques et surtout le principe de constitutionnalité et de hiérarchie des normes qui met un terme à la théorie d'immunité juridictionnelle des actes royaux.

La Constitution devient aussi le réceptacle des droits et libertés fondamentaux avec dans son titre II la constitutionnalisation de nombreux droits et libertés 155 ( * ) .

La constitutionnalisation, par le nouveau préambule « des droits de l'Homme tels qu'ils sont universellement reconnus » en est également un exemple et annonce une profonde mutation de l'ordre juridique, car ce préambule se voit reconnaître une valeur constitutionnelle. Il reviendra à la Cour constitutionnelle de préciser le contenu de ces droits, d'oser contrôler la conformité de la loi à des principes encore étrangers au corpus juridique marocain comme la liberté de conscience et de religion, et de procéder aux arbitrages nécessaires que suscitera la confrontation de plusieurs de ces droits. Elle y sera encouragée par l'instauration de l'exception d'inconstitutionnalité qui permettra au justiciable de contester, à l'occasion d'un procès, la conformité d'une loi aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Le même débat se posera avec la reconnaissance de la primauté accordée aux conventions internationales dûment ratifiées dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du royaume, dans le respect de son identité nationale immuable, sur le droit interne du pays 156 ( * ) . La Cour constitutionnelle devra agir avec sagesse et avec audace pour confirmer cette orientation positive à maints égards.

Ces opportunités ont été bien saisies par les représentants des associations de la société civile rencontrés, qui n'en regrettent pas moins la lenteur de la mise en oeuvre des nouvelles dispositions de la Constitution et de la publication des lois organiques et ont le sentiment que certains principes importants se trouvent édulcorés dans leur traduction législative.

Le troisième constat est donc que le Maroc est entré dans une logique de supervision internationale de la question des droits de l'Homme qui rend effective la question de leur universalité. Le Maroc a ratifié un nombre important de conventions internationales 157 ( * ) . Il a accepté les missions d'organes des Nations unies (rapport de Juan Mendez, rapporteur spécial sur la torture en 2011) et il s'est rapproché du Conseil de l'Europe 158 ( * ) . Cette acceptation est le signe que la question des droits de l'Homme est prise au sérieux et que le Maroc se soumet à un regard extérieur qui ne peut être soupçonné de complaisance.

De ce point de vue, le Maroc apparaît comme un précurseur.

Le quatrième constat est que parmi les pays du Maghreb, il est celui pour lequel la question des droits de l'Homme est inscrite à l'agenda politique avec une volonté manifeste de progresser. En Tunisie, la question a avancé, elle est abordée aujourd'hui dans le cadre du débat constitutionnel. En Algérie, la question n'est guère soulevée, ce qui ne veut pas dire hélas que les atteintes ne sont pas réelles de la part des forces de sécurité et que les libertés d'association ou de manifestation ne sont pas étroitement encadrées.

Évidemment la publicité de la question au Maroc a pour conséquence la remontée de nombreux cas ou pratiques portant atteinte aux droits de l'Homme qui resteraient occultées sans ces préalables et qu'il importe de corriger, mais c'est aussi une façon pour les autorités de se mettre une pression pour progresser plus rapidement.

Si la peine de mort n'est toujours pas abolie, les autorités se sont engagées à réduire le nombre de crimes punissables de cette peine. Un réseau de parlementaires contre la peine de mort s'est constitué.

En dépit du conservatisme religieux de la société, le roi se montre favorable à la promotion du droit des femmes, il a tranché dès 2004 en faveur d'une importante réforme du code de la famille, même si elle reste en deçà du statut de la femme tunisienne. La société civile féministe est dynamique, libre d'agir et de manifester pour exprimer ses opinions.

Néanmoins, certaines manifestations continuent à être réprimées avec une utilisation disproportionnée de la force et la culture des agents des forces de sécurité reste autoritaire.

Les rapports du Comité national des droits de l'Homme (CNDH), mais aussi de certaines organisations internationales comme le rapporteur spécial des Nations unies contre la torture ont souligné de graves problèmes dans les prisons et la persistance de la torture dans les affaires politiquement sensibles, notamment en garde à vue. Il semble également que les juges n'ouvrent pas systématiquement d'enquête sur les allégations de torture, attachent peu d'importance sur la façon dont le contenu de certains procès-verbaux de police est obtenu et recourent trop systématiquement à la détention préventive.

Selon le CNDH, on compte aujourd'hui 72 000 détenus (dont la moitié en attente de leur procès) dans les prisons marocaines pour 22 000 places. Afin de réduire les mauvais traitements, le CNDH a demandé au gouvernement la possibilité d'effectuer des visites inopinées dans les prisons et la mise en place du mécanisme national de prévention de la torture prévu dans le cadre du protocole facultatif à la convention contre la torture ratifiée par le Maroc. Il propose que le CNDH soit chargé de ce mécanisme et souhaite le développement des peines alternatives à la prison. Il développe des actions de formations et de sensibilisations (manuels scolaires...).

La liberté d'association reste encadrée et nombre d'associations se plaignent de ne recevoir le récépissé d'autorisation qui leur permet de bénéficier du statut que très tardivement ou au prix d'une longue procédure de contentieux administratif.

Selon Transparency Maroc, la corruption touche de nombreux secteurs, y compris celui de la justice et aucune stratégie nationale contre la corruption n'a été mise en place bien que cela fut un thème important des manifestations et un axe fort du programme du PJD. On notera néanmoins la mise en place de l'Instance centrale de lutte contre la corruption dont les prérogatives doivent être étendues.

Comme il a été indiqué, les instances nationales constitutionnalisées en 2011 ont joué un rôle utile en animant le débat public sur la question des droits de l'Homme au sens large, notamment par la production de nombreux rapports. Encore faut-il qu'une suite soit donnée aux recommandations et qu'elles disposent des moyens budgétaires et réglementaires pour mener à bien leurs missions.

Si les violations graves des droits de l'Homme appartiennent au passé, il reste que la culture du respect des droits n'a pas pénétré suffisamment certains secteurs.

4. Le parti islamiste modéré PJD : une expérience gouvernementale

Les élections législatives anticipées du 25 novembre 2011 ont été remportées par les islamistes modérés du parti de la justice et du développement (PJD) avec 27 % des sièges. Le taux d'abstention est élevé (55 %). Elles se sont déroulées de façon libre et transparente.

Durant la campagne, trois blocs étaient en compétition :

- le Bloc démocratique qui rassemblait les vieux partis traditionnels (Istiqlal, USFP, PPS) (en jaune dans le tableau ci-dessous) ;

- l'Alliance pour la démocratie (en bleu dans le tableau) , regroupement de huit formations dont le PAM et le RNI ;

Les deux coalitions ont fait campagne sur l'incompatibilité entre démocratie et conservatisme des partis islamistes.

- Enfin, le PJD 159 ( * ) qui, bénéficiant d'une image de probité, a fait campagne sur la moralisation de la vie publique, la lutte contre la corruption, l'accès au travail, la justice sociale, l'éducation et la dignité ; thèmes qui rejoignaient les revendications du mouvement de contestation. À la différence des partis islamistes en Égypte ou en Tunisie, le PJD est représenté de façon significative au Parlement depuis 2002, qu'il a donc acquis une expérience politique , mais à la différence de l'AKP en Turquie, son expérience gestionnaire acquise dans les collectivités locales est très faible à l'exception de quelques secteurs du grand Casablanca. On notera enfin que le PJD n'est pas un bloc homogène mais qu'il est traversé par des courants de pensées très différents qui se sont opposés par le passé. Les électeurs ont été sensibles à ce discours de rupture et ont majoritairement porté leurs voix vers les partis qui semblaient le mieux incarner le changement.

Tableau n° 52 : Composition de la Chambre des représentants (élection du 25 novembre 2011)

PJD parti Justice et développement (islamiste modéré)

107 sièges

Istiqlal (nationaliste et conservateur) 160 ( * )

60 sièges

RNI parti du rassemblement national des indépendants (libéral) 161 ( * )

52 sièges

PAM parti Authenticité et modernité (libéral)

47 sièges

USFP Union socialiste des forces populaires (socialiste)

39 sièges

Mouvement populaire (berbère, conservateur)

32 sièges

Union constitutionnelle

23 sièges

Parti du progrès et du socialisme

18 sièges

Autres formations

17 sièges

En gras : partis membres de la coalition gouvernementale formée à l'issue des élections du 25 novembre 2011.

Le PJD ne dispose pas de la majorité absolue. Il a formé un gouvernement de coalition avec l'Istiqlal (nationaliste et conservateur), le Mouvement populaire (berbère et conservateur) et le parti du progrès et du socialisme (PPS, gauche). Conformément aux dispositions de la nouvelle Constitution, le roi a nommé, le 29 novembre 2011, M. Abdelilah Benkirane comme chef du gouvernement, puis sur sa proposition, le 3 janvier 2012, les membres du gouvernement. M. Karim Ghellab (Istiqlal) a été élu à la présidence de la Chambre des représentants.

Dès lors, il n'est pas étonnant que ce gouvernement ait eu quelques difficultés à définir et à mettre en oeuvre rapidement des politiques publiques et les lois organiques nécessaires à l'application pleine et entière de la Constitution : seules 6 lois organiques sur 19 ont été adoptées.

On observera que cette coalition n'obéit que faiblement à des clivages évidents (gauche/droite, religieux/non religieux) mais davantage à des opportunités.

5. Les partis face à la mécanique constitutionnelle

Ce faisant l'expérience constitutionnelle de mise à distance de la monarchie souhaitée par le roi suppose, pour réussir, que le gouvernement investi de la légitimité démocratique soit en mesure d'agir sauf à perdre de sa crédibilité. Le positionnement respectif du Roi et du premier ministre est nécessairement complexe et cette cohabitation ne trouvera son équilibre qu'après une pratique suffisamment longue, qui n'exclut d'ailleurs en rien une évolution.

Si au cours de l'année 2012 le gouvernement a pu bénéficier d'un relatif état de grâce, les relations se sont tendues depuis le début de l'année 2013 aboutissant à une sortie de l'Istiqlal de la majorité 162 ( * ) . Après une longue période de négociations, un gouvernement toujours dirigé par M. Abdelilah Benkirane a pu être constitué grâce à l'entrée dans la coalition du Rassemblement national des indépendants (RNI). Le poids du PJD au sein de ce gouvernement a diminué, en nombre de portefeuilles ministériels, au profit des autres partis de la coalition (RNI, MP, PPS). Le gouvernement compte désormais six femmes.

Le système marocain rend peu probable une dérive autoritaire ou hégémonique. Il est en effet tempéré par la nécessité de composer avec l'institution monarchique qui constitue un contrepoids et jusqu'à présent d'évoluer dans le cadre d'une coalition. En sens inverse, même si des actes de violence et de terrorisme peuvent survenir (Casablanca 2003, Marrakech avril 2011), rien n'indique qu'ils puissent conduire à une déstabilisation du régime.

Comme dans l'ensemble des pays du monde, et tout particulièrement du monde arabe, le Maroc souffre d'une crise de la représentation, comme en témoigne le niveau de l'abstention aux dernières élections législatives, et d'une grande difficulté à transformer rapidement en mesures concrètes les demandes exprimées par les mouvements protestataires, d'où la nécessité de laisser des espaces pour l'expression de la société civile, de dialoguer avec elle et de créer des institutions susceptibles, au sein de l'Etat, de porter certaines préoccupations (décentralisation des décisions dans la proximité, droits de l'homme, lutte contre la corruption...).

Le cadre juridique et constitutionnel est sans doute prometteur avec la création d'institutions de bonne gouvernance comme l'autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination, le conseil de la jeunesse et de la vie associative, l'instance centrale de prévention de la corruption ou le Conseil national des droits de l'Homme, et les perspectives d'une progression de la démocratie locale), mais il faut qu'il y ait des acteurs pour le mettre en oeuvre, une culture à acquérir et à s'approprier.

Le projet de « régionalisation avancée » dont les grandes orientations ont été décrites par le roi dans son discours du 9 mars 2011 prévoit une décentralisation du pouvoir et un fonctionnement démocratique des institutions locales

6. Une demande sociale encore insatisfaite

Si les avancées en matière constitutionnelle et l'instauration d'un État de droit constituent des progrès indéniables, elles n'épuisent pas la nécessité d'aller plus avant pour rendre la croissance plus inclusive.

Les phénomènes d'exclusion et de pauvreté restent à des taux élevés même si on a pu observer depuis une dizaine d'années des progrès en matière d'alphabétisation ou de réduction de la mortalité infantile.

Le PJD, qui donnait l'impression d'avoir un plan de réforme ambitieux (caisse de compensation justice, corruption), tarde à le mettre concrètement en place.

La question de l'éducation reste également un domaine prioritaire.

De la réponse à ces questions dépendra la stabilité politique et sociale du Maroc dans les années à venir.

Une attention particulière doit être portée à la jeunesse, nombreuse, souvent diplômée, mais aussi souvent sans emploi ou dans une situation de précarité et prompte à se mobiliser, notamment par le biais des réseaux sociaux (le Maroc est l'un des pays les plus connectés à l'Internet avec 18 millions d'internautes).

La forte abstention aux élections législatives (55%), qui contraste avec le taux de participation important au referendum constitutionnel (73%), suscite de nombreuses interrogations et laisse supposer qu'une frange importante de la population ne se sent pas représentée par les forces politiques siégeant au Parlement. Le développement d'un mouvement comme celui du 20 février, même s'il n'a pas eu de prolongation, est également le signe d'une certaine frustration sociale et comme une contestation de la façon inéquitable dont les richesses sont redistribuées et de la corruption endémique.

Les forces politiques « hors système »

Certains partis, plutôt à l'extrême gauche de l'échiquier politique comme le parti socialiste unifié, le parti de l'Avant-garde démocratique socialiste et « La Voie démocratique » ont boycotté les élections en arguant qu'elles avaient pour cadre une « Constitution octroyée » et que les conditions nécessaires n'étaient pas réunies pour tenir des élections sincères.

Depuis de nombreuses années, le mouvement initié par le Cheikh Yassine, religieux soufi, a constitué plus qu'une opposition « dans le régime », une opposition « au régime » en refusant de reconnaître l'autorité du roi en tant que « commandeur des croyants » et en appelant à l'instauration d'une « République islamique ». Fortement réprimé sous Hassan II, il s'est opposé à la nouvelle Constitution jugée non démocratique. Il compte néanmoins plusieurs centaines de milliers de sympathisants et semble vouloir désormais, sous la conduite de son nouveau secrétaire général, s'intégrer dans le jeu politique. Il n'est pas impossible que dans la tradition inclusive du système marocain conduite par le roi, des contacts soient établis dans cette perspective même éloignée. Ce parti pourrait constituer un concurrent direct pour le PJD mais aussi un allié potentiel. Néanmoins cette question n'est pas tranchée au sein du mouvement Justice et Bienfaisance et donne lieu à des débats internes notamment entre les générations.

Sévèrement réprimé après les attentats de Casablanca en 2003, le courant salafi paraît résiduel, mais il poursuit son action prédicatrice. L'intégration des certains cheikhs dans le PRV semble néanmoins être le signe d'une certaine appétence de cette composante à vouloir intégrer le jeu politique.

S'il n'y a pas de mouvements ouvertement djihadistes actifs au Maroc, force est de constater que des Marocains se sont enrôlés aux côtés des groupes terroristes au Mali, que d'autres ont rejoint les combattants en Syrie, une filière via les enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila a été récemment identifiée et que des cellules sont régulièrement démantelées par les forces de sécurité. AQMI par la voix de son chef l'émir Droudkal a proféré des menaces contre le Maroc dans une vidéo postée en septembre.


* 144 Khadija Mohsen-Finan « L'exception marocaine dans le contexte des soulèvements arabes » Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe. IRIS 2 décembre 2011.

* 145 On observera le même phénomène avec les manifestations de protestation qui ont suivi l'octroi de la grâce royale à un ressortissant espagnol condamné pour pédophilie à l'occasion de la visite de Juan Carlos Ier d'Espagne en juillet 2013, à la nuance près qu'une mesure d'exécution d'une prérogative du Roi était en cause.

* 146 Ce n'est pas le cabinet du Roi, comme lors des précédentes réformes, qui est chargé de préparer le texte, mais une commission consultative composée de juristes, de politologues, d'hommes et de femmes qui représentent la société civile.

* 147 98,5% des voix lors du referendum du 1 er juillet 2011 avec un taux de participation de 73%.

* 148 Les langues officielles sont l'arabe et l'amazigh, 72% des Marocains parlent la « darija », arabe dialectale et 28% une des langues berbères (tarifit, tachelhit, tamazight...)

* 149 La chambre des représentants est composée de 395 députés (élus pour 5 ans au suffrage universel direct, au scrutin proportionnel de liste au plus fort reste ; dont 90 sur une liste nationale, réservée à 60 femmes et 30 jeunes de moins de 40 ans.

* 150 La Chambre des conseillers, créée par la Constitution de 1996, comprend 270 membres élus pour 9 ans au scrutin indirect, renouvelable par tiers tous les 3 ans. 3/5 (162) des conseillers sont élus dans les régions par les représentants des collectivités locales et 2/5 (108) sont élus dans chaque région par des représentants des chambres professionnelles et, à l'échelon national, par des représentants des salariés (syndicats).

* 151 David Melloni « La Constitution marocaine de 2011 : une mutation des ordres politique et juridique marocain » Pouvoirs n°145 2013.

* 152 L'attitude du Roi dans la crise gouvernemental de l'été 2013 opposant les deux principales forces de la coalition gouvernementale, le PJD et l'Itiqlal et conduisant à son éclatement, est exemplaire de cette retenue « vigilante ».

* 153 3 projets de loi organique ont été adoptés par le conseil des ministres le 16 octobre 2013. Ils devront être soumis au Parlement.

* 154 La Constitution leur reconnaît un statut plus protecteur, et crée de nouvelles instances. En animant le débat public par la publication de rapports, en disposant de prérogatives d'enquête et de contrôle, ces instances sont des leviers puissants pour permettre une application effective des droits et libertés inscrits dans la Constitution.

* 155 Droit à la vie, droit à la protection de la vie privée, droit à la sûreté, liberté de la presse, liberté de rassemblement et de manifestation, bannissement de toute discrimination « en raison du sexe, des croyances, de la culture, de l'origine sociale ou régionale, de la langue, du handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit ».

* 156 Sujette à interprétation, cette avancée vers l'approche moniste internationaliste peut être analysée comme une rupture avec les principes traditionnels. Reste qu'effectivement, « en précisant que la primauté du droit international conventionnel est accordée au Maroc « dans le respect de son identité nationale immuable, au sein de laquelle prédomine la religion musulmane, laquelle se voit accordée dans le préambule « une prééminence » dans le référentiel national, le préambule a introduit une réserve majeure à l'effectivité de cette nouvelle hiérarchie normative » David Melloni « La Constitution marocaine de 2011 : une mutation des ordres politique et juridique marocains » Pouvoirs n°145 2013

* 157 En particulier la convention contre les disparitions forcées et le protocole facultatif de la convention contre la torture permettant l'examen des plaintes individuelles par le comité contre la torture après épuisement des voies de recours internes.

* 158 Un Plan d'action intitulé « Priorités 2012-2014 pour le Maroc dans le cadre de la coopération avec le voisinage » a été adopté conjointement par le Maroc et le Conseil de l'Europe (24 avril 2012, Strasbourg).

* 159 Mathieu Guidère : Islam et démocratie - Ellipses 2012

* 160 L'Istiqlal est le plus vieux parti du Maroc. Son chef de file était alors Abassi El-Fassi, premier ministre sortant et désormais Abdelhamid Chabat son secrétaire général.

* 161 Conduit par le ministre des finances Salaheddine Mezouar.

* 162 L'Istiqlal a annoncé le 11 mai son retrait de la coalition et cinq de ses ministres sur six ont remis leur démission le 8 juillet. Les divergences portent davantage sur des questions de méthode, de gouvernance, de concurrence sur des segments voisins de l'électorat et d'équilibre au sein des formations que sur les questions de fond.

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