E. MAURITANIE : UNE DÉMOCRATIE HÉSITANTE

La Mauritanie est un pays dont la cohésion nationale est fragilisée par l'opposition ancestrale de la population d'origine arabo-berbère, majoritairement composée de Maures (blancs, 40% de la population environ) mais aussi de Haratines (Arabes noirs, descendants d'esclaves), lesquels partagent la même langue (dialecte arabe hassani) et les négro-mauritaniens qui représentent environ un tiers de la population. Les discriminations subies par les communautés négro-mauritaniennes et haratines restent importantes et la politique d'arabisation une source de tensions.

L'Etat a connu de nombreux coups d'Etat militaires depuis l'indépendance. Le processus de démocratisation reste hésitant.

1. Une transition démocratique avortée

L'histoire récente de la Mauritanie est marquée par le long règne du Président Maaouya Ould Sid'Ahmed Taya, arrivé au pouvoir par la force en décembre 1984, élu en 1991 puis réélu à plusieurs reprises dans des conditions ne permettant pas d'alternance. Impopulaire en raison notamment de son rapprochement avec Israël en 1999 et de son soutien à la politique américaine en Irak, il a été victime de plusieurs tentatives de coup d'Etat avant d'être renversé le 3 août 2005 par les généraux Abdel Aziz et Ghazouani.

Ce coup d'Etat a été suivi d'une transition démocratique, dirigée par le colonel Ely Ould Mohamed Vall, président du Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) qui a abouti à l'approbation d'une constitution par référendum en juin 2006, suivie d'élections législatives, municipales et sénatoriales, jusqu'à l'élection présidentielle de mars 2007. Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi a été élu au second tour de cette élection avec 53% des voix.

18 mois après le début de son mandat, le président Abdallahi a été renversé par des hauts responsables militaires, dont le chef d'état-major particulier du président, le Général Abdel Aziz, et le chef d'état-major des armées, le Général Ghazouani, tous deux déjà à l'origine du coup d'Etat qui avait renversé Maaouya Ould Taya en 2005.

2. Un retour à une démocratie de compromis

Après plusieurs mois de crise politique, la junte au pouvoir et l'opposition ont accepté d'engager des négociations sous l'égide du Sénégal qui ont abouti à la signature le 4 juin 2009 d'un accord intermauritanien (prévoyant notamment l'organisation d'élections présidentielles pluralistes).

Ce scrutin, observé par la communauté internationale (OIF et UA notamment) a consacré la victoire du candidat Abdel Aziz, élu dès le premier tour avec 52,47% des voix.

Le fonctionnement démocratique et institutionnel connaît des difficultés. Des élections législatives et municipales devaient se tenir en novembre 2011. Elles avaient été repoussées sine die, jusqu'à l'aboutissement du processus de recensement électoral (enrôlement), toujours en cours.

Le gouvernement est par ailleurs confronté à l'opposition de la Coordination de l'opposition démocratique (COD), regroupant une dizaine de partis politiques. La COD s'est lancée dans un bras de fer avec le pouvoir, organisant des manifestations, principalement dans la capitale Nouakchott. Réunissant 12 000 personnes le 12 mars 2012, ce mouvement a, depuis, diminué d'intensité.

Plusieurs fois repoussées, les élections législatives et municipales devraient se tenir en novembre et décembre 2013, l'élection présidentielle en avril 2014.

Trois blocs s'affrontent dans la perspective des élections

- l'UPR qui soutient le président,

- le COD 163 ( * ) qui regroupe l'opposition radicale autour de l'opposant historique Ahmed Ould Daddah et au sein de laquelle s'affirme de façon plus prégnante le parti islamiste Tawassoul, proche des Frères musulmans. La majorité des 11 partis composant la COD a décidé de boycotter les élections législatives et municipales, mais deux partis ont décidé de participer : Tewassoul (islamiste) et l'Union des forces du progrès (gauche).

- et la Coalition pour l'alternance pacifique qui a réussi à fédérer autour du président de l'assemblée nationale Ould Boulkheir plusieurs formations politiques dont l'Alliance patriotique.

3. Une stabilité incertaine en raison du contexte économique, social et sécuritaire
a) Une situation sociale difficile

Après un an d'isolement diplomatique et de suspension de l'aide internationale, la relance du développement économique et social est devenue la priorité du gouvernement, dirigé par Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. La sécheresse a pesé, mais le développement des activités minières assure à la Mauritanie des marges de manoeuvre. Elle n'en reste pas moins un pays en proie à une grande pauvreté. Des conflits sociaux sont fréquents notamment dans le secteur minier (Zouerate) et les ports.

b) Une situation sécuritaire sous vigilance

Toutefois, avec la menace terroriste que fait peser AQMI, les questions de sécurité suivies par le président Abdel Aziz sont revenues au premier plan (voir infra p. 198). Le conflit malien a également eu des conséquences intérieures ne serait-ce que par la nécessité d'accueillir des réfugiés 164 ( * ) .

c) Une tension inter-ethnique permanente

Le président Abdel Aziz s'est engagé à régler la question du « passif humanitaire » (violences interethniques de 1989 et séquelles de l'esclavage). Malgré les avancées, cette question n'est pas encore réglée.

Globalement, la question de l'équilibre ethnique domine ces tensions. Chaque communauté veille sur les mesures qui tendraient à réduire son poids démographique au sein de l'ensemble mauritanien : retour d'environ 24 000 réfugiés négro-mauritaniens au Sénégal dans le cadre du règlement du « passif humanitaire » engagé depuis 2009, suspicion d'intégration de sahraouis non mauritaniens depuis 2011....

La crainte de la communauté arabo-berbère s'est renforcée en raison de l'accroissement démographique plus rapide des négro-mauritaniens et des haratines ainsi que de la crainte de voir ces derniers s'émanciper de la communauté arabo-berbère sous l'effet du militantisme anti-esclavagiste. A terme, la communauté maure redoute de devenir minoritaire et de perdre sa situation dominante.


* 163 La majorité des 11 partis composant la COD a décidé de boycotter ces élections, cependant deux partis de cette coordination ont décidé qu'ils y participeraient Tewassoul (islamiste) et l'Union des forces du progrès (gauche).

* 164 Le camp de M'Bera installé par le HCR début 2012 pour faire face à l'afflux de réfugiés maliens accueille environ 55-60 000 personnes

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