2. La mise en place d'un fonds participatif

Les studios ont besoin de renforcer leurs fonds propres afin d'adapter leur outil de production à la mutation des marchés du jeu vidéo et aux nouveaux besoins de compétences qu'elle suppose.

a) Un moyen de renforcer les fonds propres dans un secteur très demandeur

Le secteur des jeux vidéo est constitué de TPE et PME dont le chiffre d'affaires moyen est de deux millions d'euros et dont les fonds propres sont faibles au regard des coûts engagés pour la production d'un jeu. Cela limite les capacités d'endettement des entreprises et explique que l'essentiel du coût de développement des jeux soit aujourd'hui assuré par leur éditeur, au détriment de la marge des studios.

En renforçant leurs fonds propres, ces derniers pourraient donc préserver leur indépendance vis-à-vis des éditeurs, augmenter leur capacité d'investissement sur de nouvelles productions et améliorer leurs marges . Le besoin de financement global de la filière est estimé par le SNJV entre quarante-cinq et quatre-vingt-dix millions d'euros sur deux ans (deux à trois millions d'euros pour dix à vingt sociétés et 0,5 million pour cinquante à soixante autres).

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou OSÉO, actuels délégataires des fonds provenant de la Banque publique d'investissement (BPI), proposent des mécanismes d'investissement intéressants mais dont les modalités techniques et conditions d'exécution sont éloignées des spécificités des entreprises du jeu vidéo et des contraintes d'évolution de ce marché, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, les besoins d'investissement des entreprises sont en fonds propres plus qu'en emprunts à terme classiques . La production de jeux vidéo requiert des investissements importants et répétés afin de livrer les productions que les marchés innovants en croissance attendent. Les budgets de production de logiciels de jeux pour les consoles de nouvelle génération sont ainsi de 40 % supérieurs à ceux constatés sur la génération actuelle ; ils peuvent atteindre plusieurs dizaines de millions d'euros par projet. Sur les marchés dématérialisés, si les montants de chaque production sont bien inférieurs, les entreprises doivent pouvoir investir concomitamment sur plusieurs lignes de projets afin d'augmenter leur surface d'exposition au public et de traiter efficacement la question du recrutement. Les besoins financiers des entreprises se situent donc en amont, en haut de bilan, plus qu'en fonds de roulement.

Par ailleurs, ainsi que cela a été indiqué, la concurrence est globale, et non locale . L'international est constitutif de « l'ADN » des entreprises de l'industrie du jeu vidéo qui doivent donc se positionner sur des marchés où leurs homologues sont Canadiens, Coréens, Singapouriens et Portoricains, et bénéficient d'accès à des sources de financement considérablement supérieures aux nôtres. Renforcer la capacité d'investissement des entreprises françaises, c'est leur redonner la capacité à être compétitives sur les marchés du jeu vidéo mondiaux.

De plus, l'exigence d'antériorité des entreprises sur les marchés visés est incompatible avec la croissance des entreprises de production . L'industrie du jeu vidéo répond à des cycles économiques de très forte amplitude et dont les durées sont souvent beaucoup plus courtes que celles habituellement constatées dans d'autres industries, y compris du numérique. La quasi-totalité des entreprises du secteur se trouve donc éloignée des financements, car elles ne disposent pas des garanties souhaitées en raison des contraintes de marché et de la particularité des cycles économiques du secteur.

En outre, l'aléa économique est plus important que dans d'autres industries culturelles, mais le retour sur investissement en cas de succès est supérieur . Certes, la nature internationale des marchés, la très forte concurrence sur les marchés dématérialisés et ses caractéristiques d'industrie de « hits » génèrent des risques élevés. Ainsi, sur les marchés de détail, le point d'équilibre n'est pas supérieur à 4 % de la production globale, quand sur tablettes et mobiles, il avoisine le 1%. Mais cet aléa économique fort est compensé par la capacité qu'ont les entreprises, en cas de réussite, de générer des revenus substantiels, largement supérieurs aux taux de retour sur investissement habituellement constatés. Les succès d'Ubisoft, d'Ankama ou encore plus récemment de Pretty Simple démontrent que la France peut créer des leaders , et ce depuis les années 70.

Enfin, les modalités de traitement des dossiers par les structures de financement conventionnelles sont incompatibles avec la nature même des activités de production de jeux vidéo . L'industrie du secteur est récente, méconnue et soulève certains préjugés difficiles à combattre. De plus, les marchés évoluant très rapidement, il est nécessaire que le temps d'instruction des dossiers soit limité afin de permettre une adéquation entre l'exigence d'information de l'administration et la capacité pour l'entreprise à se positionner sur les nouveaux marchés visés.

Les canaux de financement classiques ne sont donc pas adaptés aux spécificités du marché des jeux vidéo, et que des mécanismes spécifiques doivent être mis en place. C'est dans cet esprit que le groupe de travail avance l'idée de création d'un prêt participatif pour les entreprises du secteur.

b) Un dispositif basé sur le modèle du prêt participatif innovation

Vos rapporteurs proposent donc la mise en place d'un fonds d'octroi de prêts participatifs 46 ( * ) , financé par la BPI , sur le modèle du prêt participatif innovation, assimilable à des quasi-fonds propres. Cet outil serait adapté aux besoins de la filière du jeu vidéo et, conformément aux objectifs de la BPI, constituerait un « levier » pour des interventions de financement complémentaires. Le fonctionnement du prêt participatif, qui prévoit généralement, au-delà d'un taux d'intérêt de base, une rémunération indexée sur la rentabilité de la société bénéficiaire, permettrait également de répondre au principe d'intéressement de l'État en cas de succès.

Ce fonds d'avances participatives pourrait, comme le fonds de garantie créé en 2011, être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC). Cet établissement de crédit agréé par la Banque de France a été fondé en 1983. Son capital est partagé entre les principales banques françaises et l'État, à travers la BPI, qui en détient 49 %. Il a été chargé par les ministères de la culture et de l'économie et des finances d'une mission d'intérêt général de facilitation de l'accès au financement, notamment au crédit, pour les industries culturelles.

Il s'agit d'un établissement proche des pouvoirs publics, disposant des autorisations nécessaires de la part du régulateur bancaire et d'une expérience significative du secteur du jeu vidéo, en faveur duquel il a permis depuis trois ans la levée de près de 4 millions d'euros de crédits à moyen et long terme. La proximité de l'IFCIC avec le CNC, désormais interlocuteur privilégié de la filière à travers le pilotage du FAJV et du CIJV, ne pourrait que renforcer la pertinence de cette localisation.

Cette intervention de l'IFCIC permettrait d'éviter que la CDC doive instruire plusieurs dizaines de dossiers en faveur de très petites entreprises L'IFCIC mettrait naturellement à profit le réseau des banques recourant habituellement à sa garantie pour promouvoir ces dispositifs et maximiser les effets de levier qu'ils permettent 47 ( * ) .

Ce dispositif viendrait en complément de la mise en place, il y a deux ans, d'un fonds de garantie dédié au secteur du jeu vidéo : les entreprises de la filière peuvent, depuis le mois de mai 2011, voir leurs crédits bancaires à moyen et long terme bénéficier d'une garantie de 50 % à 55 %.

L'articulation de ces deux dispositifs permettrait aux entrepreneurs du secteur d'accroître leur capacité de négociation auprès d'investisseurs privés et, partant, de ne pas subir une dilution trop forte au capital des sociétés qu'ils ont fondé au risque d'une prise de contrôle rapide par des capitaux étrangers.

c) Un nouveau mécanisme de financement public

La question du financement de ce fonds participatif viendrait naturellement à se poser. A cet égard, l'enveloppe dédiée, au sein du programme des investissements d'avenir (PIA), au secteur du numérique, pourrait légitimement être mobilisée. En effet, sur les 35 milliards d'euros de financements totaux, 4,5 ont été fléchés sur le secteur du numérique, parmi lesquels 2,25 pour les usages, services et contenus innovants. Les sommes, relativement modestes au regard de ces chiffres, que requerraient la mise en place de prêts participatifs dans le secteur du jeu vidéo pourraient très opportunément y être prélevées. Et ce d'autant plus que leur financement nécessiterait des dotations dites « non consomptibles », auxquelles le dispositif du PIA donne la préférence.

Autre possibilité, le recours à l'enveloppe de 10 milliards d'euros annoncée le 9 juillet dernier par le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, pour stimuler le potentiel de croissance de la France au cours des dix prochaines années. Le numérique figure en effet, aux côtés du développement durable, de la santé et des transports, parmi les quatre grands secteurs d'avenir auxquels ces fonds sont destinés. De par l'importance croissante que l'industrie vidéoludique et les technologies qui en découlent sont appelées à prendre dans le monde de demain, il paraitrait tout à fait légitime de mobiliser une partie de ces fonds pour en favoriser le développement sur notre territoire.


* 46 Prêts de longue durée, pouvant être distribués par des banques, des sociétés commerciales, des sociétés du secteur public (OSEO) ou l'Etat, dont la rémunération, qui peut être partiellement indexée à certains indicateurs de performance, est composée d'une partie fixe et éventuellement d'une partie variable.

* 47 L'IFCIC gère deux fonds de garantie d'un montant total de 82 millions d'euros et un fonds d'avances remboursables d'environ 10 millions, dont le montant devrait être prochainement doublé.

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