2. La « french touch » : entre créativité artistique et maîtrise technologique

Fruit de la qualité et de la pluridisciplinarité des formations françaises, mêlant technique, culture générale et travail en équipe, mais également de la dynamique des industries audiovisuelles et cinématographiques héxagonales, le talent des salariés français du jeu vidéo fait l'objet d'une large reconnaissance internationale , qui conduit nombre de studios étrangers à les recruter, moyennant parfois des conditions contractuelles fort attractives.

Pour Erwan Cario, auditionné par le groupe de travail, le succès de l'industrie du jeu vidéo en France dans les années 90 s'explique par l'excellence des formations qui y sont dispensées, notamment pour les graphistes dans les écoles des Gobelins et d'Angoulême (École nationale du jeu et du média interactif).

À titre d'exemple, les étudiants de Supinfogame trouvent à 95 % un emploi au cours de la première année suivant leur diplôme (85 % dans les six mois). Lors de la visite qu'il a effectuée à l'école, le groupe de travail a pu constater que nombre d'entre eux (25 %) sont directement embauchés par des studios étrangers, notamment en Asie et aux États-Unis.

La qualité des formations françaises est en grande partie l'héritage d'une maîtrise aboutie des enseignements artistiques supérieurs et de leur adaptation aux nouvelles technologies, via , en premier lieu, le film d'animation . Des écoles comme les Gobelins et Supinfocom ont ainsi construit leur renommée dans ce domaine avant d'élargir leur offre éducative aux métiers du jeu vidéo. Encore aujourd'hui, leurs diplômés en graphisme et en cinéma d'animation s'orientent vers le jeu vidéo, sans être pour autant issus de leurs filières spécialisées. À l'inverse, des formations technologiques, comme l'Université de technologie de Compiègne, ont choisi de développer, au sein de leur enseignement en ingénierie, un apprentissage aux techniques du jeu vidéo.

En tout état de cause, quelle que soit la facture initiale des formations proposées en France aux futurs professionnels du jeu vidéo, art et technique s'y mêlent, tandis que la culture générale et l'histoire occupent une place de choix .

Cet avantage comparatif est souligné dès 2003 par Fabrice Fries dans son rapport précité à Francis Mer 43 ( * ) : « Le principal [atout des acteurs français du jeu vidéo] tient au vivier de compétences, dont même les éditeurs désormais très internationalisés disent qu'il est probablement supérieur en France à ce qu'on trouve ailleurs . Il faut ici souligner que dès le début des années 90, les filières de formation à l'informatique - des grandes écoles aux DUT - se sont intéressées au secteur et qu'en matière de graphisme le Centre national de la bande dessinée d'Angoulême ou l'École nationale supérieure des arts décoratifs ont joué un rôle précieux dans le développement de la « French touch ». En 2001 s'est créé un DESS spécialisé en jeu vidéo, associant les universités de Poitiers, de La Rochelle et le CNAM. »

Les formations « à la française » conduisent à la production de jeux vidéo marqués par une spécificité culturelle, que Gaël Seydoux, producteur exécutif chez Ubisoft, définit ainsi dans l'entretien donné pour la revue Hermès 44 ( * ) : « Les Français ont des compétences spécifiques. Nous savons raconter et inscrire une narration soigneuse dans une ambiance dont nous maîtrisons les effets sur les joueurs. (...) Parmi nos points forts, je citerais aussi la direction artistique et le gameplay . [A contrario] , la supériorité des Américains est à chercher dans un savoir-faire dérivé de la grande tradition hollywoodienne : ils font montre d'une grande rigueur dans des mises en scènes ambitieuses, riches d'effets spéciaux, et savent immerger les joueurs dans des jeux d'action spectaculaires tout en soignant chaque détail. »

Qualité du graphisme, soin apporté à la narration et originalité de la mécanique de jeu constitueraient donc les atouts majeurs des jeux français . À titre d'exemple, les jeux développés par le studio français Quantic Dream, l'un des fournisseurs de Sony, sont reconnus pour leur poésie et leur qualité narrative ( Moebius réalisé en 1997 avec Paulo Coelho ou L'Anneau des Nibelungen en 1998). Pour sa part, Ubisoft, qui compte désormais vingt-huit studios à l'étranger, réserve à ses implantations françaises les productions nécessitant plus d'innovation et de créativité, à l'instar des Lapins Crétins , tandis que, à Montréal par exemple, sont développés les jeux de série de l'entreprise comme Assassin's Creed.

Il est d'ailleurs intéressant de rappeler que les aides du Centre national du cinéma et de l'image animée en faveur de l'industrie du jeu vidéo retiennent comme principal critère de sélection la créativité de la narration.

Un succès français : Hasta la Muerte

Loin des superproductions issues des grands studios, une petite structure française, Pohlm, a récemment connu le succès avec son jeu Hasta la Muerte , à l'univers narratif particulièrement original et à la signature artistique unique, de l'ambiance sonore aux choix graphiques.

Selon le « pitch » quasi philosophique du jeu, le joueur incarne un émissaire de la mort. « Votre mission est de libérer l'âme des vivants dont l'heure est venue. Le joueur incarne la Mort elle-même et doit récolter l'âme de ceux qui sont prêts à quitter notre monde. »

Ce jeu sur tablettes et mobiles a bénéficié, pour sa création, du fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV), de prêts bancaires et de prêts d'honneur pour un total de 650 000 euros. Pohlm, labellisé Jeune entreprise innovante, a également bénéficié du soutien de structures locales (Pôle Image Magelis et Charente Initiative).

Mais c'est bien le style original du projet qui a engendré son succès, permettant au studio de devenir partenaire de Microsoft Games Studio en 2010 et de voir son jeu directement publié par Microsoft USA, tout en en restant propriétaire, sur le Windows Phone 7. Moins d'une semaine après sa sortie, Hasta la Muerte se classait parmi les trois meilleures ventes.

Pour autant, cette « french touch » n'a pas pour conséquence, et c'est heureux, une signature strictement française des jeux produits sur le territoire national, qui les priverait d'un succès commercial extérieur. En effet, le marché du jeu vidéo est résolument international et près de 80 % de la production française sont destinés à l'exportation.


* 43 Propositions pour développer l'industrie du jeu vidéo en France - Rapport à l'attention de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Décembre 2003.

* 44 Revue Hermès n° 62 (2012) - Les jeux vidéo : quand jouer, c'est communiquer.

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