5. Des aides publiques mal calibrées et insuffisamment ciblées

Si les aides pour le financement du secteur ont le mérite d'exister, leur montant et leurs conditions d'octroi limitent leur efficacité.

Le FAJV est jugé utile dans son principe même , car il permet d'initier des prototypes et des maquettes, et de faciliter la phase de pré-production. Cependant, l'enveloppe qui y est consacrée ne s'élève qu'à trois millions d'euros environ chaque année.

De plus, la subvention accordée au titre du FAJV couvre 50 % de la création. Toutes les dépenses réalisées au titre du marketing, de la publicité, de la communication et de la commercialisation n'entrent donc pas dans le budget qui peut être financé . Or, ainsi que cela a été souligné, il n'est pas rare que cette partie « non créative » coûte autant, voire davantage que la partie « développement » du jeu.

Le CIJV a été jugé globalement très utile par les personnes auditionnées, l'une estimant même qu'on lui devait la survie du secteur dans notre pays.

Mais a également été stigmatisée la complexité de sa mise en oeuvre et son insuffisance . La dépense fiscale réalisée à ce titre en 2012 a été relativement faible, de l'ordre de deux millions d'euros, tandis que quarante-sept millions d'euros seulement ont été octroyés au titre de cette mesure depuis sa mise en place.

Cette faiblesse est patente au regard de territoires concurrents, tels que le Québec ou l'Ontario au Canada. Depuis 1996, le crédit d'impôt remboursable relatif à la production de titres multimédias y bénéficie aux sociétés qui produisent à plus de 90 % ce type de titres. Il s'y élève à 30 % à 37,5 % des dépenses, là où il est restreint à 20 % dans notre pays.

Mais la principale critique à l'égard du CIJV concerne ses critères de sélection, extrêmement restrictifs et très orientés sur des considérations culturelles. Pour bénéficier du crédit d'impôt, les jeux vidéo doivent en effet satisfaire à plusieurs exigences. En particulier, ils doivent soit constituer une adaptation d'une oeuvre préexistante du patrimoine européen, soit remplir un critère de qualité et d'originalité du concept et de contribution à l'expression de la diversité culturelle et de la création européennes. Ces deux critères visent à ne faire bénéficier du crédit d'impôt que les jeux vidéo qui sont des produits culturels.

Le CIJV, un crédit d'impôt « à points » complexe

Le régime du CIJV est fixé par les articles 220 terdecies et 220 X du code général des impôts, qui ont donné lieu au décret du 29 mai 2008 41 ( * ) pris pour leur application, et à l'arrêté du 29 mai 2008 42 ( * ) pris à son tour en application de ce dernier. Pour être éligibles au CIJV, les jeux doivent, notamment, obtenir un certain nombre de points parmi des éléments d'appréciation figurant dans deux types de groupes :

1° Un groupe « Auteurs et collaborateurs de création », comprenant les six catégories de professions et d'activités suivantes :

a) Directeur créatif ou réalisateur ;

b) Responsable de la conception des mécanismes du jeu ;

c) Scénariste ;

d) Directeur artistique ;

e) Compositeur de la musique ou créateur de l'environnement sonore ;

f) Membre de l'équipe de création, comprenant notamment les artistes conceptuels et environnementaux, les infographistes, les concepteurs de niveau, les personnels en charge du son, les concepteurs des mécaniques du jeu, et les programmeurs.

2° Un groupe « Contribution au développement de la création », comprenant les cinq sous-groupes suivants :

a) Le sous-groupe « Création d'origine patrimoniale » ;

b) Le sous-groupe « Originalité de la création » ;

c) Le sous-groupe « Contenus culturels » ;

d) Le sous-groupe « Localisation des dépenses et nationalité des auteurs et collaborateurs de création » ;

e) Le sous-groupe « Innovations technologiques et éditoriales ».

Sont considérés comme contribuant au développement de la création française et européenne en matière de jeux vidéo ainsi qu'à sa diversité les jeux vidéo qui réunissent un nombre minimum de points fixé par arrêté conjoint du ministre chargé de la culture et du ministre chargé de l'industrie.

L'évaluation de l'éligibilité est effectuée par un comité d'experts composé de représentants des administrations françaises et de personnalités qualifiées, qui n'appartiennent pas forcément au monde du jeu vidéo, et qui peuvent aussi représenter d'autres disciplines culturelles. Ce groupe d'experts, qui vérifie le respect des critères culturels, émet un avis sur la base duquel le ministère de la culture et de la communication donne son agrément.

Il apparaît dans les faits que le découpage de ce barème donne lieu à des exigences qualitatives très élevées, notamment eu égard à des éléments d'appréciation d'ordre culturel à la fois éminemment subjectifs et parfois difficiles à satisfaire pour certains « hits » pourtant très populaires auprès du public des joueurs.

Il y a donc une sorte de dichotomie entre ces soixante-quatre critères quelque peu abstraits, difficilement saisissables et privilégiant un certain type de jeux, et une industrie française du jeu vidéo qui existe et est mondialement reconnue à travers sa grande diversité.

De plus, le CIJV ne finance que des jeux ayant un coût de développement relativement élevé, supérieur ou égal à 150 000 euros. Or, tous les éditeurs n'ont pas les moyens de produire des jeux de cette envergure. Il y a donc une utilisation du CIJV inférieure à ce qu'elle pourrait être , ce qu'ont d'ailleurs souligné les responsables de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS).

Le CICE a été utilisé par les entreprises du secteur, mais a vu ses effets bénéfiques absorbés par l'accroissement de certaines impositions. Ainsi, pour une société comme Ankama, il a eu un impact de 500 000 euros, soit 4 % des coûts de développement. Mais, l'entreprise ne souhaitant pas, pour des raisons commerciales, augmenter le tarif des abonnements à ses jeux en ligne, cet avantage sera réduit à néant par la hausse de la TVA décidée par le Gouvernement dans le cadre du pacte pour la compétitivité. En effet, en vertu de celle-ci, dès le 1 er janvier 2014, le taux de TVA normal passera de 19,6 à 20 % et le taux intermédiaire sera porté de 7 à 10 %.

Le CIR est présenté comme utile pour les entreprises du secteur, notamment dans son compartiment « innovation ». Pour une entreprise comme Quantic Dream, qui employait une quarantaine de personnes en R&D et qui réalisait 8,5 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2011, le CIR a représenté environ un million d'euros.

Toutefois, plusieurs limites ont été pointées.

En amont tout d'abord, pour ce qui est du montage de dossiers par les entreprises y prétendant. En effet, celles-ci sont, dans la grande majorité des cas, des PME qui ne disposent pas en interne des moyens matériels, techniques et humains pour réaliser et déposer auprès de l'administration des finances de telles demandes. Elles doivent donc recourir à des cabinets spécialisés , qui se sont multipliés ces dernières années, avec l'augmentation de l'enveloppe fiscale liée au CIR.

Or, ces officines ont pour certaines d'entre elles des pratiques douteuses. Elles démarchent d'elles-mêmes ces PME en les « poussant à la consommation », sans que ces dernières ne rentrent nécessairement dans le cadre du CIR ou du CII. Elles prennent des commissions substantielles , de l'ordre de 25 à 30 % du crédit d'impôt. Certaines continueraient même à se rémunérer au pourcentage, alors que le législateur a cherché à arrêter ces pratiques en pénalisant les entreprises qui les acceptaient.

Par ailleurs, les PME sont très sensibles aux contrôles réalisés par l'administration fiscale dans le cadre du CIR ou du CII, et aux risques de requalification qu'ils entraînent pour elles.

En effet, dans de tels cas, les entreprises déclarantes doivent pouvoir fournir tous les documents justificatifs pertinents, financiers comme scientifiques. Le contrôleur fiscal responsable de leur dossier valide seul le bien fondé du montant déclaré. En cas de doute sur l'éligibilité technique du projet, il peut demander une expertise auprès du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui mandate alors un expert scientifique afin de valider les critères de recherche et développement du projet.

L'irruption de ces experts, généralement issus du milieu universitaire et compétents dans des domaines identiques ou proches du projet valorisé, est souvent mal vécue par les entreprises contrôlées. Celles-ci les estime, certes détenteurs de connaissances théoriques poussées sur le sujet, mais extérieurs à leurs problématiques et trop éloignés de la réalité de terrain pour pouvoir juger de la pertinence et de l'éligibilité des dépenses de recherche effectuées.

Enfin, le statut de JEI est utilisé par les entreprises du secteur, qui le jugent intéressant en cas d'importants résultats (par le biais de l'exonération d'impôt sur les sociétés) ou d'emploi de nombreux salariés (par celui de l'exonération de charges). Néanmoins, le niveau trop bas de son plafonnement a été souligné par différents intervenants.


* 41 Décret n° 2008-508 du 29 mai 2008 pris pour l'application des articles 220 terdecies et 220 X du code général des impôts et relatif à l'agrément des jeux vidéo ouvrant droit au crédit d'impôt pour dépenses de création de jeux vidéo.

* 42 Arrêté du 29 mai 2008 pris pour l'application des articles 5 et 6 du décret n° 2008-508 du 29 mai 2008 pris pour l'application des articles 220 terdecies et 220 X du code général des impôts et relatif à l'agrément des jeux vidéo ouvrant droit au crédit d'impôt pour dépenses de création de jeux vidéo liste.

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