Audition de la Direction générale de la Police nationale (mardi 22 janvier 2013)
Mme Muguette Dini , présidente . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui quatre représentants de la direction générale de la Police nationale :
- M. Patrick Hefner , contrôleur général, conseiller auprès du directeur général de la Police nationale, chef du pôle judiciaire, prévention et partenariat ;
- M. Christian Hirsoil , contrôleur général, sous-directeur de l'information générale ;
- M. Bernard Petit , contrôleur général, sous-directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée et de la délinquance financière à la direction centrale de la police judiciaire ;
- et M. Frédéric Malon , commissaire divisionnaire, chef de l'Office central de la répression des violences faites aux personnes (OCRVP) dont dépend la Caimades (Cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires).
Cette réunion n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.
Je rappelle à l'attention des représentants de la direction générale de la Police nationale que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Messieurs Patrick Hefner, Christian Hirsoil, Bernard Petit et Frédéric Malon, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les quatre personnes se lèvent et prêtent serment.
Messieurs, je vous donne la parole pour un rapide exposé introductif ; puis nous vous poserons des questions.
M. Patrick Hefner, conseiller du directeur général de la police nationale, chef du pôle judiciaire prévention et partenariats. - La Police nationale a toujours adopté une démarche pragmatique pour lutter contre les dérives sectaires.
Tout d'abord, elle a cherché à mieux cerner le phénomène sectaire, singulièrement dans le domaine de la santé : 50 % des affaires en traitement à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et concernant des sectes ont trait à la santé, 25 % à la Miviludes.
Second objectif : se doter d'outils de renseignement et de lutte les plus performants possibles. La connaissance quantitative et qualitative des sectes se fonde sur les renseignements qui remontent des structures locales. Ces données sont analysées et synthétisées par les services centraux, dont la fonction est également de maîtriser non seulement le droit positif mais aussi la jurisprudence, parfois fluctuante, afin de constituer un lieu de référence et d'expertise. Des échanges avec la Sous-direction de l'information générale (Sdig) et l'Office central pour la répression des violences faites aux personnes (OCRVP), ou avec la Miviludes, les Ordres des médecins et des pharmaciens, les agences régionales de santé (ARS) ou le monde associatif complètent cette information, qui est ensuite retransmise aux services de police et de Gendarmerie ou aux magistrats, par la formation dispensée à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) et dans le cadre d'un colloque annuel de formation continue qui se tient quai aux fleurs, à Paris, organisé également par l'ENM.
D'un point de vue statistique, le phénomène est difficile à évaluer : dans l'état 4001, établi en 1972, aucun des 107 index ne concerne les dérives sectaires. Rien non plus dans le plan en cours d'enrichissement des procédures. Aussi, les statistiques sont-elles établies par la sous-direction de l'information générale (Sdig) ou la direction centrale de la police judiciaire pour refléter l'activité des sectes dans ce domaine. En 2014, un nouvel outil, le logiciel de rédaction des procédures de la Police nationale (LRPPN), alimentera la base de traitement des antécédents judiciaires (Taj), reliée à Cassiopée, base informatique du ministère de la justice, établissant ainsi une chaîne d'information intégrée depuis la commission de l'infraction jusqu'au stade de la sanction. Cet outil alimentera aussi une base statistique et les chiffres seront plus précis : 8 000 infractions seront répertoriées, correspondant à peu près aux codes Natinf du ministère de la justice. Comme les recoupements seront facilités, la police sera plus efficace. Le Taj, qui sera opérationnel en avril 2013, fusionnera le système de traitement des infractions constatées (Stic) de la Police nationale avec des données du système judiciaire de documentation et d'exploitation (Judex), tenues par la Gendarmerie. Ainsi, à la fin du premier semestre, nous disposerons d'un outil performant de statistiques, contenant 55 millions d'éléments.
Quelles sont les structures de lutte mobilisées contre les dérives sectaires ? Les services centraux sont polyvalents, associant expertise et assistance aux services. Au sein de la Police nationale, les Renseignements généraux ont laissé la place en 2008 à la Sdig, pour l'information institutionnelle et les questions de société. Elle est dirigée par M. Hirsoil. Un référent secte a été nommé dans chaque service départemental d'information générale. La Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) reprend par ailleurs des attributions des Renseignements généraux.
D'un point de vue répressif, la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) a mis en place une cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades), qui dépend de l'Office central de la répression des violences faites aux personnes (OCRVP), créé en 2006. En ce qui concerne la sécurité publique, les sûretés des départements sont compétentes. A la Préfecture de police, il s'agit de la brigade de répression de la délinquance contre la personne.
La délégation aux victimes de la DGPN travaille en lien avec 104 associations d'aide aux victimes, notamment l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi) et l'Alerte faux souvenirs induits (Afsi). Nos référents dans les départements aident les victimes à porter plainte.
Un mot sur nos méthodes : notre rôle est de fournir une assistance aux services. Cette assistance prend souvent la forme d'une cosaisine dans les affaires judiciaires, décidée par les parquets ou les magistrats instructeurs.
La création de l'Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) traduit le souci d'intégrer la dimension patrimoniale dans la lutte contre les délinquants. La Gendarmerie a saisi 82 millions d'euros en 2011 et la Police nationale 166 millions, ces chiffres incluant aussi les biens confisqués dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants ou la criminalité.
Enfin, la veille internet est réalisée grâce à des mots-clefs. Une Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) donne également la possibilité aux internautes de signaler des dérives.
M. Christian Hirsoil , sous-directeur de l'information générale . - La direction centrale de la sécurité publique a été chargée, en 2008, du renseignement et de la sécurité publique, dénommée « information générale ». Nous avons repris les fonctions des Renseignements généraux sur les thématiques de société, dont les dérives sectaires font partie. Une section des dérives sectaires a été créée au sein de la sous-direction, dont une des cinq divisions concerne l'information institutionnelle et les questions de société. Elle s'appuie sur les services départementaux d'information générale, compétents sur l'ensemble du département, et non simplement en milieu urbain. Avec 194 implantations, le maillage territorial est important.
Les Renseignements généraux avaient participé à la réalisation d'un panorama sur les sectes dans les années 1990. En 1995, ils avaient fourni une étude identifiant 172 mouvements, à l'occasion du rapport parlementaire de MM. Alain Gest et Jacques Guyard, Les sectes en France , complété, en 1999, par un autre rapport parlementaire, Les sectes et l'argent - une constante sur ce thème. La Sdig a produit en 2009 un panorama des dérives sectaires. Ce document recense et décrit les méthodes des auteurs de dérives sectaires dans le champ de la santé. En 2012, nous avons suivi attentivement le phénomène apocalyptique : 100 notes ont été émises au niveau central, 800 au niveau territorial. Le rôle du niveau central est la synthèse, l'analyse, la détection des menaces de suicides collectifs : par exemple, dans le cas de la secte de Régis Violette, grâce à un rapprochement avec la Caimades et la Miviludes, nous avons, en 24 heures, empêché deux personnes de passer à l'acte et neutralisé Régis Violette au Canada. L'information générale participe de la chaîne du renseignement et s'inscrit dans un cadre administratif. Notre prolongement naturel est la Caimades. Les notes du « terrain » et les synthèses lui sont adressées.
Plus de la moitié de notre travail porte sur la santé. Afin d'aider les services territoriaux, nous avons repris et complété la grille de lecture des Renseignements généraux. Nous suivons les thérapeutes déviants, dont la pratique n'est pas conforme aux prescriptions, les pseudo-praticiens, qui regroupent les escrocs et les personnes animées par le goût de l'emprise mentale et le pouvoir sur les individus - ressorts psychologiques fréquents dans les dérives sectaires. Nous suivons également les thérapies à danger pour des groupes de personnes qui impliquent une perte de repère et du libre arbitre. Dans tous les cas, les auteurs ont recours à des termes très sophistiqués, emploient un vocabulaire scientiste ou pseudo-scientifique, n'hésitant pas à se parer de titres ou de diplômes d'universités inconnues ou utilisant des spécialités médicales détournées ou inexistantes. Le public est celui des personnes en difficulté que notre société moderne fabrique, en recherche de nouveaux buts, de nouvelle spiritualité, de nouvelles approches de santé offrant une perspective globalisante. Ces aspirations détournent ces personnes du bon jugement en matière de santé.
Nous utilisons une autre grille pour cerner les risques de déstabilisation mentale, d'endoctrinement, les exigences financières, les ruptures avec l'environnement familial, les atteintes à l'intégrité physique (drogues, privation de sommeil, régimes alimentaires comme le végétalisme ou le jeûne), l'embrigadement des enfants par la déscolarisation ou la soumission au même régime que les parents. Dans le cas des mouvements collectifs, nous recherchons la diffusion d'un discours anti-social, l'existence de troubles à l'ordre public, comme ceux provoqués par la lutte entre la Scientologie et les Anonymous, la succession de démêlés judiciaires, le détournement des circuits économiques par des escrocs à des fins d'enrichissement, ou encore la tentative d'infiltration des pouvoirs publics. Notre mission en effet consiste à centraliser et analyser toute information destinée au Gouvernement, sous le contrôle des préfets. Nous participons aux groupes de travail spécifiques dans les départements et, pour développer la culture de service, au regroupement des référents sectaires, en lien avec la Miviludes.
Les signalements proviennent des associations de défense des victimes : Adfi, CCMM, Info-sectes... Les signalements directs auprès des services départementaux d'information générale augmentent, particulièrement de la part des familles ou d'amis inquiets. Même si les plaintes d'adeptes sont rares, certains arrivent à se défaire de la pression exercée sur eux. De même, nous entretenons une relation très étroite avec la Miviludes, qui nous transmet nombre d'informations, tandis que l'expertise de son pôle santé nous aide à affiner nos analyses. Sa mémoire des faits et ses spécialistes nous aident dans notre travail de caractérisation des faits. A partir des signalements, nous procédons à des recoupements et des vérifications de terrain. Nous collaborons aussi avec les agences régionales de santé (ARS) ainsi qu'avec les conseils de l'ordre des médecins, informés des cas de patients ayant interrompu leur traitement médical.
En outre, une cellule de veille internet a été créée au sein de la Sdig depuis deux ans et demi, initialement destinée à surveiller les phénomènes de violence. Les dérives sectaires qui mettent en danger l'intégrité physique en font partie. Nous procédons par des mots-clefs qui criblent le flux internet : noms de sectes ou termes scientistes ou pseudo-scientifiques. Cette veille est exploitée quotidiennement et transmise à la section sectes et dérives sectaires de la direction. Lorsqu'une augmentation de flux est détectée, les bureaux des départements concernés sont informés. Les départements les plus touchés sont ceux du Sud, territoires riches et sensibles aux questions de santé. Là encore, nous produisons des notes d'information et alimentons la Caimades.
M. Bernard Petit , contrôleur général, sous-directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée et de la délinquance financière au sein de la direction centrale de la police judiciaire. - Les services sous ma responsabilité sont des unités opérationnelles, d'investigation ou d'enquête, constituées d'offices centraux ou de divisions nationales. Ils exercent une compétence judiciaire nationale, et relèvent souvent de l'interministériel ; ils centralisent et coordonnent les actions menées dans leur champ de compétences et constituent le point de contact en matière de coopération internationale. Le spectre des missions est très large : trafics humains, stupéfiants, faux monnayage, trafics d'armes, cybercrimininalité, etc. Parmi ces services, se trouvent l'Office central de répression contre les violences aux personnes (OCRVP), au sein duquel a été créée la Caimades, dirigé par M. Malon.
Notre action s'inscrit dans un cadre judiciaire et non dans le monde du renseignement. La DCPJ n'a pas vocation à lutter contre les sectes, mais contre les dérives constitutives d'infractions pénales qui leur sont imputables. Outre l'OCRVP et la Caimades, tous les services sont mobilisés sur l'ensemble du territoire : les divisions criminelles ou financières ont vocation à traiter les dossiers transmis par l'autorité judiciaire ou par voie de renseignement judiciarisé. La police judiciaire dispose d'un maillage territorial : neuf directions interrégionales, deux directions régionales, huit services régionaux et trente-cinq antennes ; au total, 5 200 fonctionnaires sont dédiés aux enquêtes judiciaires.
Au niveau des services centraux, un groupe ad hoc, la Caimades, constitué de six enquêteurs spécialisés dans la lutte contre les dérives sectaires, a été créé en septembre 2009 au sein de l'OCRVP pour faire face à l'augmentation du nombre de dossiers et de leur complexité. Cette structure n'a pas d'équivalent. Auparavant, ces sujets étaient traités par la police judiciaire (PJ) dans son ensemble. La Caimades peut diligenter des enquêtes, seule ou en cosaisine avec les services territoriaux de la PJ ou de la gendarmerie. Elle fournit à ces derniers des conseils, notamment sur les dispositions de la loi About-Picard. Elle peut ainsi concevoir des stratégies d'enquêtes ou des canevas d'auditions des victimes. Elle organise aussi des formations, comme à l'ENM ou à l'Ecole des officiers de police, parfois au profit des préfectures. Elle constitue enfin une documentation spécialisée.
Les six enquêteurs spécialisés sont appuyés dans leurs investigations par deux psychocriminologues de l'OCRVP, en particulier pour la prise en charge des adeptes ou les interrogatoires des gourous. La cellule peut recourir à deux outils importants de la DCPJ : d'une part, la Plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière, utile pour établir une différence entre mouvements mafieux intéressés et les simples illuminés, d'autre part, Pharos, intégrée à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, qui reçoit les signalements de faits sur internet susceptibles de recevoir une qualification pénale.
Depuis sa création, la Caimades, avec l'appui de l'ensemble des services de la police judiciaire, a traité une quarantaine de dossiers très divers, qui concernent tantôt deux ou trois personnes, tantôt plusieurs milliers comme dans le cas de la Scientologie : les reclus de Monflanquin, l'Université de la relation, le dossier de l'Ave Maria, l'affaire des Béatitudes ou celle de Lisieux - où une peine d'emprisonnement vient d'être prononcée, qui consacre l'aboutissement d'un dossier et de nombreux efforts déployés. Parmi les vingt dossiers en cours, plus de la moitié ont trait à la santé. Nous constatons une augmentation des cas dans ce domaine et une diversification des mouvements : médecines alternatives, coaching, psychothérapies, néochamanisme, bien-être personnel..., autant de termes à la mode utilisés comme chevaux de Troie par des gourous charismatiques.
Nous ne pouvons intervenir qu'en cas d'infraction pénale : homicide involontaire, provocation au suicide, escroquerie, non-assistance à personne en danger, exercice illégal de la médecine, agression sexuelle, délaissement de mineurs, ou encore l'abus de faiblesse. Fondé sur l'article 223-15-2 du code pénal, l'abus de faiblesse est très difficile à caractériser. Des enquêteurs spécialisés sont nécessaires et la Caimades est souvent sollicitée. La rupture des liens familiaux, les changements de comportement, les dons suspects au profit de la collectivité, les faux souvenirs individuels constituent des indices, mais, dans tous les cas, un acte préjudiciable à l'adepte doit être commis pour constituer l'infraction. Or, dans les cas d'emprise mentale, il n'y a pas toujours de dommage matériel pour l'adepte, d'où l'importance des psychologues et des psychiatres. Il arrive souvent que plusieurs infractions puissent être retenues.
En cas d'exercice illégal de la médecine, les avis du conseil de l'Ordre des médecins, pas toujours assez tranchés, sont peu utilisables par les enquêteurs. Autre difficulté, les adeptes ne s'identifient pas toujours à des victimes et peuvent protéger leur gourou. Ainsi, la Caimades a acquis désormais une grande expérience, et son travail est reconnu. La validation par les juges des enquêtes menées reste évidemment attendue avec impatience.
M. Frédéric Malon , commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression des violences faites aux personnes. - Je reviens sur l'abus de faiblesse, réprimé par l'article 223-15-2 du code pénal, qui est particulièrement difficile à caractériser, notamment dans les cas d'emprise mentale, que seuls des enquêteurs spécialisés et des psychologues sont capables de détecter. La Caimades bénéficie, à cet égard, du concours de deux psychocriminologues, ou d'experts désignés par les magistrats. Nous nous fondons également sur les critères définis par le Pr Parquet.
Les délais de prescription constituent une difficulté. Souvent, les anciens adeptes, qui portent plainte, ne font ce choix qu'après une période de reconstruction, et le délai de prescription, de trois ans en matière délictuelle à partir du dernier acte gravement préjudiciable, est alors épuisé. S'il commençait à la sortie de la secte, nous serions plus efficaces.
Une deuxième difficulté concerne la politique des parquets en matière de recevabilité des plaintes déposées par les familles des victimes : certains tribunaux de grande instance les admettent, d'autres non.
Une troisième difficulté est relative aux expertises psychologiques : on ne peut pas forcer quelqu'un à s'y soumettre, et il peut arriver qu'un adepte le refuse.
L'article 223-15-2 du code pénal date d'une douzaine d'années : il est encore jeune. Son volet de droit commun, sur le délit d'abus de faiblesse, est assez classique, mais sur celui qui est plus spécifique aux dérives sectaires et porte sur la manipulation mentale, il y a très peu de jurisprudence pour nous éclairer sur la marche à suivre et pour confirmer si les stratégies d'enquête que nous mettons en oeuvre sont les bonnes.
La décision rendue aujourd'hui à Lisieux nous conforte dans nos méthodes. Cette affaire est l'une des premières affaires traitées par la Caimades. La gourelle a été condamnée à quatre ans fermes d'emprisonnement. Des méthodes novatrices avaient été employées pour l'enquête : les lignes téléphoniques de la gourelle avaient été placées sur écoute, puis les enregistrements soumis à un expert psychiatre, ce qui avait donné au juge des éléments caractérisant l'emprise mentale.
La question de la responsabilité pénale des lieutenants du gourou est complexe : parfois eux-mêmes auteurs, co-auteurs ou complices des actes commis par celui-ci, ils l'aident à parvenir à ses fins, que celles-ci soient financières ou sexuelles, et sont à ce titre coupables ; ils peuvent être aussi considérés comme des victimes, dans la mesure où ils sont sous l'emprise du gourou. Il revient aux magistrats de trancher : à Lisieux, le principal lieutenant a été considéré davantage comme une victime.
M. Yannick Vaugrenard . - Votre exposé, très dense, recoupe plusieurs des informations que nous avions déjà recueillies. La condamnation à quatre ans d'emprisonnement encouragera ceux qui enquêtent dans ce domaine, en montrant que notre démocratie n'est pas si faible face à ces dérives, malgré la réelle difficulté d'apporter des preuves. Elle doit être exemplaire.
Le panorama des dérives sectaires produit par la Sdig m'intéresserait, même s'il date de 2009. Quelles sont les difficultés principales que vous rencontrez dans l'exercice de votre travail ? Sont-elles liées à des insuffisances de la loi ? Cela nous intéresserait d'en savoir plus.
Souvent, des enfants sont en cause dans ce type d'affaires, et l'on observe même parfois des phénomènes de déscolarisation. Pensez-vous que l'action des pouvoir publics en la matière est suffisante ? L'Education nationale intervient-elle assez pour surveiller ce risque ? Pouvons-nous accroître la vigilance ?
La concertation avec la Miviludes est primordiale, comme l'est le rapprochement avec le conseil de l'Ordre des médecins et avec les ARS. Pouvez-vous être plus précis sur votre travail avec celles-ci ? Les précédentes auditions n'ont qu'insuffisamment éclairé ce point.
Des pseudo-praticiens, des thérapeutes déviants ou de véritables gourous ont littéralement pignon sur rue, passent des annonces sur internet, apposent des plaques visibles dans le domaine public, diffusent fréquemment des publicités mensongères dans des quotidiens régionaux, voire nationaux. Ne peut-on pas les poursuivre sur la base du flagrant délit ?
Mme Muguette Dini , présidente . - Une formation sur ce thème est dispensée aux forces de police, de gendarmerie, et aux magistrats. Quel pourrait être votre rôle pour former les enseignants à détecter les influences sectaires sur les enfants ? Les enseignants sont en effet très démunis. Les cas de maltraitance sont déjà difficiles à repérer. Avez-vous des contacts avec l'Education nationale sur ce sujet ?
M. Patrick Hefner . - Les victimes sont souvent signalées auprès des ARS. Pour la déscolarisation, ce sont les assistantes sociales qui suivent ce type de phénomène.
M. Christian Hirsoil . - Notre mission consistant à recueillir de l'information, nous nous efforçons de développer nos réseaux de contact et notre carnet d'adresses. Les ARS centralisent les problématiques dont nous parlons : de plus en plus, elles sont destinataires de signalements, provenant des victimes ou encore de professionnels, comme des assistantes sociales, des médecins, ou encore du personnel hospitalier. Notre objectif est de nous rapprocher d'elles, de nous faire connaître par elles aussi.
Nous servons aussi d'intermédiaires entre la Miviludes et les ARS. Lorsqu'on nous signale un fait, nous demandons à l'ARS si elle a reçu des informations concordantes. Les ARS peuvent nous éclairer sur certaines pratiques : par exemple, il y a des titres qui ne peuvent plus être utilisés par les gourous depuis deux ans. Nos services territoriaux trouvent auprès des ARS un appui juridique dans la caractérisation de ce type de faits. Reste que les gourous débordant d'imagination, leur rhétorique s'adapte...
En ce qui concerne la déscolarisation, quand nous soupçonnons une situation de dérive sectaire, nous déterminons très rapidement l'environnement familial. Nous nous rapprochons de la famille, ce qui n'est pas toujours évident, car il s'agit de la vie privée, et parfois de sujets tabous. Nous explorons aussi l'environnement plus large : quartier, école, collège, centre communal d'action sociale. Cela alerte en général et mobilise les différents services. Bref, quand nous nous intéressons à l'environnement, nous le faisons de manière complète. Ce sont souvent les assistantes sociales et les enseignants, les infirmières scolaires aussi - notre baromètre ! -, qui sont les premiers à réagir quand un enfant est en situation de détresse : des absences régulières, des troubles de la concentration, de la somnolence diurne, sont autant de signaux d'alerte. Cependant, la déscolarisation n'est pour nous qu'un indicateur parmi d'autres.
M. Bernard Petit . - La loi About-Picard est d'application assez récente, les premières condamnations commencent à tomber. Prenons le temps de l'évaluer, attendons que les recours en cassation aient abouti.
Sur la nécessité de modifier la prescription nous sommes tous d'accord, mais cela pose de nombreux problèmes juridiques : il ne faut pas tendre vers la rétroactivité.
Un point me paraît fondamental : c'est que les plaintes soient reçues. Etant donné l'ampleur des enjeux humains dans ce type d'affaire, il faut absolument uniformiser les politiques des parquets en la matière, pour qu'une enquête puisse systématiquement avoir lieu.
Mme Muguette Dini , présidente . - Vous qui êtes spécialiste des violences faites aux personnes, vous savez que ce n'est pas le seul domaine où les plaintes ne sont pas toujours volontiers enregistrées : c'est aussi le cas en matière de violence conjugale, et je donne toujours pour conseil aux victimes de rester au commissariat jusqu'à ce que la plainte soit prise.
M. Bernard Petit . - Nous devons surmonter ces difficultés.
En ce qui concerne la formation, je ne suis pas sûr que ce soit le rôle des policiers que d'aller former les personnels de l'Education nationale... Notre démarche est très judiciaire et relève de l'administration de la preuve, alors que ce qu'on attendrait de l'Education nationale serait plutôt de la détection et de la prévention.
Mme Muguette Dini , présidente . - C'est bien de détection que je parlais.
M. Bernard Petit . - Nous pouvons contribuer à des actions de formation, mais parmi d'autres intervenants.
En ce qui concerne les marabouts et autres gourous qui font des publicités mensongères ; nous les attaquons plutôt sous l'angle de l'escroquerie. Cette infraction est assez complexe, puisqu'il faut démontrer l'intention morale, mais ce type d'infraction peut être traité par des services généralistes. Il ne faut pas laisser prospérer ce type de personnages, car ils peuvent ensuite passer à un stade supérieur.
M. Patrick Hefner . - La difficulté, c'est souvent le recueil de la plainte, surtout quand les faits sont voilés d'un aspect culturel : par exemple, dans les phénomènes vaudous, l'exorciseur et sa victime partagent la même approche, au point que celle-ci ne se reconnaît pas comme victime.
Mme Muguette Dini , présidente . - Merci pour ces éclairages passionnants.