Audition de M. Cédric ARCOS, directeur de cabinet du délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), Mmes Florence LEDUC, directrice de la formation et de la vie associative de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap) et Dominique Chantal DOREL, directrice des relations avec les usagers de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) (mardi 15 janvier 2013)
M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui les représentants des trois fédérations hospitalières :
- la Fédération hospitalière de France (FHF), représentée par M. Cédric Arcos, directeur de cabinet du délégué général ;
- la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap), représentée par Mme Florence Leduc, directrice de la formation et de la vie associative ;
- la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), représentée par Mme Dominique-Chantal Dorel, directrice des relations avec les usagers.
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.
J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.
Je rappelle à l'attention des représentants des fédérations hospitalières que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Monsieur Cédric Arcos, mesdames Florence Leduc et Dominique-Chantal Dorel, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.
M. Alain Milon , président. - Je propose que chacun présente un rapide propos introductif des sujets qui intéressent la commission d'enquête ; puis M. Mézard, rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser des questions.
M. Cédric Arcos, directeur de cabinet du délégué général de la FHF - Merci de l'invitation que cette commission d'enquête a adressée aux fédérations pour s'exprimer sur ce sujet très important et très délicat qui concerne tous les hospitaliers de par les valeurs, les enjeux et les processus qui sont en jeu.
La FHF partage le constat, établi en son temps par la Miviludes, selon lequel le secteur de la santé est particulièrement propice à l'influence des mouvements à caractère sectaire et de leurs dérives. L'hôpital est en effet exposé, de par sa nature, à ces dérives du fait de la vulnérabilité même des personnes qu'il accueille.
Permettez-moi de replacer ce mouvement dans un contexte plus global, celui de l'hôpital dans la cité... Ce mouvement concerne l'hôpital en tant qu'acteur du soin au sein de la cité. Il me paraît important de constater que ces influences sectaires s'inscrivent dans une période où l'on déplore une certaine perte de repères à laquelle l'hôpital, comme les autres acteurs, est lui aussi confronté.
Il s'agit là d'une déstabilisation du savoir médical, d'une perte de la légitimité des professionnels de santé, médicaux ou soignants, les évolutions technologiques venant ajouter de l'incertitude dans les modes de prise en charge, qui rendent plus difficilement accessibles au raisonnement non scientifique les thérapeutiques en cause. Ceci vient perturber l'individu qui a besoin de stabilité et de réponses.
On constate également une certaine perte de repères chez les patients ; celle-ci ne tire pas à mon sens son origine de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, qui visait à faire de l'individu une personne plus autonome et un acteur de son parcours de soins.
Pour la FHF, la conjonction de ces différents phénomènes de remise en question des légitimités traditionnelles et de l'affaiblissement du religieux vient bousculer les repères traditionnels. Ce trouble s'applique à l'hôpital, où les malades vont parfois chercher les réponses auprès de mouvements dont le but est de les rassurer et de réduire les incertitudes qu'ils peuvent rencontrer dans leur parcours de soins.
Les réponses qu'il faudrait apporter sont certes propres au milieu hospitalier mais vont au-delà ; ils concernent globalement l'hôpital dans son environnement.
Paradoxalement, l'hôpital, face à ces dérives, est presque mieux protégé que les autres institutions. La vulnérabilité des personnes face aux influences sectaires se situe davantage en dehors de l'hôpital.
Des millions de personnes font aujourd'hui face à une maladie très invalidante ou perturbante, avec des issues parfois dramatiques. L'influence des mouvements sectaires peut prendre tout son sens lorsque ces patients, fragilisés, font l'objet de sollicitations en dehors du cadre hospitalier et qu'on leur propose des médecines alternatives ou d'autres réponses...
Selon moi, l'une des solutions réside dans le maillage et l'accompagnement du patient tout au long de son parcours de soins, afin que celui-ci ne soit plus isolé. Ceci nous renvoie au rôle de la coopération entre les différents acteurs de soins, en aval de l'hôpital - médecine de ville, libéraux - mais également aux nouveaux métiers de référents de parcours, destinés à apporter des réponses professionnelles et à réduire les incertitudes.
L'hôpital a pris conscience de la nécessité de se mobiliser afin de se protéger de l'influence des mouvements sectaires. On constate une prise de conscience des établissements hospitaliers publics - même s'il existe une certaine difficulté à en parler - en particulier à travers les actions de formation des personnels. Nous conservons d'ailleurs des liens très forts avec l'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), qui a mis en place une série de procédures destinées à se protéger de l'intervention d'organismes à caractère sectaire qui chercheraient à pénétrer ces milieux par le biais de la formation. De plus en plus d'établissements mettent de telles procédures en place.
La mission que vous conduisez a toute son importance car c'est en parlant de ces sujets et en apportant des réponses aux professionnels que ces mouvements seront le mieux identifiés. Les professionnels hospitaliers, en particulier publics - mais je ne doute pas que ce soit la même chose pour les autres établissements - sont particulièrement sensibilisés en la matière et ont mis en place des réflexes pertinents, au plus près du terrain, seule voie pour bien prendre en compte ces phénomènes.
Mme Florence Leduc, directrice de la formation et de la vie associative de la Fehap. - Je voudrais tout d'abord dire que l'institution que je représente aujourd'hui compte 3 700 établissements et services qui ont pour une part une origine congréganiste et pour une autre part une origine laïque. Pour autant, le mouvement respecte la neutralité, la laïcité et les opinions philosophiques, dans le droit fil des valeurs de la République, qu'il est important de rappeler.
Quand la Fehap m'a proposé de la représenter dans le cadre de cette audition, j'ai commencé par en parler avec ses adhérents. C'est un sujet que je connais bien, du fait de mes fonctions antérieures dans les organisations d'aide, de soins et d'accompagnement à domicile, où j'ai déjà été confrontée aux questions de dérive sectaire.
Le premier constat est le même que celui que vous venez de tirer et j'ai pu glaner un certain nombre d'histoires marquantes pour l'institution : on ne soupçonne pas que telle ou telle personne, si empathique, si proche, puisse appartenir à une secte. Or, aujourd'hui, plus les personnes sont fragiles et isolées, plus elles sont vulnérables.
Deux sujets apparaissent particulièrement difficiles pour les établissements. En premier lieu, les équipes soignantes ou les services d'accompagnement ont souvent affaire à des personnes qui refusent certains soins ou qui n'acceptent pas que leurs enfants aient accès à ces soins. Ceci place les équipes face à un cas de conscience : la règle veut en effet que nos institutions respectent les croyances de chacun, mais ceci va à l'encontre de leur mission. Seul point positif, de tels dilemmes peuvent toutefois être discutés dans le cadre des groupes de réflexion sur les questions éthiques...
En second lieu, certains personnels appartenant à des sectes peuvent infiltrer les établissements de soins. L'absence de rencontre initiale avec les autorités compétentes, lors des procédures d'appel à projets, rend ces dernières moins vigilantes.
La question de la formation pose également problème. Aujourd'hui, n'importe quelle structure peut se prévaloir du titre d'organisme de formation. Il n'existe en effet aucun contrôle préalable de l'organisation ou du contenu de ces formations et certains organismes offrent parfois des programmes de formation alléchants, par exemple sur la question de la fin de vie ou du cancer...
On m'a également rapporté l'histoire d'un membre d'une organisation d'hospitalisation à domicile faisant preuve de beaucoup d'empathie envers les patients. Cette personne, avec d'autres, s'occupait de patients en dehors de ses heures de travail, leur prodiguant des lavages de pieds et procédant à des incantations. On manque de moyens pour se séparer d'un tel élément en recourant aux voies légales du licenciement, les faits reprochés se situant en dehors du temps de travail, même si le salarié appartient à une organisation sectaire et fait rentrer chez les patients des personnes extérieures au service.
Les soins à domicile sont également d'une grande complexité. Les contrôles sont plus difficiles à exercer qu'à l'hôpital. Le fait que plusieurs personnes d'une même équipe se rendent alternativement au domicile du malade, s'il ne convient pas toujours aux familles, permet d'exercer une plus grande vigilance. Sans doute y a-t-il des périodes plus ou moins propices pour le rappeler, mais il ne faut pas manquer de le faire régulièrement.
Enfin, je veux évoquer en dernier lieu la vulnérabilité des qualifications professionnelles les moins élevées dans la hiérarchie, voire des personnels à temps partiel, qui constituent parfois des catégories fragiles et peuvent, plus facilement que d'autres, être la proie de mouvements sectaires.
Mme Dominique-Chantal Dorel, directrice des relations avec les usagers de la FHP. - Je suis d'accord avec le constat selon lequel il existe une certaine perte de repères qui peut servir de terreau aux mouvements à caractère sectaire.
L'idée d'introduire dans le parcours de soins un coordinateur pourrait favoriser le suivi des patients entre l'établissement hospitalier, l'amont et l'aval.
Quant à la formation, certains moyens ne sont pas toujours utilisés. On pourrait imaginer que les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) activent une sorte de filtre permettant de prendre ou de ne pas prendre en charge ces formations.
Par ailleurs, si l'on parle beaucoup des mouvements sectaires, on manque d'éléments statistiques les concernant...
Il y a une quinzaine d'années, nous connaissions un certain nombre de problèmes avec les témoins de Jéhovah, qui refusent la transfusion sanguine. Grâce à l'arrêt du Conseil d'Etat à ce sujet, l'information selon laquelle le médecin doit délivrer des soins indispensables est bien passée auprès des professionnels de santé et aucune difficulté de cet ordre ne nous est remontée.
Concernant les professionnels de santé membres d'une secte, tous peuvent être concernés quelles que soient leurs fonctions et leur niveau.
Quant aux victimes de sectes qui sont prises en charge par un établissement hospitalier, je veux mettre en avant le fait que les professionnels hésitent beaucoup à effectuer des signalements. Tout comme pour les enfants victimes de sévices, il existe une chape de plomb concernant ce genre de phénomène...
Par ailleurs, il y a eu des actions de sectes à l'égard des patients. Un mouvement, très actif à une certaine époque a conduit des actions très hostiles à la pratique de la sismothérapie dans les cliniques psychiatriques. Mes prédécesseurs n'en ayant pas parlé, je voulais le dire ici. Je pense que ce phénomène a également existé dans les établissements hospitaliers publics...
Je crois enfin que les professionnels de santé ne connaissent pas suffisamment les travaux de la Miviludes. Je propose donc que nous utilisions nos propres canaux pour pouvoir leur faire mieux connaître les outils qui sont à leur disposition.
M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vos différents exposés nous confirment l'existence des problèmes que vous avez évoqués dans les établissements publics et privés.
Quel type de pratiques alternatives constatez-vous dans vos établissements ? Quelles sont les évolutions par rapport à celles-ci, certaines pouvant ne poser aucun problème mais d'autres ayant au moins en partie des connotations à caractère sectaire ?
Mme Dominique-Chantal Dorel. - Il me paraît difficile de répondre dans la mesure où nous avons des connaissances parcellaires du phénomène des dérives sectaires.
Par ailleurs, certains types d'accouchement sont reconnus par l'académie alors que d'autres ne le sont pas. Où se situe la frontière ? Pourquoi en qualifier certains de sectaires ? C'est là ma difficulté...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce n'est pas exactement ma question ! Quelles sont les pratiques alternatives que vous voyez poindre dans vos établissements, en relation directe ou indirecte avec ce que l'on peut considérer comme des pratiques sectaires ?
Nous nous rendons compte, chaque semaine, que l'accueil et l'écoute sont des questions extrêmement importantes. Manifestement, nombre de nos concitoyens ne trouvent pas forcément ce qu'ils espèrent de ce point de vue dans vos établissements, favorisant le recours à des pratiques alternatives plus ou moins dangereuses. Quelle évolution constatez-vous dans ce domaine ?
On sait qu'un certain nombre de mouvements à caractère sectaire concentrent leurs efforts sur la formation, qui est d'un grand intérêt pour la diffusion de leurs techniques en même temps que d'un certain intérêt financier. Or, ces pratiques sont difficiles à déceler...
Mme Florence Leduc. - Je n'ai aucun relevé de pratiques qui pourraient nous inquiéter au sein de la Fehap. Je ne puis donc vous indiquer des lieux où celles-ci s'exerceraient. Toutefois, bon nombre d'établissements de santé du secteur privé non lucratif disposent d'un centre de formation initiale destiné aux infirmières, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, etc.
Le fait de travailler en réseau sur les contenus et l'inventaire des différentes méthodes permet de repérer ce qui pourrait poser question mais je n'ai pas de remontées, les systèmes actuellement en oeuvre ne le permettant pas.
M. Cédric Arcos. - La demande de médecine alternative émanant des patients eux-mêmes renvoie à la perte de repères que j'évoquais précédemment. Si la médecine semble aujourd'hui toute puissante, elle n'arrive paradoxalement pas à répondre aux difficultés des patients et laisse ainsi la porte ouverte aux mouvements sectaires. Le patient, qui désire être acteur de sa propre prise en charge, a tendance à chercher des réponses ailleurs et peut notamment en trouver dans ces médecines alternatives.
En ce qui concerne la FHF, il faut bien différencier les médecines alternatives et complémentaires. Les établissements de santé ne peuvent en aucun cas accepter les médecines alternatives qui viennent se substituer aux médecines traditionnelles. En revanche, elles peuvent s'intégrer dans une prise en charge conventionnelle, dès lors que les traitements complémentaires ont une efficacité clinique démontrée et constituent un plus pour le patient.
L'un de nos établissements adhérents a accepté une des demandes d'un des professionnels de santé exerçant en son sein, un masseur-kinésithérapeute qui souhaitait développer l'aromathérapie. Un échange a eu lieu dans l'établissement, ce qui semble plutôt sain ; la recherche préalable qui a été conduite a démontré l'intérêt de cette pratique et un débat a eu lieu en commission médicale d'établissement (CME).
Il peut également y avoir des recommandations de bonnes pratiques des sociétés savantes. Dès lors qu'il n'en existe pas, il me semble hasardeux d'accepter l'introduction des pratiques en cause. En tout état de cause, un débat en CME doit avoir lieu avant toute introduction de médecine complémentaire.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous considérez donc que l'entrée de pratiques complémentaires dans les établissements hospitaliers relève de la stricte compétence de la CME et non du ministère de la santé...
Au sein d'une CME, un professionnel qui se serait laissé entraîné dans un processus de dérive sectaire peut convaincre ses collègues de prendre le risque d'intégrer des techniques non classiques et entraîner l'hôpital à d'en assumer les coûts... Le financement de ces pratiques par les hôpitaux, en lieu et place des pratiques de la médecine conventionnelle, ne pose-t-il pas problème ?
M. Cédric Arcos. - Bien entendu, cela pose une difficulté. C'est pourquoi il faut réunir les trois conditions que j'ai énumérées : travaux préalables, recommandations de bonnes pratiques des sociétés savantes et débat collégial au sein de la CME.
Ce n'est pas à l'assurance maladie de prendre en charge ces techniques ; ces phénomènes sont heureusement marginaux et relèvent plus de l'initiative d'un individu ou d'une équipe qui souhaite faire plus, en restant encadré. Ce sont en tout état de cause des sujets fort délicats.
Mme Florence Leduc. - Il me semble que les choses ont beaucoup changé ces dernières années : on recourt en effet aujourd'hui à des référentiels de bonnes pratiques et à des conférences de consensus. Toutes les pratiques professionnelles sont l'objet des consultations les plus larges possibles. Nous disposons aujourd'hui d'un arsenal qui n'existait pas il y a une dizaine d'années, les établissements pouvant à présent s'appuyer sur des recommandations. Cet outillage est relativement précieux.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous des remontées d'informations émanant des établissements à propos du combat mené par une organisation comme la Scientologie contre la psychiatrie ?
Mme Florence Leduc. - Non, pas en en ce qui me concerne...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - On en reçoit pourtant même en dehors des hôpitaux...
Mme Dominique-Chantal Dorel. - Quelques cliniques psychiatriques ont effectivement connu de tels mouvements à l'extérieur de leurs murs...
M. Cédric Arcos. - Des difficultés nous sont remontées à propos d'un certain nombre d'organismes, face auxquels les directions d'établissements se retrouvent seules. Des organisations demandent à avoir accès au registre de visites des services de psychiatrie qui répertorient les visites des services de l'Etat, etc. Les directions d'hôpitaux s'y opposant systématiquement, les organisations présentent un recours auprès de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), qui leur donne raison, ce qui crée un certain nombre de difficultés et d'incompréhensions de la part des directeurs d'hôpitaux. Il y a sans toute là un point à revoir, qu'a d'ailleurs identifié la Miviludes.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quel est leur nom ?
M. Cédric Arcos. - Le nom qui revient le plus souvent est celui de la Commission des citoyens pour les droits de l'homme.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Savez-vous ce qu'ils font de ces registres ?
M. Cédric Arcos. - Pas directement...
Mme Catherine Génisson . - La perte de repères est un sujet important et je demeure pour ma part assez perplexe quant au débat autour de la prescription des pilules de troisième génération, qui me semble prendre une amplitude assez extraordinaire...
L'environnement est donc un facteur très important que nous devons prendre en compte dans nos travaux. Vous avez également abordé le sujet de la formation et parlé du parcours de soins ; plus un patient est vulnérable, plus l'éducation à la santé doit pouvoir donner certaines clés. Cela relève de la responsabilité publique et c'est une voie que l'on pourra emprunter.
Vous avez par ailleurs évoqué le sujet des médecines complémentaires et décrivez les procédures qui vous semblent les plus adaptées. Ne faut-il pas très plus coercitif sur ce sujet ? Nous avons auditionné des responsables administratifs et des professionnels de santé - en particulier dans le domaine de la cancérologie - chez qui nous avons senti une mansuétude extraordinaire par rapport à des propositions qui peuvent paraître surprenantes quant à leur efficacité, alors même que l'on peut comprendre l'importance des médecines et des soins complémentaires. Peut-être convient-il de mettre en place des procédures mieux identifiées faisant intervenir le ministère de la santé ou au moins de définir une méthodologie, si ce n'est une labellisation de ces médecines...
Enfin, Mme Dorel a soulevé le sujet des frontières entre pratiques acceptables et pratiques pouvant conduire à des dérives sectaires. On pourrait presque parler aujourd'hui de « médecine durable » tant il est vrai que l'on institutionnalise certaines méthodes de prise en charge. Vous avez cité l'exemple de la gynéco-obstétrique et des techniques d'accouchement, particulièrement significatif, qui est aujourd'hui officialisé et pour lequel on se pose la question des limites. Ceci nécessiterait sans doute en amont des travaux scientifiques associant usagers et citoyens, afin de créer des cadres plus rigoureux que ceux qui existent actuellement. Or, on constate parfois un extrême encadrement sans pour autant que certaines choses n'interpellent les citoyens, les scientifiques ou les milieux médicaux. Ce sont là, selon moi, des portes d'entrée idéales pour tous les mouvements sectaires, qui n'attendent que cela !
M. Alain Néri . - La pratique des mouvements sectaires repose avant tout sur l'abus de faiblesse ; or, lorsqu'on est malade, on est forcément en état de faiblesse. Les conditions sont donc réunies pour leur permettre d'intervenir...
Vous affirmez par ailleurs que l'on peut accepter la médecine complémentaire mais est-il aisé d'établir une limite entre médecine complémentaire et alternative ? Il doit être difficile de trouver la frontière entre les deux. C'est ainsi qu'on laisse la porte ouverte aux activités que nous condamnons... Dans quelle mesure serait-il possible d'établir des barrières plus fortes afin d'éviter des dérives ? Cela passe-t-il par le réglementaire ou le législatif ?
Je me pose également des questions sur le rôle et les moyens d'intervention des commissions médicales d'établissement.
Comment le praticien, qui a prêté le serment d'Hippocrate, peut-il intervenir ?
Enfin, dans quelle mesure un groupe peut-il avoir accès à ma personne si je ne le souhaite pas ? Comment le fait qu'il ait accès à une liste peut-il lui donner le droit de venir me solliciter pour me « prendre en charge » ?
Mme Catherine Génisson . - On peut avoir une association clairement identifiée mais infiltrée : on en a eu l'exemple avec une association qui gère l'hospitalisation à domicile.
M. Alain Milon , président. - Il s'agit de la mise en place par une maison départementale des personnes handicapées (NDPH), pour une patiente sortie de l'hôpital, d'un système de soins sectaires. C'est peut-être un cas extrême mais il pose question...
Nous nous posons tous la même question : quelle est la limite entre la médecine complémentaire et la médecine alternative ? Une médecine alternative ne peut-elle devenir, lorsqu'elle a prouvé son efficacité, une médecine complémentaire ?
Même si les observations qui ont été faites sont intéressantes, vous n'avez pas véritablement répondu à la question du rapporteur. Nous savons, pour avoir auditionné des hôpitaux publics, qu'il existe des médecines alternatives mises en place à la demande de médecins ou même de directions. Je sais que les hôpitaux en question sont adhérents de la FHF, dont je fais partie. Pourquoi certains types de médecines qui ne sont pas complémentaires arrivent-elles à entrer à l'hôpital ? Dans le privé, le problème est peut-être différent et plus difficile à cerner... Je pense à la fasciathérapie, à l'aromathérapie, à certaines techniques chinoises ou massages que l'on retrouve au sein de l'hôpital et même à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Comment peut-on le tolérer et ne pas dire que cela existe ?
M. Jacques Mézard , rapporteur. - La CME de l'AP-HP ne semble pas partager la position de la direction à ce sujet - c'est un euphémisme. Quel est votre sentiment à cet égard ? Vous nous avez dit qu'il fallait que la CME soit d'accord. Ce n'est pas le cas ! Vous connaissez forcément cette situation...
M. Cédric Arcos. - Je n'ai pas d'avis particulier, ne connaissant par suffisamment le dossier. La position que j'exprime est celle de la fédération. Pourquoi est-ce si difficile d'en parler ? C'est là toute la question !
Pourquoi ces techniques arrivent-elles à s'importer ? Les professionnels de santé, médicaux ou non, se trouvent parfois assez seuls et en manque d'informations. C'est en cela que votre travail est intéressant. Les autorités ont, quant à elles, pour responsabilité de ne pas laisser faire n'importe quoi. La pire des réponses est d'accorder une trop grande place au jugement individuel ou personnel. Il existe parfois une volonté de mal faire mais on rencontre surtout beaucoup d'ignorance dans ces pratiques. On ne voit pas le mal partout et c'est bien là toute la perversité du phénomène !
Nous plaidons pour essayer de lutter au maximum contre l'isolement et la décision individuelle. C'est pourquoi les conditions cumulatives que j'ai évoquées doivent être réunies...
Comment, au sein d'une équipe, repérer une personne infiltrée ? La solution réside dans le travail d'équipe, qui permet de ne pas laisser un professionnel seul. La Miviludes et l'Institut national du cancer (INCa) ont développé un système d'information destiné à repérer les situations problématiques et éviter les dérives individuelles. Le ministère de la santé a, par ailleurs, une responsabilité fondamentale pour aider les directions d'établissement et les communautés médicales sur ce sujet.
Mme Florence Leduc. - Nous n'avons pas forcément de réponse à ces interrogations, notamment s'agissant de la question des frontières. Ainsi, la relaxation est une bonne chose quand elle permet de lutter contre la douleur mais peut être aussi l'objet de certaines dérives. La frontière entre les deux est difficile à établir...
Il peut par ailleurs y avoir différents modes de contrôle. C'est pourquoi nous incitons les conseils d'administration à la transparence. Vérifier l'engagement des hommes et des femmes qui portent ces organisations me semble important.
Nous conseillons également aux directrices et aux directeurs généraux de se mêler des pratiques professionnelles. Nous avons organisé, en fin d'année dernière, un colloque sur le gouvernement des pratiques professionnelles afin d'étudier la façon dont ce travail peut être porteur pour les valeurs de l'organisation, pour le projet qu'elle porte et pour la manière dont les malades sont pris en compte.
Le soin ne vaut évidemment pas sans accompagnement mais les pratiques professionnelles ne sauraient appartenir qu'aux seuls praticiens. Nous essayons d'apporter à ce sujet une certaine cohérence et de replacer la notion des pratiques professionnelles au goût du jour, au-delà des dérives sectaires.
Mme Catherine Génisson . - Sur quels critères vous appuyez-vous pour apprécier le bien-fondé des propositions professionnelles ? Ne faut-il pas avoir également une approche argumentée et scientifique ?
Mme Florence Leduc. - La première question est celle du projet ; elle implique également de se préoccuper de la façon dont les personnes sont prises en charge.
En second lieu, les conférences de consensus et les recommandations de bonnes pratiques professionnelles constituent un outil sur lequel on peut porter un regard.
Mme Dominique-Chantal Dorel. - L'idée de s'appuyer sur les travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) est bonne. Malheureusement, ceux-ci sont très parcellaires et généralement très techniques. Or, les médecines complémentaires me semblent se situer dans une sorte de médecine mal définie, « molle » en termes même de contenu - même si l'on peut espérer s'appuyer un jour sur les conférences de consensus.
M. Yannick Vaugrenard . - Ne pensez-vous pas que des décisions plus centralisées s'imposant à tous seraient plus utiles que des appréciations à géométrie variable, en fonction des hôpitaux, des fédérations, voire en fonction des régions où se prennent les décisions ?
Par ailleurs, les informations relatives aux risques de dérives sectaires et à la Miviludes s'adressent-elles aux patients comme au personnel médical ?
Mme Florence Leduc. - Chaque unité de la Fehap est une entité juridique autonome. Aucune décision s'imposant à l'ensemble des personnes n'est donc possible.
En second lieu, notre organisation participe comme les autres à des fonds d'assurance formation. Nous avons commencé à travailler sur les dérives sectaires par ce biais. A l'issue de groupes de réflexion sur les questions éthiques mis en oeuvre par l'OPCA, que nous gérons paritairement, des informations sont envoyées périodiquement à nos adhérents, par le biais d'une « newsletter ».
Par ailleurs, le conseil d'administration et le directeur général de la Fehap ont souhaité mettre en place une réflexion sur les questions éthiques, en commun avec une université et l'AP-HP, afin d'informer régulièrement les adhérents sur ces sujets.
M. Alain Milon , président. - Pour en revenir aux sociétés savantes, il en existe une, relative aux naturopathes, et même un Ordre des biomagnétiseurs. Faut-il s'y fier pour établir un règlement quelconque ? On ne sait d'ailleurs pas non plus très bien ce que sont les sociétés savantes... S'il faut les définir, on n'en a pas fini !