II. DE NOUVEAUX TERRAINS DE JEU ?

Prenant acte des nouvelles compétences de l'Union européenne en matière de sport, la Commission a présenté en janvier 2011 une communication intitulée Développer la dimension européenne du sport . Aux termes d'une résolution adoptée le 20 mai 2011, les ministres des sports ont invité la Commission et les États membres à oeuvrer ensemble sur un plan de l'Union européenne en faveur du sport pour 2011-2014 . Trois axes de travail ont été définis :

- L'intégrité du sport, la lutte contre le dopage et les matchs truqués et la promotion de la bonne gouvernance ;

- Les valeurs sociales véhiculées par le sport, en particulier la santé, l'inclusion sociale, l'éducation et le bénévolat ;

- Les aspects économiques du sport et notamment le financement durable du sport pour tous.

Six groupes d'experts ont été mis en place dans les domaines suivants :

• Santé, sport et participation ;

• Dopage ;

• Bonne gouvernance ;

• Financement durable du sport ;

• Éducation et formation professionnelle dans le sport ;

• Statistiques sportives.

Une première évaluation de leurs travaux sera effectuée fin 2013.

Le Parlement européen a adopté, de son côté, le 10 novembre 2011, un projet de résolution sur la dimension européenne du sport . Le document souligne l'urgence d'une protection de toutes les compétitions sportives face à la violence et au dopage. La commission de la culture et de l'éducation préconise à cet effet une base de données européenne des interdits de stades en vue d'échanger des informations sur les supporters violents.

Les députés européens sont également favorables à l'élaboration de mesures qui facilitent l'accès des athlètes à des études supérieures spécifiques. Ils insistent dans le même temps sur la valorisation de l'expérience pratique des athlètes afin qu'ils puissent accéder au métier d'entraîneur.

Les parlementaires ont en outre pour ambition un véritable encadrement des agents de joueurs. Ceux-ci devraient avoir un niveau de qualification minimal, délivré dans un établissement d'enseignement supérieur. Le siège fiscal de leur activité devrait se situer sur le territoire de l'Union européenne. Un registre européen serait créé afin de répertorier les joueurs conseillés et les rémunérations perçues.

Le projet de résolution appelle également de ses voeux un renforcement de l'identité européenne par le sport, via la mise en place d'une capitale européenne du sport, de la désignation d'une journée dédiée ou de l'ajout du drapeau européen sur le maillot des athlètes. Un programme de mobilité des jeunes athlètes sur le modèle d'Erasmus pourrait dans le même temps être mis en oeuvre. Une importance majeure doit, par ailleurs, être accordée à la promotion des femmes tant dans la pratique sportive qu'au sein des instances dirigeantes.

Les visions de la Commission et du Parlement européen sont complémentaires. Elles tentent de dresser les contours d'un véritable modèle sportif européen . Il est cependant indispensable de rappeler que la base juridique pour une politique sportive communautaire ne confère à l'Union qu'une compétence d'accompagnement et que la plupart des enjeux auxquels est confronté le sport, en particulier professionnel, dépassent largement les limites de la seule Union européenne. Il convient, en outre, de relativiser les ambitions des institutions européennes dans ce domaine, tant la réalité du sport professionnel semble plus emprunter à la logique de type industriel américaine qu'à une hypothétique tradition sportive continentale.

A. LE MODELE SPORTIF EUROPÉEN EXISTE-T-IL ?

Le rapport d'Helsinki insistait en 1999 sur le système de promotion-relégation qui lui semblait une marque d'identification du sport européen, puisqu'il valorise au mieux le mérite sportif. L'acquisition de clubs sportifs par des entités commerciales devait, selon la Commission, être clairement encadrée dans un souci de maintien des structures et de l'éthique sportives. Le modèle sportif européen tenait pour partie en ces deux principes, négatif de l'image renvoyée par le sport-spectacle à l'américaine, image d'ailleurs assez déformée.

Plus de dix ans après Helsinki, l'idée d'un modèle sportif européen, exact opposé du modèle américain, ne saurait refléter la réalité actuelle du sport professionnel en Europe. La liberté de circulation des sportifs, induite par l'arrêt Bosman , a accéléré la mise en place d'une véritable industrie du sport, en large partie financée par les revenus publicitaires et les droits télévisés. C'est notamment le cas du football professionnel. On constate également une forme de contagion, encore modérée, à d'autres sports collectifs, à l'image du rugby ou du handball.

Montant annuel des droits télévisés
des principaux championnats de football européens (en millions d'euros)

Championnat

Montant

Angleterre (Première division uniquement)

1 804

Italie

960

Espagne

790

Allemagne

673

France

647

L'évolution des droits télévisés anglais depuis 1992 souligne la part prise par la télévision dans le financement du football. Hors vente des droits à l'étranger, la première division anglaise recevait environ 88 millions d'euros par saison entre 1992 et 1996. Elle percevra entre 2013 et 2016 1,244 milliard d'euros par saison 3 ( * ) ,  71 % par rapport à la saison dernière, somme à laquelle il convient d'ajouter les droits télévisés acquis par les opérateurs étrangers, dont le groupe Canal + en France, soit 560 millions d'euros par saison. Une telle progression tient, selon les organisateurs de la compétition, au dénouement à suspens du championnat lors de la saison 2011/2012, le champion, Manchester City, étant sacré dans les derniers instants de la dernière journée 4 ( * ) .

La frontière entre le sport européen et le spectacle apparaît de fait ténue. Le choix sportif est de plus en plus lié à des impératifs commerciaux. Les années 2000 ont ainsi montré qu'au delà de leur valeur sportive intrinsèque, certains joueurs de football disposaient d'un potentiel publicitaire indéniable pouvant permettre au club qui les emploie de trouver de nouvelles sources de revenus.

L'Union européenne et les droits télévisés

Source de revenus croissante pour l'ensemble du sport professionnel, les droits télévisés ont fait l'objet de plusieurs interventions des institutions européennes.

La directive 89/552/CEE dite « Télévision sans frontière », révisée en 1997 et en 2007, prévoit la possibilité pour les États membres d'adopter des mesures destinées à garantir l'accès du grand public aux événements sportifs qu'ils jugent majeurs. Ils établissent, à cet effet, une liste dans laquelle sont désignés les événements, nationaux ou non. Un décret du 22 décembre 2004 désigne en France 21 événements majeurs.

Dans son Livre blanc sur le sport de 2007, la Commission a, par ailleurs, confirmé que le principe de la vente centralisée des droits télévisés d'une manifestation sportive par un organisateur de compétition était légitime et qu'elle permettait une redistribution des revenus équitable entre les clubs, y compris les plus petits, ainsi qu'entre le sport professionnel et le sport amateur. En France, 5 % du montant des droits télévisés est ainsi versé au Centre national de développement du sport (43 millions d'euros en 2012). La Commission avait, en 2003, approuvé dans sa décision UEFA CL le principe de la cession centralisée de droits tout en établissant les principes d'une structure pro-concurrentielle. Les droits disponibles sont décomposés en plusieurs paquets, permettant via à un appel d'offres à plusieurs radiodiffuseurs d'acquérir les droits de la Ligue des Champions, la compétition phare de l'UEFA. Le non-respect de la liberté de concurrence a été considéré par la Commission comme proportionné à l'objectif poursuivi, à savoir la bonne organisation et la maximisation de l'intérêt de la compétition. Cette approche a été confirmée dans les décisions DFB (2005) et FAPL (2006), concernant les ligues de football allemande et anglaise. La décision FAPL introduit une règle interdisant un acheteur unique. La Commission signale néanmoins dans son Livre blanc que les solutions apportées dans les décisions qu'elle rend ne sont pas exhaustives et n'ont pas force de loi. Le groupe BskyB a ainsi pu verser près de 350 millions d'euros en 2009 pour s' offrir la diffusion exclusive et payante du cricket anglais pour quatre ans.

Le 4 octobre 2011, la Cour de justice a pris position dans l'arrêt Murphy sur la question de l'exclusivité territoriale des droits télévisés d'une compétition. La tenancière d'un débit de boisson britannique avait en effet rompu son abonnement avec l'opérateur britannique BskyB pour utiliser un décodeur grec lui permettant de diffuser les images du championnat de première division anglais à moindre coût. Le juge a estimé dans que toute législation nationale qui interdirait d'importer, de vendre ou d'utiliser des cartes de décodeur étrangères était contraire à la libre prestation de services et ne pouvait être justifiée ni au regard de l'objectif de protection des droits de la propriété intellectuelle ni par l'objectif d'encourager la présence du public dans les stades de football. L'arrêt n'interdit pas les cessions exclusives de droits aux opérateurs pour une compétition donnée. Il est, par contre, illégal d'imposer des clauses à l'opérateur en question qui lui interdiraient de vendre des décodeurs ou des cartes en dehors du territoire considéré. La décision s'applique à tous les sports. La Cour relève, à cet égard, que les rencontres sportives ne peuvent être considérées comme des créations intellectuelles propres à un auteur et donc comme des « oeuvres » au sens du droit d'auteur en vigueur au sein de l'Union européenne.

Cependant, la séquence vidéo d'ouverture, l'hymne de la Premier League , les films préenregistrés montrant les moments les plus marquants de rencontres récentes ainsi que l'habillage graphique des matchs, peuvent être considérés comme des « oeuvres » et bénéficier ainsi d'une protection au titre du droit d'auteur. La Cour décide en conséquence que la retransmission dans un café-restaurant de ces oeuvres protégées constitue une « communication au public » au sens de la directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. L'autorisation de l'auteur des oeuvres est, en conséquence, nécessaire. De fait, en protégeant les contenus additionnels, la Cour permet aux auteurs de réclamer des droits de propriété intellectuelle sur la retransmission publique.

Par ailleurs, si le modèle américain repose sur des franchises indépendantes et propres à chacune des grandes disciplines sportives (basketball, baseball, football américain et hockey-sur-glace), l'Europe a vu, elle, émerger de véritables marques omnisports, à l'image du FC Barcelone (football, basketball, volleyball), du Real Madrid ou des deux clubs d'Istanbul, Fenerbahce et Galatasaray. Le Paris Saint-Germain semble également prendre le même chemin avec le rachat du Paris Handball en juin 2012. Cette diversification des activités permet de renforcer la notoriété du club et de multiplier ses revenus. Le souhait de la Commission de mieux encadrer l'acquisition des clubs par des entités commerciales apparaît en tout état de cause comme un voeu pieux, tant les sommes désormais en jeu confirment l'industrialisation du sport.

Les revenus perçus par le club de football du Real Madrid atteignaient 85 millions d'euros par an en 1996, au moment de l'arrêt Bosman . Ils ont depuis été multipliés par 6 pour atteindre près de 513 millions d'euros à l'issue de la saison 2011-2012. Ce montant dépasse celui des revenus des principales franchises américaines : 325 millions d'euros pour les New York Yankees en base-ball, 300 millions d'euros pour les Dallas Cowboys en football américain, 180 millions d'euros pour les New York Knicks en basketball et 148 millions d'euros pour les Toronto Maple Leafs en hockey-sur-glace.

Classement des vingt premiers clubs européens de football
en fonction de leurs revenus en 2011-2012

Source : Deloitte

Les emprunts au mode de fonctionnement du sport américain se retrouvent également dans l'organisation des compétitions, pour partie fermées. L'Euroligue de basketball ( ULEB Euroleague ) constitue la compétition de club la plus importante dans cette discipline. Elle regroupe 24 équipes du continent. Elle est, depuis 2009, semi fermée : certains clubs y disposent, en effet, d'une place assurée. 16 clubs se sont ainsi vu attribuer une licence A. Cet accessit leur a été délivré sans condition de durée, ni de classement en championnat national. Seule une relégation en deuxième division est considéré comme rédhibitoire. Tout club ayant participé au moins quatre fois à l'Euroligue depuis sa création en 2000, qui se trouve doté d'une salle à forte capacité et de revenus audiovisuels conséquents peut ainsi prétendre à cette licence. Le nombre de licences A est limité à trois par pays. Deux licences sont offertes à des équipes « méritantes ». Depuis le début de la saison 2012-2013, une licence A est remise en jeu chaque saison pour permettre à un nouveau club de rejoindre l'Euroligue. Les huit licences restantes sont octroyées aux équipes championnes des sept ligues les plus performantes - sportivement et financièrement - du continent (licences B), ainsi qu'à l'équipe ayant remporté l'autre trophée européen de basket, l'Eurocoupe (licence C). Il convient également de noter l'évolution de la Ligue des Champions de football dont le mode de fonctionnement, avec un système de têtes de série, favorise les grandes nations. Dix clubs issus de cinq pays différents ont remporté cette coupe depuis 1997, contre douze clubs issus de neuf pays différents lors des seize saisons précédentes.

De fait, comme dans le modèle américain, le sport européen tente de concilier discipline, spectacle et industrie. Par ailleurs, si les ligues professionnelles nationales demeurent, en principe, ouvertes, le haut du tableau reste l'apanage d'un nombre limité de clubs.

Dans ce paysage, la Premier League de football anglaise peut constituer un exemple. Elle tend, en effet, à doubler la logique commerciale d'une valorisation du rôle social et éducatif conféré au sport. Les clubs de première division de football anglaise, confrontés au cours des années soixante-dix et quatre-vingts au hooliganisme et au vieillissement de leurs stades, ont intégralement revu le mode de fonctionnement du championnat en 1992, date à laquelle a été créée la Premier League . Celle-ci est une société dont la Fédération anglaise de football et les vingt clubs sont actionnaires. Chacun dispose d'une voix. Le conseil d'administration, qui se réunit tous les trimestres, est renouvelé tous les ans, les clubs relégués en deuxième division étant remplacés par les promus de ce même championnat. Toute décision relative à son mode de fonctionnement doit avoir été adoptée à la majorité qualifiée de quatorze voix.

L'ambition affichée était de rendre plus spectaculaire la compétition, en améliorant notamment les structures. Pour pouvoir jouer dans ce championnat, le club doit ainsi posséder une enceinte modernisée et une pelouse chauffée, financée sur fonds privés. 115 millions d'euros ont ainsi été dépensés par les clubs lors de la saison 2010/2011 pour améliorer leurs infrastructures.

La commercialisation des droits télévisés joue également en faveur du spectacle en garantissant à chaque club une manne financière susceptible de lui permettre de recruter. 50 % des droits télévisés achetés par les chaines britanniques sont répartis équitablement entre les vingt clubs (soit 16 millions d'euros environ par club), 25 % des droits étant partagés au prorata de l'apparition des clubs sur les chaines télévisées, le quart restant étant attribué en fonction du classement (874 000 € par place). Les droits télévisés achetés par les chaînes étrangères - la Premier League est diffusée dans 210 pays - sont partagés de façon égale entre les clubs (soit 21,75 millions d'euros par équipe). Cette répartition des droits télévisés s'avère une des plus égalitaires en Europe. La différence entre les droits perçus par le premier du classement et le dernier y est en effet une des plus faibles en Europe : le montant obtenu par le champion d'Angleterre en fin d'année est 1,55 fois supérieur à celui obtenu par la lanterne rouge. Ce rapport est de 1 à 2 en France, de 1 à 7 en Allemagne souvent citée come une référence, et de 1 à 15 en Espagne où la gestion des droits télévisés n'est pas centralisée. Une telle répartition favorise le maintien de l'aléa sportif, le Big Four censé représenter la domination de quatre clubs anglais - les clubs londoniens d'Arsenal et de Chelsea, Liverpool et Manchester United - sur la première division au cours des années 2000 s'est aujourd'hui élargi à de nouveaux acteurs à l'image du club londonien de Tottenham ou de Manchester City.

Le versement des droits télévisés aux clubs, qui peuvent représenter jusqu'à la moitié de leurs revenus, est conditionné à leur participation à des programmes sociaux et éducatifs au coeur des villes et des quartiers dont ces clubs sont issus. La déclaration annexée au traité d'Amsterdam de 1997 qui rappelait « l'importance sociale du sport et en particulier son rôle de ferment de l'identité et de trait d'union entre les hommes » prend ici tout son sens . Le programme Creating chances de la Premier League recense les projets des clubs et les finance à hauteur de 9 millions d'euros. Les clubs ont, de leur côté, versé 193 millions d'euros sur les quatre dernières années. Au total, la Premier League verse 3,7 % de ses revenus à ce type d'activité.

Ces projets concernent le soutien scolaire, la santé, l'inclusion sociale des handicapés, la promotion des activités sportives autres que le football mais aussi le renforcement de la cohésion sociale dans les quartiers difficiles. Les pouvoirs publics - municipalités, écoles et police - et le secteur privé sont partie prenantes de ces dispositifs. Les vingt clubs de Premier League emploient 1 618 personnes spécialement affectées à ces projets. 4,5 millions de personnes y ont participé. Une déclinaison internationale du programme Creating chances a permis à des initiatives semblables de voir le jour à Djakarta, Rio de Janeiro ou Calcutta. 3,5 millions d'euros ont été versés à ce titre par la Premier league .

Des partenariats avec d'autres clubs européens ont été noués en vue de transposer ce programme sur le continent et de pouvoir accéder également à un soutien financier de l'Union européenne. Trois clubs de Rotterdam, le Sparta, l'Excelsior et le Feyenoord ont ainsi mis en place l'équivalent du programme Kickz qui vise à renforcer la prévention de la délinquance au travers d'activités sportives. Cette responsabilité sociale des clubs doit être encouragée au niveau européen, mieux valorisée et déclinée à d'autres sports tant elle incarne la spécificité du modèle sportif européen que l'Union européenne entend promouvoir.


* 3 Ce montant est supérieur à ceux versés à la Ligue de football américain (NFL) et à la Major League de Baseball américaine : respectivement 739 et 517 millions d'euros par an.

* 4 Le championnat anglais de rugby reçoit chaque année 47,5 millions d'euros au titre des droits télévisés, le Top 14 français, l'équivalent de la première division, 30 millions d'euros.

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