2. Élargir les évaluations de coûts aux coûts économiques et financiers afin de les réduire
a) Les effets de la concurrence sur l'optimisation de l'allocation des ressources.
Les estimations du coût du déploiement du très haut débit sont des estimations abstraites qui correspondent en fait à un réseau couvrant plus ou moins l'ensemble du territoire au moyen d'une combinaison donnée de techniques.
Elles ne retracent pas les coûts réellement supportés par les investisseurs qui peuvent être significativement éloignés de ce « coût abstrait ».
En effet, même s'il ménage des possibilités de cofinancement, le cadre réglementaire du déploiement du THD aboutit à envisager les effets de l'intervention, concurrente ou complémentaire, de plusieurs investisseurs, en particulier dans la zone correspondant aux 148 villes de la zone très dense.
Or, cette éventualité ne peut qu'être annonciatrice d'un coût effectif de déploiement sensiblement supérieur à celui que laissent prévoir les estimations associées à un investissement unique.
On retrouve là les problèmes de duplication d'investissement exposés dans le chapitre II du présent rapport auxquels les accords de répartition des investissements n'apportent que des solutions partielles.
On peut même redouter que des duplications interviennent dans la zone moins dense dans la mesure où l'existence de réseaux publics pourrait ne pas empêcher les opérateurs de mettre en oeuvre leur préférence pour la propriété de leurs moyens d'exploitation.
b) L'éventualité d'une obsolescence des investissements de certains opérateurs
Une des variables les plus fondamentales de la viabilité économique du THD réside dans la résolution des problèmes de coexistence du réseau actuellement en place et du réseau à venir.
« L'extinction » du fil de cuivre est constamment mentionnée comme une condition d'installation du nouveau réseau.
Elle en conditionne les perspectives et par là les conditions mêmes de l'investissement en THD, son déclenchement mais aussi ses données financières.
Par ailleurs, elle représente l'opportunité d'une économie de coûts de fonctionnement qui s'élèverait à plusieurs centaines de millions d'euros par an.
Le projet de feuille de route résume bien la problématique sur ce point :
« L'objectif final du déploiement de nouvelles boucles locales optiques (FttH) sur la très grande majorité du territoire soulève nécessairement la question du sort du réseau cuivre de boucle locale historique. En effet, il n'est pas économiquement pertinent, en particulier dans les zones les moins densément peuplées, de maintenir durablement deux réseaux de communications électroniques parallèles au niveau de la boucle locale (partie terminale du réseau). Tant en termes de rentabilité minimum des importants nouveaux investissements nécessaires au déploiement du FttH (difficile en cas de concurrence de deux réseaux, surtout en zones peu denses), qu'en termes d'exploitation/maintenance (coûteux, inefficace, faisant peser des risques sur la qualité de service), la coexistence durable de deux réseaux en parallèle de bout en bout n'est pas un modèle pertinent dans la durée pour des territoires peu densément peuplés ».
Pour indispensable qu'elle soit 53 ( * ) « l'extinction » du fil de cuivre représente un coût qui n'est généralement pas inclus dans les calculs évoluant le coût du THD.
Il est vrai que le coût de l'obsolescence du cuivre, et surtout sa répartition, peuvent varier selon le scénario considéré .
De ce point de vue, le scénario le plus favorable à la diffusion du nouveau réseau - celui d'une extinction organisée, plutôt que contingente aux décisions du propriétaire de l'actif, - peut être le plus coûteux dans la mesure où il s'accompagnerait d'une indemnisation.
Celle-ci dépendrait, globalement, de la valeur de l'actif qui est difficile à déterminer 54 ( * ) .
Mais d'autres voies qu'une forme d'expropriation peuvent être envisagées, beaucoup moins coûteuses pour les finances publiques, parmi lesquelles une modification des conditions économiques de l'exploitation du réseau historique que pourraient venir justifier les conclusions d'une nouvelle analyse de marché.
Quoi qu'il en soit, l'arrivée d'une nouvelle technologie entraîne nécessairement, dans des proportions assez larges, la péremption de celle à laquelle elle se substitue . Cette péremption représente un coût économique mais aussi financier pour celui qui la subit.
Elle peut s'accompagner d'une perte de rentabilité de la structure porteuse, du moins à court terme, mais ce scénario dépend des conditions de marché qui accompagnent la préemption de l'ancienne infrastructure.
On peut aussi bien imaginer une configuration de marché où la déformation des parts de marché des différents opérateurs et les conditions de prix permettent au détenteur de l'actif de ne pas subir de pertes et d'espérer, même à court terme, des gains nets.
Ainsi, ce « choc technologique » peut être vu comme réservant des opportunités mais aussi des risques.
Les conditions dans lesquelles il est absorbé par l'écosystème détermine à terme les acteurs qui le subissent et ceux pour lesquels il est une chance .
Vos rapporteurs sont conduits à s'interroger sur les effets sur la structure du marché des télécommunications de l'arrivée du THD. Cette interrogation n'est d'ailleurs pas limitée aux communications fixes dans la mesure où, à terme, le segment du mobile devrait être tributaire des positions acquises sur le segment fixe.
Les coûts associés à cet effet structurel devraient être intégrés au moment où la stratégie en faveur du THD doit prendre un nouvel élan afin d'être anticipés et qu'un accompagnement industriel, qui pourrait être nécessaire, soit prévu.
c) Prendre en compte et optimiser les coûts financiers
Une partie du nouveau réseau devrait être financée par l'emprunt.
Les charges financières afférentes sont susceptibles d'augmenter le coût du déploiement du THD. Elles ne sont généralement pas prises en compte dans les évaluations susmentionnées.
Elles dépendent des conditions de coût de l'emprunt mais aussi de l'ampleur de l'endettement.
Ces charges devraient être d'autant moins négligées que le THD suppose des investissements assez lourds pour laisser supposer un fort recours à l'emprunt.
Par ailleurs, les perspectives d'autofinancement du programme sont structurellement éloignées du fait de l'ampleur de l'investissement mais aussi des délais nécessaires à la réalisation des investissements 55 ( * ) . Cette situation appelle en soi une gestion optimale du déploiement pour que la période d'installation du réseau soit la plus courte possible.
Mais, un autre paramètre est, de ce point de vue, essentiel.
Les coûts du déploiement du THD sont susceptibles de varier en fonction des revenus commerciaux apportés par le nouveau réseau .
Ceux-ci on un effet direct sur les charges financières du programme.
Il importe donc d'instaurer un contexte où les perspectives de revenus commerciaux soient le plus possibles dégagées et promettent un « retour » rapide.
Cette condition est d'autant plus essentielle qu'en l'état actuel du fonctionnement des marchés financiers le coût de financement des projets d'infrastructure supporte probablement une prime de risque et peut entraîner une décote de capital au détriment de l'investisseur dynamique, du fait des caractéristiques d'un investissement à revenus retardés, et de la structure concurrentielle du marché.
Cette situation invite à adosser le financement du THD sur des investisseurs capables de s'engager à long terme sans exiger de prime excessive.
Au demeurant, il est douteux que les financeurs ordinaires, qui généralement privilégient un horizon de court terme, s'associent au financement d'un tel programme, sauf à être rassurés sur ses perspectives.
Une considération supplémentaire demeure en outre : la dimension souvent réduite des investissements qui sont censés contribuer à la réalisation d'ensemble du programme (en particulier les investissements des RIP), représente un obstacle pour atteindre les financements de marché dans de bonnes conditions. Cette circonstance qui résulte directement du modèle d'initiatives décentralisées adopté pour les déploiements à réaliser pour couvrir l'essentiel du territoire invite à recourir à une intermédiation financière, dont il importe de minimiser le prix .
C'est pourquoi l'engagement d'investisseurs de long terme est nécessaire. A cet égard, l'engagement de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est particulièrement recommandable.
Dans le passé, la CDC a été un partenaire financier important des RIP de télécommunications.
Devant l'objectif de leur renouvellement, pour une nouvelle infrastructure aux caractéristiques économiques et financières typiques de celles d'un investissement à long terme, cet engagement doit être confirmé et élargi.
Ainsi, l'annonce du président de la République d'une structuration d'une enveloppe thématique dédiée au financement des réseaux de nouvelle génération à partir des ressources des fonds d'épargne réglementés doit être saluée.
Il est souhaitable que l'enveloppe ainsi réservée soit assez substantielle et qu'elle couvre des engagements de longue durée.
Une échéance longue qui corresponde aux perspectives de « point mort » de l'investissement s'impose puisque, par ailleurs, les conditions de marché ne l'offrent pas spontanément.
En soi, la rendre disponible desserrerait une double contrainte : celle de l'accès à la ressource et celle des plans d'amortissement financier des emprunteurs.
Toutefois, pour que le bouclage financier soit réellement soutenable, il conviendrait d'assortir ces allocations de conditions d'intérêt adaptées qui, à tout le moins, tiennent compte du profil actualisé des revenus de l'investissement.
* 52 Hypothèse du « rapport Maurey » : 150 millions d'euros par an.
* 53 De même que le fut l'extinction du signal analogique lors du passage à la télévision numérique.
* 54 Les conditions de régulation du dégroupage par l'ARCEP laissent envisager une valeur supérieure à 15 milliards d'euros.