C. LA NÉCESSITÉ D'UN APPROFONDISSEMENT DE LA RÉFLEXION SUR LES COÛTS

La réflexion sur les coûts du déploiement du THD porte systématiquement sur les dépenses nécessaires à l'installation d' un équipement numérique de nouvelle génération donné , fonction de son extension géographique et de ses composantes techniques.

Cette approche, qui, au demeurant, mériterait d'être affinée, n'est pas exhaustive.

Relevant d'une démarche de pure ingénierie, elle néglige les coûts économiques et financiers concrets qui dépendent étroitement du cadre réglementaire du déploiement du THD .

1. Un affinement des estimations des coûts d'ingénierie serait utile
a) Appréhender les coûts des différents segments du réseau

Les estimations du coût du déploiement des infrastructures du THD paraissent centrer sur les coûts d'équipement de la desserte et plus particulièrement de la boucle locale.

Les coûts associés à la modernisation du segment de collecte pourraient être quelque peu négligés dans plusieurs estimations .

Surtout, le coût du raccordement terminal est le plus souvent exclu de leur assiette.

On a indiqué que ce parti pris résulte d'une conception de coût comme relevant essentiellement du fonctionnement du réseau. Ce n'est qu'à mesure de son exploitation que les charges correspondantes devront être assumées. Le choix de méthode n'est donc pas arbitraire. Néanmoins, il faudra bien inclure ces charges dans le coût total d'accès à la fibre. Et leur montant, qu'il n'est pas aisé de cerner avec précision, devrait être apparemment considérable puisque l'ARCEP le chiffre, rappelons-le, à quelques 9 milliards d'euros .

Comme pour l'ensemble du programme, les coûts du dernier raccordement paraissent variables selon les caractéristiques de l'habitat à desservir. Ils pourraient être supérieurs en général dans les zones rurales. Cependant, c'est sans doute dans ces zones qu'en proportion de l'ensemble des coûts de déploiement, ceux résultant du raccordement final sont les plus faibles.

Une question importante qui n'est pas tranchée en l'état est de savoir qui préfinancera ses coûts - le propriétaire du réseau, son exploitant, l'usager...

Apparemment tout est affaire de circonstances mais il semble qu'une assez forte pression s'exerce sur les porteurs de RIP pour qu'ils prennent à leur charge des dépenses que les opérateurs dans d'autres hypothèses s'efforcent, quand leur position commerciale le permet, de faire supporter au client final.

Des préoccupations consuméristes pourraient intervenir sur ce point. Elles conduiraient sans doute à réguler des pratiques qui ne sont pas sans risques pour le client final, notamment si son opérateur se retire du marché. Une réflexion sur les coûts de transition pourrait conduire à laisser à l'exploitant du réseau la charge du dernier raccordement .

Par ailleurs, il conviendrait de clarifier le régime de soutien public à cette ultime partie du réseau .

Pour des ménages modestes, la charge de dernier raccordement, à supposer qu'elle soit reportée sur eux, peut dépasser leur horizon de consommation.

Cet obstacle à l'usage est susceptible de remettre en cause la viabilité des investissements sur les autres parties du réseau et, par là, de les bloquer.

b) Mieux connaître les coûts d'une séquence de solutions technologiques.

Que ce soit dans ces analyses générales ou par les mesures de régulation qu'elle a adoptées, l'ARCEP paraît s'accommoder d'un déploiement séquentiel de la fibre optique passant par des étapes intermédiaires de montée en débit.

Cette inclination semble partagée par le projet de feuille de route qui a été présenté au début de l'année 2013.

Sans doute, dans tous les cas, les régulateurs mettent l'accent sur l'horizon final qui affirme le rôle de la fibre optique dont le déploiement devrait couvrir l'ensemble du territoire.

Mais, selon le document mentionné, « Les contraintes opérationnelles, techniques et financières de tels déploiements ne permettent pas d'envisager leur réalisation complète avant plus d'une décennie. Un tel horizon temporel n'est pas acceptable pour les citoyens et les entreprises ne bénéficiant pas aujourd'hui d'un débit satisfaisant . »

On en appelle donc à une conciliation des impératifs de court terme avec la stratégie du long terme.

On sait que cette opération passe par des solutions de montée en débit qui ne sont pas sans coût.

Vos rapporteurs ont été destinataires de nombreux témoignages de responsables locaux quelque peu surpris, et mécontents, de l'ampleur des coûts qu'ils ont été appelés à supporter à l'occasion des investissements de montée en débit.

Ce mécontentement paraît d'autant plus vif que les performances techniques n'apparaissent pas toujours satisfaisantes et que ces investissements ne font l'objet, théoriquement, d'aucune aide.

Par ailleurs, d'un point de vue plus global, on peut d'interroger sur l'impact financier de cette forme d'équipement séquentiel du territoire en THD.

On souligne qu'en toute logique, elle devrait concerner principalement les zones les moins denses du territoire.

A cet égard, doit mentionner que s'il se peut bien que ce soit dans ces zones que l'écart entre les coûts des solutions de montée en débit et ceux du fibrage soit maximal, c'est aussi dans ces zones que le cumul des coûts de la montée en débit est le plus élevé.

Ce nonobstant, une étude de l'ARCEP déjà mentionnée conclut que, même avec un terme d'obsolescence technique du haut débit fixé à sept ans, le coût cumulé de ces techniques et du fibrage successif est inférieur au coût d'un programme « tout en fibre » dès le départ.

Un argument cité à l'appui de cet étonnant résultat est que les infrastructures de montée en débit peuvent être réutilisées, du moins en partie et moyennant des précautions prises lors de leur conception et réalisation.

Il n'empêche qu'une partie de ces équipements intermédiaires devrait être frappée d'obsolescence dans une telle séquence.

Le résultat mis en exergue par l'ARCEP varie selon les circonstances locales et selon les hypothèses de revenus commerciaux posées pour effectuer les simulations.

La sensibilité à cette dernière variable invite à considérer avec une certaine prudence la conclusion de l'étude. Par ailleurs, la dimension locale doit être prise en compte pour conférer une portée, locale, pratique, essentiellement à cette conclusion.

D'un point de vue plus concret, les observations devraient être prises en compte :

- l'installation de solutions alternatives à la fibre, présentée dans l'approche théorique ici commentée comme seulement intermédiaire, risque de durer, ce qui contrarierait l'objectif final ou encore d'être peu soutenable, à court-moyen terme, si elle s'accompagnait de la perception d'un élargissement de la fracture numérique avec tous les effets de dévitalisation des territoires qui la subiraient ;

- dans leur déroulement concret, les projets d'équipement territorial peuvent prendre le soin de suivre une conception permettant de lisser quelque peu les coûts et d'optimiser les recettes de sorte que le passage par des solutions intermédiaires de montée en débit puisse ressortir comme moins « économique ».

Quoi qu'il en soit, un approfondissement de l'évaluation d'équipements consécutifs déclinés localement, et prenant pleinement en compte la dimension techno-économique des RIP s'impose pour prendre de bonnes décisions .

De ce point de vue, l'option proposée par le projet de feuille de route de « laisser aux collectivités territoriales le choix des technologies qui permettront de répondre à de telles urgences et de soutenir les projets qui les mettront en oeuvre dans un plan d'ensemble visant, à terme, l'atteinte de l'objectif final » devra recevoir tous ses prolongements concrets :

- la faisabilité et le coût de la solution technique envisagée (le recours à la technologie VDSL2) qui semblent directement liés à des caractéristiques particulières concernant l'habitat à desservir (un habitat regroupé) devront être soigneusement appréciés et comparés au déploiement de la fibre.

- par ailleurs, il faudra conduire cette comparaison en incluant toutes les technologies disponibles et, en particulier, les déploiements à partir du réseau câblé.

c) Mieux connaître les coûts des solutions techniques alternatives

La connaissance fine des coûts des techniques alternatives à la fibre optique est un élément de l'approfondissement de l'évaluation des coûts demandé ci-dessus. Mais c'est aussi un impératif au vu de l'option de promouvoir une conception élargie du THD qui laisse ouvert le choix des technologies.

Dans ces conditions, la gamme des technologies accessibles devrait être évaluée point à point, ces évolutions étant réalisées in situ .

Les termes de cette évolution devront être exhaustifs - toutes les architectures techniques (le câble, l'hertzien, le satellite et les solutions de montée en débit sur le cuivre - devront être envisagées - et « profonds » - les perspectives d'obsolescence des technologies, d'un point de vue technique et économique, devront être prises en compte, de même que les coûts rapportés aux débits.

Lors de leurs travaux, vos rapporteurs ont été sensibilisés aux gains de coûts de déploiement qu'offrirait l'utilisation du réseau câblé pour déployer le FttH.

L'emprise actuelle du câble couvrirait 10 millions de logements et les foyers éligibles au THD à l'horizon 2014 (à plus de 100 Mbits/s) s'élèveraient à 6 millions de foyers (à partir d'un point de départ de 4,7 millions).

La couverture des 4 millions de logements pouvant être desservis à un terme de 5 ans nécessiterait un investissement de l'ordre de 1 à 1,5 milliard d'euros.

L'opérateur concerné suggère que l'équipement complet du territoire en THD pourrait être réalisé moyennant un investissement limité à environ 15 milliards d'euros à comparer avec des estimations comprises entre 20 et 37 milliards.

L'architecture de ces coûts serait la suivante :

- environ 1,2 milliard pour couvrir le reliquat de la population couverte par le câble (jusqu'à 10 millions de foyers éligibles) ;

- de 7 à 10 milliards d'euros pour fibrer 10 millions de foyers supplémentaires ;

- le reste de la population (5 millions de foyers) étant couvert par des techniques satellitaires.

Sans préjuger des performances des techniques de cette architecture, on observe qu'une partie importante de l'écart entre le coût global présenté et les évaluations usuelles est attribuable à des économies sur la dernière « poche de logements », celle qui est systématiquement la plus coûteuse.

Néanmoins, l'importance de la différence de coûts alléguée invite à considérer avec la plus grande attention, et à justifier, les choix de priorité qui pourraient écarter une architecture semblant au total la moins coûteuse.

d) Approfondir l'évaluation des coûts d'ingénierie

Une variable susceptible de différencier les coûts de l'investissement réside dans la conduite des travaux. Les coûts du programme seront très majoritairement des coûts de génie civil. A cet égard avec une bonne planification des travaux de génie civil des investisseurs, il faut considérer que le déploiement de la fibre optique peut passer par différents chemins avec des coûts de déploiement qui peuvent varier assez sensiblement selon celui qui est finalement emprunté.

Trois configurations existent a priori :

- le passage par des fourreaux existants ;

- la construction de nouveaux fourreaux ;

- le passage par des voies aériennes (de télécommunication ou d'électricité).

La visibilité des différentes formules en termes de coûts est inégale.

Mais il semble, selon l'expertise de la FIEEC communiquée à vos rapporteurs, que le coût du déploiement pourrait être significativement abaissé par les économies réalisées sur les travaux de (ou d'utilisation du) génie civil permises pour le recours aux réseaux aériens.

Toujours sur ce sujet, la mutualisation des travaux de génie civil s'impose quand d'autres réseaux font l'objet de travaux (par exemple, dans le cadre du programme d'enfouissement de câbles électriques) comme une marge de minoration des coûts.

Au-delà de la sensibilité du coût global du programme à ces variantes techniques, c'est à favoriser l'adoption des moins coûteuses qu'il faut s'employer.

Cela implique de mieux assurer les conditions d'une planification coordonnée des travaux mais aussi, si nécessaire, d'encadrer les offres des propriétaires des réseaux alternatifs.

Au demeurant, une difficulté tenant à la prévisibilité sur le très long terme de l'offre de génie civil de l'opérateur historique telle qu'elle est encadrée par le régulateur paraît devoir être résolue.

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