II. LE FICHIER POSITIF : UN SUJET RÉCURRENT DES DÉBATS PARLEMENTAIRES
L'opportunité de créer un registre national des crédits aux particuliers a été abordée à de nombreuses reprises dans les débats parlementaires, et ce depuis plus de 20 ans. Elle a donné lieu au dépôt de nombreuses propositions de loi et questions au Gouvernement, émanant de toutes les sensibilités politiques, dans les deux assemblées.
Depuis 2009, le débat sur ce sujet s'est accéléré, avec successivement la discussion du projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, les travaux du comité institué par cette loi afin de préfigurer le registre et enfin les récentes évolutions de la position du Gouvernement.
A. LE FICHIER POSITIF DANS LES DÉBATS PARLEMENTAIRES DEPUIS PLUS DE 20 ANS
1. Un sujet récurrent depuis 1989
La question de la mise en place d'un fichier positif en France a été évoquée pour la première fois à la fin des années 1980, lors des débats ayant conduit à l'adoption de la « loi Neiertz » 10 ( * ) . Cette loi, en instituant le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), a finalement retenu un système de fichier négatif.
En 1992, le rapport de notre ancien collègue député Roger Léron sur l'application de la « loi Neiertz » est le premier à soutenir l'idée de la création d'un fichier central des crédits , précisant qu'il « aurait le mérite de renforcer considérablement la prévention du surendettement » 11 ( * ) . Le rapport liste toutefois les inconvénients d'un fichier positif (« risque de dérive vers un fichier d'interdits de crédit pouvant conduire à des discriminations, voire à des formes d'exclusion sociale » et « coût collectif d'une telle réalisation » notamment). Il précise que « les pays étrangers qui disposent de tels fichiers connaissent des taux d'impayés identiques à ceux de notre pays ».
En 1997, le rapport d'information de nos collègues Jean-Jacques Hyest et Paul Loridant se prononce en défaveur de la mise en place d'un fichier positif 12 ( * ) . La création d'un fichier positif de l'endettement est considérée comme une « fausse bonne solution » en matière de prévention du surendettement. Il note que « l'efficacité d'un fichier qui ne serait pas exhaustif car n'incluant pas les dettes de la vie courante (impayés d'impôts, de loyers, ...) serait d'une efficacité très relative » et que sa gestion serait « à la fois complexe et onéreuse ». Il met également en avant le fait que le fichier ne pourra prévenir le surendettement dans la mesure où celui-ci change de nature, car il résulte de plus en plus des accidents de la vie.
Dans son rapport d'information de 2006 sur l'accès des ménages au crédit en France 13 ( * ) , notre collègue Joël Bourdin propose d'« ouvrir le débat sans idées préconçues sur le fichier positif ». Il se prononce en faveur de la création de ce fichier , notamment en ce qu'il pourrait remettre en cause des méthodes utilisées par les banques pour la sélection des dossiers de crédit, parfois trop rigoureuses (en particulier la technique dite du scoring 14 ( * ) ). Le fichier positif pourrait également « permettre une plus grande fluidité du marché » des offres de crédits, car il donnerait accès aux auteurs de ces offres à la même information sur la situation du demandeur.
Parallèlement, le sujet du fichier positif a régulièrement été abordé devant le Parlement par le biais des questions au Gouvernement et du dépôt de propositions de loi visant à l'instituer, parmi lesquelles :
- la proposition de loi tendant à la création d'un fichier national des crédits aux particuliers, de notre ancien collègue député Jacques Masdeu-Arus, en 2003 15 ( * ) ;
- deux propositions de loi tendant à prévenir le surendettement, de notre collègue député Jean-Christophe Lagarde, en 2005 et 2006 16 ( * ) ;
- la proposition de loi de notre collègue député Jean-Luc Warsmann visant à faciliter l'accès au crédit et à mieux protéger les consommateurs, en 2006 17 ( * ) ;
- la proposition de loi en faveur du pouvoir d'achat de notre collègue Jean-Pierre Bel, en 2007 18 ( * ) .
Depuis 2009, avec les débats sur le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, la question de la mise en place du registre des crédits aux particuliers en France se pose de manière plus concrète.
2. Les débats autour de la loi portant réforme du crédit à la consommation en 2009 et 2010
Déposé en premier lieu au Sénat en avril 2009, le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation a été l'occasion d'un intense débat sur le fichier positif 19 ( * ) . Plusieurs propositions de loi préconisant la mise en place d'un tel fichier ont d'ailleurs été jointes au projet de loi par la commission spéciale chargée de son examen.
Notre collègue Philippe Dominati, rapporteur du projet de loi, a estimé dans son rapport, très détaillé sur la question du fichier positif, que « la question de la proportionnalité d'un tel fichage au regard des résultats concrets qu'il peut générer en matière de prévention du surendettement doit donc être sérieusement posée ». Il a cependant proposé, eu égard à tous les arguments avancés sur la question, la remise d'un rapport au Gouvernement et au Parlement sur le principe de la création d'une centrale des crédits aux particuliers, sous la responsabilité de la Banque de France, ce que le Sénat a approuvé, de même que Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, selon laquelle « il s'agit ici de préparer la mise en place dans les meilleures conditions de la centrale des crédits aux particuliers dont le principe de la création est prévu » 20 ( * ) .
Au cours des débats devant l'Assemblée nationale, qui ne se sont tenus qu'en avril 2010, presque un an plus tard, Mme Christine Lagarde a indiqué encore plus clairement que « l'opportunité [de la création du « fichier positif »] n'est plus à l'examen » 21 ( * ) , considérant ainsi qu' il était pertinent de le mettre en place, sous réserve d'en déterminer les conditions techniques les plus appropriées . Il s'agissait de passer d'un simple rapport sur l'opportunité de mettre en place le fichier, comme l'avait prévu le Sénat, à la création d'une véritable instance de préfiguration. A l'initiative du Gouvernement, le texte adopté par le Sénat a donc été modifié par l'Assemblée nationale 22 ( * ) , pour aboutir à la rédaction finale de l'article 49 de la loi n° 2010-737 du 1 er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite « loi Lagarde » :
« La création d'un registre national des crédits aux particuliers, placé sous la responsabilité de la Banque de France, fait l'objet d'un rapport remis au Gouvernement et au Parlement, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, élaboré par un comité chargé de préfigurer cette création et dont la composition est fixée par décret .
« Ce rapport précise les conditions dans lesquelles des données à caractère personnel, complémentaires de celles figurant dans le fichier mentionné à l'article L. 333-4 du code de la consommation et susceptibles de constituer des indicateurs de l'état d'endettement des personnes physiques ayant contracté des crédits à des fins non professionnelles, peuvent être inscrites au sein de ce fichier pour prévenir le surendettement et assurer une meilleure information des prêteurs sur la solvabilité des emprunteurs, dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »
* 10 Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.
* 11 Rapport sur l'application de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, 7 janvier 1992.
* 12 Rapport d'information n° 60 (1997-1998) - Surendettement : prévenir et guérir.
* 13 Rapport d'information n° 261 (2005-2006) fait par M. Joël Bourdin au nom de la délégation du Sénat pour la planification sur l'accès des ménages au crédit en France, p. 138 s.
* 14 Le scoring est le processus de notation de la solvabilité d'un demandeur de crédit. La notation s'évalue à partir de plusieurs critères, différemment pondérés : métier de l'emprunteur, niveau salarial, âge, statut familial et nombre d'enfants notamment.
* 15 Proposition de loi n° 1071 (2003-2004).
* 16 Propositions de loi n° 2029 (2004-2005) et n° 3490 (2006-2007).
* 17 Proposition de loi n°3313 (2005-2006).
* 18 Proposition de loi n° 116 (2007-2008).
* 19 Loi n° 2010-737 du 1 er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation.
* 20 Séance du 17 juin 2009.
* 21 Deuxième séance du vendredi 9 avril 2010.
* 22 Le projet de loi a été adopté conforme par le Sénat en deuxième lecture en juin 2010.