B. UN PRAGMATISME NÉCESSAIRE DANS LA CONCEPTION DE LA STRUCTURE DU PARQUET EUROPÉEN ET DANS LA DÉFINITION DES RÈGLES APPLICABLES
1. Un Parquet collégial créé à partir d'Eurojust et s'appuyant sur des délégués nationaux
a) Le renforcement nécessaire d'Eurojust
Le traité prévoit la création du Parquet européen « à partir d'Eurojust ». Votre rapporteur a précédemment souligné que cette formulation ouvrait - volontairement - la voie à différentes interprétations. L'étude du Conseil d'État envisage trois hypothèses :
- la première, qui consisterait à doter Eurojust de pouvoirs qui lui font défaut pour tenir lieu de Parquet européen, semble devoir être écartée car l'ambition d'un Parquet européen est beaucoup plus large ;
- la deuxième, retenue par la présidence espagnole en 2010, serait d'envisager que tout en utilisant le socle d'Eurojust et l'acquis de cette agence, le Parquet européen s'en émancipe pour devenir, dans le champ de compétences qui lui est dévolu, une nouvelle structure plus intégrée et ne devant pas nécessairement se couler dans le « moule intergouvernemental » ;
- la troisième, pragmatique, serait de permettre au Parquet européen, à tout le moins lors de sa création, de bénéficier du concours logistique et de l'appui matériel d'Eurojust.
Mme Michèle Coninsx, Présidente d'Eurojust a indiqué à votre rapporteur qu'Eurojust mène depuis 2009 une réflexion sur la mise en oeuvre des articles 85 et 86 du TFUE qui permettent respectivement le renforcement d'Eurojust et la création d'un Parquet européen.
Eurojust ne constituera pas le Parquet européen mais il faut s'appuyer sur cette structure et éviter des coûts supplémentaires. Eurojust a en particulier accès aux bases de données des États membres, notamment au casier judiciaire. Lors de son audition, Mme Michèle Coninsx a précisé que, depuis 2005, les flux d'informations vers Eurojust se sont développés dans plusieurs domaines. Le Parquet européen doit pouvoir s'appuyer sur l'expertise acquise par cette unité de coopération, y compris dans la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l'Union.
La décision renforçant Eurojust a été adoptée, sous présidence française, le 16 décembre 2008. Ce texte visait essentiellement à : renforcer la fonction de coordination d'Eurojust ; favoriser la transmission d'informations opérationnelles à Eurojust (en imposant notamment une transmission obligatoire lorsqu'une autorité nationale est saisie d'un dossier au moins trilatéral ou en présence de difficultés d'exécution ou de conflits de compétence) ; augmenter les capacités opérationnelles d'Eurojust ; renforcer la complémentarité avec le Réseau Judiciaire Européen.
Parallèlement à la création d'un Parquet européen centré sur la protection des intérêts financiers de l'Union, il serait envisageable de faire évoluer Eurojust - qui joue actuellement un simple rôle de coordination et de mise en réseau.
En effet, de l'avis des interlocuteurs rencontrés au cours des auditions, la création du Parquet européen n'enlèverait pas son intérêt à Eurojust comme instrument de la coopération judiciaire pénale. Le traité lui-même préserve cette possibilité.
Le traité de Lisbonne a fourni la base juridique pour un renforcement encore plus accentué des pouvoirs opérationnels d'Eurojust. En vertu de l'article 85 du TFUE, ce sont des règlements du Conseil et du Parlement qui devront déterminer « la structure, le fonctionnement, le domaine d'action et les tâches d'Eurojust. » L'article 85 permet le renforcement des pouvoirs d'Eurojust, en particulier pour l'autoriser à déclencher des enquêtes pénales mais aussi coordonner des enquêtes et résoudre des conflits de compétences. Ainsi que l'a fait valoir Mme Michèle Coninsx, l'article 85 doit conduire à une nouvelle structure d'Eurojust pour promouvoir une véritable espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Actuellement, un État membre peut décider de ne pas lancer une enquête dans une affaire qui concerne conjointement quatre États membres. Le rôle d'Eurojust est encore trop horizontal. Il faut aller vers une « semi-verticalité ». Eurojust devrait pouvoir pallier la carence d'un État membre pour lancer une enquête.
Ces mêmes règlements fixeront également les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust. C'est là un enjeu essentiel que le Sénat a rappelé dans sa résolution du 29 juin 2011.
Le programme de Stockholm précisait qu'il fallait que « les États membres et Eurojust mettent soigneusement en oeuvre la décision 2009/426/JAI du Conseil du 16 décembre 2008 sur le renforcement d'Eurojust qui, avec le traité de Lisbonne, offre la possibilité de poursuivre le développement d'Eurojust au cours des prochaines années, notamment en ce qui concerne le déclenchement d'enquêtes et la résolution des conflits de compétence. Sur la base d'une évaluation de la mise en oeuvre de cet instrument, de nouvelles possibilités pourraient être envisagées conformément aux dispositions pertinentes du traité, notamment l'octroi de nouvelles compétences aux membres nationaux d'Eurojust, le renforcement des compétences du collège d'Eurojust ou la création d'un procureur européen. »
Lors de son audition, Mme Viviane Reding a marqué son intérêt pour ce renforcement d'Eurojust : « Avant toute chose, je veux renforcer cet embryon de parquet européen qu'est Eurojust, qui est chargé de faire collaborer les procureurs des différents pays. Il faut en faire une machine qui fonctionne : on est encore loin du compte... »
Il y a bien là deux démarches parallèles qui, loin de s'exclure, peuvent au contraire se compléter opportunément. Une évolution de l'unité Eurojust pour mieux répondre aux défis posés par la criminalité grave transnationale, menée parallèlement à la création d'un parquet européen, pourrait préparer utilement l'extension des compétences du parquet européen.
Article 85 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne 1. La mission d'Eurojust est d'appuyer et de renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes, sur la base des opérations effectuées et des informations fournies par les autorités des États membres et par Europol. À cet égard, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, déterminent la structure, le fonctionnement, le domaine d'action et les tâches d'Eurojust. Ces tâches peuvent comprendre : a) le déclenchement d'enquêtes pénales ainsi que la proposition de déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, en particulier celles relatives à des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union ; b) la coordination des enquêtes et poursuites visées au point a) ; c) le renforcement de la coopération judiciaire, y compris par la résolution de conflits de compétences et par une coopération étroite avec le Réseau judiciaire européen. Ces règlements fixent également les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust. 2. Dans le cadre des poursuites visées au paragraphe 1, et sans préjudice de l'article 86, les actes officiels de procédure judiciaire sont accomplis par les agents nationaux compétents. |
b) Un Parquet de structure collégiale et décentralisée
Le Parquet européen devrait avoir une forme collégiale. Composé d'un représentant par État membre, il désignerait en son sein un président. Comme le relève l'étude du Conseil d'État, la référence à Eurojust, figurant au § 1 er de l'article 86 du TFUE, plaide dans ce sens. Cette solution, qui avait été retenue dans le livre vert de la Commission européenne, serait la plus susceptible de recueillir l'assentiment des États membres. Elle a été privilégiée au cours des auditions menées par votre rapporteur.
Le traité a anticipé le risque de personnalisation en préférant la dénomination de « parquet » à celle de « procureur ». Toutefois, la collégialité n'exclurait pas d'instituer une direction (sur le modèle d'Eurojust qui a un directeur). Une présidence tournante (avec voix prépondérante en cas de partage) pourrait être envisagée mais un bureau devrait être mis en place. Ce schéma devrait intégrer la nécessaire réactivité qui est indispensable à l'efficacité d'une telle structure.
L'hypothèse d'un Parquet centralisé paraît devoir être écartée. Une telle organisation risquerait de susciter de fortes réserves dans les États membres et de les obliger à adapter leurs structures au regard de leurs exigences constitutionnelles. En outre, elle rendrait plus difficile le lien avec les services d'enquête nationaux. Elle éloignerait le Parquet européen du lieu de la conduite des investigations, dès lors qu'il aurait des services d'enquête propres. Or la création du Parquet européen doit être conçue dans la perspective d'un espace européen de la justice qui fait prévaloir les objectifs de simplification et de reconnaissance mutuelle.
Une structure décentralisée semble donc plus adaptée. C'est l'option que semble privilégier la Commission européenne qui souhaite, en outre, éviter de créer une « usine à gaz ».
Elle serait fondée sur un Procureur européen, d'une part, et de Procureurs européens délégués dans les États membres, d'autre part. La formulation de « Parquet » de préférence à celle de « Procureur », retenue dans le livre vert de la Commission européenne, invite aussi au choix d'une telle organisation. Celle-ci faciliterait l'intégration du Parquet européen dans les systèmes juridiques nationaux. Outre l'aspect linguistique, elle permettrait une représentation plus aisée du Parquet européen auprès des juridictions nationales. Cette organisation permettrait aussi d'avoir plusieurs délégués nationaux sur une même affaire. En France, le parquet financier de Paris, qui dispose d'une réelle expertise pourrait, par exemple, être désigné comme délégué national du Parquet européen.
Il reviendrait au délégué national du Parquet européen d'accomplir les diligences nécessaires pour assurer la bonne exécution, dans son État membre de rattachement, des instructions du Parquet européen, le cas échéant sous le contrôle du juge.
Le livre vert de la Commission européenne avait envisagé cette solution souple avec un Procureur européen « centralisant le minimum nécessaire au niveau communautaire » et des procureurs européens délégués « appartenant aux systèmes juridiques nationaux, qui exerceraient concrètement l'action publique. » Ce schéma avait été repris par le groupe de travail mis en place en 2010 sous la présidence espagnole.
Un Parquet européen, organisé sous une forme décentralisée, devra bénéficier de garanties d'indépendance. Cela impliquerait que son pouvoir d'instruction sur les délégués nationaux soit, dans son domaine de compétence, exclusif de toute autre instruction que ces délégués pourraient recevoir des autorités nationales. Mais comme le relève le Conseil d'État, une telle règle ne serait pas incompatible avec la possibilité pour les délégués nationaux d'exercer parallèlement d'autres attributions au plan national. Cette logique de « double casquette », retenue tant par le livre vert que par le groupe de travail de la présidence espagnole, suppose néanmoins une délimitation très claire des compétences. La création d'un Parquet européen pourra aussi avoir un impact sur le statut des parquets nationaux.
Selon l'étude du Conseil d'État, le Parquet européen pourrait être conçu sous la forme d'une agence européenne dotée de la personnalité juridique sans rattachement à l'une des institutions de l'Union et disposant d'une forte autonomie, notamment en matière budgétaire et financière. Les membres du Parquet ne pourraient pas être des fonctionnaires de l'Union ni davantage avoir la qualité de magistrat des juridictions européennes, conformément au principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Ils devraient bénéficier d'un statut sui generis leur permettant de conserver leur qualité de magistrat ou d'autorité assimilée dans leur ordre juridictionnel national, tout en étant détachés auprès du Parquet européen pour exercer leurs fonctions. L'exigence d'indépendance, tant vis-à-vis des institutions de l'Union que des États membres, devrait être prise en compte dans les modalités de nomination et de révocation.
Les propositions de nomination devraient être faites par les États membres. Un comité de sélection, déjà compétent pour les juges de la Cour de justice, pourrait être sollicité. Le mode de désignation du Parquet européen devrait impliquer un contrôle des parlements européen et nationaux pour asseoir sa légitimité démocratique.
Conformément à l'article 86 du traité, le Parquet européen sera compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.
Se pose la question du caractère exclusif ou non de la compétence du Parquet européen. Le Conseil d'État estime plus conforme à l'esprit de l'article 86 que les règlements pris pour son application confèrent au Parquet européen une compétence exclusive dans son champ de compétence. Une difficulté pourrait concerner des infractions connexes à celles relevant de la compétence du Parquet européen. L'étude du Conseil d'État souligne que deux obstacles apparaissent s'opposer à ce que le Parquet européen connaisse de ces infractions connexes : l'atteinte à la souveraineté nationale résultant de l'action du Parquet européen en des matières ne relevant pas de sa compétence d'attribution ; le principe communautaire d'attribution en vertu duquel toute compétence qui n'est pas attribuée à un organe de l'Union par les traités appartient aux États membres.
Les juridictions nationales des États membres demeureront compétentes pour se prononcer sur le fond. Des critères devront être fixés pour définir quelle est la juridiction de renvoi. Ces critères pourraient recouper ceux du code de procédure pénale français : lieu du domicile de l'auteur, lieu de commission des faits, pouvant inclure le lieu ou le préjudice est subi, lieu d'établissement d'une personne morale. Dans le cas d'une extension du champ de compétences du Parquet européen, ils pourraient éventuellement être étendus pour prendre en compte la domiciliation des victimes. Un ordre de priorité devrait être établi entre les critères afin d'éviter les contentieux et de permettre au Parquet européen de prendre sa décision sur des bases claires et solides. Cependant, comme le relève la Direction des affaires criminelles et des grâces, quel que soit le degré de précision de ces critères, leur application supposera des choix d'opportunité, compte tenu du caractère transnational des infractions concernées. Le choix de l'État de renvoi se portera sans doute sur l'État le plus « concerné », le plus « impacté », celui sur le territoire duquel le préjudice le plus important aura été causé, celui sur le territoire duquel un plus grand nombre de prévenus ou de victimes se trouvera.
La juridiction de renvoi devrait être une juridiction spécialisée dans chaque État membre (par exemple pour la France, le TGI de Paris ou encore les sièges des Juridictions Interrégionales Spécialisées). Les décisions judiciaires nationales seront toutefois encadrées par la jurisprudence de la Cour de justice qui exige une proportionnalité des sanctions.
Le Parquet européen exercera devant ces juridictions l'action publique relative à ces infractions. Cette mission recouvre notamment la prise de réquisitions orales ou écrites, ainsi que la faculté d'interjeter appel contre les décisions rendues en premier ressort. En pratique, le délégué du Parquet européen tiendra le siège du ministère public, s'agissant de délits commis par des auteurs majeurs, devant le tribunal correctionnel et, dans le cadre d'un appel, devant la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel. En outre, dès lors que l'on ne peut exclure que des faits de nature criminelle ressortisse à la compétence du Parquet européen, ainsi que le souligne le Conseil d'État, aucune règle ni aucun principe ne paraît s'opposer à ce que le Parquet européen tienne le siège de l'avocat général devant la Cour d'assises.
c) Les modalités de saisine et la place faite aux victimes
L'étude du Conseil d'État envisage les modalités de saisine du Parquet européen. Si le champ de compétences de celui-ci était restreint à la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, la saisine pourrait être ouverte à la Commission européenne et ses services, notamment l'OLAF, à un autre organe de l'Union comme la Cour des comptes, à toute autorité judiciaire d'un État membre, une saisine d'office devant par ailleurs être possible. Le Parquet européen serait chargé de l'action publique pour la répression des délits portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union ; la Commission européenne exercerait, le cas échéant l'action civile pour la réparation du dommage qui aurait été causé à l'Union par l'infraction poursuivie.
Si les compétences étaient étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, la saisine devrait être élargie à Eurojust et à toute personne physique ou morale de l'Union européenne selon des modalités de filtrage à définir, dans le respect du partage des compétences entre le Parquet européen et les parquets nationaux.
Se pose par ailleurs la question de savoir si le Parquet européen devrait être soumis au principe de l'opportunité ou de la légalité des poursuites. L'étude du Conseil d'État envisage les deux cas de figure. Elle relève que le choix de la légalité des poursuites, retenu dans le livre vert de la Commission européenne, pourrait obéir au souci juridique d'une application uniforme de la règle de droit dans l'Union européenne. Mais le principe de l'opportunité des poursuites, appliqué en procédure pénale française, aurait le grand avantage d'éviter que le Parquet européen ne mette systématiquement en oeuvre l'action publique, y compris pour la répression de fraudes mineures aboutissant au prononcé de peines ni exemplaires ni dissuasives. Il éviterait une dispersion des moyens d'action du Parquet européen au détriment du traitement d'affaires graves et complexes appelant une réponse pénale adaptée.
d) Un recours aux services nationaux d'enquête
Le Parquet européen devrait mener ses investigations, pour l'essentiel, en s'appuyant sur les services d'enquêtes nationaux. Un service d'enquête européen pourrait, le cas échéant, être envisagé pour appuyer l'action des services nationaux et contribuer à une bonne coopération pour les dossiers de dimension transfrontalière. Le service rattaché au Parquet européen devrait pouvoir assister aux investigations.
Un service d'enquête européen pourrait être constitué à partir de l'OLAF (si la compétence du Parquet était limitée à la protection des intérêts financiers de l'Union européenne) ou à partir d'Europol (en cas d'extension à la lutte contre la criminalité organisée). Il conviendrait de recruter, pour constituer ce service, des agents de ces organismes ainsi que des agents issus des parquets nationaux ayant des compétences spécifiques.
Entendus par votre rapporteur, Europol et l'OLAF ont revendiqué leur rôle dans ce domaine. Le directeur de l'OLAF a même évoqué la transformation de l'OLAF en Parquet européen. Ce qui paraît exclu à la fois en raison des termes du traité (« à partir d'Eurojust ») et du statut de l'OLAF comme des missions qui lui sont dévolues.
Le traité mentionne que le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, « le cas échéant en liaison avec Europol », les auteurs et complices d'infractions. Une proposition de règlement, qui sera présentée prochainement, changera la base légale d'Europol et modifiera ses liens avec les services nationaux. En toute hypothèse, l'article 88 du TFUE précise que toute action opérationnelle d'Europol doit « être menée en liaison et en accord avec les autorités du ou des États membres dont le territoire est concerné, l'application des mesures de contrainte relève exclusivement des autorités nationales compétentes ».
L'OLAF a par ailleurs un pouvoir d'enquête qui porte sur les fonds européens. Il a une forte expérience des dossiers mettant en cause les intérêts financiers de l'Union européenne et de la lutte contre la fraude. Il a une réflexion déjà ancienne sur son évolution vers plus d'autonomie. Mais c'est une direction générale de la Commission européenne. Il conduit des enquêtes administratives et non pas des enquêtes pénales. Ses enquêtes sont rarement suivies de poursuites pénales dans les États membres. Une proposition de règlement tend à renforcer l'efficacité des enquêtes de l'OLAF et à clarifier simultanément les droits procéduraux des personnes impliquées dans ses enquêtes. S'il devait être intégré au Parquet européen, il conviendrait de distinguer les enquêtes internes relevant de la Cour des comptes et les enquêtes externes, ces dernières devant être conduites sous l'autorité du Parquet européen. L'OLAF doit aussi mieux coopérer avec Eurojust (les deux organismes ont signé un accord à cette fin).
Toujours est-il que c'est à partir des structures existantes que la mission d'appui devrait être envisagée. On observera, par ailleurs, que l'adoption du texte sur la décision d'enquête européenne permettrait d'assurer une reconnaissance mutuelle. En outre, les enquêtes sur la mise en cause des intérêts financiers de l'Union vont très souvent au-delà des frontières de l'Union européenne, d'où la nécessité d'une coopération internationale
2. Les modalités de fonctionnement : un socle minimal de règles harmonisées
a) Les voies d'une harmonisation
Il paraît nécessaire de mettre en place un socle minimal de règles harmonisées au niveau européen. Cette harmonisation devra en particulier concerner la définition des infractions et l'admissibilité des preuves. Au-delà, le principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres devra pleinement jouer.
Outre l'article 86 du TFUE qui concerne spécifiquement le Parquet européen, les articles 82 et 325 du TFUE ouvrent plus généralement la voie à une harmonisation tant du droit pénal que de la procédure pénale.
On relèvera une différence non négligeable sur la nature des textes et sur la procédure applicable pour parvenir à une harmonisation. L'article 86 prévoit que ce sont des règlements du Conseil, adoptés conformément à une procédure législative spéciale (unanimité au Conseil et approbation du Parlement européen), qui fixeront les règles de procédure applicables aux activités du Parquet européen, ainsi que celles gouvernant l'admissibilité des preuves, et les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure.
Au contraire, l'article 82 prévoit que le Parlement européen et le Conseil peuvent établir des règles minimales en statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire. Ces règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres. Elles portent sur l'admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres, les droits des personnes dans la procédure pénale et les droits des victimes de la criminalité. La même procédure est prévue par l'article 83 aux fins d'établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière C'est aussi la procédure législative ordinaire (après consultation de la Cour des comptes) qui est prévue par l'article 325 pour arrêter les mesures nécessaires à la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et à la lutte contre cette fraude.
Les règlements relatifs au Parquet européen devraient s'en tenir à un socle minimal de règles harmonisées et ne pas prétendre à l'exhaustivité. Il conviendra de prendre en compte, à travers des règles de procédures différentes, les traditions juridiques nationales (par exemple, la preuve est libre en France alors qu'elle est très encadrée au Royaume-Uni). L'harmonisation des règles de droit pénal et de procédure pénale prévue par le TFUE (articles 82 et 83) devrait être menée parallèlement.
L'étude du Conseil d'État explicite ce qui pourrait figurer dans des textes d'harmonisation. La charge de la preuve des infractions devrait incomber au Parquet européen, auquel il appartiendrait de soumettre à un débat contradictoire l'ensemble des éléments de preuve sur lesquels il entendrait asseoir son accusation. Les textes devraient aussi définir des règles gouvernant l'admissibilité des preuves. L'hypothèse d'un régime de liberté de preuve - qui est appliqué en procédure pénale française - étant écartée par le traité, trois solutions sont envisageables : le texte communautaire pourrait soit établir une liste des modes de preuve admissibles (écoutes, perquisitions, interrogatoires...), soit prévoir que toute preuve légalement recueillie sur le territoire d'un État membre serait admissible sur le territoire d'un autre État membre (reconnaissance mutuelle), soit enfin définir un ensemble de principes généraux applicables au recueil des preuves et dont le respect conditionnerait leur admissibilité (autorisation par un juge des libertés de toute mesure coercitive de recueil d'une preuve, par exemple).
Article 82 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne 1. La coopération judiciaire en matière pénale dans l'Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres dans les domaines visés au paragraphe 2 et à l'article 83. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures visant : a) à établir des règles et des procédures pour assurer la reconnaissance, dans l'ensemble de l'Union, de toutes les formes de jugements et de décisions judiciaires ; b) à prévenir et à résoudre les conflits de compétence entre les États membres ; c) à soutenir la formation des magistrats et des personnels de justice ; d) à faciliter la coopération entre les autorités judiciaires ou équivalentes des États membres dans le cadre des poursuites pénales et de l'exécution des décisions. 2. Dans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales. Ces règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres. Elles portent sur : a) l'admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres ; b) les droits des personnes dans la procédure pénale ; c) les droits des victimes de la criminalité ; d) d'autres éléments spécifiques de la procédure pénale, que le Conseil aura identifiés préalablement par une décision ; pour l'adoption de cette décision, le Conseil statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. L'adoption des règles minimales visées au présent paragraphe n'empêche pas les États membres de maintenir ou d'instituer un niveau de protection plus élevé pour les personnes. 3. Lorsqu'un membre du Conseil estime qu'un projet de directive visée au paragraphe 2 porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale, il peut demander que le Conseil européen soit saisi. Dans ce cas, la procédure législative ordinaire est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil, ce qui met fin à la suspension de la procédure législative ordinaire. Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf États membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de directive concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l'autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l'article 20, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne et à l'article 329, paragraphe 1, du présent traité est réputée accordée et les dispositions relatives à la coopération renforcée s'appliquent. |
Article 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne 1. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d'un besoin particulier de les combattre sur des bases communes. Ces domaines de criminalité sont les suivants: le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. En fonction des développements de la criminalité, le Conseil peut adopter une décision identifiant d'autres domaines de criminalité qui remplissent les critères visés au présent paragraphe. Il statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. 2. Lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière pénale s'avère indispensable pour assurer la mise en oeuvre efficace d'une politique de l'Union dans un domaine ayant fait l'objet de mesures d'harmonisation, des directives peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine concerné. Ces directives sont adoptées selon une procédure législative ordinaire ou spéciale identique à celle utilisée pour l'adoption des mesures d'harmonisation en question, sans préjudice de l'article 76. 3. Lorsqu'un membre du Conseil estime qu'un projet de directive visée aux paragraphes 1 ou 2 porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale, il peut demander que le Conseil européen soit saisi. Dans ce cas, la procédure législative ordinaire est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil, ce qui met fin à la suspension de la procédure législative ordinaire. Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf États membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de directive concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l'autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l'article 20, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne et à l'article 329, paragraphe 1, du présent traité est réputée accordée et les dispositions relatives à la coopération renforcée s'appliquent. |
Article 325 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne 1. L'Union et les États membres combattent la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres, ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l'Union. 2. Les États membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union que celles qu'ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers. 3. Sans préjudice d'autres dispositions des traités, les États membres coordonnent leur action visant à protéger les intérêts financiers de l'Union contre la fraude. À cette fin, ils organisent, avec la Commission, une collaboration étroite et régulière entre les autorités compétentes. 4. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent, après consultation de la Cour des comptes, les mesures nécessaires dans les domaines de la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et de la lutte contre cette fraude en vue d'offrir une protection effective et équivalente dans les États membres ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l'Union. 5. La Commission, en coopération avec les États membres, adresse chaque année au Parlement européen et au Conseil un rapport sur les mesures prises pour la mise en oeuvre du présent article. |
b) Le contrôle juridictionnel des actes du Parquet européen
Les actes du Parquet européen devront faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, comme le prévoit le § 3 de l'article 86 du TFUE. D'abord, l'intervention d'un juge sera le plus souvent nécessaire pour autoriser le Parquet européen à mettre en oeuvre certains de ses pouvoirs d'enquête (par exemple, une perquisition sans assentiment ou des interceptions de conversations téléphoniques). Cette autorisation pourrait être délivrée soit par un juge ou une juridiction de l'État membre concerné, soit par une juridiction européenne, le cas échéant une juridiction spécialisée créée sur le fondement de l'article 257 du TFUE.
L'étude du Conseil d'État rappelle qu'en application de l'article 263 du TFUE le contrôle de la légalité des organes et organismes de l'Union destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers ressortit à la compétence de la Cour de justice. De plus, les exigences constitutionnelles doivent être prises en compte. Le Conseil d'État relève que l'article 66 de la Constitution, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 décembre 1993, implique que les actes d'enquête portant atteinte à la liberté individuelle soient soumis à l'autorisation préalable de l'autorité judiciaire. En outre, le choix d'une juridiction européenne pourrait ne pas être compatible avec les contraintes propres à l'enquête pénale, qui impliquent d'obtenir des décisions dans des délais brefs. La juridiction compétente devrait pouvoir réagir « heure par heure » sur un recours contre une décision décidant d'engager des poursuites mais aussi sur les incidents de procédure.
Les actes du Parquet européen devront par ailleurs faire l'objet d'une contrôle de régularité. Si le choix, privilégié par votre commission des affaires européennes, d'une structure décentralisée était opéré, la question du contrôle juridictionnel pourrait être réglée plus simplement. Comme le relève l'étude du Conseil d'État, le choix de la juridiction compétente dépendrait de la nature des actes en cause et du stade de la procédure auquel ils sont pris. Les actes du Parquet européen adoptés en amont et en sa qualité d'organe de l'Union européenne pourrait relever du contrôle d'une juridiction spécialisée de l'Union européenne, créée sur le fondement de l'article 257 du TFUE. En revanche, les actes adoptés pendant la phase procédurale devant la juridiction nationale de renvoi par le procureur national délégué devraient en principe relever de la juridiction nationale compétente. Ce schéma serait sans préjudice des compétences de la Cour de justice en matière préjudicielle.
Un contrôle « au fil de l'eau », au cours de l'enquête, assorti le cas échéant d'un délai de forclusion, comparable à celui prévu par l'article 173-1 du code de procédure pénale en matière de nullités de la procédure d'instruction préparatoire, pourrait aussi être de nature à éviter de voir se développer une procédure d'enquête qui pourrait être invalidée in fine.
c) L'intervention du Parquet européen postérieurement au prononcé du jugement
Le Parquet européen devrait toutefois pouvoir agir postérieurement au prononcé d'un jugement. Il devrait pouvoir former un recours contre une décision prononcée par une juridiction de jugement qui ne serait pas conforme à ses réquisitions. En revanche, l'étude du Conseil d'État considère qu'il n'est pas indispensable de lui reconnaître la possibilité d'intervenir, au sens plein du terme, dans le cadre de la procédure d'examen du pourvoi en cassation, autrement que par la production d'un simple mémoire écrit, à l'image de ce que fait parfoir le procureur général près la Cour d'appel. En effet, le rôle de l'avocat général près la Cour de cassation n'est pas de soutenir l'accusation mais de veiller, en toute indépendance, à l'exacte application de la loi pénale. En outre, seule reste en débat devant la Cour de cassation l'application du droit , les faits étant, sauf dénaturation, tenus pour établis par les attendus de l'arrêt attaqué. L'exécution des peines devra relever des États membres.
d) La nécessité d'une évaluation parlementaire des activités du Parquet européen
L'article 85 du TFUE renvoie à des règlements le soin de préciser les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust.
Dans sa résolution du 29 juin 2011, le Sénat s'était prononcé pour l'organisation, une fois par présidence semestrielle du Conseil, d'une commission mixte composée de représentants du Parlement européen et des parlements nationaux, à partir des réunions interparlementaires conjointes et des réunions au niveau européen des commissions chargées de la sécurité dans les parlements nationaux. Selon la résolution, cette commission mixte pourrait être chargée à la fois du contrôle d'Europol et de l'évaluation d'Eurojust.
Dans le même esprit, il paraît essentiel de soumettre les activités du Parquet européen à une évaluation parlementaire associant le Parlement européen et les parlements nationaux. Cette évaluation pourrait être confiée à cette même commission mixte.
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Lors de sa réunion du jeudi 6 décembre 2012, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne ci-après 4 ( * ) , et décidé d'autoriser la publication du présent rapport.
* 4 Cette proposition de résolution européenne a été déposée au Sénat le 10 décembre 2012 sous le numéro 200 (2012-2013) .