3. Vivre avec le Vidourle
L'affaire paraissait entendue, si les barrages écrêteurs n'avaient pas supprimé toutes les crues de plus de 3,5 m, ils en avaient notablement réduit le nombre, l'ampleur et surtout avaient supprimé les crues catastrophiques. Le nombre de points vulnérables a été réduit ainsi que le nombre d'alertes sérieuses qui pouvaient être de deux ou trois par an.
Entre-temps, forte de cette protection, en plein accord avec le plan de prévention du risque d'inondations (PPRI), l'urbanisation de la rive droite du Vidourle, moins facilement inondable que la rive gauche, s'était développée, avec notamment la création d'un centre commercial.
La crue de septembre 2002 qui submergea la vieille ville sous plus de 4 m d'eau et inonda aussi la rive droite montra clairement que si les aménagements réalisés n'étaient pas inutiles, puisqu'ils limitaient la fréquence et l'ampleur des crues de faible intensité, ils ne suffisaient pas à régler le problème. Il fallait « vivre avec Vidourle » et si possible « bien vivre » avec lui.
En même temps que le SIAV poursuit une action dont l'utilité n'est plus à démontrer, un PPRI a été élaboré et approuvé en 2008, le plan communal de sauvegarde (PCS) mis à jour en 2009. Il comporte un « Plan d'intervention gradué » en fonction de trois niveaux prévisibles d'inondation, les procédures de gestion de crise et les annuaires de crise. Chaque intervenant dispose de quelques pages opérationnelles pratiques.
Si la commune est abonnée à « Prédict » et a mis en service « Vigicrues », la vigilance est l'affaire de tous : des élus et de la population. Vigilance efficace puisque, malgré la récurrence des inondations, voire sévères, aucune victime n'a été à déplorer à Sommières depuis 1933, qui en connut deux cette année là.
Pour les élus, un suivi de la situation météo et de la montée des eaux très strict est réalisé de quart d'heure en quart d'heure, en tenant compte de la situation des communes à l'amont et des affluents du Vidourle entre elles et Sommières, les communes du bassin étant en relations constantes.
L'alerte et la communication sont organisées : sirène, haut-parleurs (en place à demeure), téléphone, central d'appels simultanés (4 500 personnes informables en 20 min), affichage, Internet (site de la mairie), France Bleu Gard-Lozère. Existent aussi des correspondants de quartier qui jouent le rôle d'interface avec la population. Une réunion publique est, par ailleurs, prévue tous les deux ans.
La mairie a été équipée d'un groupe électrogène et les services dotés de moyens de communication propres : téléphone et radio spécifiques. Les services municipaux disposent d'un matériel de nettoyage adéquat et adapté à l'exigüité des lieux. Bien entraînés, ils ont acquis une grande efficacité, comme ils l'ont montré à Draguignan en 2010, où ils sont intervenus solidairement. La municipalité a mis au point des horodateurs et prises de courant foraines amovibles. À partir d'une certaine cote, les services procèdent à leur enlèvement. Les 6 chambres d'accueil réalisées n'ont servi jusque-là qu'à des voyageurs bloqués à Sommières.
S'agissant de la population, comme dit plaisamment un élu, « à Sommières chacun a une adresse et une hauteur d'eau » . Chacun ajoute sa propre « hauteur d'eau » - quelques dizaines de centimètres ou de mètres - à la hauteur d'eau de référence mesurée au pont romain, pour connaître le risque qu'il court et savoir ce qu'il doit faire.
Jusqu'à une certaine hauteur, rien. Au-dessus, il commence à mettre une partie du matériel à l'abri, généralement au premier étage de l'immeuble, puis la totalité du matériel et du stock, et enfin se réfugie dans un local sûr.
Les repères de crue disposés dans toute la ville ne sont pas le moindre objet de surprise pour le visiteur. La juxtaposition de vitrines de commerces et des repères 179 ( * ) indiquant qu'ils sont régulièrement inondés et furent déjà totalement submergés n'est, en effet, pas banal.
En zone inondable - soit les trois-quarts de la ville ancienne -, il n'y a pas d'habitation en rez-de-chaussée, seulement des remises, garages ou commerces. Les logements sociaux installés dans des immeubles anciens réhabilités tiennent compte, eux aussi de cette contrainte.
Les circuits électriques sont adaptés : ils descendent jusqu'au rez-de-chaussée au lieu d'en partir. Les matériaux et revêtements utilisés sont généralement simples et résistants à l'eau.
Le stock des nombreux commerces y est réduit au minimum, le matériel (congélateurs, réfrigérateurs, fours...) robuste. Le sèche-cheveux, indispensable à la déshumidification des moteurs électriques, est un équipement de base. Chacun est équipé du matériel de nettoyage nécessaire et la solidarité, y compris des voisins d'autres villages, joue à plein 180 ( * ) .
Un commerçant, arrivé à Sommières depuis une dizaine d'années, nous explique : « La première fois, à l'annonce de la crue et durant la crue, j'étais stressé. Plus maintenant. L'eau vient. On déménage. L'eau repart. On nettoie, on remet tout en marche et la vie continue. » Il nous précise cependant qu'il est content que la fréquence et l'ampleur de crues de faible amplitude aient diminué grâce aux travaux effectués par le SIAV.
L'ensemble de la population, par « temps de Vidourle », se tient au courant régulièrement de l'évolution de la situation, de même que les automobilistes qui doivent passer par Sommières.
Autre sujet d'étonnement : on ne note aucun problème avec les assurances, les inondations mineures n'entraînant ni déclaration de catastrophe naturelle, ni même demande d'indemnisation de la part des intéressés. Ce qui fait partie de la vie courante n'est pas considéré comme indemnisable de la part des assurés eux-mêmes. Les élus responsables estiment que moins d'un quart des inondations fait l'objet d'un classement en « catnat », les précautions prises réduisant l'ampleur des dégâts. Ainsi la crue de décembre 2003 ne l'a-t-elle pas été, alors que celle de décembre 2002, parce qu'intervenue après la catastrophe de septembre, l'a été pour des motifs essentiellement psychologiques.
Depuis cette date aucun classement en « catnat » n'est intervenu.
Plutôt que de « culture du risque », le maire préfère parler de « conscience du risque » : connaître le risque, l'accepter, l'évaluer pour mieux s'en protéger.
Le contraire du fatalisme : « vivre avec Vidourle » suppose une vigilance de tous les instants et la prise en compte des obligations que cela impose en matière de protection et d'urbanisme.
Ainsi sur la rive droite, la municipalité mène une politique d'acquisition foncière et a repoussé la constructibilité aux zones non inondables. 6 maisons ont été détruites et le centre commercial, notamment, ne sera pas reconstruit là où il était.
Si la gendarmerie devrait déménager, le collège et le centre de secours, construits eux aussi en zone inondable, resteront en place avec des aménagements de leurs installations et des procédures de transferts de véhicules, voire d'évacuation en cas d'alerte sévère.
Le PPRI y autorise, sous certaines conditions, des aménagements et équipements, notamment pour des activités sportives, d'animation et de loisir ainsi que des changements de destination allant dans le sens de la réduction de la vulnérabilité. Le secteur est classé en zone NU « dont il convient de préserver les capacités d'écoulement ou de stockage des crues en y interdisant les constructions nouvelles » (aléa indifférencié fort ou modéré) soit à risque moindre que la ville ancienne, classée évidemment en zone d'aléa fort.
Le PLU quant à lui prévoit l'aménagement d'une zone verte le long des berges du Vidourle. Située au coeur de la ville, elle entend être un trait d'union entre l'ancienne ville médiévale sur la rive gauche et les quartiers nouveaux de la rive droite.
Ceci posé, cette conception de l'aménagement de la rive droite de Sommières se heurte à l'opposition des services de l'État dont la doctrine flotte entre l'acceptation d'occupation de bâtiments existants, certains en activité comme un café-brasserie situé sur les berges du Vidourle, et la délocalisation d'autres : 12 puis 6, dont l'une est une ancienne ferme (acquise par la commune grâce au fonds « Barnier » à la demande du préfet), dont l'origine remonte à 1680 et que la commune souhaite transformer en « musée des métiers d'autrefois » ou en « maison de l'eau ».
« Il est très difficile de comprendre » , note en juillet 2009 la commune dans un « plaidoyer pour un accord avec les services de l'État », « pourquoi la commune de Sommières, accueillant à la maison des métiers d'autrefois des Sommiérois ou des touristes pour des visites programmées au cours de périodes sans troubles atmosphériques, mettrait leur vie en danger, alors que ces mêmes personnes pourraient, sans restriction aucune, par exemple parcourir le centre-ville et ses boutiques, déjeuner dans les restaurants du centre-ville, traverser le Vidourle sur une passerelle au ras de l'eau, se promener sur les trottoirs longeant la N 110, revenir sur la rive gauche pour une partie de boules sur l'esplanade, et reprendre leur voiture stationnée sur le parking du Vidourle. »
« Il y a là une incohérence qui ne peut échapper au bon sens . » Au bon sens, certainement... Dans le langage des bureaux, on dira que la doctrine officielle relative à l'aménagement et au développement des zones inondables n'est pas entièrement satisfaisante.
Sommières a donc appris à vivre avec le Vidourle, en faisant même, aujourd'hui avec son patrimoine et ses particularités, comme autrefois un élément d'attraction. Ainsi vient d'être créé un fonds de dotation « Le printemps des pierres de Sommières » qui, outre ses projets de restauration, entend fédérer les villes d'Europe possédant un pont habité, telles que Florence.
Cette manière d'appréhender l'inondation est-elle généralisable ? Certainement pas généralisable telle quelle, parce que cela demande une énergie de la population et de ses élus dont on peut douter qu'elle soit la chose du monde la mieux partagée et parce qu'à Sommières l'amnésie n'est pas possible. L'amnésie collective, ce refus de voir qui explique une part de l'étonnante insouciance vis-à-vis du risque quand ce ne sont pas des choix d'urbanisme éminemment discutables.
Cependant, malgré ses particularités non transposables, Sommières montre qu'il est possible de penser autrement l'inondation qu'en termes de protection, autant dire de restrictions et d'interdictions. C'est cette manière de poser le problème et de lui trouver des solutions qui est transposable, « cum grano salis », évidemment.
* 179 Voir photographie annexe 9.
* 180 Voir photographie annexe 9.