3. « Ne vieillissez pas trop vite » ou le risque accru d'exclusion sociale par l'apparence

Au regard de l'importance accordée aujourd'hui à l'apparence, il demeure difficile de démêler, dans le cadre d'une intervention à visée esthétique, ce qui relève d'une démarche spontanée de ce qui est du ressort d'une contrainte intégrée . En tout état de cause, la pression sociale exercée par le poids des apparences demeure élevée.

Plusieurs études sociologiques convergentes révèlent la stigmatisation dont font l'objet les personnes dont l'apparence physique ne se situe pas dans la norme. Comme l'a déclaré Jean-François Amadieu lors de son audition, la taille et le poids constitueraient, à égalité avec les noms et prénoms, le premier motif déclaré par les Français de moquerie, de mise à l'écart ou de refus d'un droit.

L'impact discriminatoire de l'apparence physique se manifeste jusque dans la vie professionnelle en général et dans l'accès à l'emploi en particulier, voire pour le maintien dans l'emploi. Dans un sondage réalisé en mai 2003, l'Observatoire des discriminations 39 ( * ) a montré que 82 % des personnes interrogées ont le sentiment que, par rapport au passé, l'apparence personnelle et la façon de se présenter jouent un rôle plus important (dont, pour 46 % d'entre elles un rôle « beaucoup » plus important) dans la vie professionnelle et le déroulement d'une carrière . Cette opinion est partagée par les hommes et les femmes et concerne tout particulièrement les jeunes (plus de 90 % des moins de trente-cinq ans) ainsi que les catégories moyennes et populaires (84 % des employés et 88 % des ouvriers).

En matière d'emploi, une véritable concurrence entre discriminations s'install e : il est difficile de lutter à la fois contre la discrimination par le nom et contre l'exclusion par l'apparence. Comme l'a souligné Jean-François Amadieu lors de son audition par la mission, « s'agissant de l'emploi, la question la plus sensible est celle du recrutement. C'est une hérésie que de valoriser les CV en vidéo ou avec photo. Il convient de tout faire pour que l'aspect physique ne joue pas dans le recrutement » .

Le jeunisme conduit à dévaloriser la vieillesse et alimente des formes de discriminations liées à l'âge . Dans ce contexte, une personne âgée peut être perçue comme s'étant négligée. Elle n'a pas fait le nécessaire pour conserver une apparence ferme et tonique et en est tenue pour responsable. Tout se passe désormais comme si les signes du vieillissement revêtaient une connotation négative. C'est ce phénomène qu'incarne cette campagne de publicité lancée par une grande chaîne de radio, en 2010, au slogan provocateur : « Ne vieillissez pas trop vite » .

En conséquence, au-delà d'une appréhension psychologique accrue du vieillissement, de nouvelles formes d'inégalités apparaissent entre ceux qui ont les moyens financiers de combattre les déterminismes biologiques, y compris en ayant recours à des interventions esthétiques, et les autres.

S'il est difficile de lutter contre cette discrimination par l'argent, on peut noter que les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs afin de sensibiliser l'opinion au développement de cette nouvelle forme d'inégalité. Lors de son audition, Jean-François Amadieu notait d'ailleurs que « les campagnes nationales contre la violence et le harcèlement à l'école ont eu un impact. On y voit justement un garçon moqué parce qu'obèse » .

Lutter contre les discriminations et éduquer nos contemporains à dépasser les stéréotypes n'empêchera jamais certains d'entre eux de vouloir corriger ce qui leur apparait comme la source d'un mal-être, voire une difformité. Sinon pourquoi la presse magazine consacrerait-elle régulièrement des articles, voire des dossiers entiers, à des thèmes tels que « Rajeunir » , « Spécial kilos » ou encore « Cellulite » ?

Comme l'a expliqué Monique Le Dolédec, rédactrice en chef adjointe du magazine Elle, au cours de la table ronde sur la place de l'esthétique dans la ligne éditoriale de la presse magazine organisée par la mission, « tous ces numéros se vendent bien. Par les sujets traités, nous ne faisons que refléter les préoccupations des femmes qui ont des attentes, des espérances, des envies, mais aussi des méfiances et des interrogations. Nous sommes comme des éponges qui intègrent et répondent à ce qui se passe dans la tête et le corps des femmes » ... et, de plus en plus, des hommes.

En présence de titres accrocheurs comme « La chirurgie esthétique a changé ma vie » , il est toutefois possible de douter de la capacité des intéressé(e)s à ne pas laisser libre cours à leur envie de recourir à toutes les techniques disponibles sur le marché. Les personnes en souffrance, ou tous ceux qui aspirent au rajeunissement, continueront d'autant plus à vouloir lutter contre les effets du temps que les préoccupations ancestrales en la matière s'accompagnent aujourd'hui de considérations d'ordre économique.


* 39 « Les discriminations sur l'apparence dans la vie professionnelle et sociale », étude réalisée pour Adia par l'Observatoire des discriminations en collaboration avec la Sofres, mai 2003.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page