D. L'EXEMPLE BELGE
La scolarisation des enfants autistes en
Belgique
Grande Cause Nationale 2012, l'autisme touche près de 440 000 personnes en France. Chaque année, ce sont 5 000 à 8 000 enfants qui naissent atteints de syndrome autistique.
Comme le note Valérie Létard, dans son rapport sur l'évaluation du plan autisme 2008-2010 remis au Gouvernement en décembre dernier 1 :
« La très grande hétérogénéité des personnes atteintes par ce handicap, l'absence de connaissance des causes, la méconnaissance de ces troubles par le grand public et par beaucoup de professionnels de la santé et de l'éducation, les divergences persistantes sur les modes d'accompagnement et les conséquences dramatiques d'erreurs d'orientation permettent de mesurer à la fois l'enjeu et les difficultés de cette problématique de santé publique .
La France connaît, par rapport à de nombreux pays européens, en particulier les pays anglo-saxons et d'Europe du Nord, un retard important dans l'approche de ces troubles et par voie de conséquence dans la mise en place de méthodes d'accompagnement et éducatives adaptées. Ce retard est encore sensible malgré l'adoption, depuis plus de dix ans, de mesures législatives et réglementaires novatrices. »
Aussi, dans le cadre de ce rapport sur l'évaluation de l'application de la loi de 2005, les rapporteurs ont souhaité aborder le sujet de l'autisme sous l'angle de la scolarisation des enfants atteints de ce trouble. Alertées, dans leurs départements respectifs (Essonne et Hauts-de-Seine) et dans plusieurs départements du nord de la France (Aisne et Marne), sur la présence de nombreux enfants français autistes dans les établissements belges , elles ont tenu à se rendre sur place pour mieux comprendre les causes de ce qu'il convient bien d'appeler un « exode ».
Les rapporteurs ont visité deux établissements accueillant de jeunes autistes : le premier (« Les Co'Kain »), situé près de la frontière française, est une école d'enseignement spécialisé de maternel et de primaire ; le second (« Grandir »), situé à Bruxelles, est un centre d'accueil de jour.
Elles se sont également entretenues avec plusieurs représentants des autorités belges compétentes en matière de handicap 2 : le cabinet de la ministre de l'enseignement obligatoire et de la promotion sociale de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le cabinet de la ministre chargée de la politique d'aide aux personnes handicapées de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la ministre de la santé, de l'action sociale et de l'égalité des chances de la région wallonne.
A l'Ambassade de France, elles ont échangé avec des responsables d'associations françaises et belges actives sur l'autisme et des élus de l'Assemblée des Français de l'étranger. Enfin, elles se sont entretenues avec l'ambassadeur de France et le consul général de France.
Les différents modes de scolarisation des enfants handicapés en Belgique
Contrairement à la France, qui a fait de la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire une priorité, la Belgique a privilégié la voie de l'enseignement spécialisé , même si l'intégration dans l'enseignement ordinaire est également possible.
L'enseignement spécialisé
L'enseignement spécialisé existe, sous sa forme actuelle, depuis 1970 pour répondre aux besoins éducatifs spécifiques d'enfants présentant des difficultés à suivre une scolarisation dans l'enseignement ordinaire 3 .
Ses objectifs, pour chaque élève, sont les suivants :
- lui permettre, dans la mesure du possible, d'acquérir les apprentissages scolaires de base grâce à un accompagnement pédagogique, paramédical, psychologique et social adapté à ses besoins ;
- lui assurer une large éducation de base en fonction de ses besoins et de ses possibilités ;
- l'observer et évaluer son évolution de façon continue ;
- l'aider à définir et à réaliser son projet personnel.
L'enseignement spécialisé est scindé en plusieurs types qui sont chacun, comme le précise le décret du 3 mars 2004, « adapté aux besoins éducatifs généraux et particuliers des élèves relevant de l'enseignement spécialisé appartenant à un même groupe, besoins qui sont déterminés en fonction du handicap principal commun à ce groupe » .
Le tableau suivant détaille, par niveau scolaire, les huit types d'enseignement existants .
Types d'enseignement |
Niveau maternelle |
Niveau primaire |
Niveau secondaire |
S'adressent aux élèves présentant |
1 |
x |
x |
un retard mental léger |
|
2 |
x |
x |
x |
un retard mental léger, modéré ou sévère |
3 |
x |
x |
x |
des troubles du comportement |
4 |
x |
x |
x |
des déficiences physiques |
5 |
x |
x |
x |
des maladies ou sont convalescents |
6 |
x |
x |
x |
des déficiences visuelles |
7 |
x |
x |
x |
des déficiences auditives |
8 |
x |
des troubles des apprentissages |
L'enfant inscrit dans une école d'enseignement spécialisé bénéficie :
- d'un encadrement renforcé (peu d'élèves par classe) qui permet l'individualisation de l'apprentissage ;
- d'une attention particulière caractérisée par l'élaboration d'un plan individuel d'apprentissage (PIA) ;
- d'un enseignement adapté à son rythme ;
- des services de personnels complémentaires (paramédicaux notamment) ;
- des services d'un centre psycho-médico-social spécialisé (CPMSS) qui l'accompagne tout au long de son parcours scolaire et conseille ses parents.
L'exemple de l'école « Les Co'Kain »
Cette école, de niveau maternel et primaire, accueille principalement des enfants autistes âgés de deux ans et demi à treize ans, dont 40 % de Français. Les classes sont composées de six enfants, lesquels sont encadrés par deux intervenants, un enseignant spécialisé et un professionnel paramédical 4 .
L'originalité de cette école réside dans le fait que le travail éducatif ne repose pas sur une méthode d'apprentissage spécifique, mais fait appel à plusieurs d'entre elles (Teacch, ABA, PECS...). Le pragmatisme l'emporte donc sur le dogmatisme .
L'objectif des équipes est d'arriver à ce que, petit à petit, l'enfant pense et agisse par lui-même, prenne des initiatives, sans la présence permanente d'un éducateur à ses côtés. Comme l'a indiqué l'une des enseignantes, « le risque, en France, avec les auxiliaires de vie scolaire individuel, c'est qu'ils deviennent la pensée et les gestes de l'enfant » .
Les progrès réalisés par les enfants, au fil des ans, sont remarquables : des petits arrivés à l'école dans un état très grave (mutisme, comportements violents...) parviennent, quelques mois plus tard, à communiquer, à faire des activités, à ne plus être effrayés par la présence d'autrui, voire -pour certains- à tenir une conversation.
Pour les parents, l'enseignement spécialisé représente un immense soulagement car leur enfant, bien qu'handicapé, est pris en charge dans une véritable école et non en institution spécialisée.
L'intégration dans l'enseignement ordinaire
Dans le système belge, tous les élèves à besoins spécifiques, qu'ils fréquentent l'enseignement ordinaire ou l'enseignement spécialisé, sont susceptibles de pouvoir bénéficier du dispositif dit « d'intégration ».
Il existe différents types d'intégration :
- l'intégration permanente totale : l'élève suit tous les cours dans l'enseignement ordinaire, pendant toute l'année scolaire, tout en bénéficiant, en fonction de ses besoins, de la gratuité des transports entre son domicile et l'établissement ordinaire qu'il fréquente, et d'un accompagnement assuré par l'enseignement spécialisé ;
- l'intégration permanente partielle : l'élève suit certains cours dans l'enseignement ordinaire et les autres dans l'enseignement spécialisé, pendant toute l'année scolaire. Il continue à bénéficier de la gratuité des transports scolaires ;
- l'intégration temporaire totale : l'élève suit la totalité des cours dans l'enseignement ordinaire pendant une ou des périodes déterminées de l'année scolaire. Les transports scolaires sont gratuits ;
- l'intégration temporaire partielle : l'élève suit une partie des cours dans l'enseignement ordinaire pendant une ou plusieurs périodes déterminées de l'année scolaire. Les transports scolaires sont gratuits.
Ce dispositif est particulièrement intéressant dans la mesure où ce sont des personnels de l'enseignement spécialisé qui sont détachés dans les écoles ordinaires pour venir dispenser des cours aux élèves handicapés en intégration. Or, ce personnel , contrairement aux AVS-i, est formé et qualifié .
Les enfants non scolarisables : l'exemple du centre « Grandir »
Les enfants, dont le handicap ne leur permet pas d'être scolarisés ni en enseignement ordinaire, ni en enseignement spécialisé, peuvent être accueillis dans des centres d'accueil de jour comme le centre « Grandir », qui accueille seize enfants de trois à douze ans, atteints de troubles autistiques ou psychotiques, encadrés par dix professionnels.
Des activités régulières rythment la journée des enfants : le travail corporel (psychomotricité, activités sportives, ludiques), le travail avec les objets concrets (activités artistiques, constructions) et l'élaboration des savoirs (langage, ordinateur, travail préscolaire et scolaire). Une classe assurée par deux enseignants spécialisés est également ouverte depuis quelques années pour permettre aux enfants d'acquérir des connaissances et se préparer à une scolarisation dans une école spécialisée.
Dans cet établissement aussi, c'est le pragmatisme qui domine : les professionnels qui y travaillent, poursuivent des formations dans divers domaines théoriques et pratiques : psychanalyse, approche systémique, psychomotricité, méthode Teacch, techniques d'ateliers, art thérapie, etc.
Les enfants français scolarisés et/ou hébergés en Belgique
La présence d'enfants français dans les établissements belges a toujours existé, en raison de la proximité géographique des deux pays. Mais le phénomène s'est amplifié ces dernières années, le ministère belge en charge de l'enseignement spécialisé parlant même de « tourisme pédagogique » .
A ce jour, 1 850 enfants français sont accueillis dans vingt-cinq établissements belges conventionnés 5 et près de 2 920 sont pris en charge par l'enseignement spécialisé . Environ 50 % d'entre eux sont originaires de la région Nord-Pas-de-Calais. Mais certaines familles n'hésitent plus à déménager dans le Nord de la France pour se rapprocher de la frontière, voire à s'installer directement en Belgique. Dans certains établissements wallons, les enfants français représentent parfois plus de 90 % des effectifs.
Plusieurs raisons expliquent cet « exode » : le développement de méthodes éducatives plus adaptées en Belgique, le refus de certains parents français de mettre leur enfant en institut médico-éducatif (IME), l'échec de l'accompagnement en milieu ordinaire en France, la pénurie de places en établissements spécialisés...
C'est dans ce contexte qu' un accord-cadre a été signé entre la France et la région wallonne, le 21 décembre 2011. Celui-ci prévoit un système d'échanges d'informations relatives aux personnes hébergées en Wallonie, la mise en place d'une inspection commune franco-wallonne des établissements conventionnés, l'encadrement des modalités de conventionnement entre les établissements belges et les autorités françaises.
Cet accord ne couvre cependant pas l'ensemble du périmètre de la prise en charge des enfants français, puisqu'il n'aborde pas la question de l'enseignement spécialisé. Or, les enfants français représentent 8 % des effectifs d'enseignement spécialisé . Pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui assume seule la charge financière de la scolarisation de ces enfants, les dépenses sont de plus en plus lourdes : elles sont passées de 37 millions d'euros pour la rentrée 2009-2010 à 37,9 millions pour la rentrée 2011-2012.
Cette situation n'est, à terme, pas tenable. Aussi
est-il
urgent que la France engage des discussions avec la
Fédération Wallonie-Bruxelles sur ce dossier
.
1 « Evaluation de l'impact du plan autisme 2008-2010 : comprendre les difficultés de sa mise en oeuvre pour mieux en relancer la dynamique », décembre 2011.
2 En Belgique, la répartition des compétences en matière de politique du handicap est complexe : l'Etat fédéral est compétent en matière d'allocations aux personnes handicapées ; la Fédération Wallonie-Bruxelles est responsable de l'enseignement ordinaire, spécial et intégré ; la région wallonne a en charge l'intégration des personnes handicapées (emploi, formation, logement, etc.) ; enfin, la région Bruxelles-Capitale est responsable, sur délégation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de l'intégration des personnes handicapées francophones résidant à Bruxelles.
3 Ce sont les centres psycho-médico-sociaux (CPMS) qui attestent qu'un élève a des besoins spécifiques.
4 Idéalement, le taux d'encadrement devrait être de deux adultes pour cinq enfants.
5 Certains établissements belges font l'objet d'un conventionnement avec les conseils généraux, pour la partie hébergement, avec l'assurance maladie, pour la partie soins.