B. UN CHANTIER QUI, MALGRÉ DES AVANCÉES CERTAINES, ACCUSE UN SÉRIEUX RETARD

1. L'absence d'outils d'évaluation de l'état d'avancement de la mise en accessibilité

A l'occasion de son premier rapport 31 ( * ) , l'Observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle a relevé le manque criant de données concernant la mise en oeuvre de la politique d'accessibilité , dans la mesure où la loi de 2005 n'a pas prévu de remontées d'informations obligatoires de la part des acteurs publics ou privés concernés.

Les attentes des associations représentatives des personnes handicapées et la volonté des pouvoirs publics se sont, certes, rencontrées pour construire une grande loi sociétale, mais sans aller jusqu'à intégrer les moyens de l'évaluation des objectifs assignés.

Certains acteurs, conscients de ce manque, se sont dotés d'outils 32 ( * ) , mais aucune obligation n'existe en la matière, et encore moins de méthode permettant de synthétiser les chiffres et les observations recueillis.

De plus, l'hétérogénéité des champs couverts par cette politique et la multitude des acteurs y participant sont des facteurs de complexité supplémentaires. Le fait que certains de ces acteurs soient regroupés au sein d'organismes, de fédérations ou d'associations n'a pas pour autant permis que des analyses globales, qualitatives et quantitatives, de niveau national, soient disponibles .

2. En dépit d'avancées, de nombreux retards sont à déplorer

Malgré l'absence de données exhaustives, les travaux menés par l'Observatoire interministériel de l'accessibilité autour de quatre thématiques structurantes que sont « le cadre bâti », « la voirie et les transports », « la culture, les sports, les loisirs et le tourisme » et « les nouvelles technologies, les moyens de communication et d'information », permettent de dresser un état des lieux de l'accessibilité , trois ans avant l'échéance fixée par la loi.

De même, la dernière édition du baromètre de l'accessibilité de l'association des paralysés de France (APF) 33 ( * ) , bien que reposant pour l'essentiel sur une approche déclarative, fournit des indications intéressantes sur les points forts et les points faibles de ce chantier.

a) Le cadre bâti

Compte tenu de l'étendue du champ « cadre bâti », les premières analyses de l'Observatoire se sont principalement axées sur les diagnostics d'accessibilité des ERP, l'installation des commissions communales ou intercommunales pour l'accessibilité, et la formation continue des professionnels du bâtiment à la problématique du handicap et de l'accessibilité.

Les diagnostics accessibilité des ERP

On dénombre 650 000 établissements recevant du public (ERP) implantés sur le territoire. Tous étaient tenus de réaliser un diagnostic de leurs conditions d'accessibilité :

- au plus tard le 1 er janvier 2010 pour les établissements classés en première et deuxième catégories, ainsi que les établissements classés en troisième et quatrième catégories appartenant à l'Etat ou à ses établissements publics ;

- au plus tard le 1 er janvier 2011 pour les établissements classés en troisième et quatrième catégories, à l'exception de ceux mentionnés ci-dessus, et pour l'ensemble des établissements mentionnés à l'article R. 111-19-12 du code de la construction et de l'habitation (établissements pénitentiaires, établissements militaires, centres de rétention administrative et locaux de garde à vue, établissements flottants, hôtels-restaurants d'altitude et refuges de montagne, chapiteaux, tentes et structures gonflables ou non).

A l'heure actuelle, un audit de l'ensemble du territoire sur l'état d'avancement des diagnostics est quasiment impossible à réaliser , en raison de la multiplicité des exploitants d'ERP et de leur statut.

Toutefois, au regard des éléments disponibles, il apparaît que la grande majorité des communes et des Epci a engagé une démarche de diagnostic de leurs ERP, mais seule une commune sur cinq a achevé ce processus à la date prévue par la loi . L'Observatoire n'a pas été en mesure d'obtenir des informations concernant les autres niveaux de collectivités.

Par ailleurs, l'étude révèle la qualité insuffisante des diagnostics pour les raisons suivantes :

- les diagnostiqueurs sont insuffisamment formés et qualifiés ;

- les diagnostics manquent de lisibilité et peuvent être lacunaires ;

- la plupart des organismes de diagnostic ont développé leur propre interprétation de la réglementation ;

- les préconisations qu'ils formulent sont parfois hasardeuses et sujettes à débat.

Les ERP accessibles et ceux qui ne le sont pas

Selon l'APF, seuls 15 % des ERP seraient actuellement accessibles . Du côté du secteur public, les établissements les plus avancés sont les mairies, les théâtres, les équipements sportifs, les piscines et les bureaux de poste. Du côté du secteur privé, ce sont les centres commerciaux et les cinémas qui ont réalisé le plus de progrès ; les commerces de proximité et les cabinets médicaux ou paramédicaux sont, eux, encore très en retard.

Les commissions communales ou intercommunales pour l'accessibilité aux personnes handicapées (CCAPH-CIAPH)

A ce jour, 76 % des commissions communales pour l'accessibilité ont été installées et 62 % des commissions intercommunales . Ces bons résultats masquent toutefois deux réalités :

- ce sont surtout les communes les moins peuplées qui ont créé une commission communale ; les communes de taille plus importante sont généralement encore dans une phase de réflexion préparatoire ;

- les premières remontées de terrain fait état d'un certain scepticisme quant à la mission de concertation de ces nouvelles structures.

La formation continue des professionnels du bâtiment

La formation continue des professionnels du bâtiment aux problématiques de l'accessibilité est un outil indispensable pour éveiller les consciences, pour diffuser des connaissances et consolider des compétences.

Dans ce domaine, l'Observatoire interministériel de l'accessibilité constate un important travail de sensibilisation des professionnels du bâtiment (architectes, ingénieurs, maîtres d'ouvrage, concepteurs, fournisseurs...) réalisé dès 2005-2006 tant par les pouvoirs publics que par les organisations professionnelles, ainsi qu'une forte demande de formation en accessibilité.

En revanche, l'actualisation des connaissances reste, pour beaucoup, empirique , constat qui a été confirmé lors des auditions.

b) La voirie et les transports

Sur ces deux secteurs, l'Observatoire s'est intéressé à l'évaluation des outils de planification prévus par la loi, en particulier le schéma directeur de transport et le plan d'accessibilité de la voirie et des aménagements publics.

Les schémas directeurs d'accessibilité

En janvier 2011, 83 % des schémas directeurs d'accessibilité des transports collectifs étaient achevés (53 %) ou en cours d'élaboration (30 %) : les objectifs étaient donc sur le point d'être atteints, mais avec trois ans de retard 34 ( * ) ! Une analyse plus fine révèle que 100 % des régions, 63 % des départements et 43 % des autorités organisatrices des transports urbains ont approuvé leur schéma directeur d'accessibilité.

L'évaluation des premiers schémas montre que, globalement, les enjeux de la loi ont été bien compris et repris dans ces documents, en particulier la notion de chaîne de déplacement et une conception plus large des situations de handicap.

L'élaboration des schémas directeurs ne préjuge toutefois pas d'une réalisation effective de la mise en accessibilité des transports à l'horizon 2015 .

Les plans d'accessibilité de la voirie et des aménagements publics

Alors que la réglementation spécifie que les plans d'accessibilité de la voirie et des aménagements publics auraient dû être établis pour la fin de l'année 2009, 60 % seulement sont aujourd'hui en cours d'élaboration ou achevés .

5 % de ces plans ont été adoptés par délibération du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'Epci . Cette validation officielle conditionne pourtant leur mise en oeuvre.

Par ailleurs, l'analyse des premiers plans fait apparaître que ceux-ci sont plus ou moins bien réalisés, très succincts voire incomplets pour certains. Le plus souvent, ils ne contiennent pas de vision globale de la chaîne de déplacement, pas de synthèse quant aux aménagements à réaliser et pas d'articulation entre le plan d'accessibilité, le schéma directeur d'accessibilité et le diagnostic d'accessibilité des ERP.

*

Pour l'APF, il reste encore beaucoup à faire en matière de transports et de voirie comme en témoigne les résultats de son baromètre : dans les municipalités ayant répondu, 47 % des lignes sont accessibles et seule la moitié des travaux de voirie nécessaires (mise à niveau des trottoirs, passages protégés, installation de signaux pour les personnes aveugles, d'alertes lumineuses pour les personnes malentendantes...) a été réalisée.

c) La culture, les sports et le tourisme

Dans les domaines de la culture, des sports et du tourisme, l'Observatoire, qui s'est concentré sur neuf thèmes, dresse les constats suivants :

- le ministère de la culture et de la communication a engagé un vaste chantier de mise en accessibilité des ERP « culture » , mais se heurte à de nombreux freins : le coût des travaux, une grande partie de ces ERP se situe dans des monuments qui n'avaient pas été conçus pour accueillir du public handicapé, les impératifs de conservation et de protection des collections peuvent être contradictoires avec leur mise en accessibilité (par exemple, le niveau d'éclairage) ;

- ce même ministère a lancé plusieurs actions visant à permettre l'accès des étudiants handicapés aux établissements nationaux d'enseignement supérieur « culture » (accessibilité aux contenus pédagogiques, accessibilité aux transports) ;

- pour accompagner les professionnels de la culture dans la mise en application de la loi de 2005, des formations (initiale et continue) à l'accessibilité ont été mises en place pour les professionnels de l'architecture et du cadre bâti ;

- l'accès aux oeuvres et aux produits de l'industrie culturelle est également au coeur de la politique d'accessibilité : pour les livres, une exception au droit d'auteur en faveur des personnes handicapées a été prévue par la loi du 1 er août 2006 dite loi « droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information » ; pour le cinéma, le ministère et le centre national de la cinématographie (CNC) pilotent un plan d'accès aux oeuvres et aux salles ; pour la télévision, le centre supérieur de l'audiovisuel (CSA) veille, dans le cadre de sa politique de conventions des chaînes, à rendre accessibles les programmes aux personnes handicapées auditives ;

- le ministère de la culture et le ministère de la santé conduisent une politique commune d'accès à la culture pour tous en milieu hospitalier et en milieu médico-social ;

- le ministère des sports poursuit une action de mise en accessibilité des ERP « sport » : actuellement, 6 % seulement des 310 000 équipements et sites de nature  en France sont totalement accessibles à tous les handicaps, mais 60 % des équipements sportifs ont une aire d'évolution accessible. Les freins à la mise en accessibilité sont principalement le coût des travaux, le vieillissement des équipements et les impossibilités techniques ;

- l'accès à la pratique sportive et aux activités physiques adaptées est encouragé par l'Etat et les collectivités territoriales ;

- la formation des éducateurs sportifs aux activités destinées aux personnes handicapées est, depuis 2009, sanctionnée par un diplôme ;

- en matière de tourisme, le label « Tourisme et Handicap » , créé en 2001, est en plein essor : en 2011, 4 373 structures étaient labellisées (contre 102 en 2002), couvrant toutes les régions métropolitaines ; un nouveau label, « Destination pour tous » , a récemment été expérimenté pour créer des synergies au niveau local, entre les acteurs publics et privés et les associations de personnes handicapées autour d'un véritable projet territorial de tourisme pour tous. Toutefois, beaucoup d'efforts restent à faire tant au niveau de l'hôtellerie, de la restauration, que des loisirs.

d) Les nouvelles technologies, les moyens de communication et d'information

La téléphonie

D'importants progrès ont été réalisés depuis 2005 par les opérateurs de téléphonie afin d'améliorer le champ de l'accessibilité. Une offre plus étendue est désormais proposée. La lecture des bilans 2009-2010 des trois opérateurs Bouygues Telecom, SFR et Orange France permet de lister quelques avancées :

- des terminaux accessibles plus nombreux pour les différents handicaps (logiciels de vocalisation plus perfectionnés, grossissement des caractères, claviers à touches adaptées...) ;

- la mise en place de pictogrammes pour identifier les handicaps ;

- la lecture et le règlement plus aisé des factures ;

- un meilleur accès aux boutiques ;

- des services clients accessibles.

Malgré ce bilan positif, la difficulté réside aujourd'hui dans la capacité de l'offre de téléphones accessibles aux personnes handicapées à progresser à un rythme aussi rapide que celui de l'offre commerciale .

Les sites Internet publics

Au regard des échéances fixées par les textes réglementaires (obligation d'accessibilité fixée à mai 2011 pour les sites Internet des services de l'Etat, à mai 2012 pour ceux des services des collectivités locales), il est clair que les objectifs ne seront pas atteints dans les délais fixés , pour la grande majorité des sites concernés.

L'accès aux médias

Dans le secteur audiovisuel, l'accessibilité des programmes télévisuels aux personnes sourdes et malentendantes, et le développement de l'audio-description pour les personnes aveugles ou malvoyantes, nécessitent de s'assurer des bonnes conditions de diffusion de ces oeuvres sur le plan technique.

Le passage au tout numérique (généralisation de la télévision numérique terrestre - TNT -, plan de numérisation des oeuvres cinématographiques) constitue, à ce titre, un formidable levier dans lequel il est indispensable de s'inscrire pour s'assurer que l'accessibilité aux oeuvres soit techniquement garantie.

Le CSA et le CNC mènent des actions dans ce sens : la diffusion d'oeuvres sous-titrées et d'oeuvres audio-décrites sur la TNT, l'amélioration de l'information du public sur l'offre d'oeuvres adaptées et les méthodes d'accès, la numérisation des oeuvres et des salles de cinéma, l'accessibilité des DVD.


* 31 Rapport de l'Observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle, mai 2011.

* 32 Par exemple, l'association des paralysés de France (AFP) a mis en place en 2009 un baromètre de l'accessibilité qui classe quatre-vingt-seize chefs-lieux départementaux selon leur degré d'accessibilité.

* 33 Baromètre de l'accessibilité

* 34 Aux termes de l'article 45 de la loi de 2005, les autorités organisatrices des transports disposaient d'un délai de trois ans pour l'élaboration des schémas directeurs d'accessibilité.

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