B. LA RÉVOLUTION DOUBLEMENT VERTE POURRA-T-ELLE NOURRIR LE MONDE ?

M. Michel Griffon rappelle que les besoins de production supplémentaire par région seraient les suivants dans le cadre de l'hypothèse centrale déjà mentionnée (hypothèse de Collomb).

Estimation du déficit mondial à combler à l'horizon 2050

 

Asie

Amérique latine

Afrique du Nord et Moyen-Orient

Afrique subsaharienne

Pays industriels

Coefficient multiplicateur des besoins alimentaires 2050/2000

2,34

1,92

Estimé à 2,5*

5,14

Fixé à 1 : On suppose que les pays industriels n'ont plus besoin d'accroître leur alimentation.

Production 2000 (109t)

1 700

272

154

260

/

Consommation 2000

1 770

260

220

262

/

Production nécessaire en 2050 (109t) arrondi

4 140

370

550

1 340

Inchangée

Différence 2050/2000

2 440

98

396

1 080

Inchangée

* La catégorie ANMO (Afrique du Nord/Moyen-Orient) n'existe pas dans les travaux de P. Collomb. Le chiffre proposé est une estimation à partir des chiffres nationaux.

Source : Nourrir la planète. Michel Griffon

On pose que les pays industriels équilibrent leur consommation et leur production (hypothèse qui peut être fragile soit en trop, soit en moins) et que les pays en développement s'efforcent de couvrir leurs besoins par un effort productif afin de limiter les importations alimentaires.

On peut tenter de mobiliser des surfaces nouvelles puis, si c'est insuffisant, d'augmenter les rendements.

Les surfaces agricoles théoriquement mobilisables sont les suivantes.

 

Monde

Asie

Am. Lat.

ANMO

Afr. SS

Pays ind.

Pays transit.

Est

Sud

Surface cultivée 200

1 600

232

207

203

86

228

387

265

Surface apte pour l'agriculture

4 400 (source IIASA)
4 153 (source FAO)

366

220

1 066

99

1 031

874

497

Surface cultivée + surface apte

39 %

63 %

95 %

19 %

87 %

22 %

44 %

53 %

Surface à protéger absolument en 2050 (109ha)

/

100

S.A.

200

S.A.*

200

S.A.

S.A.

Surface supplémentaire possible pour l'agriculture

/

34

13

663

13

603

/

/

* SA : surface actuelle

/ : donnée non disponible ou sans signification pour le tableau

Source : « Nourrir la planète » Michel Griffon

La composante « Révolution doublement verte » de la gestion des surfaces est identifiée à la préservation des 500 millions d'hectares de forêt tropicale. Cette contrainte sans être négligeable laisse disponibles pour l'agriculture 1 329 millions d'hectares essentiellement en Amérique latine et en Afrique subsaharienne.

Toutefois, la volonté de préserver des surfaces supplémentaires amène à évaluer ce que pourrait être un équilibre alimentaire mondial où les terres de l'Amérique latine ne seraient pas sollicitées significativement.

Une seconde catégorie de contraintes porte sur les rendements. Ceux-ci évoluent en tenant compte des possibilités techniques de la Révolution doublement verte.

Dans un tel scénario, qui limite le recours aux échanges internationaux, les déficits régionaux de l'Asie et de l'Afrique du Nord-Moyen Orient sont considérables.

Scénario Révolution doublement verte avec peu d'échanges entre grandes régions

 

Asie

Amérique latine.

ANMO

Afrique SS

Pays ind.et trans.

Surface supplémentaires en pluvial 2050 (109 ha)

23

0

4

603

0

Surface totale en pluvial 2050

462

203

90

831

inchangée

Rendements R2V* pluvial

+ 75 % (7t/ha) par rapport à 2000 (?4t/ha)

+ 20 % (1,6t/ha) par rapport 1,35t/ha

+ 40 % (2,5t/ha) par rapport 1,8t/ha

+ 40 % (2,5t/ha) par rapport 1,15t/ha

inchangés

Production totale en pluvial

3 234

325

225

1 304

inchangée

Surface supplémentaire en irrigué 2050 en R2V*

+ 27 à 78 soit 52± 25 sont possibles ; choix : 52

+ 3 à 12 soit 8± 4 sont possibles ; choix : 8

+ 2 à 9 choix : 9

+ 5 à 9 choix : 9

inchangée

Accroissement de production en irrigué R2V*

170 à 400 soit 285±115 choix : 285

+ 14 à 45 soit 30±15 choix : 45

+ 6 à 45 soit 25±20 choix : 45

+ 6 à 36 soit 21±14 choix : 36

inchangée

Total production 2050

3 519

370

270

1 340

inchangée

Rappel besoins 2050

4 140

370

550

1 340

inchangée

Surplus ou déficit 2050

(-)621

0

(-)280

inchangé

 

R2V : révolution doublement verte

* soit 1,5 fois les surfaces en irrigation traditionnelle

** Les rendements moyens en irrigation par grande région n'étant pas connus, on ne peut calculer précisément l'accroissement de production que l'on peut attendre de la R2V dans les zones irriguées. On procède donc ici à une estimation, sachant que l'irrigation se fait en économie d'eau (appoint) et que cette économie d'eau peut permettre d'irriguer des surfaces plus importantes. L'accroissement est estimé à 1t/ha en tenant compte de la diminution correspondante des surfaces en pluvial.

Source : « Nourrir la planète » Michel Griffon

Ils s'élèvent pour la première à 621 millions de tonnes, pour la seconde à 280 millions de tonnes, soit 15 % et 51 % des besoins respectivement.

La Révolution doublement verte n'est donc soutenable que moyennant l'augmentation du commerce agricole international.

Elle suppose de mobiliser davantage les potentiels de l'Amérique latine et des grandes plaines de l'est européen tout en augmentant le recours à l'irrigation.

Scénario Révolution doublement verte avec échanges internationaux

 

Asie

Amérique latine.

ANMO

Afrique Sub-saharienne

Plaines de la CEI

Surface supplémentaires en pluvial 2050

23

93 à 212

4

603

100

Surface totale en pluvial 2050

462

322 à 415

90

831

215

Rendements R2V* pluvial

+ 75 %

+ 200 % (2,7t/ha) par rapport à 2000 1,35t/ha

+ 40 %

+ 40 %

 

Production totale en pluvial

3 234

871 à 1 121

225

1 304

516

Surface supplémentaire en irrigué R2V 2050

78

12

9

9

0

Accroissement de production en irriguée R2V 2050

400

45

45

36

0

Total production 2050

3 624

916 à 1 166

270

1 340

? 230

Rappel besoins 2050

4 140

370

550

1 340

? (+° 250 à 290 soit 250

Surplus ou déficit 2050

(-) 516

546 à (+) 796

(-) 280

0

 

Surfaces restantes (sauf réserves)

0

525 à 408

0

0

? 200 (?)

R2V : révolution doublement verte

Source : « Nourrir la planète » Michel Griffon

Pour autant, le diagnostic de soutenabilité semble fragile à votre rapporteur.

En premier lieu, comme l'indique l'auteur, il est suspendu à deux conditions plus ou moins maîtrisables.

La première porte sur les rendements. Il va de soi que les effets de ces nouveaux process sur les rendements ne sont que partiellement évaluables. Pour illustrer le poids de cette indétermination il faut mentionner que l'accroissement de rendement simulé est important. « Il suffirait que l'Asie ne puisse augmenter ses rendements, par exemple que de 25 % au lieu de 75 %, pour qu'il manque 925 millions de tonnes, ce qui pourrait obliger l'Amérique latine à produire des aliments sur 250 millions d'hectares supplémentaires tout en augmentant les rendements de 20 %, ou bien à utiliser la totalité de l'espace (sauf 200 millions d'hectares de réserve) en n'augmentant les rendements que de 75 %, ce qui resterait une grande performance car la moyenne reste aujourd'hui assez basse (1,3 t/ha) ».

Par ailleurs, il faut mentionner une variable, peut-être davantage maîtrisable mais au prix d'une forte volonté politique, qui est celle d'un développement maîtrisé des biocarburants. M. Michel Griffon indique à ce propos que pour combler la totalité du déficit en biocarburants des pays industriels, il faudrait que l'Amérique latine et l'Afrique consacrent la quasi-totalité de leur territoire à la production énergétique avec des rendements élevés. Cette perspective est évidemment irréaliste. Mais, il est probable, sauf action très résolue, qu'une partie grandissante du potentiel agricole sera consacrée à des productions énergétiques.

Dans un tel contexte, peu favorable déjà à l'atteinte des objectifs de la « Révolution doublement verte » (et contradictoire avec les justifications environnementales des politiques de développement des biocarburants - v. le chapitre du présent rapport consacré à ces derniers -), il faudrait privilégier des process culturaux garantissant l'obtention de rendements maximums.

Enfin, votre rapporteur se demande si les progrès de productivité par hectare dessinés par la « Révolution doublement verte » et qui sont aléatoires, sont bien compatibles avec la nécessité d'élever la productivité agricole à un niveau suffisant, objectif qui paraît tout à fait décisif d'un point de vue quantitatif mais aussi économique.

En soi, les incertitudes sur ce point créent un contexte peu favorable à l'adoption d'une démarche qui pourtant peut se recommander de justifications essentielles.