CHAPITRE III :
QUELLES PERSPECTIVES
POUR LES PRIX ALIMENTAIRES ?

Selon une annonce de l'organisation « Amis de la Terre », l'équilibre des marchés agricoles devrait se traduire dès l'horizon 2030 par une forte hausse des prix, notamment en raison des effets du réchauffement climatique sur l'offre de produits agricoles.

Les chiffres cités mentionnent des niveaux de prix spectaculairement élevés :

6,48 livres sterling pour 800 grammes de pain blanc contre 72 pence aujourd'hui et 1,44 livre sterling si ce produit devait s'aligner sur l'inflation globale ;

17,91 livres sterling pour 1 litre d'huile végétale (1,99 livre aujourd'hui ; 3,98 livres suivant le rythme d'inflation escompté) ;

15,21 livres sterling pour 1 kilo de riz basmati (1,69 livre ; 3,38 livres sterling) ;

7,20 livres sterling pour 500 grammes de « corn flakes » (78 pence ; 1,56 livre sterling) ;

16,02 livres sterling pour 24 biscuits de style Weetabix (1,78 livre ; 3,56 livres sterling) ;

18,45 livres sterling pour une pinte de bière (2,05 livres ; 4,05 livres sterling).

Ces évaluations ne sauraient être considérées comme des prévisions. Elles projettent les prix d'un certain scénario cumulant le déclenchement de risques à fortes incidences.

En tout état de cause, ces perspectives représentent une nette rupture par rapport au constat qu'on peut faire, sur longue période, d'une baisse spectaculaire des prix alimentaires.

Il faut se demander si, en dehors des aléas cumulés comme dans l'estimation précitée, la tendance posée sera réellement renversée ou si elle se poursuivrait.

Une précision préalable doit être formulée : les prix alimentaires et les prix agricoles ne désignent pas une et même chose alors que très souvent c'est ainsi qu'ils sont présentés.

Les prix alimentaires sont aux produits alimentaires qui par rapport aux produits agricoles ont fait l'objet d'une transformation, plus ou moins forte, et sont distribués. Les prix agricoles se rapportent à des produits qui peuvent être immédiatement alimentaires mais le son rarement. Il existe a priori des liens entre les deux catégories considérées mais ils peuvent être relativement distendus.

Par ailleurs, les « prix agricoles » eux-mêmes sont loin d'être homogènes, y compris quand on les appréhende dans un pays donné.

Entre les prix sur les marchés internationaux et les prix sur les marchés locaux des différences substantielles de régime existent, sans compter les problèmes particuliers d'évolution des biens échangés par troc.

Cette hétérogénéité des prix des produits agro-alimentaires est une caractéristique importante puisqu'aussi bien tous les producteurs n'ont pas accès aux mêmes compartiments d'un système de prix qui joue également de façon différenciée pour les consommateurs.

Ainsi, c'est en gardant à l'esprit la forte probabilité d'une grande hétérogénéité des évolutions des prix de l'agro-alimentaire qu'il faut considérer les différents scénarios envisageables, leurs effets sur les agriculteurs et leurs incidences sur les consommateurs.

Au-delà de la distribution des scénarios de prix selon leur probabilité - les prix baisseront-ils ? Augmenteront-ils ? - ce sont d'ailleurs leurs conséquences et ce qu'ils traduisent des équilibres alimentaires qui importent.

Aux yeux de votre rapporteur, parmi les scénarios envisageables, le plus probable est celui d'une inversion de l'allure des prix de l'agro-alimentaire et des prix agricoles en particulier.

On pourrait considérer qu'il s'agit d'une bonne nouvelle. Les prix sont classiquement appréciés comme des signaux de marché qui en cas d'orientation haussière favorisent l'essor de la production. Pourtant, outre que le secteur agricole réserve en soi des particularités qui conduisent à s'interroger sur la réactivité de la production aux prix, il faut envisager que la hausse des prix ne se traduise pas par un redressement effectif des incitations à produire.

Au demeurant, les effets d'une élévation des prix alimentaires sur les consommateurs et, par conséquent, sur l'accès des affamés à la nourriture doivent être considérés.

Une hausse des prix, même si elle ne résulte pas d'un épisode de flambée, a toute chance de désolvabiliser la demande, compliquant la résolution de l'équation alimentaire.

Ces considérations conduisent à préconiser un contrôle des prix qui pour ne pas pénaliser la nécessaire modernisation des agricultures du Sud devra être accompagné des transferts de revenus qui lui sont indispensables ainsi qu'à la défense du pouvoir d'achat des plus éloignés d'accéder à une alimentation décente.

Enfin, la financiarisation des actifs agricoles appelle une ferme régulation des marchés faute de quoi l'économie agricole réelle pourrait être sous la dépendance de marchés financiers à la stabilité particulièrement incertaine.

I. SUR UNE LONGUE PÉRIODE UNE CHUTE DES PRIX AGRICOLES RÉELS MAIS DEPUIS LE MILIEU DES ANNÉES 2000 UNE FORTE VOLATILITE

Le processus de baisse des prix agricoles semble avoir été structurel, avec pour conséquence une pression à la baisse du pouvoir d'achat des producteurs agricoles à laquelle seuls quelques uns d'entre eux ont pu échapper. Mais, depuis le milieu des années 2000 s'est ajoutée à cette tendance une forte instabilité des prix.

A. UNE BAISSE STRUCTURELLE MAIS DE FORTES TENSIONS À LA FIN DES ANNÉES 2000

Le constat d'une baisse structurelle des pris agricoles s'impose avec toutefois deux précisions à apporter.

En premier lieu, il faut distinguer les prix nominaux des « prix réels » appréhendés à partir des prix relatifs.

Si les prix nominaux ont un peu augmenté, les prix relatifs (les prix corrigés de l'indice de la valeur unitaire des produits manufacturés de la Banque mondiale) ont considérablement diminué à partir du pic de 1974 et par rapport à leur moyenne des années 60.

Si l'indice choisi pour apprécier l'évolution réelle des prix alimentaires comporte quelques biais, la tendance baissière est si nette qu'elle ne peut être sérieusement contestée.

En 2000, les indices FAO des prix alimentaires réels étaient à la moitié de leur niveau des années 60.

En décomposant ces évolutions, on observe qu'après une stabilité des prix (prix nominaux et prix relatifs) dans les années 60, un palier a été franchi au début des années 70 où l'indice FAO des prix des produits alimentaires a doublé.

Cette marche étant franchie, cet indice a connu une longue période de stabilité (de 1975 au début des années 2000). Couplée avec l'augmentation des prix des produits manufacturés cette stabilité s'est traduite par une réduction considérable du prix relatif des produits alimentaires dont l'indice est passé de 250 à 100 en une dizaine d'années (1974-1985) pour demeurer à ce niveau jusqu'en 2001.

La baisse des prix agricoles relatifs :
quels effets sur les acteurs de l'agriculture

La baisse des prix relatifs des produits agricoles s'est traduite par une diminution su revenu réel associé à une production donnée.

Dans un tel contexte, seuls les agriculteurs qui ont pu augmenter leur production ont pu « sauver » leur revenu, dans des proportions variables selon le niveau atteint par le supplément de leur production.

Encore faut-il observer que l'augmentation des coûts d'exploitation a encore aggravé les effets de la réduction des prix agricoles réels en pesant sur les marges d'exploitation.

Dans une telle équation, l'effort productif a entreprendre pour préserver le revenu net doit compenser à la fois la baisse du chiffre d'affaires et l'alourdissement des charges d'exploitation.

Pour les agriculteurs contraints par la surface exploitée, il n'y a pas d'autre solution que d'augmenter les rendements.

Pour ceux dont les rendements plafonnent, la solution est d'étendre leurs superficies. Mais, ces deux stratégies demandent des moyens financiers, en plus de réclamer que les conditions de leur faisabilité technique soient réunies.

Or, si ces dernières ne le sont assurément pas systématiquement, force est d'observer que la baisse structurelle des prix agricoles n'est, de toute façon, pas propice à la réunion des moyens financiers nécessaires pour mieux exploiter le potentiel de production.

Évidemment, sur ce point, les agriculteurs sont dans des situations différenciées. Certains peuvent compter sur un environnement qui les protège plus ou moins des effets de l'évolution défavorable des prix. C'est le cas pour les agriculteurs dont le revenu est soutenu par d'autres canaux que les prix. C'est aussi le cas des agriculteurs qui ont accès au système financier, sans pour autant que cet accès dispense les systèmes agricoles locaux des restructurations qu'appelle l'adaptation à la baisse des prix.

En revanche, les petits agriculteurs sans soutien complémentaire, privés de l'accès aux financements nécessaires et des possibilités de redéploiement de leurs systèmes d'exploitation connaissent nécessairement de très grandes difficultés quand les prix relatifs agricoles baissent dans des proportions observées à long terme dans le passé.

Autrement dit, si la baisse des prix agricoles réels est en soi une tendance peu favorable à la production agricole, elle exerce des effets particulièrement dramatiques pour une vaste majorité de paysans, déjà pauvres, ne bénéficiant pas des institutions, ou des conditions agronomiques, leur permettant d'y faire face.

Dans une telle conjoncture de prix, ces petits exploitants semblent n'avoir d'autre choix que de disparaître, ce qui pose la question des effets de l'abandon de leurs productions sur la production agricole globale, ou de s'enfoncer dans la pauvreté et la malnutrition.

Il est cruel d'observer que la flambée des prix aboutit à des résultats analogues tant pour les consommateurs des pays en développement que pour les petits exploitants agricoles comme l'a montré notamment l'épisode de la fin des années 2000.

Car c'est la seconde distinction, temporelle celle-là, au-delà de 2001-2002, une rupture s'est produite avec ces tendances. Les prix nominaux des produits alimentaires ont vivement progressé engendrant également une augmentation des prix relatifs.

L'indice global des prix des produits alimentaires est installé depuis 2001 sur une tendance nettement haussière. Entre 2001 et 2007, il avait presque triplé.

La crise globale a entraîné un fort repli des prix alimentaires (passés de l'indice 220 en 2008 à 140 en 2009). Mais, cette chute a été assez vite contenue et, alors même que la sortie de crise n'est pas assurée partout, les prix alimentaires ont repris leur ascension. Fin 2010, l'indice a dépassé le pic antérieur de 2008.

Produits alimentaires

Source : COE-REXECODE. Matières premières. Janvier 2011