Audition de M. Pierre Fender, directeur du contrôle-contentieux et de la répression des fraudes à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, et Mme Véronica Levendof, responsable de la mission de veille législative
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Nous accueillons M. Pierre Fender, directeur du contrôle-contentieux et de la répression des fraudes à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.
Nos auditions nous ont permis de constater que la question des toxicomanies était, pour partie, liée à celle des mésusages de médicaments ou de détournement de traitements, en particulier des produits de substitution aux opiacés. Pouvez-nous indiquer l'ampleur de ces phénomènes et les mesures que la caisse nationale a prises ou envisage de prendre pour les juguler ?
M. Pierre Fender, directeur du contrôle-contentieux et de la répression des fraudes à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés . - Afin de montrer en quoi l'assurance maladie est concernée en matière de traitements de substitution aux opiacés, je traiterai successivement du contexte, de l'analyse des bases de remboursement de l'assurance maladie et des programmes de contrôle.
En matière de substitution, deux principaux produits existent, la méthadone et la buprénorphine, avec pour chacune un encadrement législatif et réglementaire, particulièrement pour la méthadone avec une délivrance fractionnée de sept jours, une prescription limitée à quatorze jours et l'instauration d'un relais de la prescription en cabinet de ville. En revanche, si l'encadrement de la buprénorphine est bien supérieur à celui prévu pour un médicament ordinaire, il est bien moins contraignant que pour la méthadone avec une prescription limitée à vingt-huit jours et une délivrance sur sept jours.
Nos programmes de contrôle ont été lancés dans les années 2000, lorsque nous nous sommes aperçus d'une vraie dérive - un mésusage et des fraudes - qui impactait très fortement la prescription et la délivrance de ces produits. Si les montants remboursés en 2002 atteignaient près de 80 millions d'euros pour le Subutex et près de 6 millions d'euros pour la méthadone, nous savions qu'il y avait un détournement d'usage du premier - avec nomadisme et surconsommation - dû à sa facilité d'accès, et une prise en charge de qualité inégale des personnes traitées.
Le dispositif législatif s'est renforcé en 2007 dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale qui a introduit un article L. 162-4-2 dans le code de la sécurité sociale tendant, pour qu'il y ait prise en charge par l'assurance maladie, d'une part à obliger le prescripteur à indiquer sur chaque prescription le nom du pharmacien chez lequel l'assuré se fera délivrer le produit, d'autre part à élaborer un protocole de soins entre l'assurance maladie, le médecin traitant et l'assuré. Ce protocole concerne soit tous ceux qui consomment de la méthadone sous forme de gélules, soit, en cas de suspicion d'un usage détourné ou abusif, tous ceux qui consomment les autres produits de substitution. Une fois encore, deux réglementations s'appliquent : l'une très stricte pour la méthadone sous forme de gélules, l'autre moins sévère pour la buprénorphine. Le renforcement du dispositif législatif oblige également à prescrire ces médicaments à l'aide d'une ordonnance sécurisée.
J'en viens aux bases de remboursement de l'assurance maladie. S'agissant de la buprénorphine haut dosage, les montants remboursés ont diminué entre 2004 et 2009, passant de 81 à 72 millions d'euros environ, tandis que le nombre de boîtes passait de 8,5 à 9,7 millions. Cette baisse des remboursements s'explique par le développement des génériques du Subutex et par la baisse des tarifs de la buprénorphine haut dosage. Pour ce qui est de la méthadone, les montants remboursés ont fortement augmenté, de même que le nombre de boîtes, qui a plus que doublé entre les deux périodes du fait de la mise à disposition d'une nouvelle présentation galénique sous forme de gélules et de la possibilité d'un relais de la prescription en cabinet de ville.
Depuis l'apparition de la méthadone sous forme de gélules en 2008, le nombre de ses consommateurs a atteint au premier semestre 2010 un nombre supérieur à 11 000, soit un quart du total des bénéficiaires des remboursements de méthadone. Cette croissance existe également concernant la méthadone sous forme de sirop : le nombre des bénéficiaires des remboursements est en effet passé de 11 000 en 2004 à près de 30 000 au premier semestre 2010, avec une évolution semestrielle moyenne de + 7,3 %.
La consommation hebdomadaire de Subutex en comprimés de 8 milligrammes et de ses génériques s'est accrue entre 2006 et 2008, avec un creux fin 2007 lié principalement à une affaire pénale relative à une bande organisée de médecins, de pharmaciens et d'assurés d'Île-de-France. Entre janvier 2008 et février 2010, on note cependant une stagnation du nombre de comprimés autour de 460 000 - la petite croissance qui a suivi fera l'objet d'un plan de l'assurance maladie.
Pour ce qui est du nombre de consommateurs de buphrénorphine haut dosage, on en comptait 80 000 au premier semestre 2004 contre 103 000 aujourd'hui. L'évolution semestrielle, qui était de + 2,5 % entre 2004 et 2007, est passée depuis à + 0,9 %, résultat dû à l'ensemble des plans mis en place par l'assurance maladie, ainsi que la majorité des acteurs le reconnaît. Nous avons en effet insisté sur le ciblage d'assurés, particulièrement ceux ayant des posologies de buphrénorphine haut dosage supérieures à 32 milligrammes par jour dont le nombre est passé de près de 2 000 en 2004 à 1 530 au premier semestre 2010.
La répartition des bénéficiaires de buphrénorphine haut dosage à des dosages supérieurs à 32 milligrammes varie beaucoup selon les régions - nous avons mis la barre à cette hauteur parce que, si l'on ne peut normalement dépasser 16 milligrammes, nous avons pris en compte le fait que certains professionnels estiment que cette dose peut être dépassée, sachant qu'une dose de 32 milligrammes correspond en tout état de cause soit à du mésusage soit à de la fraude.
L'Île-de-France comprend le plus grand nombre de consommateurs de buphrénorphine haut dosage, bien qu'elle représente 23 % des Français, ce qui indique une surconsommation en mésusage. Cette région, qui pose un problème majeur, est suivie en deuxième position par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur - dont le résultat est plus conforme à son poids démographique - puis par la région Rhône-Alpes. Les régions qui nous interpellent sont l'Alsace, l'Aquitaine, le Languedoc-Roussillon, la Lorraine et le Nord-Pas-de-Calais, c'est-à-dire les régions frontalières - comme Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes qui cumulent ainsi deux handicaps.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Sans oublier Midi-Pyrénées, également région frontalière.
M. Pierre Fender . - Tout à fait. Cette région apparaît d'ailleurs, dans la répartition des bénéficiaires par région, avant la Haute-Normandie ou d'autres régions de même taille.
Quant à l'évolution du pourcentage de bénéficiaires au sein de l'ensemble des consommateurs de chaque région, on note, s'agissant des posologies quotidiennes moyennes supérieures ou égales à 32 milligrammes par jour, une diminution en Île-de-France, en Alsace et en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Au-delà de ces régions qui ont réduit le nombre de consommateurs mésusant le produit, les autres régions se situent autour de 1 % de consommateurs en mésusage. C'est ainsi qu'en France entière, le pourcentage était de 1,5 % au premier semestre 2010 contre 2,3 % au deuxième semestre 2006.
Si l'on s'intéresse maintenant au taux de substitution du Subutex par des génériques, la comparaison entre toutes les molécules - y compris la buphrénorphine haut dosage - et la seule buphrénorphine haut dosage, fait apparaître une différence : alors que le taux de substitution pour toutes les molécules est de 82,5 %, il n'est que de 8,8 % pour la seule buphrénorphine haut dosage. Cette moindre substitution du Subutex s'explique par le fait que les fraudeurs revendent bien mieux ce produit que la buprénorphine haut dosage sous forme de générique qui n'a pas la même connotation. Cette « génériquation » est même différenciée selon le dosage du produit : alors que le taux de substitution n'est que de 16 % pour le Subutex en comprimés de 8 milligrammes, il atteint près de 50 % pour le Subutex en comprimés de 0,4 milligramme.
Au sein des programmes nationaux de contrôle de l'assurance maladie tendant à réprimer les fraudes, les fautes et les abus, deux programmes concernent plus spécifiquement les traitements de substitution aux opiacés : le contrôle-contentieux relatif aux professionnels de santé et celui portant sur les assurés. D'une manière générale, le programme national de contrôle tend à lutter contre les fraudes, à préserver des soins de qualité et à aider les professionnels dans leur démarche thérapeutique, sachant que nous collaborons depuis 2006 avec la justice, la gendarmerie et la police. Nous avons en particulier un lien très fort avec la brigade des stupéfiants parisienne : d'une part, c'est à elle, lorsque nous déposons plainte, que les procureurs ou les juges d'instruction confient l'investigation ; d'autre part, c'est elle qui nous alerte sur les changements de mode opératoire des fraudeurs. C'est ainsi qu'à partir du moment où l'on a travaillé sur les usagers consommant plus de 32 milligrammes de buphrénorphine haut dosage par jour, certains fraudeurs se sont mis à utiliser des droits à l'assurance maladie en achetant ou en volant des attestations - des professionnels les leur donnant parfois -, ce qui leur permettait de se faire délivrer sous un autre nom les produits. Ce ne sont donc plus eux qui apparaissent, mais des quidams dont les relevés d'assurance maladie ne mentionnent d'ailleurs pas « Subutex » mais « pharmacie ». C'est ce travail avec la brigade des stupéfiants qui nous permet d'ajouter de nouvelles méthodes à notre mode opératoire de repérage de fraudes.
Concernant le programme de contrôle des assurés sous traitements de substitution aux opiacées, les actions menées entre 2004 et 2010 ont eu pour résultat 400 procédures pénales engagées à l'encontre des assurés, 4 359 suspensions de prise en charge des traitements par l'assurance maladie et près de 10 000 protocoles de soins contractualisant la prise en charge entre le patient, le médecin traitant et l'assurance maladie. Ce dernier nombre est bien supérieur aux 1 530 consommateurs ayant des posologies de buphrénorphine haut dosage supérieures à 32 milligrammes par jour, car les protocoles sont signés dès qu'une alerte est déclenchée.
Quant au programme de contrôle des professionnels de santé, le premier plan de contrôle national 2005-2006 a conduit à trente-six procédures ordinales et à vingt lettres de mises en garde, tandis que le deuxième a abouti, entre 2006 et 2007, à deux procédures pénales, à neuf procédures ordinales et à neuf lettres de mise en garde, et que le troisième, dont le bilan est en cours, a eu pour résultat vingt-deux procédures pénales et une procédure ordinale. Le prochain plan sera lancé à l'automne 2011 afin de poursuivre la lutte contre le mésusage et la fraude en matière de traitements substitutifs aux opiacés.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Le facteur déclenchant le contrôle est donc une posologie de buphrénorphine haut dosage supérieures à 32 milligrammes par jour ?
M. Pierre Fender . - Ce n'est pas le seul critère. Si le mode opératoire change, nos modes de détection changent également : aujourd'hui, on vérifie par exemple si, au sein des patientèles de pharmaciens ou de médecins, n'existent pas des patients venant de très loin pour obtenir du Subutex. Pour prendre un exemple récent, la patientèle d'un médecin du Val-de-Marne non seulement vivait éloignée de ce département, mais se faisait délivrer les médicaments prescrits dans le 19 e arrondissement de Paris. La posologie de 32 milligrammes nous sert d'indicateur : on continue de surveiller les bénéficiaires de posologies supérieures, mais d'autres modalités de repérage existent. Pour citer un autre exemple, en repérant quatre-vingt douze assurés sous Subutex pour un seul prescripteur, nous nous sommes aperçus que soixante et un d'entre eux étaient communs avec le prescripteur exerçant dans le même cabinet, et que trente-neuf l'étaient avec une pharmacie.
Il ne faut pas oublier non plus le travail effectué par les médecins conseils, qu'il s'agisse de rechercher si des chevauchements existent, si le patient ne se rend pas chez un autre médecin, ou si la prescription a bien donné lieu à facturation de la consultation, sachant que le professionnel peut ne pas être impliqué, car un réseau a pu lui subtiliser ses ordonnances et se faire ainsi délivrer des produits.
C'est parce que l'on croise énormément de nombreuses variables que l'on arrive à ce nombre de procédures pénales ou ordinales qui ont conduit l'Ordre des médecins à décider de plus d'une centaine de condamnations à des interdictions temporaires d'exercer.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Les fraudes concernent manifestement le Subutex. En existe-t-il avec la méthadone ?
M. Pierre Fender . - Si, comme on l'a vu, la courbe de l'évolution semestrielle moyenne des bénéficiaires de remboursements de méthadone sous forme de sirop et gélules monte de façon très importante, le retour du terrain ne donne pas l'impression d'une dérive comme pour le Subutex. Mais nous allons vérifier.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - L'évolution des montants remboursés semble due essentiellement à l'augmentation du nombre de personnes sous méthadone, soit 150 000 me semble-t-il.
M. Pierre Fender . - C'est ce que nous vérifierons.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Concernant le risque sanitaire, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé - qui confirmait ainsi des données fournies par un toxicologue - nous a indiqué que la méthadone était impliquée dans 38 % des cas de surdose, contre 45 % pour l'héroïne, soit une différence peu importante entre les deux. Le résultat du financement de la méthadone par la puissance publique est donc mitigé puisque la toxicité de ce produit conduit à des surdoses - même si elles peuvent être dues à une polyconsommation. Avec près de cent morts chaque année, ne peut-on s'inquiéter de voir la méthadone être le Mediator de demain ?
M. Pierre Fender . - Autant je peux répondre s'agissant de la question du mésusage et de la fraude, autant je n'ai pas compétence pour évaluer les risques sanitaires. Mais, encore une fois, nos vérifications porteront cette année non seulement sur le Subutex, mais aussi sur la méthadone. Nos bases de données sont suffisamment puissantes pour savoir par qui ce produit est prescrit et quel patient le consomme et à quelle dose.
Reprenons le nombre de 10 millions de boîtes vendues de Subutex ou de ses génériques : pour 100 000 personnes, cela représente 100 boîtes pour chacune d'entre elles, soit, avec sept comprimés par boîte, la consommation moyenne d'une année. Pour la méthadone, le résultat est de 337 boîtes vendues par an et par personne. Sachant que pour la majorité, il s'agit d'unidoses, on devrait avoir comme résultat 365 boîtes.
Tel est le travail que nous allons effectuer : savoir, pour la méthadone en sirop unidose, si les données correspondent bien, et combien de boîtes sont délivrées par consommateur et par an. C'est ainsi que l'on pourra vérifier s'il y a fraude ou mésusage concernant la méthadone.
C'est grâce à ce travail effectué en amont que l'on pourra, en cas de clientèle ciblée importante dans un cabinet, s'interroger sur le médecin - sachant qu'un vol d'ordonnancier a pu avoir lieu - ou encore sur le pharmacien.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Pour revenir au nombre de 150 000 personnes cité par Mme la rapporteure, peut-être convient-il de préciser qu'il s'agit du nombre d'usagers « problématiques » d'opiacés, sachant qu'entre la moitié et les deux tiers d'entre eux reçoivent une prescription de traitement de substitution aux opiacées, dont 40 000 sous méthadone.
M. Pierre Fender . - Pour être exact, le nombre de 40 000 qui ressort de nos statistiques correspond à des personnes non pas sous méthadone, mais bénéficiant de remboursements de méthadone, ce qui est différent.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . -Pouvez-vous évaluer cette différence ?
M. Pierre Fender . - Les statistiques de l'assurance maladie ne portent que sur les remboursements et les personnes qui les sollicitent.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Peut-on avoir une idée du prix brut des traitements de substitution aux opiacés ?
M. Pierre Fender . - S'agissant de la méthadone, les unidoses, quel que soit le dosage - 5 ou 10 milligrammes,... - coûtent entre 1,14 et 1,61 euro ; en gélules, (boîtes de sept comprimés), le prix varie en fonction du dosage : pour 1 milligramme, le prix public toutes taxes comprises d'une boîte est de 3,17 euros contre 8,03 euros à 40 milligrammes.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Soit pour une semaine, selon l'usage classique d'une boîte de sept comprimés.
M. Pierre Fender . - Sachant que si l'on prescrit 17 milligrammes, il faut ajouter les prix publics d'une boîte de comprimés de 10 milligrammes, soit 5,89 euros, de 5 milligrammes, soit 5,14 euros et de deux boîtes de comprimés de 1 milligramme, soit deux fois 3,17 euros.
Quant au Subutex, le prix public toutes taxes comprises des boîtes de comprimés de 8 milligrammes est de 20,01 euros contre 16,52 euros pour la buprénorphine générique.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Pour revenir à la question des surdoses, je précise que la méthadone est un produit agoniste, c'est-à-dire qu'elle occupe tous les récepteurs aux opiacés. C'est ce qui explique que, lorsqu'une personne prend une dose supplémentaire ou un autre produit alors que ses récepteurs sont saturés, la surdose survienne, ce qui n'arrive pas avec le Subutex qui est un agoniste partiel. C'est la raison pour laquelle la méthadone est prescrite dans les réseaux en faveur de personnes sur la voie de la resociabilisation, et dont on pense qu'elles ne prendront pas forcément autre chose.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - J'ai vu pourtant à la salle d'injection de Genève un jeune sous méthadone prendre de la cocaïne car il avait peur de le faire ailleurs à cause des risques encourus.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Le risque est-il le même avec le comprimé le plus faiblement dosé - 1 milligramme ?
Mme Catherine Lemorton, députée . - Il n'y a pas de marge de manoeuvre. Il aurait d'ailleurs été intéressant d'avoir l'évolution par dosage de la méthadone remboursée. En effet, quand on initie un traitement, on a un flacon à 60 milligrammes par jour, mais ensuite lorsque le dosage baisse, par exemple à 55 milligrammes, le patient doit repartir avec un flacon à 40 milligrammes, un flacon à 10 milligrammes et un flacon à 5 milligrammes, c'est-à-dire que les unités augmentent en même temps que le dosage baisse. La réussite du traitement - avec un dosage que l'on baisse - pourrait en effet expliquer l'augmentation détectée tant pour le sirop que pour les gélules.
M. Pierre Fender . - J'essaierai de vous fournir une évolution de la méthadone par dosage, sachant que la base de données ne permet un recul que sur deux ans. Il est vrai que la mise sur le marché des gélules est assez récente.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Pour ce qui est du traitement de substitution en générique, plus le dosage est élevé, plus la personne est « border line » et plus il est difficile de lui faire accepter le générique, au contraire des personnes dont le dosage est à 0,4 ou 0,8 milligramme, qui sont resociabilisées.
Il faut également savoir que le laboratoire Schering-Plough a été malin : lorsque le Subutex a été « génériqué », son goût a été amélioré afin de masquer son amertume. C'est ainsi que le Subutex a continué à être préféré aux génériques qui, eux étaient amers.
Je reviens par ailleurs sur l'expérience de Midi-Pyrénées où un système tripartite - sécurité sociale, médecins, pharmaciens - avait été mis en place en Haute-Garonne. Nous avons dû y mettre fin, en dépit de résultats extraordinairement bons, car il était à la limite de la légalité. Une adaptation réglementaire ne serait-elle pas possible ? En effet, lorsqu'un « méga-consommateur » - et uniquement dans ce cas - était repéré, une lettre était envoyée à tous les médecins et les pharmaciens du département indiquant que cet assuré ne les avait pas choisis comme médecin ou pharmacien référent pour une liste donnée de médicaments. Certes, on a pu voir là une violation du secret professionnel, puisque personne n'était censé savoir, alors que le patient en question venait juste pour un antibiotique ou un antidiarrhéique, qu'il prenait également du Subutex. Sauf que cela a permis un bon encadrement. En effet, avec le système actuel, le temps que la sécurité sociale réagisse, un « méga-consommateur » se sera rendu pendant des semaines et des mois chez plusieurs médecins. C'est ce qui arrive en Haute-Garonne depuis l'arrêt du système mis en place : la courbe des « méga-consommateurs » remonte.
M. Pierre Fender . - Le directeur général et moi-même n'avons jamais arrêté, par nous-mêmes, cette expérimentation menée à Toulouse. C'est à la suite du rapport de la Cour des comptes nous incitant à la généraliser dans la France entière que nous avons dû nous retourner vers ses promoteurs pour leur demander au contraire d'y mettre un terme, car elle se situait en dehors de la légalité.
Le problème de fond tenait au fait - ce qui pose tout de même problème par rapport au secret médical - que tous les professionnels étaient informés, tous sachant très bien, même s'il ne s'agissait que d'une liste, quels médicaments cela concernait véritablement et qui était le professionnel qui prescrivait ou qui délivrait.
Mme Catherine Lemorton, députée . - On ne donnait pas de nom. On disait simplement aux autres professionnels que ce n'étaient pas eux les référents.
M. Pierre Fender . - Mais tous savaient ce qui était prescrit. Imaginons le fils ou la fille d'un pharmacien qui, pour ne pas dépendre de la pharmacie familiale, entre dans le circuit : son père ou sa mère saura qu'il est dans un circuit de traitement de substitution aux opiacés.
Cette méthode informe chaque professionnel du cas d'un patient qui peut être un proche. Pour l'assurance maladie, un tel système ne peut être mis en place sur le plan national ou en dehors d'une expérimentation bien encadrée. Nous avons fermé les yeux, mais ce que vous avez expérimenté était totalement interdit.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Le problème, c'est que cela avait donné de bons résultats.
M. Pierre Fender . - Je suis garant de l'application des lois et règlements au nom de l'assurance maladie. La fin ne pouvait en l'occurrence justifier, sur le plan national, les moyens.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Pour lutter contre les mésusages, peut-on améliorer les ordonnances sécurisées ? L'Ordre des pharmaciens a fait allusion à des prescriptions électroniques. Est-ce envisageable ?
M. Pierre Fender . - À partir du moment où le système est très ouvert, puisqu'il offre la capacité à tout professionnel de prescrire et à tout pharmacien de délivrer, il n'y a pas de limite à l'imagination des fraudeurs. Certains ont ainsi mis en place une plateforme téléphonique, parallèlement à l'utilisation de fausses ordonnances comprenant de vrais noms de médecins mais un faux numéro de téléphone : le pharmacien qui avait un doute tombait ainsi, en composant ce numéro, sur un complice.
Autant le dispositif est très encadré pour la méthadone - ce qui n'a pas donné lieu à dérive, encore qu'à la suite de la remarque de Mme Catherine Lemorton, il nous faudra vérifier qu'il n'y a pas d'anomalie -, autant le dispositif général est ouvert : si toute amélioration du contrôle se traduit dans un premier temps par la réduction de la fraude, des contre-parades apparaissent très rapidement, d'autant que le produit n'étant pas classé dans la catégorie des stupéfiants, les condamnations à des peines de prison sont bien inférieures à celles encourues en cas de trafic de stupéfiants. Un trafiquant mis en prison pour deux ou trois semaines recommencera dès sa sortie après avoir inventé un nouveau processus - nous en parlons souvent avec la brigade des stupéfiants d'Île-de-France et son chef, M. Patrick Nguyen.
En outre, pour les pharmaciens, il est parfois très difficile de ne pas délivrer un produit même quand ils savent qu'il y a fraude. Ils ont en effet affaire à des gens très agressifs.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - La présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, elle-même pharmacienne dans le 18 e arrondissement de Paris, nous a dit combien, venant de Corbigny dans le Morvan, elle s'était retrouvée dans un monde nouveau.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Nous avons aussi le cas du médecin qui a prescrit sous la menace et qui nous appelle pour que l'on ne délivre pas son ordonnance !
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - C'est une façon de se décharger du problème.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Pour en revenir à notre expérimentation, cela signifie-t-il que l'on ne pourra pas faire évoluer le système actuel ?
M. Pierre Fender . - Je ne suis pas juriste, mais en touchant au secret médical et à la couverture du secret de la pathologie de patients, cette expérimentation me semble contraire à notre droit.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Il nous faut comprendre la déception de tout un réseau.
M. Pierre Fender . - Je la comprends parfaitement.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Il n'y aurait donc pas d'adaptation réglementaire possible pour mieux encadrer ces patients ? Plus il y aura de méga consommateurs, c'est-à-dire des personnes qui ne font pas que se soigner, plus on risque de décrédibiliser le système.
M. Pierre Fender . - Votre mission pourrait être justement de faire la balance entre le bénéfice et le risque du dispositif encadrant le Subutex, afin de savoir s'il a eu un effet majeur en termes de santé publique et pourquoi. En tout cas, le fait qu'il soit d'accès facile implique, par définition, des dérives. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons mis en oeuvre des programmes de contrôle. Mais quels que soient les verrous mis en place, des failles seront trouvées car cela rapporte trop. Une grande partie de ceux qui sont dans la logique de la toxicomanie est asociale et la légalité n'est pas son sujet.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - En liaison avec le développement professionnel continu, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ne pourrait-elle pas mettre en place un guide de la prescription et de la délivrance ?
M. Pierre Fender . - Un tel guide est même une recommandation de la direction générale de la santé, sachant cependant que la caisse ne pourra en être que le vecteur faute de pouvoir élaborer elle-même les référentiels. Il faut vous retourner vers la direction générale de la santé ou la Haute Autorité de santé - d'autres institutions que la nôtre en tout cas.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . -N'êtes-vous pas sollicité en matière de bonnes pratiques ?
M. Pierre Fender . - Non.
Au-delà des dérives que Mme Catherine Lemorton et moi-même avons pu décrire, existent d'ailleurs de mauvaises prescriptions de la part de médecins qui ne maîtrisent pas très bien le dispositif faute d'être bien formé. C'est le défaut d'un système très ouvert : les patients n'ont pas toujours affaire au bon médecin, bien formé, qui maîtrise le système.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Il n'a souvent même pas de référent associatif.
M. Pierre Fender . - D'autant qu'il s'agit avec ces patients d'une prise en charge psychologique particulière.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Avez-vous des statistiques concernant la consommation et surtout le mésusage de produits comme le Rohypnol ou les benzodiazépines ?
M. Pierre Fender . - S'agissant des benzodiazépines, il faut s'entendre sur la signification du mésusage : les personnes âgées de plus de soixante-quinze ans sont exposées, lorsqu'elles leur sont prescrites, à un risque majeur de chutes et donc de handicap voire de décès. C'est donc plutôt un problème de santé publique qui fait d'ailleurs l'objet de campagnes de la part de l'assurance maladie.
Le sujet du bon usage du médicament en général que vous abordez est très vaste, voire trop pour que j'engage un travail sur ce point. Il est en tout cas très éloigné du sujet très précis de santé publique et de fraude que nous avons abordé aujourd'hui.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Monsieur le directeur, je vous remercie.