Audition de M. François Falletti, procureur général de Paris
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Nous sommes particulièrement honorés d'accueillir M. François Falletti, procureur général près la Cour d'appel de Paris, à qui je souhaite la bienvenue.
Nous avons déjà auditionné des représentants de services ou d'organismes chargés de la lutte contre les drogues et la toxicomanie, mais pas encore le parquet.
Monsieur le Procureur général, nous souhaiterions connaître votre point de vue en la matière ainsi que la ligne de conduite que vous vous êtes fixée depuis votre nomination l'an passé.
La loi du 31 décembre 1970 est-elle toujours d'actualité ? Des adaptations sont-elles nécessaires ? Il est toujours question de la dépénalisation de l'usage de certaines drogues. Cela est-il envisageable ?
La situation en région parisienne, comme dans toutes les grandes métropoles du monde, est sans doute plus aiguë qu'ailleurs - bien qu'on nous dise que l'on rencontre les mêmes types de problèmes en province. Vos échanges internationaux vous donnent-ils le sentiment qu'il existe des particularités propres à Paris et à l'Ile-de-France ?
Quelles sont les pistes d'amélioration de la réponse à la consommation de stupéfiants et au trafic ? Quelle est la distinction entre le trafiquant et l'usager ? Peut-on encore développer les saisies d'avoirs criminels ?
M. François Falletti . - Merci.
Je suis très honoré de pouvoir apporter ma contribution à un débat particulièrement essentiel pour la bonne démarche de vie dans notre société et qui comporte d'énormes enjeux de toute nature.
Vous mettez l'accent, dans le cadre des objectifs de votre mission, sur les problématiques de consommation et d'usage. On voit bien qu'il existe des possibilités, à travers l'usage des stupéfiants, d'une déstructuration considérable des individus et des groupes de personnes, collectivités familiales et autres.
Il y a également derrière cela des questions d'avoirs illicites rassemblés entre des mains qui n'hésitent pas à les utiliser dans le contexte de réseaux criminels voire, plus largement, de financement du terrorisme.
Il s'agit là d'un enjeu essentiel. Je suis venu accompagné de l'avocat général Philippe Lagauche, qui exerce, au sein du parquet général de Paris, des fonctions d'avocat général central en suivant au quotidien tous les problèmes d'actions publiques émanant des neuf parquets du ressort de la Cour d'appel.
Le parquet général de Paris a une responsabilité sur Paris intra-muros ainsi que sur huit autres tribunaux de la grande région parisienne, dans des départements particulièrement sujets à des problématiques du type de celles qui nous préoccupent : la Seine Saint-Denis - Bobigny - le Val de Marne - Créteil - l'Essonne - Evry - la Seine et Marne - Meaux, Melun et Fontainebleau. Par les miracles de la carte judiciaire, nous avons également un regard sur l'Yonne, avec les tribunaux de Sens et d'Auxerre.
Cependant, nous n'avons pas de responsabilité sur les départements regroupés au sein de la Cour d'appel de Versailles -Yvelines - ni sur les Hauts de Seine - Nanterre - le Val d'Oise - Pontoise - et l'Eure-et-Loir - Chartres.
Nous avons malgré tout à coeur, avec mon collègue procureur général de Versailles, de travailler de manière cohérente sur l'ensemble de l'Ile-de-France, dans le cadre des groupes de travail amenés à s'intéresser à des problématiques diverses et notamment à tout ce qui a trait aux diverses formes de délinquance et de criminalité en Ile-de-France.
Nous nous trouvons en présence d'une problématique qui a connu une évolution considérable depuis les années 1970. Je me souviens, pour avoir exercé mes premiers pas dans la magistrature à la fin des années 1970, qu'on trouvait alors dans les parquets un ou deux magistrats chargés des problèmes de toxicomanie. C'était relativement délimité.
Malheureusement, depuis une trentaine d'années, la drogue et les stupéfiants se sont immiscés un peu partout dans les préoccupations des magistrats et des policiers s'agissant des questions touchant à la délinquance.
Nous avons, face à ce phénomène diffus mais marqué, tenu à nous organiser pour apporter des réponses aux différentes manifestations du phénomène.
Tout d'abord, une réaction très forte et très ferme s'est exercée vis-à-vis de toutes les formes de trafic. Le trafic de stupéfiants constitue toujours aujourd'hui un des éléments très importants de l'activité juridictionnelle en matière de lutte contre le crime organisé. Depuis 2004, l'institution des juridictions interrégionales spécialisées nous permet, en découpant le territoire français en huit, d'avoir une approche plus professionnelle de ce phénomène et, plus généralement, de toutes les manifestations du crime organisé - trafics d'armes, d'êtres humains, etc.
Singulièrement, les trafics de stupéfiants constituent toujours un des éléments essentiels du champ de travail couvert par ces juridictions spécialisées. La JIRSP, Juridiction interrégionale spécialisée de Paris, a une compétence sur les cours d'appel de Paris, de Versailles, d'Orléans et de Bourges. Cela nous amène à couvrir, au-delà de l'agglomération parisienne, tout ce qui se situe au-dessus de cette dernière, jusqu'au centre de la France.
L'expérience a montré que ce travail permettait une analyse beaucoup plus en profondeur des trafics. Bien sûr, ceux-ci proviennent de régions que nous connaissons bien. On sait que les trafics de cannabis remontent essentiellement du Sud, de l'Espagne et en bonne partie du Maroc. La cocaïne nous vient d'Amérique du Sud, également par l'Espagne.
D'autres voies, plus récentes, viennent de certaines parties du Sud de la Méditerranée. L'Atlantique étant fortement surveillé, l'Afrique de l'Ouest est devenue un lieu de passage. On constate également une recrudescence des trafics d'héroïne et de cannabis en provenance des Pays-Bas et du port de Rotterdam.
Si j'évoque très sommairement les routes de la drogue, c'est pour dire que l'approche en profondeur manifestée par la JIRS de Paris nous permet de mieux traiter ce type de problèmes. Des voitures « go fast » empruntent l'autoroute A 10 et traversent la région d'Orléans. On s'est rendu compte qu'il existait des points de stockage à une centaine de kilomètres de l'agglomération parisienne, sur le ressort de la Cour d'appel d'Orléans. Ces points de stockage peuvent servir à alimenter des grossistes qui interviennent sur tel ou tel point de l'agglomération parisienne.
On a ainsi enregistré, l'année dernière, une importante saisie dans les environs de Chartres. Il est important d'avoir une vision élargie qui corresponde à celle que la police a su mettre en place avec les directions interrégionales de police judiciaire.
Ce constat à propos de la grande agglomération parisienne se retrouve dans toutes les JIRS de France. J'ai pris la responsabilité du parquet général de Paris en mars 2010. J'étais auparavant procureur général à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; nous avions la même vision en profondeur des trafics de drogues qui traversent la Méditerranée : bateaux « go fast » au départ des côtes marocaines, voitures transitant de l'Espagne en direction de l'Italie, etc. Certains véhicules utilisaient très souvent nos autoroutes sans que ce soit spécialement pour le marché français.
Les schémas de grossistes se retrouvent également dans certains quartiers Nord de Marseille, où il existait des sortes de grandes supérettes de la drogue avec des points de stockage à quelques dizaines de kilomètres, dans le Vaucluse ou d'autres endroits.
Ce schéma d'organisation de la drogue rejoint donc des fonctionnements que l'on retrouve dans la vie commerciale et dans la vie des entreprises, permettant d'approvisionner tel ou tel quartier en flux tendu, d'où l'importance de notre travail concernant les juridictions interrégionales spécialisées. La JIRS de Paris accueille ainsi régulièrement des procédures émanant d'Orléans ou de Bourges.
L'essentiel des trafics poursuivis donne lieu à des investigations sur des constatations effectuées en région parisienne. Dans ces dossiers, nous voyons apparaître beaucoup d'affaires concernant le cannabis provenant du Nord de la France ou du Sud de l'Espagne, ainsi que de la cocaïne. La cocaïne correspond à un marché incontestablement en progression ; sur les trafics de drogues actuellement traités dans le cadre de la JIRS de Paris, une petite moitié concerne la cocaïne. Il s'agit donc d'affaires assez emblématiques de ces préoccupations...
Les saisies sont considérables ; la police, la douane, la gendarmerie procèdent à de très nombreuses investigations. Au cours de l'année 2010, on a ainsi saisi treize tonnes de cannabis, 627 kilos de cocaïne et 54 kilos d'héroïne. Ce schéma apparaît très préoccupant mais illustre aussi l'efficacité du travail mené par les services d'enquête.
Vous le savez sans doute, les services se sont aujourd'hui spécialisés, avec par exemple la mise en place de groupes d'intervention régionaux, les GIR. Il s'agit de services d'enquête qui ne se contentent pas d'interpellations, d'arrestations et de saisies, mais qui essayent également de mener des investigations sur les avoirs financiers provenant de trafics et procèdent ainsi à un travail en profondeur, avec l'appui de policiers, de gendarmes ou de douaniers mais également d'agents des impôts et d'inspecteurs du travail, tous fonctionnaires susceptibles d'avoir une vision élargie du phénomène.
Le trafic représente un défi constant à relever mais on ne peut passer par pertes et profits le travail considérable qui, contrairement à des propos parfois désabusés que l'on entend, débouche sur des résultats dont je viens de donner quelques illustrations.
La JIRS doit ensuite poursuivre le travail, notamment dans le contexte international. Il serait séduisant de pouvoir remonter davantage en direction des têtes de réseaux. Cela passe par un travail international, et la JIRS de Paris est sans doute mieux armée pour le conduire que des tribunaux disséminés.
Nous avons évidemment à faire face à des problématiques plus proches du terrain mais aussi des revendeurs de quartier. Ce sont là des questions intéressant l'usage et la consommation, qui sont l'un des grands sujets qui vous préoccupent dans le cadre de cette mission.
Nous avons là deux types de politique, l'une concernant les dealers qui sont très proches des usagers et des consommateurs. J'évoquais le problème des nourrices et des appartements qui servent à dissimuler les différentes formes de revente. Il est clair que, lorsque nous arrivons à identifier ce type de comportement, nous restons sur un registre de fermeté totale. La recherche porte sur les éléments de preuves susceptibles d'être mises en avant pour convaincre les auteurs de ces faits de revente.
Nos poursuites vont très souvent donner lieu à des procédures rapides, comme les comparutions immédiates ou, dans les cas les moins graves, la convocation par un officier de police judiciaire. Le plus souvent, en présence d'actes de la nature de ceux que j'évoquais, on procède à des poursuites dans le cadre des comparutions immédiates qui pourront déboucher, en fonction des circonstances, sur plusieurs années de peine d'emprisonnement à l'encontre des revendeurs.
Le dispositif voulu en 2004 prévoit que, face à un trafic de drogue d'une certaine importance quantitative et qualitative, l'information établie par la police judiciaire doit être double. Celle-ci, en cas de trafic de stupéfiants en Seine Saint-Denis, par exemple, va aviser le procureur de la République de Bobigny - juridiction compétente - mais également le parquet de Paris en tant que procureur de la JIRS couvrant tout le ressort de la grande agglomération parisienne jusqu'à Orléans et Bourges.
Un échange a alors lieu entre les juridictions de Paris et de Bobigny ; si l'on se rend compte que l'affaire peut conserver une dimension locale, elle restera à Bobigny. Si elle représente une certaine complexité, revêt une dimension internationale ou constitue une saisie importante de fonds, la JIRS de Paris se saisira de l'affaire. La liaison se fait donc au stade de l'enquête.
Il peut même se faire que la JIRS de Paris prenne les affaires les plus complexes et laisser le cas échéant certains revendeurs à la compétence du tribunal local pour ne pas trop surcharger inutilement une procédure qui, pour la JIRS, doit présenter certains critères. L'affaire sera poursuivie sur le terrain de la comparution immédiate ; des saisies d'argent, de drogues, de voitures vont pouvoir être opérées. Celles-ci sont importantes.
Le troisième élément auquel nous sommes extrêmement attentifs concerne l'usager. J'ai tenu à distinguer ces trois niveaux car nous ne sommes pas en présence d'un raisonnement identique. C'est l'évidence mais encore faut-il le rappeler. S'agissant des problèmes de drogues, on simplifie parfois les choses. Ce n'est pas parce que l'usager de cannabis encoure une peine d'emprisonnement qu'on le met en prison.
Les parquets de l'Ile-de-France qui entrent dans le ressort de la Cour d'appel de Paris dont j'ai la responsabilité sont organisés suivant des fonctionnements cohérents qui se retrouvent à peu près partout. Il existe des nuances mais aussi une ligne directrice. Il faut se méfier de la notion de drogues dures et de drogues douces, quelque peu fluctuante ; toutefois, en présence d'usagers ou de consommateurs de cannabis, d'herbe, etc., le parquet réserve une suite lorsque l'infraction est constatée.
Ces procédures ne seront pas simplement classées sans suite. En fonction des circonstances, de la gravité des faits et de la consommation, la réponse qui va être apportée peut prendre plusieurs formes. La forme la plus légère est le rappel à la loi. On pourra se contenter d'adresser une sorte d'avertissement à une personne sur qui on a retrouvé une petite quantité de drogue, en lui indiquant de se conformer à la loi. Cet avertissement demeure dans les fichiers du parquet. On notifiera à l'usager qu'il n'y a pas de suite pour cette fois mais qu'il pourrait y en avoir en cas de réitération.
Ce rappel à la loi sera le plus souvent assuré par un délégué du procureur. Ce sont des personnes qui ont été habilitées par le procureur de la République. Ce peut être d'anciens policiers, d'anciens professeurs de l'éducation nationale, toutes sortes de personnes qui manifestent un intérêt pour ce type de choses et qui s'engagent dans le travail de médiation pénale. Ce rappel à la loi peut être le cas échéant effectué en maison de justice et du droit.
Le second type de réponse aux cas les plus simples consiste à solliciter l'intéressé afin qu'il se soumette à un stage de sensibilisation aux dangers de la drogue. Ces stages sont organisés le plus souvent dans le contexte associatif. Il existe des associations qui s'investissent dans le domaine de la prise en charge des toxicomanes et qui sont en mesure de mettre sur pied des stages de sensibilisation à la drogue et à ses dangers. Ces stages sont le plus souvent payants, dans des gammes de prix oscillant entre 100 et 250 €, le maximum étant celui prévu pour les contraventions de troisième classe, soit 450 €.
L'autre alternative à la poursuite peut être mise en oeuvre par la procédure dite de la composition pénale, procédure qui consiste à inviter une personne à procéder à un certain nombre d'actes : contacter un médecin, payer une amende, effectuer certains travaux si cela s'avère nécessaire.
Qu'il s'agisse du rappel à la loi, de la composition pénale ou de l'invitation à suivre un stage, le parquet laissera le dossier ouvert pendant le temps durant lequel les prescriptions doivent être assurées. Si les choses se déroulent normalement, on aura un classement sans suite mais un classement sans suite peut toujours être repris par le parquet, notamment en cas de renouvellement d'une infraction.
S'agissant des drogues dites « dures » - héroïne, cocaïne - on aura davantage recours à des dispositifs fondés sur l'injonction de soins. Le parquet, via le délégué du procureur le plus souvent, va inviter le toxicomane à se présenter auprès d'un médecin coordonnateur, comme le prévoit la loi de 2007. La prise en charge médicale sera dès lors plus lourde et plus prégnante. Si la personne se soumet à cette injonction de soins, on pourra déboucher sur un classement sans suite au bout d'un certain temps.
Que se passe-t-il en cas de réitération à la suite des classements ou lorsque les mesures prescrites ne sont pas suivies d'effet ? Dans ce cas, une poursuite peut être engagée. Il s'agit souvent d'une poursuite dans le contexte de l'ordonnance pénale, donc d'une procédure très simplifiée. L'ordonnance pénale implique l'engagement de l'action publique, l'interruption de la prescription et débouche sur des sanctions à caractère pécuniaire.
L'autre possibilité de poursuite consiste à aller devant le tribunal correctionnel et à solliciter une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, ce qui est plus contraignant : on retrouve là des obligations de soins, de prise en charge et la nécessité de pointer régulièrement au commissariat. Ce mécanisme se déroule sur plusieurs années. On s'assurera de la sorte que la personne respecte les prescriptions mises à sa charge.
En cas de non-respect des prescriptions, la sanction tombe et le sursis de mise à l'épreuve sera révoqué par le juge d'application des peines. Cela peut se faire pour un temps, quitte à entrer dans un autre schéma...
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Pourquoi les injonctions thérapeutiques et les stages de sensibilisation ne sont-ils pas appliqués partout ? Les magistrats n'y sont-ils pas sensibles, ou ce système fonctionne-t-il mal ?
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - L'amende contraventionnelle ne permettrait-elle pas une sanction immédiate, notamment pour les primo-consommateurs, avec une éventuelle inscription au fichier des stupéfiants ? On y réfléchit beaucoup car, comme le dit ma collègue de l'Assemblée nationale, il semble qu'il existe des défaillances en matière de suites...
En second lieu, nous aimerions connaître votre avis sur le problème des centres d'injection supervisée, qui risquent de créer des zones de non-droit. Quelles modifications législatives ou réglementaires nécessiteraient-ils ?
Enfin, j'ai été surpris que vous fassiez une distinction entre drogues « dures » et drogues « douces ». Personnellement, cela me choque. Est-ce un langage que vous employez couramment dans votre juridiction ou nous l'avez-vous réservé ?
M. François Falletti . - S'agissant des stages, je comprends la préoccupation qui peut être la vôtre. En fait, les stages tels qu'ils sont conçus sont initiés par chaque juridiction. Il en existe en région parisienne ; ils seront mis entre les mains d'associations ; ce dispositif n'a de sens que si ces stages correspondent à une obligation. J'ai dit qu'ils étaient payants. Encore faut-il une association suffisamment implantée pour que l'on puisse lui faire confiance pour conduire ce type de stages !
Je suis en place depuis une bonne année : c'est encore un sujet qui mérite d'être approfondi et soutenu. Je vous rejoins tout à fait. L'ensemble de la Cour de Paris veille à ce que ces stages soient mis en place, mais la prise en compte demeure inégale selon les endroits. Le tribunal de Paris a eu en 2010 1 150 stages de sensibilisation pour 3 300 affaires d'usage de stupéfiants. Je pense que ce sont des réponses effectives.
L'effectivité se mesure dans la mise à disposition du stage, par le fait que ce stage est dense et présente véritablement une plus-value mais aussi par le fait qu'il est payé par l'usager. Au-delà de l'amende, il faut amener l'usager de stupéfiants à avoir un contact qui lui permettra de s'en sortir. Il faut aussi que le suivi du stage soit contrôlé et que le parquet soit tenu informé. Ce sont là des conditions dont il faut s'assurer.
J'ai le sentiment que les procureurs de la République du parquet général de Paris y sont très attentifs, au milieu de toutes leurs autres charges. Il existe certainement des sites où les choses se passent moins bien. Si tel est le cas, il est évidemment de ma responsabilité d'attirer l'attention du procureur de la République sur le fait qu'il existe des insuffisances. Le procureur de la République peut charger un de ses substituts de s'investir dans la reconfiguration d'un stage. On est sur une matière humaine et évolutive. Des stages peuvent fonctionnent très bien durant trois, quatre, cinq ans puis, le contact disparaissant, le substitut change de poste ou le directeur de l'association s'en allant, les choses se mettent à battre de l'aile. C'est une responsabilité du procureur général de veiller à la cohérence des choses.
Quant aux drogues « dures » et « douces », je partage votre analyse. La drogue est en soi un phénomène addictif qui emporte des problématiques extrêmement néfastes pour la structuration de l'individu ou sa déstructuration, qu'il s'agisse de drogues dites « dures » ou « douces ».
C'est une terminologie que je ne souhaite pas employer. J'ai simplement voulu dire que le cannabis, l'herbe, la résine sont des drogues plus répandues et appellent un traitement particulier vis-à-vis de populations assez larges. Dieu merci, la cocaïne ou l'héroïne s'adressent à un public dont l'addiction a des conséquences déstructurantes beaucoup plus immédiates. Toutefois, on sait que le cannabis comporte des teneurs en principe utile fort variables. On observe d'ailleurs ces derniers temps un développement du cannabis « indoor », profondément déstructurant. Il s'agit donc plutôt d'une question d'approche sur le type de réponse que l'on apporte s'agissant des différents publics.
La contraventionnalisation soulève une interrogation. J'ai évoqué les réponses qui sont les nôtres. Ces réponses sont simplifiées. On confie à un délégué du procureur un certain nombre de missions. On procède par ordonnance pénale, acte très simple pour prescrire une amende. On a donc, dans le contexte délictuel, des réponses bien adaptées.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Y a-t-il une inscription au casier judiciaire ?
M. François Falletti . - S'agissant des ordonnances pénales, oui ; pour la composition, non, mais on garde une trace dans le fichier « NCP » -Nouvelle chaîne pénale- ouvert à toutes les juridictions d'Ile-de-France...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Comment le fichier des usagers de stupéfiants fonctionne-t-il ?
M. François Falletti . - C'est un fichier qui est tenu par les parquets mais qui n'a qu'une portée restreinte.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Est-il utilisé ?
M. François Falletti . - Les parquetiers doivent le consulter mais je ne suis pas certain qu'il soit alimenté de manière régulière.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Sur quelle partie du casier judiciaire l'inscription se fait-elle ?
M. François Falletti . - L'inscription se fait au numéro 1.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - A partir de l'ordonnance pénale ?
M. François Falletti . - Oui. Le casier judiciaire sera délivré à la seule autorité judiciaire en cas de sursis avec mise à l'épreuve.
Le numéro 2 part de la même fiche mais celle-ci va être délivrée de manière plus restreinte aux autorités publiques, notamment aux administrations, pour passer certains concours.
Le numéro 3 est uniquement remis à l'intéressé lui-même.
Le numéro 1 comporte toutes les mentions pour l'autorité judiciaire.
Pour en revenir à la contraventionnalisation, il existe évidemment un intérêt pour la police à conserver la dimension délictuelle. Il s'agit notamment de la possibilité de garde à vue - même si elle n'a vocation à exister que de manière relativement brève pour des usagers. Comme vous le savez, la nouvelle loi comporte une peine d'emprisonnement d'un an pour qu'il y ait garde à vue.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Ce qui est le cas de l'usage simple !
M. François Falletti . - En effet. Il existe également, dans le cadre délictuel, une possibilité de procéder à certaines investigations, comme des écoutes téléphoniques, qui ne seraient pas possibles dans un cadre contraventionnel.
Pourquoi cette lourde artillerie pour un usager qui n'a que quelques grammes de cannabis sur lui ? Les choses ne sont pas toujours simples et il peut exister des prolongements qui rendent utiles certaines investigations autour des usagers. Cette correctionnalisation de l'usage rend ces mesures possibles -même si je ne suis pas certain que ce soit absolument rédhibitoire.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Pensez-vous que toutes les interpellations soient suivies de sanctions, y compris en cas de découverte de cannabis à la sortie d'un lycée par exemple ?
M. François Falletti . - Oui, la réponse pénale s'applique également aux mineurs, de manière adaptée et totalement systématique.
On peut imaginer, pour de petites quantités, de prévoir une sorte de timbre-amende mais il y aurait un effet de seuil.
On complexifie un peu car le dealer se définit comme la personne qui détient de la drogue au-delà de sa consommation personnelle. L'usager pur est celui qui a une petite quantité. Peut-on arriver à déterminer un seuil ? Je ne le sais pas. Pour les usagers, nous privilégions une approche tournée vers les soins. Le stage payant est une réponse.
Les salles de shoot relèvent de la problématique des personnes qui pourraient satisfaire à leur addiction dans un contexte par définition circonscrit et délimité. Ma position personnelle est plutôt réservée à l'égard de cette démarche.
J'observe que, chaque fois que l'on a essayé de cadrer la consommation dans certains lieux, on a eu un phénomène de fixation des toxicomanes dans leur environnement. Je prends l'exemple - qui est certes différent - des coffee-shops aux Pays-Bas. On sait que c'est un lieu où l'on autorisait une petite consommation de drogues. En fait, avec un peu de débrouillardise, on pouvait trouver des quantités supérieures, voire des drogues de nature différente du cannabis ou de la cocaïne...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Je reviens sur votre distinction entre drogues « dures » et drogues « douces ». Un élu de votre ressort de cours d'appel a récemment produit un effet médiatique important en se prononçant sur les bienfaits de la dépénalisation du cannabis, qui permettrait de retrouver la tranquillité dans les îlots difficiles de région parisienne. Cela vous inspire-t-il ?
M. François Falletti . - Cela m'inspire un effet négatif au vu de mon expérience. J'ai le sentiment que la libéralisation ouvrirait la porte à beaucoup de problématiques différentes. Je crains fort que cela ne conduise à entamer une étape vers l'élargissement du champ de la libéralisation et brouille le message sur la drogue qui serait ainsi tolérée, voire licite dans certains cas. Comment l'expliquer alors que les études sur les effets du cannabis sur le cerveau sont préoccupantes ?
Personnellement, je ne souhaite pas que l'on prenne ce risque. J'insiste sur le fait que la distinction entre drogues « dures » et drogues « douces » est le résultat d'une répartition des champs. Le cannabis, l'herbe, la résine sont très largement répandus dans toute l'agglomération parisienne, la cocaïne et l'héroïne correspondant à un public différent. Je crains que la libéralisation du premier champ, très large, ne conduise à une aggravation du phénomène.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Vous disiez ne pas toujours avoir d'interlocuteur s'agissant des stages, suivant les parquets et les régions.
L'injonction thérapeutique permet-elle d'orienter les toxicomanes vers des structures spécifiques comme les communautés thérapeutiques ? Qui peut s'en charger ? Cela se passe-t-il dans le ressort de chaque parquet ? Comment cela se met-il en place ? Peut-être n'a-t-on pas les outils nécessaires...
Le procureur général de ma ville me disait qu'il faudrait contractualiser avec des communautés thérapeutiques et des établissements de soins. Est-ce à chaque parquet ou au ministère de la justice de prendre de telles décisions ?
M. François Falletti . - Nous rencontrons parfois des difficultés pour désigner un médecin coordonnateur. Les praticiens ne se bousculent pas dans ce domaine, pas plus que dans celui des délinquants sexuels. Ceci s'explique sans doute par la situation des frais de justice, qui fait que l'on paye ces intervenants avec beaucoup de retard !
Je crois que la démarche que vous évoquez est une bonne perspective. La carte judiciaire étant ce qu'elle est, on ne dispose pas nécessairement d'une structure dans chaque département qui permette de prévoir une communauté d'accueil et de soutien contre la toxicomanie. Un certain nombre de communautés sont listées et reçoivent une habilitation ; on peut également disposer d'une habilitation de la part de la PJJ. Ces communautés accueillent des toxicomanes venus de différents points du territoire ou de la région.
Je ne pense pas que cette approche incombe en première ligne au ministère de la justice. Il ne s'agit pas d'une approche nationale mais davantage d'une approche régionale. Chaque procureur peut rechercher une communauté dans son ressort mais il est intéressant de mutualiser les moyens, les profils de toxicomanes n'étant pas les mêmes. On ne peut attendre d'avoir une communauté adaptée à tous les types dans l'Essonne, le Val de Marne, etc. Il faut donc raisonner régionalement.
Il s'agit d'une responsabilité conjointe du préfet et de la DDASS, qui déterminent les structures en question. C'est un travail dans lequel doivent s'impliquer les procureurs de la République, au sein de leur département, vis-à-vis de leurs autorités préfectorales et sanitaires.
Comme je le disais, on ne peut se contenter d'une approche locale sous peine de connaître des manques. Il faudra bien, dans un certain nombre de situations, passer du Val de Marne à l'Essonne, de la Seine et Marne à la Seine Saint-Denis ou à Paris. Il y a là une responsabilité de mise en cohérence régionale qui remonte au parquet général.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Merci de votre exposé.
Notre mission touche à sa fin ; nous avons voulu conclure avec vous avant d'entendre les différents ministres. Soyez assuré que votre exposé nous sera très utile pour notre rapport.