Audition de M. Roger Vrand, sous-directeur à la Direction générale de l'enseignement scolaire, chargé de la vie scolaire des établissements et des actions socio-éducatives et de Mme Nadine Neulat, chef du bureau de la santé, de l'action sociale et de la sécurité
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Monsieur Jean-Michel Blanquier, directeur général de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, a été retenu par le ministre et ne pourra nous rejoindre.
Nous recevons M. Roger Vrand, sous-directeur à la Direction générale de l'enseignement scolaire, chargé de la vie scolaire des établissements et des actions socio-éducatives et Mme Nadine Neulat, chef du bureau de la santé, de l'action sociale et de la sécurité dans la sous-direction que dirige M. Vrand.
Nous souhaitons recueillir votre avis et en particulier votre point de vue sur la politique de prévention de la toxicomanie en général, évidemment plus particulièrement au regard de la jeunesse et dans les établissements d'enseignement public.
Quel constat portez-vous sur les actions que vous menez ?
M. Roger Vrand . - L'article L. 312-18 du code de l'éducation prévoit qu'une "information soit délivrée sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé, notamment concernant les effets neuropsychiques et comportementaux du cannabis, dans les collèges et les lycées, à raison d'au moins une séance annuelle, par groupes d'âge homogène".
C'est dans ce cadre législatif que s'inscrit l'action que nous menons en matière de prévention des toxicomanies.
Les mesures concernant l'éducation nationale dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2008-2011 sont de trois ordres :
- relayer dans les établissements scolaires le dispositif de communication sur la dangerosité des produits ;
- développer une politique de prévention au sein des établissements scolaires du premier et du second degré en mettant à la disposition de la communauté scolaire les outils et les ressources documentaires nécessaires ;
- organiser et encourager, dans les zones où cela est possible, une orientation par le médecin ou l'infirmière des jeunes en difficulté par rapport à l'usage des produits psychoactifs vers les consultations « jeunes consommateurs » ou les consultations organisées par les CSAPA.
Plus récemment, la circulaire de rentrée du 2 mai 2011 rappelle que l'école est un acteur de santé publique qui joue un rôle essentiel dans l'éducation à la santé. Parmi les priorités de l'éducation nationale concernant la santé des élèves, la prévention des conduites addictives figure en bon rang et reprend les orientations du plan gouvernemental.
Il est en particulier précisé que cette prévention vise à aider chaque jeune à s'approprier progressivement les moyens d'opérer des choix, d'adopter des comportements responsables, pour lui-même comme vis-à-vis d'autrui et de l'environnement.
Cette démarche doit permettre de préparer les élèves à exercer leur citoyenneté avec responsabilité. Elle contribue à la construction individuelle et sociale des enfants et des adolescents, constituant ainsi une composante de l'éducation du citoyen.
Une étude réalisée par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale en 2008-2009 fait apparaître que, dans le second degré, l'éducation à la santé dans son ensemble est mise en oeuvre dans neuf établissements sur dix et a pour objectif conjoint l'éducation à la citoyenneté et l'acquisition de connaissances en matière de santé, notamment la formation des élèves à la prévention des conduites addictives.
Cette formation s'inscrit par ailleurs dans le cadre du pilier 6 du socle commun de connaissances et de compétences portant sur les aspects d'éducation civique. Les établissements scolaires sont tenus d'intégrer des actions ressortissant à ces orientations, notamment de prévention des conduites addictives dans leur projet d'établissement.
Par ailleurs, cette prévention est intégrée à l'enseignement des sciences de la vie et de la terre, les SVT ; d'autres actions de prévention sont également conduites, quelquefois en liaison avec les établissements et avec les enseignants de SVT, par les personnels de santé et de service social avec l'appui de partenaires dans un certain nombre de cas.
Le rôle d'animation de ces actions est en premier lieu dévolu aux personnels de santé et de service social au sein des établissements -78 %. Il revient ensuite aux enseignants de sciences de la vie et de la terre -35 %- soit en équipe, soit avec d'autres enseignants -17 %. Ce rôle concerne également les CPE -37 %- ainsi que les membres d'associations -34 %.
Au collège, ce sont les élèves de la cinquième à la troisième qui sont le plus fréquemment sensibilisés à la prévention des conduites à risques. En lycée d'enseignement général et technologique, cette prévention intervient le plus souvent en classe de seconde et en première. En lycée professionnel, elle concerne principalement la seconde professionnelle.
En général, les élèves bénéficient dans plus de 80 % des cas d'au moins une action de prévention - quelquefois plus - dans le domaine de la consommation d'alcool, de tabac et de drogues illicites.
Selon les chefs d'établissements, les effets du projet d'éducation à la santé sont particulièrement positifs sur le comportement des élèves dans l'établissement -78%- et sur les relations entre filles et garçons -63% en moyenne.
Une action positive pour les élèves doit réunir les conditions suivantes :
- une bonne cohérence des acteurs du milieu scolaire afin de faire passer des messages cohérents et globaux d'éducation et de prévention ;
- une intégration d'un programme de prévention dans le projet d'établissement, notamment dans le second degré, conduit par le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, qui doit faire l'objet d'un bilan présenté au conseil d'administration ;
- enfin, une implication des personnels, des élèves, des parents et des partenaires extérieurs.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Merci de ce panorama des actions que vous mettez en oeuvre.
Quelle est aujourd'hui la réalité de la drogue en milieu scolaire ? Quelles évolutions ressentez-vous ?
M. Roger Vrand . - On peut distinguer ce que l'on ressent au sein même d'un établissement et dans son environnement immédiat.
La préoccupation la plus significative des chefs d'établissement tient à ce qui se passe autour de leur collège ou de leur lycée. Des trafics peuvent exister et les élèves être sollicités.
Il existe bien sûr un sentiment plus ou moins diffus que la consommation - en particulier de cannabis - est assez largement répandue parmi une population de lycéens ou de collégiens en fin de cycle. Il ne s'agit pas nécessairement d'une consommation régulière mais d'une découverte de ce type de produit.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Je voudrais en venir aux infirmières et infirmiers scolaires que nous avons auditionnés ; ils sont au plus près des élèves et recueillent leur vision des choses ainsi que leurs pratiques.
On leur demande de constituer un cahier où figurent des fiches de consultation qu'ils font remonter au ministère. Manifestement, les données ne sont pas toujours exploitées. Je trouve dommage de ne pouvoir s'en servir, ces données représentant la photographie des problématiques que peuvent rencontrer les élèves, non seulement en matière de toxicomanies ou de consommation de produits mais également en matière de santé. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Mme Nadine Neulat . - Les infirmières sont dotées d'une sorte de répertoire de leurs actes quotidiens. C'est un outil très intéressant pour le pilotage de l'établissement. Ce cahier peut faire apparaître certains signes à propos des problèmes de l'établissement.
Il serait très difficile à l'académie et à l'administration centrale de recueillir l'ensemble des données où figurent des informations personnelles sur les élèves, mais nous sommes conscients qu'il s'agit d'une mine de renseignements qu'il nous faut mieux exploiter, le nombre d'indicateurs que l'on fait remonter vers l'administration centrale étant très restreint.
Nous travaillons donc sur un projet de tableau de bord plus global en matière de santé et d'action sociale qui permettrait de rassembler un nombre d'éléments plus important.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - C'est une véritable richesse ! En outre, ces données sont informatisées. Il devrait donc être assez facile de mettre en place une évaluation et de pouvoir agir sur un programme spécifique.
Mme Nadine Neulat . - Il faut être conscient que tous les éléments n'ont pas à parvenir à la centrale. Chaque niveau de responsabilité a besoin d'un certain nombre d'indicateurs. Nous avons travaillé sur les indicateurs relatifs au pilotage national, utiles à l'administration centrale. L'académie peut avoir besoin d'un nombre d'indicateurs plus important, comme dans le cas du partenariat entre académies et ARS, qui constitue un des points centraux du pilotage des politiques de santé au niveau académique. Il faut réfléchir aux informations dont chaque niveau a besoin mais c'est effectivement capital.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - L'information délivrée dans les établissements par les policiers ou les gendarmes est-elle efficace en matière de prévention ?
En second lieu, à quel âge faudrait-il commencer à faire de la prévention et sous quelle forme ?
M. Roger Vrand . - On sait qu'il est difficile d'être entendu par les adolescents, toujours prompts à la prise de risques et à la transgression. C'est pourquoi il est important que l'établissement dispose d'un projet global cohérent qui permette de jouer sur différents leviers.
On imagine que le CPE interviendra plus volontiers sur les aspects de citoyenneté, de respect des règles à l'intérieur de l'établissement ou au-delà, alors que des personnels de santé ou le professeur de SVT seront plus à même d'intervenir sur les aspects d'éducation à la santé. Tout cela doit constituer un ensemble et les interventions des partenaires doivent être assez précisément intégrées dans une action cohérente et convergente.
Selon nous, il faut donc se situer sur le plan de la citoyenneté, du respect des règles et sur le plan de la santé.
Cela étant, nous ne pensons pas qu'il faille attendre l'adolescence ou la fin du collège pour intervenir sur ces questions. Nous avons ces derniers temps travaillé en liaison avec la MILDT à la préparation d'un guide portant sur des actions de prévention dans le premier degré. Cette approche s'efforce de répondre au public de l'école élémentaire et privilégie la recherche du bien-être, le respect de soi, le respect d'autrui. En fonction de l'âge, on peut être amené à moduler le respect de la législation, faire valoir les conséquences encourues ou insister sur l'éducation à la santé et la recherche d'un équilibre.
Mme Nadine Neulat . - Nous avons par ailleurs déjà diffusé un guide réalisé avec la MILDT destiné au second degré. Toutes les personnes susceptibles d'intervenir en milieu scolaire se sont mises d'accord sur un cadre d'intervention -éducation nationale, associations, gendarmerie, police. Il est en effet important pour les élèves de disposer d'un cadre structurant sur lequel les adultes se soient mis d'accord. Quelles que soient les opinions, il est nécessaire que cette information en milieu scolaire soit acceptée par tout le monde.
Différents aspects peuvent être abordés autour de l'éducation et de la prévention. Le travail sur le développement des compétences psychosociales doit particulièrement être recherché. Ainsi, la résistance à la pression des pairs est majeure en matière de prévention des toxicomanies et doit être abordée lors de ces séances de prévention. On doit apprendre aux enfants à résister à une offre face à laquelle ils se trouveront confrontés à un moment ou à un autre, notamment lors du passage de l'école primaire au collège et encore plus du collège au lycée. C'est alors, en effet, que l'on enregistre une augmentation significative des consommations de cannabis.
Les leviers de la prévention sont donc multiples. Il n'existe pas une seule méthode et l'on doit agir sur plusieurs facteurs.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Comment se concilient les obligations du monde enseignant et du personnel infirmier - respect du secret professionnel, alerte des parents ? Une prise en charge individuelle est nécessaire pour un certain nombre, l'information collective n'étant pas suffisante...
M. Roger Vrand . - Le rôle des personnels de l'éducation nationale et des personnels de santé est crucial dans le repérage des situations individuelles et pour l'alerte, en liaison éventuelle avec d'autres relais extérieurs.
Ceci incite à développer l'échange entre l'équipe enseignante et les personnels de santé afin de favoriser le repérage - avec les difficultés liées au secret professionnel ou à la confidentialité que vous avez évoquées.
L'autre dimension réside dans l'alerte des parents et l'accompagnement que des personnels de santé de l'établissement peuvent mettre en oeuvre pour les parents les plus démunis qui découvrent brutalement une consommation face à laquelle ils ne savent comment réagir.
D'une façon plus générale, nous sommes engagés dans le développement de la relation avec les parents d'élèves au sein des établissements. Peut-être avez-vous entendu parler de la « mallette des parents » qui vise à outiller les équipes d'environ 1 300 collèges pour renforcer le dialogue avec les familles...
Cette opération doit permettre de développer et d'approfondir les contacts lorsque des difficultés de cette nature surgissent. C'est un point sur lequel on va s'efforcer de mutualiser davantage les pratiques afin que les équipes sachent mieux réagir face à ce type de situation.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Avez-vous des échanges avec d'autres États à propos de leurs propres expériences ?
M. Roger Vrand . - Les relations que nous avons tendent à inscrire la démarche dans une approche globale, notamment par le biais d'expériences et de réflexions sur la recherche d'un climat scolaire propice au bien-être et à l'équilibre de l'élève. Un certain nombre de nos contacts européens s'établissent dans cette perspective.
Mme Nadine Neulat . - Nous lions des relations lors de colloques internationaux dans le cadre d'un réseau européen d'écoles promotrices de santé. Les questions de prévention y sont intégrées comme d'autres. Une réunion de correspondants nationaux a lieu annuellement pour échanger sur les pratiques dans un nombre important de pays d'Europe.
D'autres échanges ont également lieu avec des équipes de recherche. Un colloque, où le ministère était représenté, a récemment eu lieu en Italie sur le lien entre la recherche et les actions réellement mises en place, qui constituent souvent une difficulté.
La France n'a toutefois pas à rougir des politiques qui sont menées dans notre pays. La plupart des nations se heurtent aux mêmes difficultés. Le constat est toujours le même : l'école est un lieu propice à une politique d'éducation à la santé et de prévention, ainsi qu'un cadre de prévention à l'égard des consommations.
L'INPES a par ailleurs analysé différents programmes efficaces, comme le veut son rôle. Il ne suffit en effet pas de mener des actions tous azimuts : encore faut-il connaître les plus pertinentes ! Beaucoup de gens font preuve de bonne volonté, comme les anciens toxicomanes qui interviennent dans les établissements mais on ne connaît pas l'impact de ce type d'action. Les programmes qui fonctionnent le mieux sont le plus souvent nord-américains et québécois. Un programme canadien intitulé « Mieux vivra à l'école » a été adapté en France mais n'a pas été généralisé pour différentes raisons.
Les programmes efficaces existent donc mais leur mise en oeuvre est une autre question...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Les sanctions appliquées à l'encontre des adolescents interpellés par la police vous paraissent-elles adaptées ? Le rappel à la loi vous paraît-il satisfaisant ? Ne faudrait-il pas envisager un système contraventionnel afin de mieux faire prendre conscience à ces jeunes du problème qu'ils posent ?
M. Roger Vrand . - D'une façon générale, nous avons un bon retour d'informations de la part de la justice sur la situation des élèves de certains lycées particulièrement exposés à ce type de difficultés. Le partenariat avec les forces de police ou de gendarmerie s'est beaucoup amélioré. Il existe une marge de progrès pour ce qui est des relations avec la justice, notamment en matière de circulation de l'information et de signalements que les établissements peuvent réaliser.
Pour ce qui est de la nature de la sanction, la démarche éducative est aujourd'hui fondée sur le droit existant et situe les transgressions dans le cadre du délit.
Mme Neulat a travaillé avant 2007 sur la réflexion destinée à transformer certaines de ces infractions en contraventions. La réflexion, à cette époque, avait conduit à penser que cela risquait de brouiller le message...
Mme Nadine Neulat . - Depuis la loi de prévention de la délinquance de 2007, la palette s'est ouverte en matière d'alternatives à la consommation. Le problème relevait à l'époque de la disparité dans l'application de la loi vis-à-vis des consommateurs de cannabis, en fonction des tribunaux.
Il est assez difficile de tenir un discours à des jeunes si la loi n'est pas réellement appliquée ou si elle l'est de manière aléatoire d'une région à l'autre. Elle n'a alors plus aucun sens pour les élèves. Une gradation des peines pourrait jouer un rôle éducatif mais il faut tenir compte du règlement de la contravention. Sera-t-elle payée par les parents ? Seront-ils solvables ? Les catégories sociales les plus aisées ne continueront-elles pas à consommer ? Cela soulève des questions assez complexes.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Merci des précisions que vous nous avez apportées.