Audition de M. Bernard Amiens, administrateur de l'ARAFDES, Institut de formation des cadres de l'action sociale
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Mes chers collègues, nous accueillons M. Bernard Amiens, administrateur de l'ARAFDES, institut de formation des cadres de l'action sociale, également maire de la commune d'Arbois.
Vous avez dirigé l'action Saint-Michel le Haut, qui s'occupe de réinsertion sociale pour les personnes handicapées présentant des troubles du comportement. Vous employez 400 salariés et prenez en charge près de 2 000 personnes par an dans le Jura.
C'est pourquoi votre témoignage nous intéresse beaucoup. Je vous propose donc de nous livrer un exposé sur votre expérience, ciblé davantage sur la toxicomanie.
Vous avez la parole...
M. Bernard Amiens . - Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, je voudrais vous dire le plaisir que j'ai d'être parmi vous !
Vous avez retracé mon parcours ; je suis en effet également maire d'Arbois et peut-être avant tout un élu confronté aux problèmes de la jeunesse. La mienne est déjà loin mais je suis conforté dans l'idée que notre jeunesse est en danger.
Ce danger prend des formes de plus en plus complexes et inquiétantes. La drogue est devenue un produit culturel, un « business » juteux, un mode d'expression d'une jeunesse à la dérive.
Chacune des failles, des blessures psychiques de cette jeunesse trouve de plus en plus rapidement refuge dans la drogue et les addictions. C'est le moyen rapide d'occulter le présent et de ne pas l'affronter !
Ce qui m'inquiète particulièrement ce n'est pas la consommation de drogues et d'alcool qui, au fond, n'est pas nouvelle mais le fait que cela touche un nombre grandissant de jeunes et surtout certains que l'on aurait pu croire protégés par un environnement familial stable !
Je suis également inquiet de la prégnance de ce phénomène en campagne ! Je puis même assurer que la proportion de jeunes en grande difficulté est pour le moins comparable à celle des grandes villes. L'offre de produits, qui est la même qu'en secteur urbain, connaît parfois des facteurs aggravants.
La Suisse vend par exemple moins cher que nous les produits comme l'héroïne, la cocaïne, le cannabis mais aussi des drogues de synthèses et du subutex de contrefaçon. Tous ces produits sont devenus très attractifs, moins chers et disponibles en quantité.
II existe d'évidence dans notre vignoble un problème spécifique : nous disposons en quantité de caves qui permettent la germination des plans de cannabis avant qu'ils ne soient replantés à la belle saison en pleine nature dans les bois, les champs de maïs, les jardins. La gendarmerie d'Arbois a saisi 1 000 pieds de cannabis en 2009. Malheureusement, l'opération ne s'est pas reproduite alors que la récolte 2010 a été aussi abondante. 20 % au moins de la production de cannabis fait l'objet d'une production locale. C'est ce qu'on appelle, d'après Internet, les « circuits courts ».
Selon les modes et les disponibilités du moment, on constate aussi des évolutions dans la consommation. L'héroïne qui est bien présente dans le Jura se négocie entre 30 et 40 euros le gramme. On trouve également en abondance des psilocybes, champignons hallucinogènes qui poussent sur nos premiers plateaux, ainsi que des amanites tue-mouches.
Notons encore que les rave parties sont très fréquentes dans nos régions, du fait de nos importantes surfaces de forêts. La législation n'impose pas la déclaration en préfecture de ces rassemblements lorsqu'ils comptent moins de 500 personnes.
La consommation l'alcool est également phénoménale. Je le constate avec les services techniques qui ramassent les canettes consommées en association avec le fameux Red Bull qui, selon la publicité, « permet de voler ».
Selon moi, la prévention est insuffisante, voire inexistante sur certains secteurs. La répression manque de moyens et les élus sont cantonnés aux actions de réparation des dégâts alors qu'ils devraient s'occuper de prévention en amont.
Mon avis est partagé par d'autres élus : nos campagnes ne disposent pas de moyens suffisants de lutte contre ces fléaux, drogues et alcool.
La révision générale des politiques publiques étant passée par là, la gendarmerie a subi des réductions de moyens et l'on doit se contenter d'opérations coups de poing comme celle de 2009.
Il existe également des inégalités de moyens entre les villes et les campagnes. Nos campagnes ne disposent pas de travailleurs sociaux en prévention spécialisée, par exemple. Il y a selon moi un déficit d'engagement des conseils généraux, dont c'est pourtant une des compétences au titre de l'aide sociale. Pour le Jura, la prévention spécialisée n'existe que sur les trois villes les plus importantes : Dole, Lons-le-Saunier et Saint-Claude récemment.
De même, trop rares sont les gendarmes formés à la lutte contre les stupéfiants. Quand bien même le seraient-ils, il n'y a pas dans nos campagnes de spécialistes chargés uniquement de ces problèmes, comme c'est le cas en ville avec les policiers.
Je regrette aussi que les centres de formation de travailleurs sociaux ne disposent pas d'un programme spécifique pour former à la lutte contre les drogues et les addictions.
Que dire encore du manque de coordination entre les divers acteurs de la lutte contre les drogues et les addictions ? Les seuls éléments de liens résident dans la mise en place ou non des conseils communaux, intercommunaux ou départementaux de prévention et de lutte contre la délinquance -lorsqu'ils fonctionnent.
Ces instances sont trop éloignées des réalités de terrain et c'est d'abord sur le terrain que le bât blesse. Trop souvent, chacun reste chez soi. Il existe peu ou pas d'échanges entre les parents, les éducateurs de terrain et la police. L'éducation nationale reste trop souvent hermétique : « A chacun sa culture, son pré carré et ses petits secrets » !
Il me semble que l'intérêt de l'adolescent ou du jeune adulte n'est pas pris en compte de la même manière au niveau de ces instances. Il y a trop de clivages entre prévention, soin et répression : on ne communique pas et il n'y a pas d'actions communes.
Les élus sont pour leur part peu informés, parfois peu intéressés, quoi qu'il en soit trop impuissants ou trop seuls pour engager des actions de prévention.
Selon moi, il faut s'attaquer inconditionnellement à tous les trafics. C'est la source du « business ». Quelques grammes de hachisch vendus et le dealer peut aisément passer à l'héroïne ou à d'autres produits ! Le consommateur, lui, est très vite acculé, menacé et s'installe dans des conduites délinquantes pour se fournir l'argent de la drogue.
L'information veut que l'on choque pour lutter contre le tabagisme alors que, pour les drogues et les addictions, on voit peu de communication grand public et d'images chocs. Sont occultés les troubles graves voire irrémédiables pour la santé, sans parler des effets sociaux, notamment sur l'employabilité des jeunes. Certains jeunes présentent des troubles graves de la personnalité qui font redouter des comportements imprévisibles. Il s'agit là de liens de type schizophréniques liés à des consommations excessives de cannabis et au clonage de ces produits qui ont amené la THC à être multipliée par dix ou vingt. Il faut en parler et sortir de la banalisation qui dessert toutes les actions.
Je l'ai dit, nos régions de moyenne altitude permettent de consommer des produits naturels pour se droguer. Les psilocybes et autres amanites tue-mouches ont des effets désastreux sur le psychisme. Là encore l'information est timide et il conviendrait, selon moi, d'engager des actions fortes et régulières pour limiter les plantations sauvages de cannabis dans nos campagnes. Il faut mettre à contribution les chasseurs, les affouagistes, les professionnels de la nature. Je commence à avoir des informations de ces personnes, qui ont également des enfants.
Il est également indispensable et urgent d'engager des moyens importants pour prévenir, réprimer et éventuellement réparer les conséquences dramatiques de ces addictions excessives.
La prévention nécessite un fort engagement des conseils généraux pour que soient développées des équipes de prévention compétentes relevant de l'aide sociale. II conviendrait aussi selon moi que l'État soit un vigoureux moteur de nouvelles et efficaces politiques de prévention et informe mieux les familles et les jeunes des conséquences dramatiques de ces addictions. Il faut que l'information passe par l'école et soit relayée par des personnes spécialisées.
II importe aussi d'engager des actions répressives et tenaces à l'encontre des cultivateurs de cannabis, de lutter et de faire connaître le résultat des actions engagées contre les marchands d'illusions et de mort, dont on dit trop souvent qu'ils se réunissent pour leur commerce en toute quiétude dans des espaces connus et bien identifiés par la population. C'est souvent ce sentiment d'impuissance qui laisse à penser que ces trafiquants agissent en totale impunité.
II me semble qu'il conviendrait d'associer largement la population à la lutte contre ce fléau qui n'en finit plus d'abîmer durablement la jeunesse.
II faut aussi que nos campagnes se dotent de centres de soins de proximité pour aider ces jeunes à se soigner. Nos hôpitaux locaux doivent héberger des centres de soins. Il n'y a bien évidemment dans cette intention aucunement l'idée de créer des salles de shoot. Il importe cependant que les toxicomanes puissent se fournir en seringues et préservatifs afin d'éviter toute contamination.
II s'agit donc de leur apporter des soins, des psychothérapies, des cures de désaccoutumance, des séjours de rupture.
Les élus locaux, dans le cadre de leur mission de police, doivent être largement associés à ces actions mais aussi formés et informés pour pouvoir faire reposer leur action sur des dispositifs de prévention soutenus par la puissance publique -conseils locaux de prévention, commissions de sécurité.
II convient aussi d'assurer la coordination de ces actions sur des périmètres élargis, à savoir les communautés de communes, les départements mais aussi les régions. Les actions doivent être cohérentes et couvrir l'ensemble du territoire si l'on veut éviter le repli des toxicomanes et autres trafiquants vers nos campagnes, celles-ci étant démunies de moyens, notamment en forces de police et en travailleurs sociaux.
Voici, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, quelques éléments dont je suis prêt à débattre !
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - La première qualité de votre propos est d'être claire !
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Combien Arbois compte-t-il d'habitants ?
M. Bernard Amiens . - Trois mille sept cents.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - En tant qu'édile, mais aussi en tant que spécialiste de l'action sociale, de quels types de centres disposez-vous dans le Jura ?
M. Bernard Amiens . - Pour nous, la formation des travailleurs sociaux se fait à Lyon. Ces centres ne s'adressent pas spécifiquement aux métiers liés aux addictions mais dispensent des formations généralistes. Un éducateur est formé pour travailler aussi bien auprès de personnes handicapées que de personnes en situation d'exclusion.
La formation spécifique est aussi plus professionnelle. C'est l'association, la structure qui donne cette coloration spécifique. Ce que l'on apprend en premier lieu à un travailleur social, c'est à recevoir le message de souffrance de l'autre et à apporter une remédiation. En matière d'addictions, la spécialisation consiste à traiter la douleur et les failles psychiques. Aucune école n'apporte cette formation, qu'il s'agisse des écoles d'éducateurs ou de cadres. Un cadre est formé au contexte d'administratif, à la finance, à la gestion du personnel, à la gestion d'un territoire. Les parties plus spécifiques sont travaillées dans les établissements.
Il existe cependant des spécificités, certaines associations en ayant fait leur mission propre, comme Passerelle 39 dans le Jura ou le Centre Briand sur Dole.
Je regrette pour ma part que cette formation n'existe pas pour les enseignements généralistes. Une école d'éducateurs comme l'IRTS de Besançon devrait avoir un enseignement généraliste, au même titre que pour les inadaptations en général, de manière que l'on comprenne que le cannabis est un produit dangereux et que les modes d'addiction correspondent à des troubles de la personnalité.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Que peut faire une ville comme la vôtre pour une famille dont l'enfant prend du cannabis et peut-être d'autres substances, fréquente une bande et va se fournir en Suisse ?
M. Bernard Amiens . - En général, le maire répond que ce n'est pas son problème !
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Non ! C'est le maire !
M. Bernard Amiens . - Je vous orienterai vers une association. J'ai baigné dans ce milieu : c'était mon métier. Il y a peu, un jeune employeur très en colère est venu me trouver en me disant que son apprenti consommait de l'héroïne. Celui-ci venait sans arrêt lui demander des acomptes. Cet employeur m'a dit : « Il faut que tu fasses quelque chose : c'était ton boulot. Tu es maire, tu dois me trouver une solution ! ».
Que puis-je faire concrètement ? Mettre le jeune en relation avec le centre d'addictologie de Dole ? Il n'en a rien à faire ! Il n'a pas envie d'arrêter de se droguer ! Lui conseiller une association ? Il ne veut pas la rencontrer ! Pourquoi la verrait-il ? La drogue lui convient : il n'a pas demandé à en sortir !
Je vais donc voir son employeur et je lui demande de garder le jeune en lui expliquant que s'il le renvoie, il lui met la tête sous l'eau ! Je vais voir le père, qui est un ami. Il ne se savait pas que son fils se droguait ! Je lui conseille d'ouvrir les yeux et d'étudier ce que l'on peut faire ensemble. Il a essayé de se rapprocher de son fils. J'ai essayé de jouer le rôle de l'éducateur mais, au bout du compte, ce jeune se drogue toujours.
Lorsqu'il est passé du « pétard » à l'héroïne, un énorme fossé s'est creusé. Le « pétard » n'inquiétait pas le père, contrairement à l'héroïne. Avec l'héroïne, il s'est dit que son fils étai perdu ! Une conscientisation extrême s'installe dès lors et il faut apaiser le père, essayer de soutenir le jeune, faire en sorte que les choses ne se disloquent pas avec l'employeur et tenter d'assurer un relais.
Ce jeune essaye de s'en sortir. Cela fait deux ou trois fois qu'il récidive mais ce n'est jamais gagné. Ce devrait être le travail d'un spécialiste. C'est dans ce cas que la prévention spécialisée de proximité a un vrai travail à faire. Ce n'est pas la tâche d'un maire. Un maire doit amener du lien mais devrait pouvoir disposer d'un éducateur de prévention qui accompagne le jeune jusqu'au bout. Or, la prévention spécialisée au titre de l'aide à l'enfance relève des conseils généraux. Rien n'a été fait depuis six ans. Certes, cela représente un coût...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Et l'hôpital psychiatrique ?
M. Bernard Amiens . - Allez demander à un jeune qui se drogue de rencontrer un psychiatre ! Il va vous rire au nez et vous dire qu'il n'est pas malade !
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Il faut que le médecin vienne le voir !
M. Bernard Amiens . - Il ne le recevra pas ! Il faut quelqu'un qui soit en capacité de créer un lien. C'est ce qui fait la difficulté. Un enfant de dix ans suit le psychologue qui vient le chercher, ce qui ne sera pas le cas pour un adolescent de quinze ans. Quant à voir un psychiatre, il ne faut pas rêver ! On y va quand on est vraiment malade ou vraiment obligé...
Je pense qu'il faut une personne capable de créer du lien et d'apporter quelque chose. Le jeune attend que quelqu'un l'écoute, il veut voir un de ses semblables. C'est pourquoi je pense que les éducateurs de prévention spécialisée sont les mieux armés. Ils n'ont pas de mandat judiciaire et arrivent inconditionnellement. C'est pourquoi il faut développer ce travail de proximité. C'est là mon credo : il faut des gens capables de jouer le rôle de lien.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Au Centre d'addictologie Sainte-Anne, que nous avons visité ce matin, les patients -dont la moyenne d'âge tourne autour de trente ans- ont derrière eux dix années de toxicomanie. C'est au bout de dix ans que se posent les questions, après un certain nombre de ravages dans leur vie professionnelle, sentimentale ou en matière d'insertion. Ils se rendent alors dans les centres, sous l'influence d'un médecin, d'un ami ou de la famille -mais on n'y rencontre pas de jeunes de 17 ou 18 ans.
M. Bernard Amiens . - C'est dramatique !
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Vous pouvez mener l'action que vous menez parce que vous êtes maire d'une commune moyenne. L'intermédiation avec un parent, un employeur ou un jeune n'est pas possible dans une grande ville.
Beaucoup d'autres maires auraient peut-être jeté l'éponge. Il est vrai qu'il existe en milieu rural beaucoup de cas comme celui que vous avez cité mais aucune solution dans un rayon de moins de 40 à 50 kilomètres.
La faculté de médecine ne dispense pas non plus de formation spécifique concernant les drogues, pas plus que chez les travailleurs sociaux. C'est peut-être là qu'il faut agir. Il faut donc aller plus loin en matière de prévention, beaucoup de collégiens étant touchés, même dans les campagnes les plus éloignées. Le maire d'une petite commune me disait encore récemment que tous les élèves du collège local fument sans exception !
M. Bernard Amiens . - Les jeunes prétendent que deux tiers d'entre eux fument. Notre génération connaissait le canon de blanc lors du bal du samedi soir ; maintenant, c'est le « pétard » !
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Je ne pense pas que vous soyez favorable à la dépénalisation ni à la légalisation des produits...
M. Bernard Amiens . - J'en ai récemment parlé avec un ami qui m'a dit fumer des « pétards » avec ses enfants. Je lui ai expliqué que le haschisch d'aujourd'hui n'avait rien à voir avec la Marie-Jeanne des soixante-huitards, ni même avec le « pétard » d'il y a vingt ans : il s'agit de produits autrement plus nocifs !
Je ne suis pas favorable à la libéralisation, qui a été un échec partout où on a voulu la mettre en oeuvre. Où l'usage de la drogue commence-t-il et où finit-il ? On ne se drogue pas par hasard ! On ne s'enferme pas dans une problématique de toxicomanie par hasard. Il existe quelque part des troubles psychiques, une faille ou une problématique quelconque. Il faut que ces aspects soient pris en compte comme des problèmes de santé publique.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Dans les facultés, la formation des travailleurs sociaux est laissée à la discrétion des doyens, qui décident ou non d'ouvrir un enseignement de quelques heures ; j'enseignais ainsi en cinquième année de pharmacie les problèmes de substitution à l'héroïne. Cette formation devrait être généralisée aux paramédicaux, aux auxiliaires et au monde associatif...
Vous dites que l'on trouve beaucoup de cannabis dans les campagnes. Je viens de Toulouse : c'est la ville française où il y en a le plus ! On en voit aux balcons de toutes les rues -et tout le monde le sait.
Nous n'avions pas encore entendu parler des champignons hallucinogènes. C'est un problème très local -d'où l'intérêt de régionaliser la santé publique, qui est du ressort de l'ARS...
M. Bernard Amiens . - Nous en vendons chez vous ! 2 € le champignon !
Mme Catherine Lemorton, députée . - Mme Branget estime qu'il est plus facile d'aller voir le maire dans les campagnes. En ville, il existe malgré tout plus de structures. Le tissu associatif est bien en place -CSAPA, CAARUD, etc. Une mairie comme Toulouse doit être moins démunie que la vôtre, même si j'imagine que l'on peut vous rencontrer plus facilement que le député-maire de Toulouse.
M. Bernard Amiens . - En effet !
Mme Catherine Lemorton, députée . - Je pense qu'il existe dans les campagnes un manque de diversité dans le choix du traitement. Vous évoquiez le cas de ce jeune qui se drogue à l'héroïne. La seule alternative est le Subutex ou la Méthadone. Or, un centre Méthadone est quelque chose de particulier. Mettre en place un traitement de Méthadone n'a rien à voir avec la mise en place d'un traitement de Subutex, qui s'adresse à des gens sédentarisés, chez qui on va pratiquer des tests urinaires, etc. La Méthadone impose des contraints très précises qui n'existent pas pour le Subutex.
Dans les campagnes, le plus facile est donc forcément le Subutex. A combien de kilomètres de votre commune se situe le premier centre Méthadone ?
M. Bernard Amiens . - Il se trouve à 35 kilomètres. Le centre Briand -mais surtout Passerelle 39- viennent d'installer un centre de soins sur Arbois. Nous avons donc la possibilité d'orienter localement les jeunes qui ne veulent pas se déplacer. C'est pourquoi il faut de la proximité.
99 000 personnes sont concernées en France par le Subutex et 25 000 par la Méthadone. 125 000 personnes sont en situation de traitement, ce qui représente un nombre considérable de personnes qui ne se traitent pas. Or, nous constatons que le vendredi soir la défonce s'organise avec du Subutex sur prescription médicale. Ces produits de substitution sont attendus comme le shoot !
Je me suis interrogé sur ces traitements substitutifs qui n'existent que pour l'héroïne. Ce qui m'inquiète, c'est le fait qu'il n'y a bien souvent rien d'autre. Il faut donc pouvoir se sortir ensuite du Subutex ou de la Méthadone, ce qui demande un accompagnement très lourd. C'est comme si la sécurité sociale était devenue dealer ! On prescrit la dose qui calme le vendredi soir, si je puis dire !
Je sais également ce que cela donne dans les maisons d'arrêt où il existe des trafics, notamment de Subutex en provenance des pays de l'Est. Je suis sûrement excessif mais ce problème m'accapare tant...
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Je suis élu de province, en plein Berry. Nous avons également nos problèmes de drogues, tout comme dans le Cher. La manière dont vous décrivez l'appétence de votre région immédiate me stupéfie.
Pourquoi, en pleine France profonde, celle-ci connaît-elle une telle emprise de la drogue et en particulier du cannabis ? Cela vient-il de la Suisse ?
M. Bernard Amiens . - Je pense que les choses doivent être à peu près partout les mêmes et que l'on ferme les yeux sur la réalité ! Il existe des plantations de cannabis au milieu des champs de maïs : il n'y a pas que dans le Jura qu'il y a du maïs ! Nous avons également des clairières... C'est moi qui, pour beaucoup, ai signalé ces plantations de cannabis. Dans un endroit, on en a trouvé 400 pieds. C'est plus rentable que l'hectare de vigne !
On peut provoquer la germination dans les caves. Nous avons des vallons, des forêts assez accidentées. Je pense que 20 % de la consommation vient de la production locale. On estime à 4 à 5 millions le nombre de consommateurs de hachisch en France. 1,2 million sont en danger ; 500 000 consomment tous les jours. Cela représente des bottes de foin !
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Vous avez évoqué le fait que différentes drogues importées de Suisse étaient moins chères. Pourquoi cette différence de coûts ?
M. Bernard Amiens . - Il existe des effets de dumping entre la Suisse et la France. Cela dépend également des arrivages. Avec le Jura suisse, on a la possibilité de se fournir en cannabis assez facilement. Cela ne date pas d'aujourd'hui ! Lorsque j'étais enfant, on allait y acheter des cigarettes. Aujourd'hui, on peut y acheter du cannabis !
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Selon vous, l'intervention des cadres de l'action sociale relève-t-elle du médical ou du social ?
M. Bernard Amiens . - On pourrait presque parler de médico-social. Dans mon ancien métier, à partir du moment où l'on décelait des effets psychiques, on était dans le médico-social mais pour moi, la frontière est ténue.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Tu nous as dit que cette mission relevait des conseils généraux...
M. Bernard Amiens . - En effet...
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - C'est aussi de la médecine préventive, de la médecine scolaire, de la psychiatrie. Les conseils généraux n'y sont pas forcément sensibilisés. Considèrent-ils que c'est de leur responsabilité ?
M. Bernard Amiens . - Non, malheureusement !
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - J'ai participé durant des années au Conseil départemental de prévention de la délinquance, qui relève du préfet. Il existe un problème de dilution de responsabilité, chacun se renvoyant la balle. C'est un problème qui vient de l'organisation des différents éléments -prévention, soin...
M. Bernard Amiens . - Et répression !
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - La répression est prise en charge mais pas toujours. Les conseils généraux constituent-ils la bonne échelle ? Comment les sensibiliser à ce sujet ?
M. Bernard Amiens . - Il est très difficile de le faire, pas un seul ne fonctionnant de la même façon. Dans l'Ain, on trouve vingt-cinq éducateurs de prévention spécialisée ; dans le Jura, on en compte cinq ! La prévention spécialisée n'est pas uniquement là pour lutter contre la drogue et la délinquance mais pour éviter les embûches. Les addictions sont parmi les phénomènes majeurs qui atteignent aujourd'hui notre jeunesse.
Les missions que nous devons maintenant prendre en charge comportent des jeunes qui n'ont pas de formation, d'autres qui sont en souffrance sociale ou qui ont des problèmes psychiques liés à des environnements difficiles. On rencontre surtout les conséquences de conduites excessives, le suicide allant d'ailleurs avec. Pour autant, c'est aux conseils généraux d'assumer la prévention spécialisée.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Il n'y a pas qu'eux. Vous avez évoqué le cas de ce père qui fume avec son fils. Il est très dit difficile pour le maire d'être dans la délation, même s'il est officier de police judiciaire. Toutefois, il existe une autre solution. Dans le cas que vous évoquez, on peut recourir à un signalement afin d'obtenir une mesure d'assistance éducative d'un juge pour enfant. Il faut trouver pour le père une aide à la parentalité ! C'est à lui qu'il faut expliquer les dangers de la chose !
M. Bernard Amiens . - En effet.
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - J'ai signalé téléphoniquement au procureur un cas identique à celui que vous décriviez. Cela a déclenché une mesure éducative ; à vrai dire, je n'ai jamais su ce qu'il en a été. Peut-être cela n'a-t-il rien donné...
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Un accompagnement social est-il nécessaire pour sortir de l'addiction et resocialiser l'individu ? On manque totalement de ce genre d'établissements. Si on en avait davantage sur le territoire, la gestion en reviendrait-elle aux conseils généraux ? Cela peut les effrayer car l'accompagnement peut durer très longtemps... Le conseil général peut être réticent, compte tenu des difficultés financières... Ne faut-il pas imaginer un autre financement ?
M. Bernard Amiens . - La Méthadone et le Subutex seuls sont des cataplasmes sur des jambes de bois. Il faut forcément un accompagnement -mais il ne s'agit que de mon avis. Je pense qu'il existe des institutions dans lesquelles on retrouve toutes ces personnes -CHRS, centres hospitaliers spécialisés- ainsi qu'une multitude de gens atteints de troubles addictifs. On en trouve également dans les CAT. Nous avons dans le Jura un CAT pour malades psychiques. Huit cas sur dix sont d'anciens toxicomanes alcooliques ou qui le sont encore plus ou moins. Lorsque l'addiction a produit des ravages psychiques, on retrouve les gens dans les structures psychiatriques.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Le Jura est bien doté en maisons d'accompagnement : ce n'est pas le cas de tous les départements !
Mme Catherine Lemorton, députée . - Je voudrais revenir sur deux idées fausses : on ne passe pas du cannabis à l'héroïne comme cela. Aujourd'hui, à peine 1 % des fumeurs de cannabis passent à l'héroïne -et il y en a beaucoup de fumeurs de cannabis en France !
Par ailleurs, la population à laquelle on prescrit la Méthadone n'est pas la même que celle à qui l'on prescrit le Subutex. J'ai fait de la prévention dans les rave parties avec Médecin du monde : on n'y trouve pas de Méthadone. La Méthadone présente des risques d'overdoses très importants. Il faut donc être sûr que la personne soit encadrée ; quant au Subutex, on ne le donne qu'aux toxicomanes en errance. Je défie qui que ce soit de trouver des flacons de Méthadone dans une rave party !
M. Bernard Amiens . - On trouve du Subutex !
Mme Catherine Lemorton, députée . - En effet mais, dans certaines régions, les médecins sont forcés de prescrire du Subutex, les conditions de délivrance de la Méthadone n'étant pas établies.
M. Bernard Amiens . - Je partage votre avis !
Mme Catherine Lemorton, députée . - Certains toxicomanes se retrouvent sous Subutex alors qu'ils pourraient fort bien être mis sous Méthadone.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - A condition qu'il y ait un encadrement et une prise en charge !
M. François Pillet, coprésident pour le Sénat . - Merci.