Audition de MM. Patrick Hefner, contrôleur général, chef du pôle judiciaire « Prévention et partenariat », Bernard Petit, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction générale de la police nationale, le colonel Pierre Tabel, adjoint du sous-directeur de la police judiciaire et le colonel Marc de Tarlé, chef du bureau des affaires criminelles à la direction générale de la gendarmerie nationale
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . -Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue.
Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur les politiques de lutte contre les trafics de stupéfiants, tant en France qu'à l'échelle internationale ? Nous aimerions en particulier vous entendre sur la lutte contre l'offre de nouveaux produits et les nouveaux types de trafics.
Par ailleurs, quelle part les saisies représentent-elles par rapport à l'ensemble des trafics ?
Enfin, que suggérez-vous au législateur pour vous aider dans votre tâche ?
Colonel Pierre Tabel, adjoint du sous-directeur de la police judiciaire à la direction générale de la gendarmerie nationale . - Je représente le général Michel Pattin, en mission à l'étranger.
Pour la gendarmerie nationale, qui travaille de manière très conjointe avec la direction centrale de la police judiciaire, la difficulté est que la guerre contre la drogue est un combat sans fin. Les saisies de drogue se multiplient. Le marché nourrit bien ses acteurs : sans parler des grands trafiquants, nous estimons qu'un guetteur dans une cité peut gagner 100 euros par jour et un revendeur 1 000 euros ou plus. Chaque année, nous interpellons, dans le cadre d'enquêtes liées aux stupéfiants, entre 140 000 et 150 000 personnes, dont 80 % sont des consommateurs. La production de cannabis est en légère augmentation, notamment en Afghanistan. Nous avons découvert, en région parisienne et en province, des entrepôts dans des lieux de stockage difficiles à détecter, notamment dans les zones dont la sécurité est confiée à la gendarmerie nationale.
La France est un marché de consommation important, surtout pour le cannabis. Les jeunes de dix-sept à vingt ans sont particulièrement touchés par rapport à ceux des pays voisins. Nous estimons à 1,2 million le nombre d'usagers réguliers de cannabis et à au moins 550 000 celui des usagers quotidiens.
Notre pays compte 300 000 consommateurs de cocaïne contre trois fois plus dans les pays voisins, notamment le Royaume-Uni, l'Espagne et le Danemark.
La France est aussi un pays de transit entre les pays de production (Afghanistan, Maroc, Turquie, Pays-Bas) et les pays voisins.
À partir des faits, des saisies et des affaires judiciaires, nous considérons qu'il y a une assez grande disponibilité des produits stupéfiants au plan national et que la tendance à la baisse des prix favorise leur diffusion, même au-delà des grands centres urbains, à tel point que de plus en plus d'affaires concernent les agriculteurs. De même, dans la pêche, métier très dur, la consommation de cocaïne est assez importante. Ainsi, cette forme de criminalité, très urbaine au départ, s'étend. Cette tendance concerne aussi les zones de stockage.
Dans les collectivités d'outre-mer, la consommation de stupéfiants est importante et le trafic en provenance notamment d'Amérique du Sud est préoccupant.
Le nombre de personnes mises en cause pour infraction à la législation sur les stupéfiants a progressé de 7,8 % en 2010 et celui du nombre d'usagers-revendeurs de 16,44 %. En 2009, les personnes mises en cause étaient à 94 % des hommes, de nationalité française, dont 69 % avaient une profession. Enfin, 80 % des usagers appartiennent à la tranche des quinze à vingt-neuf ans.
Colonel Marc de Tarlé, chef du bureau des affaires criminelles à la direction générale de la gendarmerie nationale . - Il y a aussi un marché important de l'héroïne, qui est associée à la cocaïne pour permettre la « descente ». On peut donc parler d'un polyusage des produits stupéfiants.
Pour le cannabis, la part de la résine est tombée de 90 % à 60 %, tandis que celle de l'herbe est passée de 10 % à 40 %. Or, cette herbe a une teneur très importante en THC (delta-9-tétrahydrocannabinol), jusqu'à sept fois plus que la résine.
S'agissant des drogues de synthèse, on constate une véritable « course contre la montre », dans la mesure où, quand un chimiste invente une nouvelle molécule qui a des effets toxicologiques, elle n'est pas immédiatement classée comme produit stupéfiant.
L'action de la gendarmerie s'inscrit notamment dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, piloté par le ministère de l'intérieur, qui a permis la nomination d'un délégué national à la lutte contre le trafic de drogue et la mise en place d'un groupe opérationnel. Les directives sont de diagnostiquer et de cartographier des zones « sensibles » et d'y organiser des actions de déstabilisation, ou « coup-de-poing » : dans le cadre des plans départementaux, huit cents actions ont été menées en 2010, sur la base de contrôles d'identité et de fouilles de véhicules.
La gendarmerie a fait un effort pour axer son action sur le démantèlement de réseaux, notamment d'équipes structurées. En synergie avec la police nationale, elle participe au renforcement de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants.
La lutte contre le trafic de stupéfiants doit être totale, c'est pourquoi nous ne négligeons pas la prévention. Ainsi, depuis leur création en 1990, six cent soixante-dix formateurs relais antidrogue ont été formés et ils ont touché environ 7 millions de personnes, notamment des jeunes, dans divers milieux. Le dispositif SAGES - « Sanctuarisation globale de l'espace scolaire » - permet en outre d'aller au coeur des établissements classés les plus sensibles en zone relevant de la gendarmerie.
Nous travaillons sur l'ensemble du spectre des stupéfiants, en faisant un effort, je l'ai dit, sur les équipes structurées pour lesquelles nous avons largement recours à la rémunération d'informateurs, qui permet un traitement efficace. Nous utilisons également tous les dispositifs permis par la loi (captation d'images et sonorisation), car ils sont très efficaces. La gendarmerie participe aussi au dispositif du service interministériel d'assistance technique, surtout pour son volet infiltration.
Nous nous efforçons de traiter le phénomène inquiétant des « go fast », ces convois de véhicules puissants et ultrarapides qui convoient de la drogue en passant en force sans se dissimuler et en n'hésitant pas à foncer sur les forces de l'ordre. Cette menace émergente provient notamment de certaines cités. Le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale s'est spécialisé dans les interpellations de ces véhicules, dont plusieurs ont été interceptés en 2009 et 2010.
Nous fonctionnons beaucoup par le biais de la trentaine de cellules d'enquête qui luttent contre le « haut du spectre », le but étant d'identifier et d'interpeller des individus qui trafiquent jusqu'à l'âge de trente ans, puis se reconvertissent après avoir blanchi le fruit de leur activité.
La gendarmerie s'emploie également à lutter contre tous les avoirs criminels, grâce à la plate-forme d'identification des avoirs criminels et l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, récemment créée. Nous avons fourni un effort en matière de saisie du patrimoine. En effet, outre les peines de prison, la saisie du produit de leur crime est ce qui fait le plus de mal aux délinquants. À ce titre, 7 millions d'euros liés au trafic de stupéfiants ont été saisis en 2009, et 13,7 millions d'euros en 2010. Les investissements à l'étranger nécessitent une coopération internationale qui peut poser certaines difficultés.
Chaque fois que nous le pouvons, nous intégrons des équipes communes d'enquête comme celle qui travaille actuellement sur le trafic de stupéfiants.
Nous intégrons enfin les dispositifs internationaux.
M. Patrick Hefner, contrôleur général, chef du pôle judiciaire « Prévention et partenariat » à la direction générale de la police nationale . -Le pôle dont j'ai la charge fait l'interface avec la direction centrale de la police judiciaire, plus particulièrement les services de M. Bernard Petit.
Parmi les structures périphériques qui apportent une aide essentielle à la lutte contre les stupéfiants, je mentionnerai tout d'abord celles qui sont destinées à l'impulsion et à la coordination.
La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie est chargée de la gestion des crédits interministériels et d'un fonds de concours alimenté par les saisies, ce qui motive les services et leur permet d'acheter des matériels performants pour lutter contre les trafics. Ainsi, pour l'exercice 2011, la police nationale pourra prétendre à 800 000 euros de crédits interministériels et à 7,160 millions d'euros de fonds de concours.
Le délégué national à la lutte contre le trafic de drogue, institué par un décret du 22 février 2011, a pour mission, en liaison avec la mission interministérielle, d'animer le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, esquissé en 2009.
Composée d'un commissaire divisionnaire et d'un commandant de police, la Mission de lutte anti-drogue prépare les actions du ministère en matière de prévention et d'information du public et propose les stratégies qu'il convient d'adopter aux plans national et international afin d'éclairer tant le directeur général de la police nationale que le ministre.
Quel que soit le niveau des affaires, nous devons impérativement être renseignés, le trafic de stupéfiants étant, par définition, une infraction occulte. Pour cela, nous disposons de structures internationales et nationales.
Je citerai d'abord les officiers de liaison à l'international, dont la structure la plus développée se trouve en Espagne (Madrid, Malaga, Barcelone et Alicante), ce pays étant, notamment en matière de cannabis, la plaque tournante du système d'alimentation français.
Les attachés de sécurité intérieure peuvent également être sollicités en fonction des besoins.
Le Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants, implanté à Lisbonne, auquel participent sept pays de l'Union européenne (France, Irlande, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Portugal et Pays-Bas) avec un pays observateur, le Maroc, a pour objectif la répression du trafic illicite dans l'Atlantique. Depuis sa création, le 1er juillet 2007, il a permis de faire aboutir deux cent trente dossiers, de saisir 45 tonnes de cocaïne et 37 tonnes de cannabis, et de procéder à vingt-neuf saisies maritimes, ce qui n'est pas négligeable.
Le Centre de coordination pour la lutte anti-drogue en Méditerranée, dont l'objectif principal est la lutte contre le trafic illicite en Méditerranée, a quelque difficulté à se positionner du fait de la conjoncture actuelle dans cette zone et de la défection de certains de nos partenaires, notamment l'Italie et la Grèce. Pour autant, son activité n'est pas négligeable puisque 3,7 tonnes de cannabis et 400 kilogrammes de cocaïne ont été saisis.
Au plan national, un de nos gros soucis est de recenser le renseignement, de l'analyser, de le finaliser et de le restituer aux services de police et de gendarmerie, les structures étant généralement mixtes.
Le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité organisée s'est substitué à l'unité de coordination et de recherches anti-mafia. Ses actions recouvrent largement, sans les traiter exclusivement, les aspects liés aux stupéfiants.
La division du renseignement et de la stratégie, créée le 1er septembre 2010, relève d'une des préconisations du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies.
J'en viens aux structures qui « épousent » et répriment la sphère des avoirs criminels. Négliger les avoirs criminels accumulés par les trafiquants, c'est leur permettre de jouir en toute quiétude de sommes importantes à leur sortie de détention. Épouser les aspects des avoirs criminels a donc constitué une révolution culturelle dans les services de police et de gendarmerie. Le trafic de stupéfiants est extrêmement rémunérateur. Deux exemples : 900 000 euros ont été retrouvés dans une cage d'escalier à Villepinte ; des actes authentiques attestant d'acquisitions immobilières dans les Émirats arabes Unis ont été découverts dans la selle d'un scooter sur lequel se trouvaient deux personnes impliquées dans un trafic de stupéfiants dans une cité de l'Est parisien. Le chiffre d'affaires du trafic de cannabis en France est estimé à 1 milliard d'euros, ce qui suscite bien des convoitises.
Nous nous sommes aperçus que les trafiquants s'adaptent. Ils sont, par exemple, rarement propriétaires du véhicule de luxe qu'ils utilisent, ayant plutôt créé une société à responsabilité limitée qui le loue au Luxembourg ou en Allemagne. Il est donc très important de nous adapter à ces évolutions.
Une fois les stupéfiants saisis, l'affaire ne fait que commencer, car il est essentiel de rechercher tous les avoirs criminels accumulés. Plusieurs outils nous le permettent.
Les organismes bancaires pour l'essentiel, mais aussi les notaires, signalent des dépôts en espèces douteux et des comptes au fonctionnement atypique au service d'enquête TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), créé en 1990.
Créés en 2004, les groupements d'intervention régionaux consacrent plus de la moitié de leur activité à mettre en évidence les avoirs criminels résultant du trafic de stupéfiants. Depuis leur création, 6 000 opérations ont été recensées, ainsi que 35 000 gardes à vue dont plus de 8 200 ont été suivies de mises sous écrou ; 2 819 véhicules ont été saisis, ainsi que 166 millions d'euros de numéraires, de valeurs mobilières et immobilières ; et 6 136 vérifications fiscales ont été proposées.
Service très pointu, la plate-forme d'identification des avoirs criminels s'est livrée à un travail de bénédictin en recherchant, au travers des conventions bilatérales, le moyen de procéder à des saisies bancaires et immobilières. Les informations très précises qu'elle a fournies nous ont permis, par chancelleries interposées, de procéder à des saisies à l'étranger, par exemple en Thaïlande et dans la péninsule arabique.
Créée par la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués alimente le fonds de concours et gère tous les fonds et produits saisis et confisqués. Placée sous l'autorité d'un magistrat, c'est une structure mixte qui compte également des gendarmes et des agents du domaine, du fisc et des douanes.
Une structure nouvelle constituée de cinquante-trois agents de la direction générale des finances publiques est dédiée à quarante-trois quartiers « sensibles » dans dix-huit départements. Sa mission principale est de mettre en évidence, grâce aux services de police et de gendarmerie, les activités lucratives non déclarées. En un an et trois mois d'existence, elle a permis de procéder à 3 438 contrôles et à des redressements de droits et pénalités à hauteur de 1,150 million d'euros.
Enfin, en autorisant la taxation des saisies et des éléments du train de vie, la loi de finances rectificative pour 2009 permet à l'administration fiscale d'imposer toute personne trouvée en possession de stupéfiants.
S'agissant enfin des structures de formation et d'information à destination du public, je ne parlerai que des policiers formateurs anti-drogue : deux cent soixante-sept de ces cinq cent douze fonctionnaires sont dédiés à l'information des parents d'élèves, des élèves et des enseignants dans les collèges et les lycées. En 2010, notre auditoire a été de 112 542 personnes. L'information dispensée est très prisée des parents qui découvrent le monde des stupéfiants. Le savoir unanimement reconnu de ces fonctionnaires est également très apprécié à l'étranger.
M. Bernard Petit, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction générale de la police nationale . - Je tiens à votre disposition les organigrammes des services de police judiciaire (hommes et structures), ainsi que le bilan des saisies et celui des interpellations d'usagers et de trafiquants pour les années 2009 et 2010.
Pour ma part, j'ai à connaître de l'activité de plusieurs structures : l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants ; l'Office central de lutte contre le crime organisé ; l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière ; le service interministériel d'assistance technique, en charge des infiltrations dans les réseaux ; le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité organisée, qui tente de définir des stratégies pour informer les décisionnaires ; la plate-forme d'identification des avoirs criminels.
Dans cette importante activité, assez complexe, l'aspect financier n'est plus jamais détaché de l'aspect criminel. Jusqu'en 2006, un distinguo était opéré entre les enquêtes criminelles et les enquêtes financières ; aujourd'hui, ce n'est plus le cas : elles sont systématiquement simultanées. Cette réforme très importante permet de saisir le patrimoine et les avoirs criminels le plus rapidement possible.
Bien qu'il existe des milliers de produits stupéfiants - rien que pour 2010, quarante nouvelles molécules susceptibles d'être utilisées par des consommateurs ont été détectées et identifiées -, la consommation et le trafic en France restent organisés autour de trois produits phares : le cannabis (herbe et résine), la cocaïne et l'héroïne.
Certes, les drogues de synthèse (ecstasy et dérivés d'amphétamines) sont un sujet de préoccupation et des saisies et des interpellations sont menées. De nouvelles molécules apparaissent tous les jours, commercialisées sur internet par des réseaux très difficiles à identifier, sans compter que celles qui ne sont pas classées rapidement permettent à des gens d'entrer dans la toxicomanie de façon légale ! Néanmoins, d'après les statistiques, les drogues de synthèse n'ont pas le même impact que la cocaïne, l'héroïne et la résine de cannabis.
La France est, en Europe, un marché de consommation de stupéfiants de première importance, estimé entre 2 et 2,5 milliards d'euros. Le premier marché est celui du cannabis : entre 200 et 300 tonnes de résine doivent être acheminées chaque année pour satisfaire la consommation française, ce qui représente une valeur comprise entre 800 millions et 1 milliard d'euros, soit beaucoup d'argent ! La consommation française de cocaïne nécessite d'acheminer de 15 à 20 tonnes par an, pour une valeur estimée à 800 millions d'euros. Enfin, les consommateurs d'héroïne ont besoin de 8 à 10 tonnes par an, soit un marché de 200 millions d'euros.
D'après les études de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, corroborées par celles de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies basé à Lisbonne, la France compte 1,2 million d'usagers réguliers de cannabis et au moins 550 000 usagers quotidiens. Toutes ces données montrent l'ampleur du phénomène.
La France est également un pays de transit. La résine de cannabis part du Maroc, traverse l'Espagne, la France et se propage en Europe, la France et l'Espagne en absorbant une grande quantité au passage.
La France est aussi un pays de transit pour les drogues de synthèse et l'héroïne. Cette dernière provient d'Afghanistan, remonte par la route des Balkans, « tape » en Allemagne, puis « rebondit » aux Pays-Bas où se trouvent les structures commerciales permettant une diffusion dans le reste de l'Europe : le marché britannique en tête, puis la France, l'Espagne, l'Italie, etc. Environ 80 % de l'héroïne consommée dans nos cités et dans le Sud du pays viennent des Pays-Bas et du Nord de la Belgique.
Notre pays permet aussi de faire « rebondir » la cocaïne vers d'autres pays de l'Union européenne, les deux portes d'entrée principales restant l'Espagne et les Pays-Bas.
Produite uniquement par les pays andins - Colombie, Pérou, Bolivie et peut-être une zone en Équateur -, la cocaïne est transportée par voie maritime ou aérienne. Autrefois, elle arrivait d'Espagne d'où elle se répandait dans l'ensemble de l'Europe. Aujourd'hui, grâce aux dispositifs des États, notamment français, un « bouclier » permet d'entraver les arrivées massives. Grâce à la mutualisation des officiers de renseignement que nous avons déployés en Amérique du Sud et à l'antenne de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants créée à Fort-de-France, qui regroupe des gendarmes, des policiers, des douaniers et des marins, nous arrivons à intercepter et à détourner nombre de bateaux de la zone Caraïbe qui avaient vocation à traverser l'Atlantique pour venir chez nous. Le Centre opérationnel d'analyse et de renseignement maritime pour les stupéfiants surveille l'océan Atlantique pour empêcher les bateaux transportant des cargaisons de cocaïne d'arriver chez nous. Ce dispositif est complété par la création de deux nouvelles antennes, à Dakar et à Accra, qui nous aident à « verrouiller » l'Afrique de l'Ouest et le Golfe de Guinée afin de repousser les bateaux le plus loin possible.
Ce « bouclier Caraïbe » produit aujourd'hui ses effets. Mais si la France est bien placée, sur la façade atlantique, pour la lutte contre la cocaïne, avec l'Espagne, le Portugal et la Grande-Bretagne, il n'en est hélas pas de même pour la lutte contre l'héroïne qui provient d'Afghanistan par la route des Balkans. D'où la nécessité d'une solidarité européenne par le biais de partenariats : pour lutter efficacement, il faut partager les responsabilités et les actions de façon organisée.
La forte demande de stupéfiants est aussi un élément de fragilisation de la sécurité intérieure nationale. Le trafic génère énormément d'argent et les groupes criminels se structurent très rapidement. En seulement deux ans, un groupe criminel né du trafic de résine de cannabis atteint une maturité et un développement problématiques qui nécessitent l'intervention, non d'un commissariat ou d'une unité de gendarmerie territoriale, mais d'unités spécialisées.
Je m'arrête sur le bilan des saisies numéraires. En 2010, 39 millions d'euros d'avoirs criminels ont été saisis en France. Cet effort a été consenti par la police et la gendarmerie à parts égales. D'année en année, notre pays améliore ses résultats. Le dispositif est donc dans une phase très performante et va être complété par l'action de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, créée récemment, qui va gérer les biens saisis, notamment immobiliers, ce qui facilitera les saisies auxquelles nous renoncions pour des difficultés de gestion. Nous espérons donc que le montant des saisies augmentera dans les années à venir.
L'internationalisation des trafics est patente. Ils ont changé d'échelle : autrefois, de petites équipes achetaient leur produit en France ou en Espagne où se trouvaient leurs contacts et distribuaient 100 kilogrammes de résine dans une cité ; aujourd'hui, les équipes descendent en Espagne, ont des contacts avec des Français de souche marocaine ou algérienne, voire avec des Colombiens, ce qui leur permet d'accéder à différents produits de qualité satisfaisante et à des prix compétitifs.
J'insiste enfin sur le fait que les pouvoirs publics ne doivent pas se focaliser sur les produits. Certes, le cannabis est un sujet de santé publique et de prévention ; on peut toutefois comprendre que, si l'on a des enfants, trouver une barrette de cannabis n'a pas la même signification que trouver une seringue et un coton ensanglantés. Le débat sur les drogues dures et les drogues douces est légitime, on peut l'entendre. Néanmoins, ce qui compte, ce sont les réseaux criminels qui apportent ces produits chez nous : ces criminels se moquent de notre appréciation du produit et de sa dangerosité, ils trafiquent, ils font de l'argent !
Les trafiquants de cannabis ont progressé et diversifié leurs produits : ils ramènent l'héroïne des Pays-Bas, ils remontent la cocaïne d'Espagne. Mes camarades gendarmes et policiers vous le diront : en Espagne et en France, beaucoup de règlements de compte sont liés au trafic de cannabis. Ces réseaux criminels sont très dynamiques, très organisés et disposent d'une manne financière extrêmement importante. Et comme ils mettent moins de deux ans à se structurer à l'international - à blanchir l'argent, à acheter de l'armement et des faux papiers -, le travail de démantèlement est extrêmement difficile.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Pensez-vous qu'une politique contraventionnelle en direction des « petits porteurs » ou des consommateurs permettrait de marquer plus facilement les jeunes qui sont dans une première approche de consommation ?
Par ailleurs, les collèges sont-ils le meilleur endroit pour sensibiliser nos jeunes ? Le temps d'information n'y est-il pas vécu, d'abord, comme un instant de détente ?
Enfin, quel impact des centres d'injection supervisés auraient-ils sur votre activité ? Cela nécessiterait-il des modifications réglementaires ou législatives du régime juridique de la consommation des stupéfiants ?
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - La coopération entre vos services et vos homologues européens est-elle efficace ?
Quels contacts avez-vous avec le Maroc ?
Enfin, avez-vous une idée du coût de tous les organismes qui luttent contre les trafics ?
Mme Brigitte Bout, sénatrice . - En moins de deux ans, dites-vous, des hommes et des femmes arrivent à créer une entreprise multinationale qui fonctionne parfaitement bien ! Quand on voit le mal qu'ont nos jeunes aujourd'hui à s'installer à leur compte pour travailler honnêtement et gagner une misère, on se dit que quelque chose ne va pas !
Mme Catherine Lemorton, députée . - Les réseaux de santé que le groupe d'études sur la prévention et la lutte contre la toxicomanie de l'Assemblée nationale a auditionnés nous ont communiqué des montants inférieurs à ceux que vous avez cités sur les revenus des trafiquants. D'après eux, les guetteurs gagnent à peine 20 % de plus que les minima sociaux. D'où tenez-vous vos données ?
La drogue est avant tout un problème de santé publique. Comment les gamins de cinquième et de quatrième vous perçoivent-ils lorsque vous arrivez au collège, où vous renvoyez l'image de l'ordre public et de l'autorité ? Avez-vous des retours « de terrain », en particulier des enseignants ?
Colonel Pierre Tabel . - Les retours des enseignants sur le dispositif des formateurs relais antidrogue sont globalement positifs.
Je suis bien incapable de vous dire quel est l'impact réel de ces formations sur les préadolescents et les jeunes adolescents que nous rencontrons. Dans la mesure où 42 % des jeunes de dix-sept à vingt ans sont usagers de cannabis, ces formations ne sont certainement pas assez efficaces, mais si elles n'existaient pas, ce serait une lacune dans le dispositif et ce taux serait probablement plus élevé...
Il fut un temps où nous n'étions pas bien accueillis dans les collèges ; ce n'est plus le cas car le problème est réel. Mais il serait intéressant que nous puissions faire des sondages auprès des enseignants.
Bref, si le dispositif est perfectible, il est nécessaire.
Mme Catherine Lemorton, députée . - Après votre passage, il faudrait distribuer des questionnaires à destination des enfants et des adolescents afin de savoir ce qu'ils ont retiré de l'information que vous leur avez dispensée.
Colonel Pierre Tabel . - Je ne suis pas convaincu qu'ils répondraient au questionnaire de manière sincère.
Mes propres enfants, préadolescents et adolescents, se sentent très concernés et parlent beaucoup de ces questions. Selon moi, la sensibilisation doit d'abord se faire dans la famille. Les gendarmes et les policiers formateurs viennent en complément.
M. Patrick Hefner . - On n'imagine pas le nombre de parents qui, dans le cadre de ces conférences dans les collèges et les lycées, ont découvert la toxicomanie de leur enfant ! Nos interventions suscitent toujours des questions chez les parents.
Les médecins peuvent aussi alerter sur la dangerosité de ces produits. Mais nous-mêmes ne manquons jamais de souligner les incidences que ces produits peuvent avoir sur la santé.
Lors d'une émission télévisée, un grand acteur de cinéma à qui il était demandé comment il avait vécu son interpellation par la brigade des stupéfiants a répondu : « c'est la première fois que je me suis dit que j'étais en marge de la société, que ce que je faisais était illicite ». De même, un grand nombre de jeunes consommateurs de cannabis, au gré de nos interventions, prennent conscience qu'à chaque fois qu'ils fument, outre qu'ils détruisent leur santé, ils commettent un délit !
Que deux ou trois jeunes seulement, dans un auditoire d'une centaine, décident, grâce à notre discours, de s'abstenir ou de stopper leur consommation est pour nous la preuve que nous accomplissons notre mission.
M. Daniel Vaillant, député . - Mon propos n'est pas de mettre en cause les formateurs qui interviennent dans les collèges, mais de savoir sur quel terrain s'exerce la prévention sanitaire et sociale. Étant opposés à la consommation de toute drogue, nous devrions aussi agir à l'Assemblée nationale et au Sénat, quelles que soient nos traditions, pour lutter contre la consommation excessive d'alcool. En attendant, je voudrais être sûr qu'on met les écoliers et les collégiens en garde contre les méfaits de l'alcoolisme, même si, parce que la vente d'alcool est licite, elle ne donne pas lieu à un trafic et permet même à l'État de prélever des taxes.
Outre l'école et la structure familiale, n'oublions pas un autre maillon : un service civique obligatoire de courte durée permettrait aux garçons comme aux filles de recevoir une information de sécurité sanitaire sur l'utilisation des produits illicites ou licites.
Colonel Marc de Tarlé . - Les formateurs relais antidrogue interviennent également dans des expositions, ainsi que dans les administrations. À l'école, la prévention en matière d'alcool s'effectue plutôt dans le cadre de l'initiation à la sécurité routière. Les gendarmes, dont le rôle est de rappeler la loi, sont formés de manière spécifique pour inciter les jeunes à prendre conscience de tous les dangers et à se montrer le plus responsables possible.
La création de centres d'injection supervisés, expérimentée dans plusieurs pays, n'est pas une solution appropriée. Selon l'Organe international de contrôle des stupéfiants, elle discrédite le discours de prévention et, partant, toute la pédagogie destinée à lutter contre l'usage de stupéfiants.
M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat . - Puisque la plupart des jeunes consommateurs assimilent le rappel à la loi à une absence de sanction, pourquoi ne pas renoncer à l'incrimination délictuelle et leur infliger plutôt des amendes contraventionnelles à payer immédiatement par les parents ?
M. Bernard Petit . - Parmi les personnes interpellées, les usagers sont la majorité ; il faut donc envisager un traitement de masse. Actuellement, nous préférons aux sanctions réelles un rappel à la loi. Étant moi-même favorable à la répression - bien que très attentif, ce qui n'est pas contradictoire, à la prévention, aux soins et à la réduction des risques -, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour vous répondre. La disparition de l'incrimination délictuelle ferait perdre à nos collègues des brigades territoriales ou des commissariats, qui sont en contact avec l'usager, la possibilité de remonter au moins un échelon dans la filière, et d'atteindre le petit trafiquant implanté dans une rue ou une barre d'immeubles, où il cause déjà des dégâts. En revanche, elle serait sans effet sur ceux qui enquêtent sur le trafic national ou international et mènent des actions d'entrave aux arrivages massifs.
Madame Françoise Branget, le coût de la lutte contre la toxicomanie n'a pas été calculé, ce que je regrette, car cette donnée manque à notre réflexion. Pour que le montant soit exact, il faut aussi prendre compte le coût des procédures juridiques, celui des gardes à vue et le temps de travail des magistrats. La lutte contre la toxicomanie est un investissement dont il serait intéressant de connaître le rendement.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Selon le directeur de la prison de Fleury-Mérogis, où je me suis rendu il y a quelques jours, 70 % de la population incarcérée sous tous les régimes, y compris les femmes et les jeunes, sont liés au trafic de stupéfiants. La maison d'arrêt des femmes est remplie de « mules ».
Colonel Pierre Tabel . - Le projet de loi relatif à la garde à vue que vous examinerez dans quelques jours réduira sensiblement le nombre de gardes à vue, lequel diminuerait encore si les revendeurs étaient seulement soumis à une contravention. La présence d'un avocat pendant la procédure compromettra en outre la possibilité de découvrir le nom d'un revendeur et de remonter ainsi un maillon de la chaîne. La contraventionnalisation pèserait lourd en termes d'efficacité. En outre, certains dérivés du cannabis, à forte teneur en tétrahydrocannabinol sont de plus en plus dangereux.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Pour le gros trafic, le projet de loi prévoit certaines dérogations à l'intervention de l'avocat.
Venons-en à la question de Mme Brigitte Bout : pourquoi les jeunes se lancent-ils dans ce trafic ?
M. Bernard Petit . - Certains jeunes perçoivent les réseaux comme une alternative au développement. Ils nous expliquent leur parcours quand nous les rencontrons afin de recruter des sources. Dans la cité, ils commencent par servir de chauffeur au petit trafiquant, avant de « dealer » eux-mêmes. Ils servent ensuite de « nourrices », ce qui leur permet de vivoter. De toute façon, ils n'ont pas d'autres sources de revenus, n'ayant jamais travaillé, et n'accèdent aux droits sociaux que par leur famille.
Un jour, ils franchissent un cap en réalisant une transaction. Certains commencent par une infraction non liée aux stupéfiants pour financer une opération qui, elle, y est liée et leur permet de tripler ou de quadrupler leur mise. Par la suite, ils trouvent la filière qui leur permet de réceptionner et de stocker la marchandise en provenance d'Espagne ou du sud de la France. Plus tard, ils descendent en Espagne. D'abord, ils font « l'ouvreuse » pour le convoi qui remonte le cannabis. Puis ils conduisent la voiture « porteuse », avant de devenir chefs de convoi.
Ils gagnent vraiment de l'argent le jour où ils voyagent entre Malaga et Paris, la Seine-Saint-Denis, Strasbourg ou Dole. Avec les copains qui ont servi de manoeuvres, ils montent leur propre réseau, qui écoule 40 à 100 kilogrammes. En deux ans, ils sont devenus chefs. Ils ont un adjoint et un complice en Espagne, où ils louent une maison et des voitures. En cas de besoin, ils commandent un « carjacking » sur l'Audi Q7 d'une personne totalement étrangère au trafic, ce qui provoque une délinquance accessoire.
Même quand ils ne sont encore que deuxième couteau dans une équipe, il est difficile de les recruter comme source. Pourquoi travailleraient-ils pour nous ? Ils ont des revenus réguliers. Même s'ils ne touchent pas encore 100 000 euros à 150 000 euros par mois, comme les grands chefs de réseaux, ceux-ci ont tous les jours besoin de « go-fast », qui ne sont d'ailleurs qu'un vecteur parmi d'autres.
Mme Brigitte Bout, sénatrice . - Enseignants et éducateurs ne pourraient-ils pas déceler chez ces jeunes une certaine énergie et un sens de l'organisation, qui sont tout de même des valeurs positives, car développer une affaire en démarrant de peu, c'est bien la démarche d'un chef d'entreprise ?
M. Bernard Petit . - On ne peut nier qu'une certaine énergie pousse ces jeunes à gagner de l'argent, mais voyons la réalité. Tous ceux qui pratiquent les écoutes savent qu'ils ne se lèvent jamais avant onze heures ou midi et se couchent vers trois ou quatre heures du matin. Même s'ils déploient une énergie farouche pour gagner de l'argent très vite, comme on peut le faire dans le monde du spectacle ou du football, ils ne font aucun effort au quotidien.
À la différence du métal ou du bois, le cannabis ne nécessite pas de travailler un produit et il permet de faire une véritable « culbute ». Un commerçant, qui travaille au moins dix heures par jour, ou un restaurateur, qui se lève tôt pour aller aux halles, mettent du temps pour dégager du profit. On ne peut les comparer à quelqu'un qui se contente, trois jours par mois, de remonter d'Espagne de la résine de cannabis, quitte à prendre des risques ou à tuer. L'énergie que celui-ci déploie n'a rien de positif, et le profit qu'il dégage tient seulement au fait qu'il convoie un produit extrêmement rentable. Il n'y a rien de commun entre l'énergie de quelqu'un qui ne cherche qu'à s'affranchir de la loi et celle d'un chef d'entreprise.
Colonel Marc de Tarlé . - Au niveau international, l'action des réseaux, qui sont très structurés, est inquiétante : usage des armes sur la guardia civil ; attaque d'une équipe de transfèrement, dans le Nord de la France, pour faire évader un complice ; corruption au Maroc, ce qui compromet la collaboration internationale. En outre, pour éviter qu'on ne les repère ou qu'on ne saisisse leurs avoirs, certains délinquants conservent un train de vie relativement chiche lorsqu'ils sont en France, alors qu'ils possèdent des chaînes d'hôtel à l'étranger. Manifestement, on peut encore progresser en matière de collaboration internationale.
Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale . - Sur le terrain, certains trafics s'effectuent au vu de tous. Dans un quartier de ma circonscription, les habitants savent parfaitement qui chapeaute le réseau. Telle personne, qui possède une villa au Maroc, mène tranquillement ses affaires sans que la police intervienne. Celle-ci fait-elle preuve de laxisme ou achète-t-elle la paix sociale ? Des trafiquants qui roulent en X5 ou X6 ne sont pas difficiles à repérer dans un quartier où tout le monde touche le revenu de solidarité active. Chaque jour, à ma permanence, je reçois des habitants qui dénoncent leur présence.
M. Patrick Hefner . - Selon l'Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, un effort significatif a été accompli par le Maroc. La surface de culture du cannabis a été réduite de 130 000 hectares à 64 000 hectares, et les quantités saisies ont considérablement augmenté. En 2010, les autorités locales ont mis la main sur 100 tonnes de marchandises, quand nous en avons saisi 56, ce qui montre que, malgré certaines difficultés propres au pays, elles sont engagées dans la lutte.
En France, si la police peut donner l'impression de laisser perdurer des trafics, c'est que les enjeux sont importants. Dans certaines cités, il arrive qu'une équipe cède une cage d'escalier pour 50 000 euros ; si l'on n'y veille pas, en moins de vingt-quatre heures, une autre équipe succède à celle qu'on vient d'arrêter. D'où la création par la police nationale de « groupes cités ».
M. Bernard Petit . - Cela dit, la situation que vous évoquez est anormale : habituellement, les groupes ne roulent pas en 4x4 sur les lieux de trafic, les responsables préférant les laisser en Espagne où ils mènent la belle vie. À mon sens, les trafiquants que vous décrivez commettent des erreurs de débutants. Transmettez-nous leur identité. Un groupement d'intervention régional leur demandera de justifier leurs ressources.
Colonel Pierre Tabel . - Des enquêtes menées en Seine-Saint-Denis révèlent que tous les 4x4 utilisés dans ce contexte sont des véhicules de location. Nous discutons actuellement avec la justice pour savoir où placer le curseur entre l'exaspération des citoyens et la nécessité de disposer de charges suffisantes pour faire condamner les intéressés. Si l'on intervient trop vite, leur dossier ne sera pas assez lourd et ils seront aussitôt remis en liberté. On n'a donc pas d'autre choix que d'accumuler les preuves, au grand dam des habitants.
Si l'on arrête tous les quinze jours un « chef militaire » de l'ETA, c'est qu'à peine incarcéré, il est aussitôt remplacé par un autre. Le phénomène est le même dans les réseaux de trafic de drogue, où les places ne restent jamais vacantes.
M. Serge Blisko, coprésident pour l'Assemblée nationale . - Je vous remercie.