Mercredi 25 mai 2011
MM.
Jean-François Roubaud, président,
et Pascal Labet, directeur
des affaires économiques,
de la Confédération
générale
des petites et moyennes entreprises (CGPME)
M. François Patriat , président . - Notre mission se penche sur l'impact de la révision générale des politiques publiques sur les collectivités territoriales. Les entreprises que vous représentez sont en contact avec l'État et avec les collectivités, au moment de leur création, de leur transmission, de leur développement, en matière d'exportation ou encore de formation. Quels sont pour vous les effets de la réforme des différentes cartes administratives, des suppressions d'emplois ou de la réorganisation des services ?
M. Jean-François Roubaud, président de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). - La CGPME a accueilli avec satisfaction le lancement de la RGPP ; nous partageons les objectifs d'amélioration de la qualité, de réduction des dépenses et de modernisation de la fonction publique. Nos chefs d'entreprise sont pragmatiques : ils voient avant tout les simplifications qu'apporte la RGPP sur le terrain. Ainsi, la mise en place de guichets unique est saluée. Avec le commissaire à la simplification, on entre dans une phase active. Je crains toutefois qu'il ne faille prendre d'autres dispositions si l'on veut réduire le déficit budgétaire à 3 % d'ici 2013...
L'information sur la mise en place des nouveaux services déconcentrés et leur accessibilité nous paraît-elle suffisante et acceptable ? Sur le plan fiscal, la simplification est indubitablement efficace.
M. Pascal Labet , directeur des affaires économiques de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) . - Du moment que les chefs d'entreprise ne sont pas au bord de la jacquerie, c'est que le dispositif est a priori pertinent.
Il n'y a pas eu de document de vulgarisation global retraçant les effets de la RGPP pour les entreprises.
M. Jean-François Roubaud. - Nous mesurons l'insatisfaction des chefs d'entreprise, pas leur satisfaction. Parmi les causes d'insatisfaction, il y a Pôle Emploi. En revanche, le rapprochement entre l'administration fiscale et les entreprises pendant la crise est à saluer. L'administration est sortie de son rôle de contrôleur et s'est mise à notre écoute, accordant des délais de paiement, des facilités aux entreprises en difficulté. Désormais, les relations sont établies, les entreprises appellent directement le directeur de l'Urssaf ; j'ai récemment remis une médaille au trésorier-payeur général d'Annecy pour le remercier de sa collaboration exemplaire. Cette évolution, qu'elle découle de la RGPP ou de la crise, est en tout cas source de satisfaction.
M. Pascal Labet . - Prenons l'exemple de l'administration des douanes : d'un rôle de sanction, elle est passée à celui d'interlocuteur des entreprises, notamment en matière de lutte contre la contrefaçon. La création d'indicateurs de performance a encouragé cette nouvelle relation.
Les conséquences du retrait de services publics sur les emplois privés sont-elles évaluées et suffisamment prises en compte ? Dans les zones rurales, le regroupement des services publics, le retrait des services postaux par exemple, est parfois ponctuellement mal vécu. En revanche, la création des directions départementales des finances publiques (DGFIP) ne pose pas de problème.
M. Jean-François Roubaud. - Le retrait de garnisons dans certaines villes pose bien évidemment problème localement. Quant à la création des DGFIP, elle n'a pas occasionné de retour particulier de la part des entreprises.
M. Pascal Labet . - Il était aberrant que la même administration soit en charge à la fois de l'assiette et du recouvrement de la TVA. Pour l'ex-taxe professionnelle et l'impôt sur les sociétés, l'assiette relevait de la direction générale des impôts (DGI), le recouvrement de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP). Les chefs d'entreprise apprécient de n'avoir qu'un seul interlocuteur.
La qualité des relations varie bien entendu selon les cas : dans certains départements, le remboursement anticipé du crédit de TVA s'est très bien passé ; dans d'autres, les chefs d'entreprise tombaient toujours sur un répondeur !
M. Michel Bécot - Il en allait de même avant !
M. Pascal Labet . - Ce n'est pas la RGPP qui est en cause, mais le facteur humain. Idem dans les administrations où le personnel change régulièrement.
Reste le problème de la stratification, voire de l'empilage de mesures prises très rapidement et parfois sans réelle cohérence : une mesure sur l'impôt sur les sociétés, une sur la TVA... Quid de la taxe sur les salaires, des autres types d'impôt ? Les seuils varient selon les impôts. Pour les PME, ce n'est pas gérable ! Pour la certification électronique, une filiale avait 25 documents à remplir ! Il y a donc encore des dissonances dans la mise en oeuvre des mesures, même si elles sont relativement marginales.
M. Jean-François Roubaud. - Le bilan du guichet simplifié unifié est globalement positif. Pour le crédit d'impôt recherche, nous avons encore plusieurs interlocuteurs : DGFIP, ministère de la recherche, Oseo. Mais globalement, les choses fonctionnent bien.
La création des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) est positive. J'ai eu à faire à des directeurs très compétents ; l'un avait ainsi mené un travail de fond sur le coffre-fort numérique. C'est une grande satisfaction. Nous n'avons reçu aucun écho négatif de la part des entreprises.
M. Pascal Labet . - Les seuls blocages dont nous avons eu l'écho seraient liés au facteur humain. Nous n'avons eu aucun retour négatif, y compris lors des assises de la simplification.
M. Jean-François Roubaud. - Parmi les mesures de simplification, lesquelles nous paraissent les plus efficaces ? Nous avons cité le guichet unique, la qualité des hommes. La difficulté pour l'heure est d'assurer la coordination, de mettre de l'huile dans les rouages. Attention aussi à ne pas faire trop de guichets uniques ! Beaucoup de formulaires sont désormais disponibles en ligne, mais il faut toujours les remplir à la main et les renvoyer par la Poste !
De gros progrès ont été faits dans l'appui à l'exportation. Avec Ubifrance ou Coface, nous avons les outils adéquats. Exporter ne coûte rien pendant les deux premières années, mais ce n'est pas pour autant que les entreprises exportent davantage... À nous, chambres de commerce, de convaincre les chefs de petites entreprise qu'ils peuvent exporter, notamment vers les pays du bassin méditerranéen !
M. Pascal Labet . - En quoi la RGPP a-t-elle modifié le fonctionnement et les méthodes de travail des PME ? Si la mise en place des télé-procédures a pu être source de complexité, le recours aux experts comptables a été bénéfique, qu'il s'agisse de délais ou d'efficience. La dématérialisation des imprimés évitera d'avoir à se déplacer : c'est positif, mais cela demande du temps.
M. Jean-François Roubaud. - La mise en place du système Chorus a retardé le paiement des prestataires de l'État. Il nous a fallu intervenir, car beaucoup d'entreprises étaient pénalisées.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - La situation s'améliore-t-elle ?
M. Jean-François Roubaud. - Oui. À terme, le système devrait fonctionner.
M. Pascal Labet . - C'est surtout le ministère de la défense qui a accumulé les retards de paiement.
M. Jean-François Roubaud. - Quelles sont nos propositions d'amélioration ? Tout d'abord, poursuivre et renforcer le dialogue entre administration et entreprises. Le changement de comportement, induit par la crise, a été positif, et l'on ne craint plus désormais de s'adresser à l'administration. Il faut poursuivre la simplification, mais il faudra plus que des mesurettes si l'on veut réduire le déficit public à 3 %...
M. François Patriat , président . - Quid des nouvelles directions à l'échelon régional, comme les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou les directions de l'innovation, la recherche, l'économie et le tourisme (DIRET) ? Les entreprises souffrent-elles de l'éloignement qu'implique la régionalisation ?
M. Pascal Labet . - Nous n'avons pas eu de retour négatif. A priori , le système est efficient.
M. Jean-François Roubaud. - Cela pose la question plus large de la réorganisation administrative de l'État. L'empilage des échelons régionaux, départementaux et communaux est-il nécessaire ?
M. François Patriat , président . - C'est un autre sujet !
M. Dominique de Legge , rapporteur . - Merci de vos réponses exhaustives. Permettez-moi de vous poser une question plus générale. Dans l'accompagnement des entreprises, quelle est aujourd'hui la ligne de partage entre ce que l'on peut attendre de l'État, des organismes professionnels institués comme les chambres de commerce et d'industrie, et de vos propres organisations professionnelles ?
M. Jean-François Roubaud. - L'administration ne fait pas suffisamment la différence entre une grande entreprise capitalistique et une PME : pour elle, une « petite » entreprise compte déjà 500 salariés ! Or il faut aussi prendre en compte les petites entreprises de dix ou vingt salariés ! Le succès de l'auto-entrepreneur prouve l'intérêt de la simplification pour la création d'entreprises. Un patron de PME patrimoniale n'est pas un manager : pour lui, le résultat d'entreprise a peu d'importance au regard de la pérennité de son entreprise et de ses salariés, qu'il connaît personnellement. Or certaines décisions parfois hâtives, comme la prime de 1 000 euros, ne tiennent pas compte de ces spécificités....
M. Dominique de Legge , rapporteur . - C'est un sujet sur lequel nous sommes très sollicités.
M. Jean-François Roubaud. - La question de l'intéressement dans les petites entreprises mérite d'être posée. La situation actuelle est bien trop complexe : les chefs d'entreprise s'y perdent. Pour promouvoir l'intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés qui ne connaissent pas la participation, il faut être incitatif. Prévoyons un intéressement « hors charges » pendant trois ou quatre ans, afin que le chef d'entreprise y trouve lui aussi son intérêt ! Les contrats-types actuels sont encore trop compliqués pour les entreprises de dix à vingt salariés. Il faut simplifier les dispositifs, en associant les chefs d'entreprise à la réflexion.
M. Jean-Luc Fichet . - Qu'en est-il de la formation professionnelle ?
M. Jean-François Roubaud. - Nous finançons la formation professionnelle, et pas seulement pour les salariés de nos entreprises. Le système fonctionne assez bien. Mais c'est avant tout à Pôle Emploi de former les demandeurs d'emploi pour répondre aux besoins des entreprises. Or on nous répond qu'il n'y a pas de candidats !
M. François Patriat , président . - Pour les métiers sous tension ?
M. Jean-François Roubaud. - Impossible de trouver un serveur de restaurant, un maçon, un frigoriste. Pourtant, il suffirait de former pendant quatre mois un titulaire d'un CAP d'électromécanicien pour qu'il trouve un emploi de frigoriste à 2000 euros par mois !
M. Jean-Luc Fichet . - Comment faire pour mieux cibler la formation professionnelle ? Je connais pour ma part un gaillard de 24 ans, qui ne demande qu'à se former, mais auquel on ne propose rien ! Il faudrait que les PME contribuent à former ces personnes sans diplômes.
M. Jean-François Roubaud. - C'est ce que nous faisons, notamment via le contrat de professionnalisation et la préparation opérationnelle à l'emploi, qui comprend une formation de quatre mois.
M. François Patriat , président . - Le ministère du budget annonce la suppression de 800 points de Pôle Emploi, et de 1800 emplois. Comment voulez-vous que les choses s'améliorent ?
M. Jean-François Roubaud. - Je ne suis pas qualifié pour vous répondre. Il est certain que la fusion à l'origine de Pôle Emploi a entraîné des problèmes d'organisation, qui ne sont pas encore résolus, et que le fonctionnement actuel n'est pas satisfaisant.
M. François Patriat , président . - Vous dites que les choses vont mieux avec les douanes. La diminution du nombre d'agents vous aurait donc profité ?
M. Pascal Labet . - Avant le dossier des formulaires de TGAP, il y avait peu ou pas de relation avec la douane. Pour le chef d'entreprise, cette nouvelle facette de l'administration a une traduction concrète. La RGPP a fixé des indicateurs : l'administration est tenue de contacter 1500 entreprises. Une relation s'est tissée sur le terrain, notamment dans le domaine de la contrefaçon, où les entreprises sont désarmées. S'il y a moins d'agents, c'est que l'administration fait mieux avec moins !
M. Michel Bécot . - Sur le plan fiscal, il y a désormais une écoute : c'est un grand pas, c'est de l'excellence territoriale ! L'administration a compris que les TPE et PME avaient besoin d'être accompagnées.
En effet, Pôle Emploi fonctionne mal, malgré la bonne volonté des agents. On ne trouve pas d'électriciens, de frigoristes, de femmes de ménage. Il y a un vrai problème de formation. Qu'en est-il de la formation professionnelle adulte, qui permettait de former des jeunes sans diplôme ?
M. Pascal Labet . - Nous avons connu plusieurs révolutions culturelles. D'abord, la commission Aicardi, en 1987. Ensuite, le rescrit, à la suite du groupe de travail mis en place par M. Woerth. C'est une nouvelle relation. En droit fiscal français, l'impôt est déclaratif. On institue le dialogue : à chacun de jouer le jeu. C'est une vraie révolution culturelle. On propose désormais d'étendre le dispositif au rescrit social.
Le fait d'imputer le crédit d'impôt sur l'impôt sur les sociétés doit-il nécessairement entraîner un contrôle ? La fraude fiscale représente entre 40 et 50 milliards d'euros par an ; on reconnaît enfin que c'est un vrai sujet. Là aussi, les indicateurs retenus sont déterminants.
M. Jean-François Roubaud. - Les PME forment beaucoup de monde, en formation professionnelle adulte, en apprentissage ou en alternance. Avec le gouvernement, nous travaillons à augmenter encore ce chiffre. Il s'agit de développer l'alternance dans toutes les écoles, à tous les niveaux, jusqu'aux doctorants. Reconnaissons que beaucoup de choses fonctionnent, compte tenu que nous ne sommes pas encore complètement sortis de la crise !
M. François Patriat , président . - Les entreprises sont désormais confrontées à la hausse des prix des matières premières.
M. Jean-François Roubaud. - C'est en effet la première préoccupation de nos entreprises aujourd'hui.
M. Pascal Labet . - Cela fait deux ans que la CGPME propose au législateur un amendement pour revenir à une provision pour hausse des prix.
M. Jean-François Roubaud. - Cela donnerait un peu de souplesse.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - La RGPP n'a pas pour unique objectif de réaliser des économies : il s'agit également d'améliorer la qualité des services. Selon vous, quelles seraient les pistes à explorer, ou au contraire à éviter ?
M. Jean-François Roubaud. - Je doute que l'on parvienne à un déficit de 3 % en 2013 : nous dépensons trop par rapport à ce que nous gagnons. On ne peut continuer à asseoir le financement de la protection sociale sur les seuls salaires. Je prône pour ma part une flat tax , ou une TVA sociale, mais cela suppose une vraie volonté politique. Il faut réduire les charges pesant sur les entreprises, augmenter le pouvoir d'achat des salariés, si nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation que connaît l'Espagne aujourd'hui. Il faut revoir nos modes de financement pour être plus performants, changer nos habitudes.
M. François Patriat , président . - Je vous remercie.