M. Yves Sarrand,
directeur
général des services du conseil général
de la
Savoie, membre de l'association nationale des directeurs généraux
et des directeurs généraux adjoints
des régions et
départements (ANDGDGARD)
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M. Yves Sarrand, directeur général des services du conseil général de la Savoie, membre de l'association nationale des directeurs généraux et des directeurs généraux adjoints des régions et départements (ANDGDGARD) . - Vous m'interrogez sur la RGPP vue depuis les services d'un conseil général. Depuis trois décennies, le centre de gravité du service public à l'usager s'est déplacé de l'État vers les services du département. Nous sommes donc à la fois observateur et acteur.
Tout d'abord, la refonte de l'organisation était devenue urgente. L'État était resté immobile depuis les lois Defferre ; les directions départementales de l'équipement, de l'agriculture, des affaires sanitaires et sociales étaient devenues des entités croupion, vidées d'une partie de leurs compétences et de leurs moyens. La simplification de l'organisation de l'État était donc attendue : on tire enfin les conséquences des transferts de compétences, on met fin à la multiplicité des interlocuteurs. La méthode a été brutale, mais y en avait-il une autre ? Les tentatives larvées de rapprocher DDE et DDA dans les années 90 ont échoué. La création des directions interministérielles, la simplification du système d'acteurs locaux est une avancée - à condition que les moyens suivent.
M. François Patriat , président . - Vous approuvez donc le principe d'une réforme de l'État, et, tout en reconnaissant que la concertation a fait défaut, et estimez qu'il n'y avait pas d'autre méthode possible. Les relations des services départementaux avec l'État sont-elles devenues plus lisibles ?
M. Yves Sarrand . - La simplification des interlocuteurs est une avancée. Certes, l'État est passé en force, en profitant notamment de la faiblesse des syndicats après l'acte II.
Sur la régionalisation, le constat est plus mitigé. On impose un modèle unique, alors qu'il y a une grande hétérogénéité entre régions. Le dogme veut que le niveau régional soit le plus pertinent.
M. Didier Guillaume - C'est faux !
M. Yves Sarrand . - Le regroupement des moyens de l'État au niveau d'une région aussi grande que Rhône-Alpes laisse perplexe. Les DREAL, par exemple, sont de superbes outils, mais bien loin du terrain. Sachant qu'il leur faut 3 heures 30 pour rejoindre Val d'Isère, comment des fonctionnaires basés à Lyon peuvent-ils apporter une réponse pertinente sur des sujets tels que la protection des espaces sensibles ? L'État prend des positions parfois théoriques, car ses agents sont éloignés du terrain.
Autre exemple, le médico-social reste une compétence partagée entre l'État et le département. Avec l'ARS, le centre de gravité de cette politique se déplace vers la région, d'où un éloignement de l'usager dans des domaines où la proximité est cruciale.
L'organisation territoriale retenue par l'ARS de Rhône-Alpes, qui repose sur la sectorisation hospitalière, est source d'incompréhension entre les départements et un service régional éloigné du terrain. Les délégations territoriales de l'ARS, bâties sur les restes des DDASS, ont peu de marges de manoeuvre. Quant au préfet, il fait ce qu'il peut pour assurer un minimum de cohérence...
Troisième point, les moyens. Sans doute fallait-il soumettre les services de l'État à une cure d'amaigrissement, mais sans aller jusqu'à l'anorexie ! Le peu de gras qu'avaient conservé les services de l'État a vite fondu avec la règle du non-remplacement d'un départ sur deux. L'État conserve des compétences importantes ; encore faut-il qu'il ait les moyens, en termes d'expertise, de les exercer. L'évolution actuelle est inquiétante.
On assiste à un transfert de charges rampant dans le domaine des compétences partagées. Depuis les lois Defferre, la délivrance des permis de construire est de la compétence des maires, mais les services de l'État continuaient à faire l'instruction pour le compte des communes. Or, devant la fonte des moyens de l'État, les directions des territoires et les préfets incitent les collectivités à assumer elles-mêmes cette instruction.
M. François Patriat , président . - Quand un maire rural le lui a reproché lors de notre déplacement en région, le préfet s'est mis en colère !
M. Yves Sarrand . - Il est dans son rôle ! Le préfet instruit, mais avec les moyens à sa disposition, dans les délais qui sont les siens. Si cela ne convient pas, à la commune ou à l'intercommunalité de se charger de l'instruction. Celles-ci se retournent donc vers le département, or l'instruction des permis de construire n'est aucunement une compétence du conseil général.
Dans le domaine social, le service à l'usager relève du conseil général, mais l'État a conservé un domaine de compétence important, notamment via les caisses d'allocations familiales et la Mutualité sociale agricole, qui ont leurs propres travailleurs sociaux. RGPP oblige, ces services disparaissent, faute de moyens : les bénéficiaires se tournent donc vers les travailleurs sociaux du département, qui se voit obliger de créer des postes pour compenser le retrait de l'État.
Autre exemple, l'État a conservé la protection judiciaire de la jeunesse, qui est un partenaire important des conseils généraux. Or la PJJ n'a plus les moyens de financer l'assistance éducative en milieu ouvert. Impossible de laisser ces jeunes en déshérence : le département n'a donc d'autre choix que de prendre la relève.
En Savoie, la fermeture du tribunal d'instance à Saint-Jean-de-Maurienne signifie la fin de la présence judiciaire dans la vallée de la Maurienne. L'État propose de créer une maison de la justice et du droit, en partenariat avec les collectivités. Le maire de Saint-Jean met un local à disposition, la Justice assure la formation - et la création d'un poste de permanent incombe au département. Conclusion, la collectivité locale « irresponsable » crée un emploi public de plus, quand l'État « vertueux » réduit ses effectifs !
En conclusion, si la simplification de l'organisation de l'État est très pertinente, la régionalisation des compétences inquiète, notamment dans les grandes régions comme Rhône-Alpes. Enfin, les directions interministérielles n'ont de sens que si on leur donne les moyens nécessaires pour fonctionner.
M. Dominique de Legge , rapporteur . - Vous confirmez ce que nous entendons depuis plusieurs mois : c'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle !
La réorganisation de l'État autour de la région semble être perçue différemment par le préfet selon que son département est chef lieu de région ou non. En cas de problème, vous adressez-vous au préfet de département ou au préfet de région ?
Faute de moyens, l'État n'assume plus un certain nombre de missions d'ingénierie publique. Est-ce le principe même de ce désengagement qui vous paraît gênant, ou le fait que le département, l'EPCI ou la commune soient obligés de se substituer à l'État sans que leur soient transférés les moyens correspondants ?
Il ne me paraît pas aberrant que l'instruction des permis de construire relève du maire, d'autant que l'État effectue le contrôle de légalité. À l'époque où j'étais directeur de l'action sociale du département de Paris, une même famille avait au moins quatre travailleurs sociaux référents ; il me semblait plus pertinent d'avoir un chef de file. Ceci étant, si la caisse d'allocations familiales (CAF), l'Éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) se désengagent, si le secteur associatif n'est plus financé, on va se tourner vers le département, qui n'en peut mais ! Le désengagement de l'État pose-t-il un problème sur le plan des moyens ou des principes ?
M. Yves Sarrand . - Dans un département comme la Savoie, éloigné de la préfecture de région, notre interlocuteur naturel est le préfet de département, avec lequel les relations sont excellentes. Nous sommes loin d'avoir pris l'habitude de nous tourner vers le préfet de région. Les préfets de département et les sous-préfets s'attachent à réduire les incohérences entre région et départements.
Je connais l'ingénierie publique pour avoir été directeur départemental de l'équipement. S'agissant de l'instruction des permis de construire, le transfert de la compétence n'a pas été accompagné d'un transfert de moyens, car il était entendu que les services de l'État restaient à la disposition des communes. Ce transfert de charges qui ne dit pas son nom pose donc un problème de principe.
M. François Patriat , président . - D'autant qu'il n'y aura pas de loi pour prévoir des ressources supplémentaires !
M. Dominique de Legge , rapporteur . - Voyez-vous une opposition déontologique à ce que le titulaire du droit du sol soit celui qui instruit ?
M. Yves Sarrand . - Certainement pas, mais la compétence n'a jamais été totalement aux mains des maires, qui n'hésitaient d'ailleurs pas à s'abriter derrière les décisions de la DDE.
Le problème est celui du transfert de ressources. La refonte de la carte de l'intercommunalité doit faire émerger des structures intercommunales, qui seront l'échelon pertinent pour mutualiser l'instruction. Reste le problème du financement des postes à créer.
L'ingénierie publique de l'État est un autre sujet : il s'agissait là d'un service que l'État facturait aux communes. La disparition de cette exception française me parait aller dans le sens de l'histoire, d'autant qu'elle n'était pas sans effets pervers, les fonctionnaires de l'État étant à la fois juge et partie. La difficulté vient de la rapidité de la réforme : les maires de petites communes se retrouvent brutalement orphelins, mais les choses devraient rentrer progressivement dans l'ordre.